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tout, sous la condition d'une vaine formule et de formalités presque aussi vaines. Les Talon, les Molé, les d'Aguesseau, déployèrent une force d'âme incroyable, en défendant les ordres des rois anciens contre les ordres des rois nouveaux. Leurs successeurs ne résistèrent pas de même, peut-être moins par lâcheté que par défaut de confiance dans le dogme usé de la sainteté des ordonnances, érigées par l'enregistrement en lois fondamentales du royaume.

La nation française, de son côté, avait perdu toute foi dans ces formules; elle avait lentement, il est vrai, mais profondément conçu d'autres principes en matière de science sociale, que la seigneurie royale et la souveraineté illimitée du prince, tuteur universel des personnes, curateur universel des biens. En proclamant les droits des individus comme supérieurs à ceux des sociétés, et les droits des sociétés comme supérieurs à ceux du pouvoir social, la révolution vint bientôt effacer les doctrines, les traditions, et le crédit des anciens légistes.

Si, dès son berceau, la révolution avait pu être heureuse, nous eussions vu s'incarner en quelque sorte, dans une nouvelle classe d'hommes de loi, l'esprit des maximes de liberté qui, de la raison humaine où elles étaient nées, venaient de passer dans les constitutions écrites. L'ordre judiciaire se fût élevé dès lors à sa destination suprême, à la défense perpétuelle de l'individualité du citoyen contre les agressions injustes de la force privée ou publique. Mais cet auguste établissement ne se forma point; ceux qui eussent été dignes de le fonder périrent dans les tempêtes civiles: quand le calme revint, les esprits étaient las et vides; et les seuls piliers qui se présentèrent pour étayer nos institutions judiciaires, furent de vieux membres du parlement et de vieux conseillers au Châtelet. Ils furent mis à l'œuvre, et ils procédèrent dans le sens de leur éducation et de leurs habitudes. Les anciennes doctrines n'ayant pas une forte prise sur les transactions purement privées, le code civil fut maintenu sur les bases qu'avait posées l'assemblée constituante; le code pénal sembla rédigé par quelqu'un de ceux qu'on appelait les bouchers de la Tournelle; les codes de procédure furent calculés pour trouver des

coupables; le jugement des délits politiques fut attribué à des commissions.

Mais, dans l'année 1814, se réveilla tout à coup la révolution française. Sortie du bourbier de l'empire, la France libérale reparut aux yeux, brillante et jeune, comme ces villes que nous retrouvons intactes, après des siècles, quand nous avons brisé la couche de lave qui les couvrait. L'âme de cette France renaissante passa dans le barreau français sans couleur et sans vie. Cette vie nouvelle a produit en foule, depuis cinq ans, des ambitions généreuses, de nobles efforts et des réputations nationales. Le dogme de la sainteté de la liberté humaine a retenti devant les tribunaux et dans les chaires; quoiqu'il y ait été démenti par plus d'un arrêt, toujours a-t-il pris possession d'un terrain qu'il ne cédera plus.

Le Journal général de Législation et de Jurisprudence nous semble une inspiration de l'esprit profondément vrai et généreux qui doit être un jour l'esprit de corps de tout l'ordre des légistes de France. Rédigé par des magistrats patriotes et par de jeunes avocats d'un talent déjà célèbre, cet ouvrage peut être considéré comme le centre et le point de ralliement des doctrines diverses, soit de droit général, soit de jurisprudence particulière, qui composeront la grande doctrine de la nouvelle école judiciaire. A ce titre, il sera utile aux étudiants, et il ne sera point sans fruit pour le public, qui a besoin d'un appui fixe, dans l'état faux où nous nous trouvons aujourd'hui, placés que nous sommes entre la liberté que nous voulons, et des lois faites sous l'esclavage.

VII.

Sur la philosophie du xvme siècle et sur celle du XIXe, à propos de l'ouvrage de M. Garat, intitulé : Mémoires historiques sur la vie de M. Suard '.

Une haine acharnée, une haine implacable, une haine que l'histoire inscrira parmi les aversions célèbres, est celle des Censeur Européen, 1820.

nobles d'aujourd'hui contre la philosophie du dernier siècle. A voir la véhémence de cette aversion, on la croirait antique; on la prendrait pour une de ces inimitiés héréditaires qui se transmettaient, en grandissant, d'une génération à l'autre ; il n'en est rien cependant : les pères de presque tous nos nobles, bien plus, un grand nombre d'entre nos nobles eux-mêmes, furent les disciples serviles et les prôneurs effrénés des philosophes en se déchaînant contre les philosophes, ce sont leurs maîtres qu'ils renient. Et plût au ciel que les penseurs du XVIII° siècle n'eussent point été l'objet de leurs indiscrètes affections; plût au ciel que des fauteuils dorés n'eussent point été les premiers bancs de cette école : elle eût été bien autrement grande, si elle eût été populaire; les semences de raison que ses fondateurs répandaient, au lieu de languir à demi-étouffées dans la poussière des salons, auraient fructifié largement au sein de la terre forte du bon sens plébéien et de la conviction nationale.

