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servés, depuis plusieurs siècles, au trésor de l'abbaye de SaintDenis. Ce corps d'annales, réuni pour la première fois au douzième siècle et continué avec soin à chaque nouveau règne, surpassait en réputation et en crédit tous ceux du même genre recueillis dans les autres abbayes célèbres. Sa publication fonda par tout le royaume, qui venait d'atteindre ses derniè-. res limites, une opinion commune sur les premiers temps de l'histoire de France, opinion malheureusement absurde et qui ne pût être déracinée qu'après beaucoup de temps et d'efforts. Selon les Grandes Chroniques de France, les Gaulois et les Franks étaient issus des fugitifs de Troie, les uns par Brutus, prétendu fils d'Ascanius, fils d'Énée, les autres par Francus ou Francion, fils d'Hector. Voici de quelle manière la narration commençait :

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Quatre cent et quatre ans avant que Rome fût fondée, régnait Priam en Troie la grande. Il envoya Pâris, l'aîné de « ses fils, en Grèce pour ravir la reine Hélène, la femme au « roi Ménélas, pour se venger d'une honte que les Grecs lui «avaient faite. Les Gréjois, qui moult furent courroucés de «cette chose, s'émurent pour aller et vinrent assiéger Troie. « A ce siége, qui dix ans dura, furent occis tous les fils du « roi Priam, lui et la reine Hécube, sa femme; la cité fut arse « et détruite, le peuple et les barons occis. Mais aucuns échappèrent et plusieurs des princes de la cité s'espandirent ès «< diverses parties du monde pour quérir nouvelles habitations, «< comme Hélénus, Elyas et Anthenor, et maints autres.... Énéas, qui était un des plus grands princes de Troie, se mit << en mer avec trois mille et quatre cents Troyens.... Turcus et « Francion, qui étaient cousins germains (car Francion était «frère et fils du roi Priam), se départirent de leur contrée, «et allèrent habiter tout auprès une terre qui est appelée «Thrace... Quand ensemble eurent habité un grand temps, << Turcus se départit de Francion, son cousin, lui et une partie « du peuple qu'il emmena avec lui; en une contrée s'en alla, << qui est nommée la petite Scythie.... Francus demeura, après « que son cousin se fut de lui départi, et fonda une cité qu'il appela Sicambrie, et longtemps ses gens furent appelés Si

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<< cambriens pour le nom de cette cité. Ils étaient tributaires << aux Romains, comme les autres nations; mille cinq cent sept ans demeurèrent en cette cité, depuis qu'ils l'eurent « fondée 1. »

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Après ce début singulier viennent les chapitres suivants : De diverses opinions pourquoi les Troyens de Sicambrie furent appelés Français. - Comment ils conquirent Allemagne et Germanie, et comment ils déconfirent les Romains. Comment et quand la cité de Paris fut fondée, et du premier roi de France. - Du second roi qui eut nom Clodio. Du tiers roi qui eut nom Mérovez. quart roi qui eut nom Childéris.... Comment le fort roi Clodovées fut couronné après la mort de son père. Jusqu'au règne de Charlemagne la narration suit en général un seul auteur, Aimoin, religieux de Fleury ou de Saint-Benoît sur Loire, au dixième siècle; puis vient une traduction fort inexacte de la vie de Charlemagne, par son secrétaire Éghinhard; puis un fragment de la fausse chronique de l'archevêque Tilpin ou Turpin, morceau qui n'est pas le plus historique du livre, mais sans contredit le plus capable de saisir l'imagination par cette verve de récit, dont brillent à un si haut degré les romans du moyen âge. C'est là que le roi Marsile et le géant Ferragus, qui ne font plus que nous divertir dans la poésie de l'Arioste, jouent un rôle sérieux et authentique. Là, enfin, ce Roland ou Rotland, comte des Marches de Bretagne, que l'histoire nomme une seule fois, et qui périt dans une embuscade dressée par les Basques, au passage des

1 Chroniques de Saint-Denis, livre I, chap. I; apud script. rerum francic., t. III, p. 155.

2 Apud. script. rer. franc., t. III, p. 156, 159 et 166.

3 Vita Karoli magni per Eghinhardum scripta ; apud script. rerum francicarum, t. V, p. 89. Les annales du même Eghinhard, ainsi que d'autres écrits, qu'il serait trop long d'énumérer, fournissent aussi quelques fragments aux Chroniques de Saint-Denis.

