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« que d'ailleurs il était pitoyable qu'une si noble et antique «< cité fût non seulement inférieure aux autres en droits et en priviléges, mais encore privée de tout ce qu'elle avait con« servé de son ancien état 1. » Le roi écouta ces doléances, mais ne consentit point au rétablissement de la commune, telle qu'elle avait été fondée au douzième siècle, dans l'âge d'or des libertés bourgeoises. Il maintint dans la ville de Soissons le gouvernement en son nom et l'office de prévôt royal; seulement il permit aux bourgeois d'élire chaque année quatre personnes qui, sous le titre d'échevins, assisteraient le prévôt dans sa justice et prendraient soin des affaires municipales 2.

La commune d'Amiens eut de plus longs jours: elle ne perdit que lentement et une à une ses anciennes prérogatives. Supprimée par ordonnance de Philippe IV, elle fut rétablie par le même roi en l'année 1307, et, selon toute probabilité, ce fut sa grande richesse qui la sauva. On ne peut dire à quelle somme d'argent monta le prix de son rétablissement; mais on sait que, peu d'années après, il lui en coûta 6000 livres une fois payées et une rente de 700 liv. pour le rachat définitif de tous ses droits. Dès lors, elle parcouruten paix le cercle entier de la destinée des vieilles constitutions municipales. L'élection du majeur et des vingt-quatre échevins subsista jusqu'en l'année 1597, où un édit du roi Henri IV réduisit à la fois le nombre et les priviléges de ces magistrats populaires. Les anciens droits des comtes, dont la commune avait hérité, lui furent enlevés avec la plus grande partie de ses revenus; et la juridiction de l'échevinage fut bornée au petit criminel, aux disputes entre bourgeois, aux procès concernant la police des rues, les métiers, le service du guet et le logement des gens de guerre 3.

Toutefois, dans les cérémonies publiques, les insignes de la haute justice, du droit de vie et de mort continuèrent d'accompagner, comme dans l'ancien temps, le maire et les échevins d'Amiens. Ces attributs d'une puissance qui n'était plus,

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3 Histoire d'Amiens, par le père Daire, t. I, p. 60 et suiv.

consistaient en deux glaives de forme antique, portés à la main par deux officiers de ville qu'on désignait, à cause de leur emploi, par le terme provincial d'espadrons 1. Une coutume semblable régnait dans presque toutes les grandes communes ; le seul monument qui rappelle aujourd'hui l'existence de celle de Toulouse est, avec un volume dépareillé de l'ancien registre des capitouls, le large sabre qui jadis était pour ses magistrats l'équivalent des haches consulaires. C'est un cimeterre échancré vers la pointe, à poignée d'acier, sans garde, et d'un aspect vraiment imposant. L'on croit aujourd'hui dans la ville que cet instrument fut fabriqué exprès pour le supplice du maréchal de Montmorency, en l'année 1652; mais quiconque l'examine avec un peu d'attention, reconnaît que c'est une arme de parade, incapable d'avoir jamais tranché une tête, à cause d'un cordon en saillie qui garnit et décore le dos de la lame. Ainsi les traditions s'interrompent et succèdent l'une à l'autre. Une nouvelle célébrité, de nouveaux noms, s'attachent faussement aux mêmes objets; et il faut que l'historien, démêlant cette confusion, se prononce contre la voix publique et lui fasse avouer l'erreur.

LETTRE XX.

Histoire de la commune de Reims.

La ville de Reims, célèbre, dès les temps les plus reculés, par sa grandeur et son importance, fut, parmi les cités du nord de la Gaule, celle qui conserva le mieux, après la conquête franke, l'organisation municipale qu'elle avait reçue des Romains. C'était, durant le moyen âge, une tradition populaire à Reims, que le privilége d'être jugé par des magistrats de leur choix remontait, pour les habitants de cette ville, jusqu'à une époque antérieure à Saint-Remi, qui convertit et baptisa l'armée des Franks. Cette vieille institution n'avait pu, 'Histoire d'Amiens, par le père Daire, t. I, p. 60 et suiv.

sans s'affaiblir, traverser un si long espace de temps : les magistrats municipaux, réduits quant au nombre, avaient perdu l'une après l'autre leurs attributions politiques. De tous les droits que les lois romaines accordaient aux curies ou corps de ville, il ne leur était resté que celui de rendre la justice dans les causes qui n'entraînaient point de condamnation capitale. Ils avaient aussi changé de nom et pris le titre de skepene, mot de la langue franke, qui, altéré par la prononciation romane, a produit celui d'échevins.

Le pouvoir dont les empiétements successifs diminuèrent ainsi, à Reims, les prérogatives des magistrats civils élus par les citoyens, fut celui des archevêques. D'abord magistrats eux-mêmes et défenseurs de la cité', ils transformèrent, à la longue, cet office de patronage légal en une seigneurie absolue, comme celle des barons féodaux. A mesure que ce changement se prononça, la justice municipale ou l'échevinage, seule garantie des citoyens contre la puissance des archevêques, entra en lutte avec eux et avec leurs sergents ou officiers de police administrative et judiciaire. Cette longue querelle est obscure et de peu d'importance jusqu'à l'époque où le mouvement imprimé par la révolution communale se fit sentir dans le voisinage de Reims, à Noyon, à Beauvais, à Laon, à Amiens et à Soissons. L'exemple de ces villes inspira aux citoyens de Reims de nouvelles idées politiques et un nouveau degré d'énergie. Ils résolurent de reconstituer par un effort commun, et de rendre, à l'avenir, inattaquables les garanties de liberté dont les débris s'étaient conservés chez eux pendant plusieurs siècles 2.

