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engagea les petits seigneurs des environs, qui étaient ses vassaux, à faire des incursions armées sur les terres de l'abbaye. Plusieurs barons du Nivernais et de l'Auxerrois profitèrent de cette occasion pour s'emparer impunément des biens de l'Église. Ils rançonnèrent les moines dévastèrent les métairies, et enlevèrent partout les provisions, les serfs et le bétail. N'ayant point de troupes à opposer aux hommes d'armes de ses ennemis, l'abbé de Vézelay supporta quelque temps le mal qu'ils lui faisaient, avec cette patience qui était alors la vertu des gens d'église. Puis voyant qu'il ne gagnait rien, il résolut de tenter d'autres voies et sollicita la protection du roi de France. Ce fut environ dans la quinzième année de son règne, c'est-à-dire en 1152, que le roi Louis-le-Jeune reçut à Paris une requête où l'abbé de Vézelay lui exposait, dans le style mystique du temps, les afflictions de son église. Il y fit droit, en citant à comparaître, devant la Cour des barons de France, le plaignant et son adversaire le comte de Nevers. Tous deux firent valoir leurs prétentions; mais ce débat n'eut aucune suite, parce que l'abbé déclina le jugement de la Cour, craignant que la décision du procès ne lui fût pas entièrement favorable 1.

Au retour du voyage qu'il avait fait pour se rendre à la Cour du roi, le comte, enhardi par l'hésitation de son adversaire, renoua ses intelligences avec les mécontents de Vézelay. Il leur donna rendez-vous, pour une conférence politique, dans une plaine voisine du bourg; et, quand ils y furent réunis, il leur parla en ces termes :

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« Hommes très illustres, renommés au loin pour votre prudence, forts de votre courage et riches du bien que vous << avez acquis par votre mérite, je suis affligé au fond du cœur « de la misérable condition où vous vous trouvez réduits; « car, possesseurs en apparence de beaucoup de choses, réel«<lement vous n'êtes maîtres de rien 2. En songeant à l'état où

'Perpendens abbas infensam sibi curiam partibus favere adversis, timuit sese committere dubio judicio. (Script. rer. francic., t. XII, p. 322.)

« O viri illustres multâque prudentiâ famosissimi ac fortitudine strenuissimi, « sed et propriâ virtute acquisitis opibus locupletissimi! Doleo satis admodùm

« vous êtes et à ce que vous pourriez devenir avec un peu de « résolution, je me demande où est cette énergie avec laquelle « autrefois vous mites à mort votre seigneur l'abbé Artaud. « C'était un homme qui ne manquait ni de sagesse, ni d'au& tres bonnes qualités, et tout le mal qu'il voulait vous faire, «< consistait en une nouvelle taille imposée à deux maisons. « Aujourd'hui vous souffrez sans mot dire l'excessive dureté « de cet étranger, de cet Auvergnat si arrogant dans ses pro«pos, et si bas dans sa conduite, qui se permet non seule<< ment des exactions sur vos biens, mais encore des violences «contre vous. Séparez-vous de cet homme et liez-vous à moi « par un pacte réciproque; si vous y consentez, je prends « l'engagement de vous affranchir désormais de toute exaction « et même de toute redevance. »

Il y a, dans les grandes réunions d'hommes, un instinct de prudence qui les fait toujours hésiter à prendre des résolutions hasardeuses. Les habitants de Vézelay, d'abord disposés à la révolte, parurent un moment reculer, et prenant une attitude plus calme que le comte ne s'y attendait, ils lui dirent que trahir sa foi envers son seigneur était une chose très grave et qui demandait réflexion, qu'ils tiendraient conseil là-dessus et lui répondraient sous peu de jours. Quand l'assemblée fut séparée, plusieurs des habitants les plus considérables par leur âge, et les plus modérés en fait d'opinions politiques, se rendirent auprès de l'abbé, pour essayer, s'il était encore possible, de prévenir une rupture ouverte : « Nous vous rap« portons fidèlement, dirent-ils, les paroles du comte de » Nevers, vous priant de nous donner aide et conseil en cette « rencontre, comme notre seigneur et notre père spirituel. »

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L'abbé ne montra aucune émotion à cette confidence peu rassurante; et soit qu'il eût naturellement, soit qu'il affectât alors une grande impassibilité: « Mes fidèles et amis, répondit-il, votre prudence n'ignore pas que le comte est mon ennemi, dans le seul but de vous circonvenir et de vous

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« miseram conditionem status vestri, quoniam multarum rerum possessores « quidem specie, reverâ autem nullarum domini effecti estis... » (Script. rerum franc., t. XII, p. 325.)

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réduire, à force de ruses, sous une complète servitude, après qu'il vous aura soustraits à une sujétion sous laquelle « vous vivez en hommes libres. J'ai combattu jusqu'ici avec « persévérance pour vos franchises; mais si, en retour, vous « me payez d'ingratitude, si vous devenez traîtres envers moi « et envers l'Église, quelque affligé que j'en puisse être, je « saurai m'y résigner, tandis que la peine de votre trahison « retombera sur vous et sur vos enfants. Que si, vous rendant « à de meilleurs conseils, vous résistez avec fermeté, si vous «< demeurez inébranlables dans la foi jurée à votre seigneur « et à l'Église qui vous a nourris de son lait, je me sacrifierai << volontiers pour votre liberté, ne doutant pas que de meil« leurs jours ne succèdent bientôt à ces tristes circonstances'. Nous le croyons et l'espérons, reprirent les gens de Vézelay; mais il nous semble qu'il serait prudent de renon<<cer au procès avec le comte, de céder à votre adversaire et de « conclure la paix avec lui. Moi, dit l'abbé, je n'ai de pro« cès avec personne; mais je suis prêt à défendre mes droits « contre quiconque les attaque. Céder à des prétentions injustes, serait un acte d'insigne lâcheté. J'ai souvent demandé << la paix, tant par prières qu'à prix d'argent, et jamais je n'ai << pu l'obtenir de cet enfant de perdition 2. » Ce furent les derniers mots de l'abbé; et les députés des bourgeois retournèrent sans qu'il leur eût fait aucune espèce de concession.