4 Nam cùm agmine longo, ut loci et angustiarum situs permittebat, porrectus iret exercitus, Wascones, in summi montis vertice positis insidiis.... extremam impedimentorum partem, et eos, qui novissimi agminis incedentes subsidio, præcedentes tuebantur, desuper incursantes, in subjectam vallem dijiciunt consertoque cum eis prælio, usquè ad unum omnes interficiunt: ac

Pyrénées, figure comme le brave des braves et la terreur des Sarrasins. L'obscure escarmouche des gorges de Roncevaux est transformée en bataille générale, où combattent d'un côté les Franks, de l'autre les Maures et les Espagnols; et Roland, demeuré seul, entre tous ses compagnons, épuisé par ses blessures, meurt après avoir fait entendre, à plus de sept milles du champ de bataille, le bruit de son cor d'ivoire :

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<< Lors demeura, tout seul, Roland, parmi le champ de « bataille, las et travaillé des grands coups qu'il avait donnés «<et reçus, et dolent de la mort de tant de nobles barons qu'il voyait devant lui occis et détranchés. Menant grande dou« leur, il s'en vint parmi le bois jusqu'au pied de la montagne « de Cisaire, et descendit de son cheval dessous un arbre, auprès d'un grand perron de marbre, qui était là dressé en << une moult beau pré, au-dessus de la vallée de Roncevaux. « Il tenait encore Durandal, son épée; cette épée était éprou«vée sur toutes autres, claire et resplendissante et de belle façon, tranchante et affilée si fort qu'elle ne pouvait ni cas« ser, ni briser. Quand il l'eut longtemps tenue et regardée, << il la commença à regretter quasi pleurant, et dit en telle « manière: «O épée très belle, claire et resplendissante, qu'il « n'est pas besoin de fourbir comme toute autre, de belle gran« deur et large à l'avenant, forte et ferme, blanche comme une ivoire, entresignée de croix d'or sacrée et bénie par les let« tres du saint nom de notre seigneur Jésus-Christ, et envi«ronnée de sa force, qui usera désormais de ta bonté, qui « t'aura, qui te portera?... J'ai grand deuil si mauvais cheva«lier ou paresseux t'a après moi. J'ai trop grande douleur si « Sarrasin ou autre mécréant te tient et te manie après ma « mort. » Quand il eut ainsi regretté son épée, il la leva tout « haut et en frappa trois merveilleux coups au perron de mar«<bre qui était devant lui; car il la pensait briser, parce qu'il

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direptis impedimentis, noctis beneficio, quæ jam instabat, protecti, summâ cum celeritate in diversa disperguntur.... In quo prælio Eghinhardus regiæ mensæ præpositus, Anselmus comes palatii, et Rotlandus britannici limites præfectus, cum aliis compluribus interficiuntur. (Vita Karoli magni per Eghinhardum, cap. IX; apud script. rer. franc., t. V, p. 92.)

