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les Stuarts, et on leur demanda une adresse semblable à celle des lords. Ils se rendirent docilement au lieu de leurs séances, et à peine assis, ils apprirent que la populace ameutée entourait leur salle, menaçant de ses imprécations et de sa vengeance ceux qui oseraient voter contre l'intérêt de Guillaume d'Orange. Ils ne résistèrent point à la présence de cette force. populaire, que le même Guillaume avait su rendre autrefois si terrible pour les de Witt, et l'adresse fut décrétée. Alors, ce parlement provisoire fut dissous, et ceux de ses membres qui avaient déjà terminé leurs stipulations avec le pouvoir, se répandirent dans les provinces pour influencer les nouveaux choix. Pendant ce temps, Guillaume nomma aux places, maintint dans les places, transféra les places, leva cinq millions d'impôts sur Londres, et défendit toute discussion politique, par des décrets rendus en son seul nom.

Ce fut le 22 janvier 1689 (1688 vieux style) que s'assembla le parlement nouveau; il prit le titre de convention, titre qu'avait porté trente ans auparavant l'assemblée qui légalisa la trahison de Monk et la royauté de Charles II. Dans l'adresse votée par les deux chambres, Guillaume fut appelé libérateur, sans doute à cause du nombre d'hommes qu'il venait de sauver du danger de vivre sans places; ensuite la chambre des communes vota que le trône était vacant, parce que Jacques II avait rompu le contrat mutuel qui l'attachait au peuple. Les communes auraient dû dire de quelle date était ce contrat mutuel, et quelles en avaient été les clauses. En faisant l'équation, fausse dans ce cas, des idées de roi et d'obligé par contrat envers le peuple, elles faisaient l'équation funeste pour l'avenir, des idées de peuple et d'obligés envers le roi; elles établissaient par avance, que du moment où Guillaume serait roi, il y aurait, en vertu de ce seul titre de roi, un pacte obligatoire entre la nation anglaise et Guillaume, pacte occulte et mystérieux, sans condition expresse, sans garantie stipulée, dont la vaine hypothèse, sans augmenter du moindre degré la force effective de la partie sujette, devait armer la partie régnante d'une autorité logique capable de légitimer la violence, et de faire de l'oppression un droit fondé sur le

consentement des opprimés. Il n'y a pas d'argument plus terrible contre les nations que l'attestation fausse de la volonté nationale; c'est à l'aide de pareilles fictions que les rebelles au despotisme, que les héros de la liberté sont impunément flétris du nom de traîtres.

Les lords de ce temps ne s'y trompèrent pas; dans leur examen des votes des communes, ils passèrent rapidement sur l'idée du contrat mutuel, et ne discutèrent au sérieux que la proclamation de la vacance du trône. Plusieurs prétendirent qu'il était mal de présenter comme rompue la continuité de succession qui avait fait la force de ce pouvoir royal auquel ils avaient dû tant de biens. Ils furent secondés en cela par les hommes qui, s'étant réunis les derniers au prince d'Orange, et ayant ainsi peu mérité de lui, auraient préféré le règne de sa femme, fille du roi dépossédé. Cet article manqua d'être supprimé, et ne passa enfin qu'à la faveur d'une capitulation entre les amis du prince et les amis de la princesse. Quand on posa la question décisive: Qui est-ce qui sera roi? la réponse fut celle-ci « Les lords spirituels et temporels arrêtent que Guillaume, prince, et Marie, princesse d'Orange, seront ensemble roi et reine; le prince seul, au nom de tous deux, exercera le pouvoir royal.

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Ces débats duraient depuis vingt jours; et au milieu de tant de soins pour l'organisation du gouvernement qui se disait national, il n'avait encore été question ni de la nation ni de la liberté. Une seule fois, dans une conférence entre les deux chambres, quelques voix s'élevèrent pour demander qu'on marquât des limites certaines au pouvoir du roi futur. Un envoyé de Guillaume vint trouver les hommes qui avaient tenu ce langage. «N'insistez pas, leur dit-il, sur le point de limiter un pouvoir que le prince veut posséder tout entier. Je dois vous dire de sa part qu'il a des moyens de vous punir, et qu'il les mettrait en usage. Craignez, en le dégoûtant du succès qu'il vient d'obtenir, de le forcer à se retirer de vous, et à vous abandonner à la merci du roi Jacques. » Cette réponse outrageante montre ce que croyait Guillaume du prétendu pacte violé par Jacques second, et vengé par le peuple an

glais : s'il eût pensé que le roi détrôné l'avait été par la puissance de la nation, il n'eût pas fait à cette nation, capable de se délivrer du roi Jacques, la menace de la livrer à sa colère. Quand tout fut terminé, quand les communes eurent reçu des lords l'acte qui déclarait roi et reine le prince et la princesse, et après eux leur postérité, une sorte de pudeur vint saisir la chambre, et elle dressa, sous la forme d'un projet de loi, la liste des excès de pouvoir qui avaient fait haïr les deux derniers règnes. Ainsi naquit ce qu'on appela le bill des droits, exposé de principes sans aucune garantie, simple appel à l'humanité et à la raison des gouvernants. On y dit que les élections doivent être libres, que les parlements doivent être souvent assemblés, que les citoyens peuvent faire des pétitions et avoir des armes selon leur état, maximes vagues, aussi faciles à éluder qu'à proclamer, et dont la mieux respectée n'a pas eu en Angleterre dix années de stricte observance. Le bill des droits règne encore, et c'est sous son facile empire que se fait le trafic des villes représentées, et que les parlements durent sept ans.