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Dès ce jour, les partisans des mesures conciliatoires perdirent toute influence sur l'esprit de leurs concitoyens. L'obstination de l'abbé devint la cause ou le prétexte d'un soulèvement populaire, à la tête duquel on vit, comme dans des révolutions plus récentes, figurer la plupart des jeunes gens. Alors se passèrent, dans le bourg de Vézelay, toutes les scènes de tumulte et d'enthousiasme qui signalaient, au moyen âge, l'établissement d'une commune contre la volonté du seigneur. Les habitants s'assemblèrent, et, renonçant à leur foi

'Chronique de Hugues de Poitiers, Mémoires relatifs à l'Histoire de France, t. VII, p. 167 et 168.

2 Ibidem.

3 Et ecce affluxerunt viri nequam, aggregatâque sibi juvenum multitudine.... (Ex Hist. Vizell. monast.; apud script. rer. franc., t. XII, p. 323.)

envers l'abbé et l'église de Sainte-Marie, ils jurèrent tous de se défendre l'un l'autre, et de n'avoir qu'une seule volonté. On ignore quels articles de lois formèrent les bases du nouveau pacte social, et comment furent organisés les différents pouvoirs municipaux. Tout ce qu'apprend le seul historien de cette curieuse révolution, c'est que les magistrats, choisis parmi les plus âgés, reçurent le titre de consuls, comme ceux des communes du Midi 1. C'est un fait d'autant plus remarquable que, dans les plus grandes villes de la Bourgogne, comme dans celles du nord de la France, on ne connaissait que les noms de jurés ou d'échevins. Cette influence particulière des idées méridionales sur la petite ville de Vézelay ne peut guère s'expliquer que par la présence de Hugues-de-SaintPierre, cet étranger qui était venu s'y établir avec une industrie et des lumières supérieures à celles de ses nouveaux concitoyens.

Le comte de Nevers entra dans la commune, c'est-à-dire qu'il jura solennellement fidélité aux bourgeois, et promit de n'avoir d'amis et d'ennemis que les leurs, de ne conclure ni paix ni trève avec qui que ce fût sans les y comprendre; eux en retour lui firent serment de foi et de service de leur corps et de leurs biens, à la vie et à la mort. Ainsi élevés de la triste condition de sujets taillables d'une abbaye au rang d'alliés politiques d'un des plus puissants seigneurs, les habitants de Vézelay cherchèrent à s'entourer des signes extérieurs qui annonçaient ce changement d'état. Ils élevèrent autour de leurs maisons, chacun selon sa richesse, des murailles crénelées; ce qui était alors la marque de la garantie du privilége de liberté. L'un des plus considérables parmi eux, nommé Simon, jeta les fondements d'une grosse tour carrée, comme celles dont les restes se voient à Toulouse, à Arles et dans plusieurs villes d'Italie. Ces tours, auxquelles la tradition joint encore le nom de leur premier possesseur, donnent une grande idée de l'importance individuelle des riches bourgeois du moyen âge, importance bien autre que la petite considération dont ils

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Principes vel judices quos et consules appellari censuerunt. (Ex Hist. Vizell. monast.; apud script. rer. franc., t. XII, p. 323.)

jouirent plus tard sous le régime monarchique. Cet appareil seigneurial n'était pas, dans les grandes villes de commune, le privilége exclusif d'un petit nombre d'hommes, seuls puissants au milieu d'une multitude pauvre : Avignon, au commencement du treizième siècle, ne comptait pas moins de trois cents maisons garnies de tours 1. Sans doute les bourgeois de Vézelay, après leur insurrection, n'en élevèrent pas un pareil nombre; et cependant, si l'un des témoins du mouvement politique qui anima cette petite ville au milieu du douzième siècle pouvait la revoir aujourd'hui, ne serait-il pas bien étonné? Ne se demanderait-il pas où est la vie, où sont les hommes du vieux temps?

LETTRE XXIII.

Suite de l'histoire de la commune de Vézelay.

Lorsque la commune de Vézelay eut été définitivement constituée par le serment de tous les bourgeois, l'élection des consuls et la formation du grand conseil, les magistrats municipaux s'occupèrent de traiter avec l'abbé leur ci-devant seigneur, pour la reconnaissance du nouvel ordre de choses. Les principaux d'entre eux se rendirent en députation auprès de lui, pour le prier d'entrer dans la commune et de renoncer volontairement à tout ce qu'il y avait d'arbitraire et de tyrannique dans ses priviléges seigneuriaux. On ne sait précisément quelle réduction ils proposaient pour le cens et les tailles; s'ils voulaient une abolition complète ou simplement une diminution de redevances. Mais l'abbé fut inébranlable dans son refus de rien accorder tant que subsisterait la commune. Il répondit que, si les sujets de son église voulaient renoncer à leur mau

Trecentas domus turrales quæ in villà erant. (Mathæi Parisiensis Chronicon. Historia Angliæ.)

Postulabant remitti sibi quasdam consuetudines quas novitatis et tyrannidis esse dicebant.... (Ex Hist. Vizell. monast.; apud script. rer. francic., t. XII, p. 523.)

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