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obscures, il n'en est peut-être pas une qui n'ait eu ses jours d'énergie. Vézelay, dans le département de l'Yonne, n'est pas même un chef-lieu de sous-préfecture; et cette simple bourgade eut, il y a près de sept cents ans, l'audace de faire une révolution pour son compte.

LETTRE XXII.

Histoire de la commune de Vézelay.

A huit lieues au sud d'Auxerre, et à vingt-trois au nord-est de Nevers, se trouve la ville de Vézelay qui, au moyen âge, n'avait que le titre de bourg, mais était, selon toute apparence, plus grande et plus peuplée qu'aujourd'hui. La principale cause de sa prospérité était une église bâtie en l'honneur de Sainte-Marie-Madeleine, et vers laquelle on se rendait de fort loin, pour acquitter des vœux ou faire des pèlerinages. Cette église dépendait d'une abbaye fondée, au neuvième siècle, par le comte Gherard, si célèbre dans les romans de chevalerie, sous le nom de Gérard de Roussillon. En transportant à l'abbaye de Vézelay tous ses droits de propriété et de seigneurie sur le bourg et sur ses habitants, le comte Gherard avait voulu qu'elle en jouit en toute franchise et liberté, c'est-à-dire qu'elle fût à jamais exempte de toute juridiction temporelle ou ecclésiastique, excepté celle de l'église de Rome. Il obtint, à cet égard, un diplôme de l'empereur Karle-le-Chauve, affranchissant l'église de Vézelay et ses hommes, tant libres que serfs, de la juridiction de tout empereur, roi, comte, vicomte ou évêque présent et à venir. En outre, le pape régnant prononça solennellement l'anathème contre tout seigneur ecclésiastique ou laïc qui oserait enfreindre les libertés d'une église fille de celle de Rome, et faisant partie des domaines du bienheureux apôtre Pierre.

Malgré la charte impériale et les menaces d'excommunica

tion contenues dans la bulle du souverain pontife, les héritiers des droits du comte Gherard, dans l'Auxerrois et le Nivernais essayèrent, à plusieurs reprises, de faire rentrer le bourg de Vézelay sous leur autorité seigneuriale. Les richesses des habitants et la célébrité du lieu excitaient leur ambition, et la rendaient plus active. Ils ne pouvaient voir sans envie les grands profits que l'abbé de Vézelay tirait de l'affluence des étrangers de tout rang et de tout état, ainsi que des foires qui se tenaient dans le bourg, particulièrement à l'époque de la fête de Sainte-Marie-Madeleine. Cette foire attirait durant plusieurs jours un concours nombreux de marchands venus soit du royaume de France, soit des communes du Midi, et donnait, à un bourg de quelques milliers d'âmes, une importance presque égale à celle des grandes villes du temps. Tout serfs qu'ils étaient de l'abbaye de Sainte-Marie, les habitants de Vézelay avaient graduellement acquis la propriété de plusieurs domaines situés dans le voisinage; et leur servitude, diminuant par le cours naturel des choses, s'était peu à peu réduite au paiement des tailles et des aides, et à l'obligation de porter leur pain, leur blé et leurs vendanges au four, au moulin et au pressoir publics, tenus ou affermés par l'abbaye. Une longue querelle souvent apaisée par l'intervention des papes, mais toujours renouvelée sous différents prétextes, s'éleva ainsi entre les comtes de Nevers et les abbés de Sainte-Marie de Vézelay. Cette querelle devint extrêmement vive dans les premières années du douzième siècle. Le comte Guillaume, plusieurs fois sommé par l'autorité pontificale de renoncer à ses prétentions, les fit valoir avec plus d'acharnement que jamais, et légua en mourant à son fils du même nom que lui, toute son inimitié contre l'abbaye.

La dignité d'abbé et de seigneur de Vézelay appartenait alors à Pons de Montboissier, originaire de l'Auvergne, homme d'un caractère décidé, mais aussi calme que celui du jeune comte de Nevers était fougueux et violent. La guerre entre ces deux antagonistes d'une humeur si différente, ne fut suspendue que par le départ du comte pour la croisade. Son séjour à la Terre-Sainte ne changea rien à ses dispositions; mais au

retour, durant la traversée, surpris par une tempête violente et se croyant en péril de mort, il promit à Dieu et à SainteMarie-Madeleine de ne plus inquiéter l'abbé de Vézelay, s'il revenait chez lui sain et sauf. Ce vœu prononcé dans un moment de crainte ne fut pas longtemps gardé, et sa rupture fut accompagnée de circonstances toutes nouvelles.

Il y avait à Vézelay un étranger, selon toute apparence, originaire du Midi, et nommé Hugues de Saint-Pierre. Cet homme avait apporté dans le bourg peu de richesses, mais une grande industrie, à l'aide de laquelle il avait fait promptement fortune. L'étendue de son commerce le mettait en relation d'affaires avec les barons de la contrée, et même avec le comte de Nevers, qui l'accueillait toujours bien et recevait de lui des présents. Obligé de vivre dans un pays de servitude, Hugues de Saint-Pierre supportait impatiemment sa nouvelle condition, et aspirait à établir dans la bourgade de Vézelay, un gouvernement républicain sur le modèle de ces grandes communes qui jetaient alors tant d'éclat en Provence, dans le comté de Toulouse et sur toute la côte de la Méditerranée. Cette pensée généreuse n'était peut-être pas exempte d'un peu d'ambition personnelle; et peut être, dans ses rêves politiques, l'artisan de Vézelay se voyait-il d'avance revêtu de la robe rouge, qui était, dans les communes du Midi, la marque de la haute dignité de magistrat municipal. Quoi qu'il en soit, Hugues de Saint-Pierre était habile à saisir toutes les occasions capables de seconder ses projets. Témoin des démêlés du comte de Nevers avec l'abbé de Sainte-Marie, il croyait cette lutte favorable à ses desseins, et faisait de son mieux pour engager le comte à reprendre l'offensive. Il lui conseillait de s'emparer du droit de juridiction sur les habitants de Vézelay, soit en jugeant les procès pendants devant la Cour abbatiale, soit en faisant saisir par ses officiers quelques criminels justiciables de l'abbaye, et lui assurait que les habitants, si leur choix était libre, n'hésiteraient pas un seul instant entre les deux juridictions. En même temps il cherchait à inspirer à ses

