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cette question: « Qui t'a fait comte?»-«< Qui t'a fait roi?»> furent les seuls mots que répondit le comte Aldebert. Cette réponse, sujet de stupeur pour les historiens du dix-septième siècle, et plus tard commentée dans un sens républicain, ne contenait aucune allusion à la royauté élective; elle signifiait simplement qu'un comte de Périgord était souverain à aussi bon titre et aussi pleinement qu'un roi de France 1.

La France, si nous prenons ce mot dans sa véritable acception nationale, n'a point commencé par être grande; bornée d'abord au pays qui s'étend de la Meuse à la Loire, de l'Epte et de la Vilaine aux montagnes de l'ancienne Bourgogne, elle a eu de faibles commencements. Mais depuis qu'elle existe comme état au centre de la Gaule, elle n'a jamais fait de pas rétrograde, et c'est par des conquêtes successives qu'elle a reculé ses limites jusqu'aux rivages des deux mers. Ces conquêtes, d'une tout autre nature que les invasions des Franks, ont produit des résultats durables, parce qu'elles étaient politiques, parce qu'elles n'avaient pas pour objet le simple partage des richesses et des terres, mais le gouvernement du pays subjugué. Un événement qu'on peut regarder comme fortuit, l'extinction du titre de roi dans tous les États formés en Gaule autour du royaume central, en Lorraine, en Bourgogne, en Bretagne et en Aquitaine, contribua surtout à rendre moins violente cette agrégation successive des différentes parties du sol gaulois. L'idée d'une hiérarchie des domaines et des territoires introduite par le système féodal prépara d'avance la réunion, en accoutumant par degrés les seigneurs des duchés et des comtés à ne point se croire les égaux de leur voisin aux fleurs de lys. Ainsi l'état de fief est, dans l'histoire de nos provinces, une sorte de point intermédiaire entre l'époque du partage en plusieurs souverainetés distinctes, et celle de la fusion en un seul corps.

Hoc ei mandavit : « Quis te comitem constituit? » Et Aldebertus remandavit ei : « Quis te regem constituit? » (Script. rer. francic., t. X, p. 146.) Ce fameux trait d'histoire a été falsifié, comme beaucoup d'autres, par les historiens modernes, qui font dire au comte de Périgord : « Ceux qui t'ont fait roi. » Réponse absurde, parce qu'elle renverse la séparation nationale entre les Français et les Aquitains.

Il ne faut pas que ce mot de fief nous induise en erreur sur la nature des résistances que les rois de la troisième race eurent à vaincre pour étendre la monarchie jusqu'aux bornes de l'ancienne Gaule. Partout où ils portèrent la conquête, sous un prétexte ou sous un autre, ils rencontrèrent une opposition nationale, l'opposition des souvenirs, des habitudes et des mœurs. Ce n'est qu'après avoir été brisées à plusieurs reprises, après avoir employé inutilement les révoltes, les protestations et les murmures, que les populations se turent, et que tout se rangea sous l'unité d'obéissance qui forme, depuis le seizième siècle, le caractère de la monarchie française 1.

LETTRE XIII.

Sur l'Affranchissement des Communes.

Parmi tous les mots de la langue politique du moyen âge qui se sont conservés jusqu'à nous, le mot de commune est peutêtre celui qui a le plus complétement perdu sa première signification. Réduit à exprimer une simple circonscription rurale sous des autorités dépendantes, il ne produit plus sur les esprits aucune espèce d'impression, et nous avons besoin d'efforts pour replacer sous ce signe, en quelque sorte discrédité, les grandes idées qu'il rappelait il y a plusieurs siècles. Aussi la révolution que nos historiens désignent par le nom d'affranchissement des communes ne prend-elle point, dans leur récit, son véritable caractère. Les faibles débris de l'ancienne organisation municipale des villes de France, conservés jusqu'en 1789, ont contribué, je n'en doute pas, à refroidir l'imagination des écrivains modernes, à les tromper sur l'état primitif de ces villes et sur la nature du changement social qui s'opéra au douzième siècle. Je ne sais quelle idée de sollicita

' Voyez l'Histoire de la Conquête de l'Angleterre par les Normands, t. III, p. 175-217.

tion humble de la part des bourgeois, et de mansuétude paternelle de la part des rois signataires des chartes des communes, jette un jour confus sur tous les événements qui ont précédé ou suivi la signature de ces chartes. Au lieu de raconter en détail ces événements, nos historiens se contentent de reproduire quelques lambeaux de dissertations inexactes. Se fiant sur ce que le protocole des chartes porte en général : concessi, « j'ai octroyé,» ils attribuent à la politique des rois les résultats de l'insurrection populaire, et travestissent en réforme administrative l'un des mouvements les plus énergiques de l'esprit de démocratie 1.

En effet, avant d'avoir vu, comme nous, le terrible réveil de ce vieil esprit, dans un temps d'ordre et d'obéissance volontaire, pouvait-on décrire avec exactitude, ou même simplement comprendre la révolte, l'association jurée contre le pouvoir établi, et tout ce grand travail de dissolution qui accompagne les changements politiques? Comment ne pas faire émaner, dans le passé comme dans le présent, tous les priviléges municipaux, du bon plaisir de l'autorité centrale? comment se défendre de l'illusion que produisent les mêmes mots appliqués à des choses toutes différentes de celles qu'ils exprimaient jadis? Un historien du dix-septième siècle, peu connu il est vrai, mais assez intelligent pour l'époque, dit qu'ayant rencontré dans de vieilles coutumes ces paroles : « Si un seigneur dit « à son homme-lige, venez-vous-en avec moi, car je veux guer«royer monseigneur le roi, » cela lui parut si étrange, qu'il n'osait en croire ses yeux 2. A une époque plus rapprochée de nous, des esprits distingués d'ailleurs, faute de s'être prémunis contre ce genre de préjugé historique, sont tombés dans de graves méprises. Je puis citer en preuve une prétendue charte de Philippe I aux habitants d'Aigues-Mortes, insérée dans le premier volume du Recueil des Ordonnances des

La justice me commande d'excepter de cette censure, comme de beaucoup d'autres, l'ouvrage de M. de Sismondi. Cet auteur est entré, à mon avis, dans les véritables voies de l'histoire; mais malheureusement les opinions accréditées par Mézeray, Velly, Anquetil et leurs disciples, prévalent encore dans le public, et c'est à elles que je m'attaque.

