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ou capable, à qui les autres obéissent par la conviction de son habileté reconnue. Telle est l'idée qui se présentait à l'esprit des Franks de la Gaule, quand ils prononçaient les mots de frankono koning', en latin, rex Francorum; telle était l'autorité des Chlodowig et des Karl, chefs des Franks, que nos historiens modernes, estropiant à la fois les noms propres et les titres, appellent Clovis et Charles, rois de France.

L'homme que les Franks appelaient chef ou roi, même au premier rang, n'agissait jamais sans leurs conseils, et subissait leurs jugements sur ses actes. Plusieurs rois de la première et de la seconde race furent dégradés du commandement suprême pour cause d'inhabileté ou de mauvaise conduite. Mais, depuis l'élection de Hugues, surnommé Capet, la race des Franks se voyant établie invinciblement sur les terres gauloises, relâcha, par indolence, les liens de son antique discipline; elle s'isola, et laissa ses chefs s'isoler d'elle, se perpétuer à plaisir dans le commandement, et le transmettre sans contrôle à leurs fils. Il est vrai qu'alors ce commandement ne devint plus lui-même qu'un simple titre, sans droits réels; mais aussi le public n'eut plus de droits sur celui qui gardait ce titre. Cantonné librement, comme chaque membre de la nation victorieuse, dans la portion de territoire qui lui appartenait en propre, il put à son gré, avec le secours de sa puissance personnelle, machiner l'asservissement de ses compagnons et la ruine de leur état social. C'est ce que les rois des Franks entreprirent; et ce plan, poursuivi par eux pendant plusieurs siècles, fut couronné d'un plein succès. Ils se fortifièrent dans leur domaine héréditaire, en gagnant, par une meilleure condition de servitude, les hommes dont le partage de la conquête les avait rendus possesseurs. Le désir de pareilles concessions leur attira une sorte de confiance de la part de tout le peuple vaincu ; et à l'aide de cette confiance et de leur propre force, ils s'attribuèrent la possession exclusive de ce peuple, en déclarant comme un axiome du droit antique, que la terre conquise était au roi. Dans l'espace de

Poésies du moine Otfrid, au neuvième siècle.

quelques siècles, les hommes sujets de tous les Franks devinrent, de nom et de droit, les sujets du seul chef des Franks.

Trop faibles ou trop timides, pour secouer ce nom de servitude que leur avait apporté la conquête, ils travaillèrent par vengeance à la faire partager aux hommes dont les pères avaient vaincu leurs pères; ils aidèrent le roi à subjuguer les fils des hommes libres; et ceux-là, vaincus à leur tour, descendirent ignominieusement dans l'esclavage qu'avaient imposé leurs aïeux. Ainsi le nom de sujets devint, dans la langue française, le seul corrélatif du nom de roi. Le corrélatif de ce titre, dans la langue de la liberté franque, avait été le simple nom d'hommes, leude, ou celui de compagnons, ghesellen, que la langue latine travestissait par les mots barbares de leodes et de vasalli. A ces deux noms se joignait encore celui de descendants de la race libre, gentiles homines. Ce titre, conservé par les hommes en qui périt, au profit du chef, la vieille liberté de leurs pères, ne servit qu'à rendre leur dégradation plus honteuse. Il les signala entre tous comme une race abâtardie, plus lâche que le reste des sujets, à qui leurs ancêtres, au moins, ne pouvaient faire aucun reproche.

Ainsi donc, le mot de roi n'a signifié dans notre langue un homme au profit de qui est anéantie la liberté des autres hommes, que par le hasard d'une conquête faite à main armée, d'abord par des peuples sur d'autres peuples, ensuite par les chefs des peuples vainqueurs sur les peuples vainqueurs euxmêmes. Cet accident matériel n'a pu altérer logiquement le sens primitif d'un mot qui existait avant lui. En lui-même, le mot de roi ne signifie donc rien de plus que ce qu'il signifia d'abord, c'est-à-dire un directeur quelconque, un chef quelconque, un magistrat quelconque; examiner la question de la royauté, ce n'est donc pas traiter d'une autorité spéciale, précise et déterminée, c'est traiter de l'autorité en général. Cela posé, il sera plus conforme à la rigueur des principes logiques, de substituer aux termes, peu intelligibles de roi et de royauté, les termes clairs et universels de pouvoir social ou d'autorité sociale. Au lieu de s'évertuer à prouver que

jamais un roi n'a été maître d'hommes, ce qui est vrai et faux, selon le point de vue où l'on se place, il vaudra mieux poser nettement, que jamais une société d'hommes n'a eu des mattres ou des régents absolus que par violence et contre son gré, ce qui est vrai de toute manière.

C'est dans cette démonstration qu'est la force réelle du livre de M. de la Serve. Il prouve qu'en fait, le despotisme ne s'est exercé nulle part, sans que la conscience des hommes protestât contre lui, et qu'en droit, tout homme qui, librement et sans contrainte, se soumettrait à un pouvoir sans règle, serait coupable d'avoir violé lui-même sa conscience; que nulle société n'a le droit de s'aliéner à l'un ou à plusieurs de ses membres; et qu'historiquement, quand de pareilles aliénations ont paru se faire, ce n'a pas été volontairement, mais par violence, non point à la fondation des sociétés par la raison humaine, mais à leur dissolution par les conquêtes; que le magistrat français, à qui la charte constitutionnelle donne le nom de roi, a pour bornes inviolables de son pouvoir la sainteté des libertés individuelles qui sont la base de la société française, logiquement antérieure et supérieure au gouvernement français; que la puissance de lever des armées, de déclarer la guerre, d'exécuter les lois rendues, de proposer les lois à rendre, de quelque titre qu'on la désigne, ne s'étend que jusqu'où finirait le respect des droits et des libertés civiles.