Chronique de Hugues de Poitiers, livre III. Collection des Mémoires relatifs à l'Histoire de France, t. VII, p. 149.

concitoyens le désir et l'espérance d'être libres comme l'étaient les bourgeois des communes. Il réunissait les plus éclairés et les plus courageux dans des assemblées secrètes, où l'on s'entretenait de l'état présent des choses, des différents partis à prendre pour l'avantage commun, et peut-être de considérations politiques d'un ordre plus élevé, comme l'état de la classe bourgeoise, ses relations avec les seigneurs, les droits dont elle jouissait dans un lieu, et qu'on lui refusait dans un autre. Ces assemblées, tenues mystérieusement, sous prétexte d'exercices de piété, causèrent une violente fermentation dans les esprits; l'ancien respect pour la puissance de l'abbé et des moines de Sainte-Marie fut ébranlé, et même il y eut pour la première fois, plusieurs actes de rébellion contre leur autorité.

L'un des religieux, passant à cheval près d'une forêt de l'abbaye, trouva un homme occupé à couper du bois quoique cela fût défendu; il courut sur lui et voulut lui enlever sa cognée; mais cet homme l'en frappa si rudement qu'il le renversa de cheval. Le coupable fut saisi et eut les yeux crevés, par sentence de la Cour abbatiale. A la nouvelle de cet arrêt, le comte de Nevers éprouva, ou feignit d'éprouver beaucoup d'indignation; il s'emporta avec violence contre les moines, les accusant à la fois de cruauté, d'iniquité et d'usurpation de ses propres droits comme seigneur haut justicier. Ne se bornant point aux invectives, il somma judiciairement l'abbé Pons de comparaître devant sa Cour, pour y répondre sur diverses interpellations qui lui seraient faites; mais celui-ci n'obéit point, et adressa au comte des remontrances sur la nouvcauté de ses prétentions. Alors toute trève fut rompue; le comte entra en hostilité ouverte avec l'abbaye et en fit dévaster les domaines. Il mit en état de blocus le bourg de Vézelay, et, après avoir fait publier, par un héraut d'armes, la défense d'y entrer ou d'en sortir, il envoya des cavaliers et des archers pour garder les routes. Par suite de ces mesures, les marchands et les artisans de Vézelay, retenus de force dans leurs maisons, et ne pouvant plus rien vendre ni rien acheter au dehors, furent réduits à une grande

gêne. Ils éclatèrent en plaintes contre l'abbé qu'ils accusaient d'avoir causé tout le mal par son obstination; ils allaient même jusqu'à dire qu'ils ne le voulaient plus pour seigneur, et tenaient publiquement ces propos et d'autres du même genre 1.

Lorsque le comte de Nevers apprit dans quel état de fermentation les esprits étaient à Vézelay, il en eut beaucoup de joie, et en conçut de grandes espérances pour la réussite de ses projets. Il y avait entre lui et les habitants une sorte de communauté d'intérêts dans leur haine contre l'abbaye, quoique leurs vues fussent bien différentes, car les uns tendaient à faire du bourg de Vézelay une ville entièrement libre, et - l'autre à remplacer comme seigneur, l'abbé de Sainte-MarieMadeleine. Une alliance pouvait donc se conclure entre les ennemis de l'abbaye, quoiqu'il y eût peu de chance pour sa durée. Le comte se rendit à Vézelay afin de parler lui-même aux bourgeois et de traiter avec eux; mais, à son arrivée, les moines, adroits politiques, l'accueillirent si respectueusement, et lui promirent tant de déférence à l'avenir, qu'ils le gagnérent et l'obligèrent, malgré lui, de leur accorder une trève. Pour le mieux lier encore, l'abbé qui devait se rendre à Rome, lui remit tous ses droits seigneuriaux et le soin de ses intérêts durant son absence. Il s'engagea même, envers lui, à demander au pape que les hommes de l'église de Vézelay fussent dorénavant soumis à la juridiction des comtes de Nevers; mais il savait bien que le pape n'accorderait jamais une pareille demande.

En effet, l'abbé Pons de Montboissier rapporta de Rome un monitoire apostolique qui lui faisait un devoir sacré de la défense de ses droits seigneuriaux. Cette nouvelle excita plus violemment que jamais la colère du comte de Nevers, qui voyait qu'on s'était joué de lui. N'osant cependant attaquer en personne les moines sans provocations de leur part, il

Dicentes auctorem simul et causam malorum omnium esse abbatem; felices demùm se ac beatos fore, si, rejecto ecclesiæ jugo, sese manciparent comitis arbitrio. (Ex Historia Vizelliacensis monasterii, apud script. rer. francic., t. XII, p. 520.)

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