En 1789, la nation, agitée par le vieux ferment d'insurrection qui couvait sous la terre de France, depuis que l'anéantissement des villes libres avait rallié tout le pays dans le besoin d'un commun effort, la nation se leva et somma la philosophie (puisqu'on disait qu'il y en avait une) de lui donner un état social à la fois plus juste et plus digne. La philosophie, qui, des écrits où elle était née, avait passé dans les cercles frivoles, et qui s'était arrêtée là, entre les mains de commentateurs en jupe de cour et en veste brodée, ne put donner une réponse assez profonde ni assez complète. La nation, une fois ébranlée dans sa masse, ne put se rasseoir; force fut à la révolution de se faire; et elle se fit comme elle put. Appuyée sur la base flottante de quelques axiomes vagues et de quelques théories mal achevées, elle trébucha au premier choc; du moment qu'on la sentit chanceler, les têtes se perdirent, l'on devint cruel par effroi. La France fut ensanglantée, non point, comme on le prétend mal à propos, parce que les philosophes du xvIII° siècle s'étaient fait entendre au peuple, mais parce que leur philosophie ne s'était pas rendue populaire; les philosophes et le peuple n'avaient pu s'expliquer ensemble; une classe

d'hommes, raisonneurs par désœuvrement et patriotes par vanité, était venue se placer entre eux. Ces hommes, dans une sphère inaccessible au mal comme au bien public, s'investirent de l'emploi de disserter sur ce qu'ils ne pouvaient comprendre; ils établirent dans leurs salons une sorte de monopole des idées morales et politiques, sans véritable besoin de la science, sans véritable amour pour elle, poussés par le désir d'échapper à l'ennui, la seule des calamités sociales qui pút arriver jusqu'à eux.

Quand vinrent les em barras et les périls, toute cette troupe stérilement empressée prit la fuite, comme les frelons qui s'envolent quand le travail de la ruche commence. Après avoir gâté le siècle, après avoir fait descendre les écrivains au rôle d'orateurs de boudoir, après avoir détruit le goût de la retraite qui fait la dignité des penseurs et donne aux pensées la gravité et l'énergie, après avoir enlevé du milieu du peuple les hommes qui lui devaient leurs veilles, ils abandonnèrent ce peuple à la demi-science légère et présomptueuse que leurs vaines conversations lui avaient faites. Ils firent plus, ils se levèrent contre le peuple et contre leur propre science; ils furent traîtres à leurs principes, et diffamèrent impudemment ce qu'ils avaient proclamé juste et vrai. Quarante ans entiers ils avaient battu le tambour pour évoquer de la solitude des provinces des élèves pour les philosophes, et de beaux esprits pour leurs salons; quarante ans entiers ils avaient recruté en France pour la philosophie; ils recrutèrent en Europe contre la philosophie et la France. Pauvre France! elle se vit attaquée pour avoir produit, disait-on, les détestables philosophes de l'exécrable xvIIe siècle; et c'étaient les patrons, c'étaient les écoliers des philosophes, c'étaient les gens de cour et les princes à qui le siècle avait daigné faire un nom, qui faisaient ou commandaient l'attaque.

Leur hostilité attira vers le XVIIIe siècle l'attention et la confiance populaires. Les opinions de ce siècle descendirent alors dans la masse des idées communes; la nation les embrassa, non point avec servilité comme avait fait l'aristocratie, mais en les amendant par son examen calme, mais en leur donnant

ce caractère de largeur que le travail des grandes réunions d'hommes imprime toujours aux pensées des individus. Là commença pour la France une opinion philosophique véritablement nationale, propre à la nation, fille de ses écrivains commentés par elle-même et non par des cordons bleus ou des femmes à grands paniers, science toute française, capable d'étendre avant tout son empire aux lieux où seront des Français. La condamnation de la science de 1760, c'est qu'elle n'avait point ce pouvoir; son premier élan la porta hors de France, dans les cités étrangères des oisifs et des grands seigneurs : elle régna à Saint-Pétersbourg et à Berlin, avant que Lyon ou Rouen l'eussent connue.

Nous n'avons point vu le temps où la philosophie était en amitié avec les grands et les désœuvrés de ce monde; nous ne l'avons point vue assise sur des siéges de soie, dans les salons de l'aristocratie; nous l'avons vue diffamée, poursuivie, à peine tolérée sur les humbles bancs d'une école poudreuse, dernier refuge dont les haines aristocratiques menacent de la chasser bientôt. Nous serions donc mauvais juges de la vérité des tableaux que présente l'ouvrage de M. Garat sur M. Suard et le xvIIe siècle. Tout ce siècle, moins dix années, est pour nous comme un autre monde. Nous parcourons les cercles où l'ingénieux auteur nous fait entrer; nous y trouvons, grâce à lui, des portraits originaux et piquants, mais pas une seule figure de connaissance, pas un seul trait que nous ayons entrevu ces hommes sont presque nos contemporains; et il y a des siècles entre eux et nous. La race spirituelle de leur temps est aujourd'hui la race stupide; la conversation n'est plus en France, la méditation en a pris la place; l'esprit de raison est dans le public, les salons dorés n'y prétendent plus; on n'y bégaie plus gracieusement la philosophie; elle y est maudite; et cela vaut mieux, car cela prouve qu'elle est grave et puissante.

Toutefois, si nous devons laisser à ceux qui ont vu de près les choses décrites par M. Garat, le soin de prononcer sur le fond de son ouvrage, nous pouvons au moins, avec connaissance, dire notre avis sur la forme littéraire du livre, et sur le

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