Du moment qu'une autorité quelconque a violé un seul de ces droits, en detruisant les garanties qui le protégeaient, de ce moment la société acquiert envers elle le droit de contrainte et de résistance. Que le pouvoir y songe bien si la compassion humaine consent à se retenir devant la misère des hommes que les geôliers séquestrent, et dont le bourreau s'empare au nom de la loi, ce n'est pas simplement parce que les geôliers et le bourreau agissent en vertu de la décision de tels hommes appelés juges, rendue sur l'autorité de tels livres nommés codes, c'est qu'il y a au-dedans de chaque homme une raison qui prononce que, quiconque a violé le droit sacré d'autrui, soit dans son être, soit dans ses biens, est coupable et digne de punition. C'est devant cette raison, et non pas de

vant telle formule judiciaire, que se tait la pitié humaine; voilà la loi qui sanctionne les lois : si nous lui obéissons quand elle nous commande d'abandonner aux vengeances du pouvoir quiconque de nous a nui à un autre, lui serons-nous rebelles quand elle nous commandera d'abandonner aux chances de l'indignation publique ceux qui auront nui à tous, en ébranlant les droits de chacun?

Il n'y a rien d'inviolable que ces droits et que la raison qui les proclame; quiconque y porte atteinte, et méprise cette raison, juge suprême des actes humains, se met lui-même au ban de l'humanité, et déchire de ses propres mains son titre à la protection des hommes, dans ses souffrances et dans ses détresses. Voilà la pensée morale qui domine tout l'ouvrage de M. de la Serve. Nous ne la suivrons pas dans ses développements logiques. Nous renvoyons le lecteur au livre luimême, et nous lui abandonnons encore le soin de faire les applications du principe. M. de la Serve a surtout fait valoir, d'une manière neuve et frappante, les avantages de cette loi des élections, que nos hommes d'état veulent faire comparattre en criminelle à la barre des chambres qui l'ont votée. Cette apologie, écrite avant l'attaque, est remarquable par une dialectique forte, et par cette chaleur d'âme qu'inspire la conviction. L'auteur appartient à cette jeune école de politique, dont les dogmes simples et honnêtes abjurent le fanatisme et l'intérêt, qui seuls poussent aux changements de régime. Cette école dédaigne la vaine question des formes; elle ne s'attache qu'à la liberté pure et à ses garanties immédiates. Elle acceptera tout avec la liberté; sans la liberté elle n'acceptera rien. Retranchée dans ce principe, seul immuable dans le mouvement perpétuel de ce monde, elle verra se briser contre lui tous les sophismes de l'esprit faux et de l'ambition : quant à la force, son seul adversaire redoutable, elle se prépare à lui opposer des courages aussi énergiques que ses vues sont droites et que ses espérances sont pures.

IV.

Sur la véritable constitution de l'empire Ottoman, à propos de l'ouvrage intitulé: Révolution de Constantinople en 1807 et 1808, par M. de Juchereau de Saint-Denis '.

:

C'est l'erreur commune des anciens publicistes, de croire que la nature humaine est par elle-même indifférente à toute espèce d'arrangement social, que nos consciences politiques. ne sont que l'ouvrage du simple hasard, et que le despotisme peut être du consentement national tout aussi bien que la liberté. Cette opinion est matériellement fausse. La nature humaine, nature libre, n'a jamais spontanément voulu que l'indépendance; jamais le despotisme n'a mis le pied sur un coin du monde, que contre le gré de ceux qui l'habitaient voilà ce que révèle l'histoire de tous les temps et de tous les lieux. La liberté, premier besoin, première condition sociale, nulle part n'a disparu que devant la force, que devant la conquête à main armée. C'est la terreur seule qui a fait des esclaves parmi les hommes de toutes les races. Ouvrez l'histoire au point que vous voudrez, prenez au hasard le climat et l'époque, si vous rencontrez une peuplade d'hommes, soit éclairés, soit encore sauvages, vivant sous un régime de servitude, soyez sûr qu'en remontant plus haut vous trouverez une conquête, et que ces hommes sont des vaincus. Pareillement, si vous remarquez une population cantonnée dans des lieux peu accessibles qui l'ont défendue contre l'invasion d'une race étrangère, soyez sûr qu'en la visitant vous y trouverez de la liberté. Cette distinction perpétuelle est la clef de l'histoire sociale.

On vous raconte qu'il y a aujourd'hui, sur le sol de la Grèce antique, une nation où nul individu n'a de volonté ni de propriété personnelle, où un seul homme dispose de tous les autres, qui s'abjurent tous devant lui; il faut demander au narrateur si la population qu'il prétend ainsi régie n'est point

Censeur Européen du 7 février 1820.

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