* Annales de l'église de Noyon, par Jacques le Vasseur. (Paris, 1633.)

rois de France, sous la date de 1079. C'était 1279 et Philippe III qu'il fallait lire; mais les éditeurs, malgré leur savoir1, étaient préoccupés de l'idée du pouvoir royal tel qu'il existait de leur temps, c'est-à-dire exercé dans l'étendue actuelle de la France. Cette erreur était trop grossière pour n'être pas bientôt relevée, car la ville d'Aigues-Mortes, fondée par saint Louis, n'existe que depuis l'an 1246. Mais la même préoccupation, agissant de nouveau sur les éditeurs du Recueil, leur fit attribuer encore à Philippe I et placer sous la date de 1099 une charte adressée au sénéchal de Carcassonne touchant les salines du Languedoc. Or, en 1099, le roi de France n'avait ni un sénéchal à Carcassonne, ni la moindre autorité en Languedoc. L'erreur de fait était, dans ce second cas, moins palpable que dans le premier. Pour la sentir il fallait se dérober à l'influence actuelle des mots de roi, de royaume et de France; il fallait se reporter à un temps où le royaume de France n'existait qu'entre la Somme et la Loire. Aussi ne trouve-t-on point d'erratum qui avertisse le lecteur de lire Philippe IV au lieu de Philippe I, et 1299 au lieu de 1099 2.

Le préjugé qui donne lieu à de pareilles méprises a contribué, plus que tout autre chose, à fausser, dans des récits modernes, l'histoire de l'établissement des communes. D'abord l'idée que ces écrits nous donnent d'une commune du douzième siècle est tout à fait inexacte. D'après eux, nous nous représentons soit le régime municipal abâtardi qui subsistait encore avant la révolution, soit un gouvernement local bien pondéré, à la fois libre et dépendant, comme celui qu'avait projeté d'établir l'assemblée constituante. Nous nous figurons Louis VI, dit le Gros, en partie par bienveillance, en partie par intérêt, concevant le projet d'affranchir toutes les villes qui existent depuis le cours de la Somme jusqu'à la Méditerranée, et léguant à ses successeurs cette noble tâche à pour

4MM. Secousse et de Brequigny.

La seconde de ces fausses chartes est insérée au t. XI du Recueil des ordonnances des rois de France, p. 175. Je n'oserais affirmer positivement que la méprise n'a pas été corrigée dans quelque note; tout ce que je puis dire, c'est que je n'ai point vu cette note en parcourant avec assez de soin tout le Recueil des ordonnances.

suivre. Louis-le-Gros devient ainsi, dans notre opinion, le promoteur de l'émancipation communale, le patron des libertés bourgeoises, le régénérateur du tiers-état. Ces beaux titres lui sont même confirmés par le préambule de notre charte constitutionnelle; mais l'autorité de cette charte, souveraine en matière politique, est de nulle valeur en fait d'histoire '. Pour apprécier au juste la part qu'eut Louis-le-Gros à ce qu'on appelle, d'un nom beaucoup trop modeste, l'affranchissement des communes, il faut d'abord examiner dans quelles limites territoriales un roi de France, au commencement du douzième siècle, exerçait la puissance législative. En se dégageant de toute illusion et en examinant les faits, on trouvera que le pouvoir royal ne régissait alors qu'une partie et une très petite partie de la France actuelle. Au nord de la Somme on entrait sur les terres du comte de Flandre, vassal de l'empire d'Allemagne; la Lorraine, une partie de la Bourgogne, la Franche-Comté, le Dauphiné étaient sous la suzeraineté de cet empire. La Provence, tout le Languedoc, la Guienne, l'Auvergne, le Limousin et le Poitou étaient des états libres, sous des ducs ou des comtes qui ne reconnaissaient de suzerain que pour la forme, et en changeaient à volonté. La Bretagne était de même un état libre; la Normandie obéissait au roi d'Angleterre, et enfin l'Anjou, quoique soumis féodalement au roi de France, ne relevait en aucune manière de son autorité administrative. Il n'y avait donc pas lieu pour Louis VI d'affranchir par des ordonnances les villes de ces différents pays; et les grandes vues qu'on lui prête ne pouvaient se réaliser qu'entre la Somme et la Loire. Or, comment se fait-il, si c'est ce roi qui est le législateur des communes, qu'on les voie s'établir dans toute l'étendue de la Gaule, et en plus grand nombre dans les provinces indépendantes de la couronne, par exemple dans celles du midi? Bien plus, dans ces dernières

« Nous avons considéré que, bien que l'autorité tout entière résidât en France « dans la personne du roi, nos prédécesseurs n'avaient point hésité à en modifier « l'exercice, suivant la différence des temps; que c'est ainsi que les communes « ont dû leur affranchissement à Louis-le-Gros, la confirmation et l'extension « de leurs droits à saint Louis et à Philippe-le-Bel. » (Préambule de la charte constitutionnelle.)

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