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« avait peur qu'elle ne vint aux mains des Sarrasins. Que vous « conterait-on de plus? Le perron fut coupé du haut jusqu'en terre, et l'épée demeura saine et sans nulle brisure; et quand il vit qu'il ne la pourrait dépecer en nulle manière, << si fut trop dolent. Il mit à sa bouche son cor d'ivoire, et << commença à corner de toute sa force, afin que si aucuns des « chrétiens s'étaient cachés au bois pour la peur des Sarra« sins, ils vinssent à lui, ou que ceux qui jà avaient passé les «ports retournassent et fussent à son trépassement, et pris« sent son épée et son cheval. Lors il sonna l'olifant par si « grande vertu qu'il le fendit par le milieu et se rompit les « veines et les nerfs du cou. Le son et la voix du cor allèrent « jusqu'aux oreilles de Charlemagne, qui jà s'était logé en une « vallée qui aujourd'hui est appelée Val-Karlemagne : ainsi il « était loin de Roland environ huit milles vers Gascogne 1. » Au portrait de Karle-le-Grand tracé par Éghinhard, les Grandes Chroniques ajoutent quelques circonstances empruntées à la tradition populaire : « Il étendait, disent-elles, « trois fers de chevaux tous ensemble légèrement, et levait un « chevalier armé sur la paume de sa main, de terre jusque << tout en haut. Avec Joyeuse, son épée, il coupait un cheva«lier tout armé.... 2. » Mais cette partie de l'ouvrage est la seule où se trouvent entremêlés des détails empruntés aux romans. Le reste se compose de fragments historiques placés bout à bout sans trop de liaison, jusqu'au règne de Louis VI, dont la vie, écrite par l'abbé Suger, ouvre une série de biographies des rois de France, jusqu'à Charles VII, composées par des contemporains.

Les grandes Chroniques de France, sous leur forme native, n'étaient point un ouvrage capable de se faire lire par beaucoup de monde, ni de circuler rapidement: aussi, moins de vingt ans après leur publication, pour répondre au désir du public, furent-elles abrégées par un homme qui était à la fois un savant et un bel esprit. Maître Nicole ou Nicolas Gilles, secré

⚫ Chroniques de Saint-Denis, sur les jestes de Charlemagne, liv. V, chap. II; apud scriptores rerum francicarum, t. V, p. 505.

a Ibid., p. 266.

taire du roi Louis XII, compila en un seul volume et publia, en 1492, les Annales et Chroniques de France, de l'origine des Français et de leur venue ès Gaules, avec la suite des rois et princes des Gaules, jusqu'au roi Charles VIII. Cet ouvrage, qui, dès son apparition, eut un succès immense, respectait le fond des Chroniques de Saint-Denis, mais en changeait le style pour l'accommoder aux idées et au goût du temps. Le peu de couleur originale, conservée à l'histoire des deux premières races par les compilateurs du douzième siècle et les traducteurs du treizième, disparut sous une phraséologie toute moderne. On y trouve un grand luxe de remarques sur le peu de durée de la faveur des cours et le dévouement des rois de France au Saint-Siége. L'auteur va jusqu'à falsifier la prière de Clovis à la bataille de Tolbiac. Il lui fait dire : « Sei<< gneur Jésus-Christ, je croirai en votre nom, et tous ceux de « mon royaume qui n'y voudront croire seront exilés ou « occis1. » Ni ces mots, ni rien d'approchant, ne se trouvent dans les chroniques de Saint-Denis.

En parlant des exactions des rois des Franks, Nicole Gilles emploie toujours les mots de tailles, emprunts et maltôtes, si célèbres de son temps. Il ajoute aux Grandes Chroniques beaucoup de fables et de miracles qui, au douzième siècle, n'étaient pas encore de l'histoire, comme les fleurs de lys apportées par un ange, la dédicace de l'église de Saint-Denis par Jésus-Christ en personne, l'érection du royaume d'Yvetot, en expiation d'un meurtre commis dans l'église, le vendredi-saint, par le roi Clotaire Ier. Un des passages les plus originaux du livre est le portrait de Charlemagne, présenté comme une espèce de Gargantua, haut de huit pieds, et mangeant à lui seul le repas de plusieurs personnes. « Il était de belle et « grande stature, bien formé de corps, et avait huit pieds de haut, la face d'un espan et demi de long, et le front d'un pied de large, le chef gros, le nez petit et plat, les yeux « gros, verts et étincelants comme escarboucles.... Il mangeait « peu de pain et usait volontiers de la chair de venaison. Il

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'Annales et Chroniques de France, par Nicole Gilles.

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