Ce fut vers l'année 1158, dix ans après la promulgation de la charte de Laon, qu'une association politique se forma, pour la première fois, parmi la bourgeoisie de Reims. Cette association prit le nom de compagnie, alors synonyme de celui de commune. La vacance du siége épiscopal, causée par la

Voyez sur l'office de défenseur (defensor) dans les villes romaines, et sur les pouvoirs municipaux attribués aux évêques, les Essais de M. Guizot sur l'Histoire de France. (Premier Essai.)

→ Marloti metropolis Remensis Historia, lib. II, p. 327.

mort de l'archevêque Renaud, avait facilité ce mouvement, sur lequel il reste trop peu de détails. Tout ce qu'apprennent les courtes notes éparses dans les anciens registres des églises, c'est que les bourgeois se conjurèrent pour établir une république. Par ce mot, l'on n'entendait point désigner une tentative différente de celle qu'avaient faite avec plus ou moins de succès les habitants des villes voisines. A Reims on ne connaissait pas mieux qu'ailleurs et l'on ne regrettait pas davantage les formes de gouvernement de l'antiquité; mais, sans rapporter ce qu'ils voulaient établir à aucune théorie politique, les conjurés aspiraient à s'organiser en société indépendante, hors de la seigneurie épiscopale, qui deviendrait ainsi poureux une puissance étrangère.

Durant la vacance du siége de Reims, l'église métropolitaine était sous le patronage du roi, qui en percevait les revenus temporels et en exerçait la seigneurie. Louis VII, qui régnait alors depuis près d'un an, était en querelle avec le pape Innocent II qui avait mis ses terres en interdit. Pour se venger des hostilités de la puissance ecclésiastique, il retardait à dessein l'élection d'un nouvel archevêque; et cette circonstance diminua les obstacles que les bourgeois de Reims devaient rencontrer dans l'établissement de leur commune. Le roi n'avait aucun intérêt personnel à faire la dépense d'un armement pour dissoudre leur association et les ramener sous l'obéissance de l'Église; et tout l'espoir du clergé métropolitain, pour le rétablissement de ses droits seigneuriaux, était dans une prompte élection qu'il sollicitait de la manière la plus pressante. Bernard, fondateur et premier abbé du monastère de Clairvaux près de Bar-sur-Aube, homme que l'Église vénère aujourd'hui comme saint, et qui de son temps jouissait du plus grand crédit, à cause de son zèle religieux, de son éloquence et de son habileté diplomatique, s'entremit dans cette affaire, et écrivit soit au roi, soit au pape, un grand nombre de lettres, dont la suivante mérite d'être citée comme échantillon de son style :

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« A son très aimé père et seigneur, Innocent, souverain «pontife, le frère Bernard de Clairvaux, appelé abbé, ce « qui est peu de chose.

«L'Église de Reims tombe à sa perte; une cité glorieuse « est livrée aux opprobres: elle crie à ceux qui passent par « le chemin, qu'il n'y a pas de douleur semblable à sa douleur, «< car au-dehors est la guerre, au-dedans la crainte, et de plus, << au-dedans la guerre, car ses fils combattent contre elle, et « elle n'a pas de père qui puisse la délivrer. Son unique espé<< rance est dans Innocent qui essuiera les larmes de ses joues. << Mais jusqu'à quand, seigneur, tarderez-vous à étendre sur << elle le bouclier de votre protection? Jusqu'à quand sera-t«elle foulée aux pieds et ne trouvera-t-elle personne qui la « relève ? Voici que le roi s'est humilié, et que sa colère con«tre vous est apaisée : que reste-t-il donc? sinon que la main apostolique vienne soutenir l'affligée, apportant des soins et « un appareil pour ses blessures. La première chose à faire, « c'est de presser l'élection, de crainte que l'insolence du peuple rémois ne ruine le peu qui subsiste encore, à moins qu'on ne résiste, le bras levé, à sa fureur. Si l'élection était « solennisée avec les cérémonies d'usage, nous avons confiance « que, dans tout le reste, le Seigneur nous donnerait faveur « et succès1.»

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La cour de Rome commençait à prendre l'alarme sur les progrès de cette révolution communale, qui, gagnant l'une après l'autre les villes métropolitaines, tendait à ruiner partout la puissance temporelle des évêques. Aussi le pape mit-il en oubli sa rancune contre le roi de France, pour ne plus songer qu'à l'église de Reims et au péril dont elle était menacée. Afin d'engager Louis-le-Jeune à détruire tout ce qu'avaient fait les bourgeois, et à les châtier de leur rébellion, il lui adressa une lettre pleine de paroles affectueuses et qui se terminait de la manière suivante : « Puisque Dieu a voulu « que tu fusses élu et sacré roi pour défendre son épouse, « c'est-à-dire la sainte Église rachetée de son propre sang, et « maintenir ses libertés sans atteinte, nous te mandons par «< cette lettre apostolique et t'enjoignons, pour la rémission de « tes péchés, de dissiper par ta puissance royale les coupables

Script. rer. francic., t. XV, p. 394.

2 Ibidem.

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