Ainsi il a manqué une qualité à la révolution anglaise de 1688, et précisément cette qualité est celle dont on l'honore gratuitement; cette révolution n'a point été une révolution nationale, c'est-à-dire une révolution faite par les mains de ceux, faite au profit de ceux qui ne tirent aucun gain des impôts publics, aucun honneur, aucun crédit de la puissance publique; dont la vie est toute privée; qui n'ont nul intérêt à ce que le gouvernement soit à tel ou tel homme, ait telle ou telle figure; mais à ce que le gouvernement, quel qu'il soit, qui que ce soit qui l'exerce, soit dans l'impuissance absolue de violer ce qui est éternellement saint, éternellement inviolable, la liberté. Si la révolution de 1688 eût été faite par ces hommcs et pour ces hommes, on ne les verrait pas aujourd'hui en Angleterre assiéger le pouvoir de leurs réclamations, et le menacer de leurs soulèvements.

Nous aussi, nous avons eu notre révolution de 1688; ce n'est plus pour nous une épreuve à faire; nous savons dans quelle situation d'âme une pareille révolution met un peuple,

et si, en la subissant, il doit se glorifier ou rougir de lui-même. Quand celui qui fut pour nous Guillaume III 1, se faisait précéder, à sa rentrée dans Paris, par des pièces de canon, des mêches brûlantes et des sabres nus, avons-nous cru bien de bonne foi à notre puissance et à nos volontés, dont il se disait l'ouvrage? Nous sommes-nous vraiment persuadés que c'était par nous et pour nous qu'il marchait de nouveau sur nos têtes? C'était son profit de nous inspirer de l'orgueil au milieu de notre néant, de nous gonfler de cette vanité que la fable a rendue ridicule, de la folle vanité de l'insecte qui se vante de guider le char, quand le char l'emporte et va l'écraser. Le despotisme a surtout beau jeu, lorsqu'il peut répondre aux peuples qui murmurent : C'est vous-mêmes qui m'avez voulu.

A Dieu ne plaise qu'une telle réponse puisse encore nous être adressée. Si nous avons le malheur d'être opprimés, n'ayons jamais la honte d'être appelés esclaves volontaires; nous fuirons l'un et l'autre, en poursuivant avec calme et constance l'œuvre de liberté commencée si heureusement par nos pères, et dont les fondements furent dispersés par le premier chef d'une dynastie prétendue nationale. Qu'importe au Sisyphe de la fable, la figure et la substance du rocher qu'il soulève? qu'importe de même aux nations la forme et l'origine du pouvoir? c'est par son poids, c'est par leur faiblesse que le pouvoir les accable. Élevons dans nos lois et surtout dans nos âmes des barrières et des forts inviolables contre toute tyrannie, soit d'ancienne, soit de nouvelle forme, soit d'ancienne, soit de nouvelle date: laissons le reste au temps, et ne nous abaissons jamais à conspirer avec la fortune.

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Napoléon en 1815.

Il y a, entre la révolution de 1688 et celle de 1850, cette différence que la dernière est vraiment une révolution nationale, puisque toutes les classes de la nation, hors une seule, y ont concouru. Le peuple s'est sauvé lui-même, il a combattu pour sa propre cause, et toute la puissance de la royauté nouvelle dérive de la victoire populaire. Du reste, si je m'étais trouvé avec mes opinions de vingt-quatre ans en présence de cette révolution et de ses résultats politiques, j'aurais certainement porté sur elle un jugement aussi partial et aussi dédaigneux; l'âge m'a rendu moins enthousiaste des idées, et plus indulgent pour les faits.

VII.

Sur l'esprit national des Irlandais, à propos des Mélodies Irlandaises
de Thomas Moore 1.

Il y a des peuples qui ont la mémoire longue, que la pensée de l'indépendance n'abandonne point dans l'esclavage, et qui, s'opiniâtrant contre l'habitude, ailleurs si puissante, détestent et renient encore, après des siècles, l'existence qu'une force supérieure leur a imposée malgré eux. Telle est la nation irlandaise. Cette nation, soumise par conquête au gouvernement anglais, refuse, depuis six cents ans, de consentir à ce gouvernement et de lui donner son aveu; elle le repousse comme au premier jour; elle proteste contre lui, comme protestait la vieille population d'Irlande, dans les combats où elle fut vaincue ; dans ses révoltes, elle ne se croit point en rébellion, mais en guerre juste et légitime. C'est vainement que la puissance anglaise s'est épuisée d'efforts pour vaincre cette présence d'esprit si vivace, pour faire oublier la conquête, et faire accepter les fruits de l'invasion armée comme l'exercice d'une autorité légale ; rien n'a pu anéantir l'obstination irlandaise. Malgré les séductions, malgré les menaces, malgré les supplices, les pères l'ont léguée à leurs fils. La vieille Irlande est encore la seule patrie que les vrais Irlandais avouent ; c'est à cause d'elle qu'ils ont tenu à sa religion, comme à son langage; et, dans leurs insurrections, c'est encore elle qu'ils invoquent sous le nom d'Erin, par lequel la nommaient leurs ancêtres.

Pour maintenir cette chaîne de mœurs et de traditions contre les efforts des vainqueurs, les Irlandais se sont faits des monuments que ni le fer ni le feu ne pouvaient détruire; ils ont eu recours à l'art du chant, dans lequel ils se vantaient d'être habiles, et qui, dans les temps de l'indépendance, avait fait leur orgueil et leurs plaisirs. Les bardes et les ménétriers 1 Censeur Européen du 28 février 1820.

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