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ENFANTS NATURELS. LÉGISLATION COMPARÉE. 181

XIII. Essai sur la législation des peuples anciens et modernes relative aux enfants nés hors mariage; suivi de quelques observations d'économie sociale sur le même sujet.

Par M. L.-J. Konigswarter, docteur en droit,

AVANT-PROPOS.

Il n'y a pas dans les lois civiles de partie plus importante et plus intéressante à la fois que celle qui règle les rapports de famille. C'est dans ce cercle que nous avons choisi le sujet du présent essai. L'union de l'homme et de la femme est et a toujours été le principe de la famille : mais cette union n'a pas eu la même signification chez tous les peuples; elle a commencé par la polygamie légale, qui s'est transformée en une polygamie tolérée, jusqu'à ce qu'enfin le principe monogame se soit développé dans toute sa sévérité, et que le dogme de l'Église catholique l'ait imposé au monde civilisé. Ces différentes phases ont dû avoir une influence immense sur le sort des enfants illégitimes; car leur position ne pouvait se dessiner nettement que depuis l'avénement du principe monogame. Là où les lois admettaient la pluralité des femmes, le sort de tous les enfants était à peu près le même; mais dès qu'il n'y eut qu'une épouse et des concubines, le sort des bâtards devint plus dur, et leur séparation d'avec les autres enfants plus tranchée. De là il suit que jamais les enfants naturels n'ont été dans une position plus malheureuse qu'au moyen âge; car le droit germanique et le droit canonique étaient également rigides sur la question du mariage.

Le système naturel, c'est-à-dire celui qui reconnaît,

même hors mariage, une filiation naturelle, et donne aux enfants illégitimes une position quelconque dans la famille, position qui se traduit par une part éventuelle dans la succession de leurs parents, est celui qui commence à prévaloir aujourd'hui dans les législations mo

dernes.

Nous avons divisé cet essai en trois parties: la première contient la législation historique, c'est-à-dire celle des peuples de l'antiquité et du moyen âge; la seconde présente un tableau comparé de toutes les lois civiles existantes chez les peuples de l'Europe, et dans quelques États du nouveau continent; enfin, dans une troisième partie, nous avons discuté quelques questions de législation générale et d'économie sociale qui tenaient trop étroitement à notre sujet pour que nous pussions nous dispenser d'y consacrer quelques pages.

Loin de prétendre avoir épuisé une matière aussi importante, nous avons pensé que cet essai ne ferait qu'ouvrir la route à ces monographies qui, faisant la gloire des plus grands jurisconsultes d'outre-Rhin, sont restées à peu près inconnues jusqu'à ce jour dans notre belle et

savante France.

1. PARTIE HISTORIQUE. — Législations anciennes.

§ 1. Droits des enfants nés hors mariage chez les anciens peuples de l'Asie.Indiens.-Chinois. - Hébreux. - Arabes. - Perses.

Selon les lois de Manou, les plus anciennes lois des Indiens, celles qui forment la base de leur organisation religieuse et civile, il y avait huit formes de mariage. Dans quatre de ces unions le père intervenait pour don ner sa fille, et les enfants qui en étaient issus devaient être savants, beaux et célèbres; dans les autres, au contraire, les enfants étaient cruels, menteurs, et

haissaient les dieux. Ces différentes formes de mariage étaient liées au système des castes, et les droits héréditaires des fils variaient selon la caste à laquelle appartenait leur mère. Indépendamment de cette variété de fils légitimes, les lois de Manou s'occupent aussi des fils nés de la concubine; ceux-ci héritaient, en général, de la moitié d'une portion légitime, s'ils concouraient avec un ou plusieurs descendants. Toutefois le fils de la concubine d'un individu de la caste de Sudra, la dernière de toutes, héritait tout à fait comme un fils légitime'.

Mais le fils de la concubine venait recueillir toute la succession paternelle, s'il n'y avait ni femme, ni descendants légitimes, jusqu'au degré d'arrière-petit-fils, de manière qu'il était préféré à tous les descendants au delà de la troisième génération, ainsi qu'à tous les ascendants et collatéraux.

Pour expliquer cette position favorable des enfants naturels, il faut en premier lieu considérer l'état de polygamie dans lequel vivaient les Hindous. Nous verrons, en effet, dans le cours de cet essai, que les enfants naturels ont été favorisés là où régnait la polygamie, et que par contre leurs droits ont été d'autant plus limités que le principe monogame a acquis plus de consistance. Mais, indépendamment de cette considération générale, il faut recourir au principe de la succession des Hindous pour expliquer la position que les enfants de la concubine occupaient dans l'ordre des héritiers ab in

testat.

1 Manou, III, 21-34, 41.

Code of Gentov Laws. London, 1776, p. 84. Mill, History of British India, 1, 148.

Quand un père de famille meurt, le vœu de la loi et de la religion des Hindous est que la famille reste unie aussi longtemps que la veuve est en vie, et qu'il n'y ait de partage de la succession qu'autant que celle-ci l'exige 1. Dans ce cas, les descendants sont appelés à hériter, mais jusqu'à la troisième génération seulement, et non à l'infini, comme chez les peuples de l'Occident. Cette singularité tient à ce que le droit de succéder est intimement lié dans ces lois avec le devoir des sacrifices à faire aux mânes de ses parents défunts, qui se trouvent délivrés de cette manière des tourments de l'enfer. Parmi ces sacrifices, les plus sacrés sont ceux qu'exigent les månes du père, de l'aïeul et du bisaïeul paternels; car, avant d'avoir rempli ce devoir, nul ne peut songer à jouir du bonheur éternel 1. C'est pourquoi la succession ab intestat des descendants ne s'étend pas à l'infini, mais s'arrête à l'arrière-petit-fils pour faire place aux ascendants et collatéraux.

En effet, après le sacrifice de l'arrière-petit-fils, celui du père et du frère est le plus agréable aux dieux. Cependant, avant d'être déférée aux ascendants, la succession est attribuée à la veuve, et, à défaut d'elle, au fils de la concubine 3.

Dans les lois chinoises, la dignité et le rang du père échoient au premier né seul de la femme principale ; mais les biens du père sont partagés également entre tous les fils sans distinction de mère ni d'âge ‘.

Selon le témoignage de Diodore de Sicile, les Égyp

1 Manou, IX, 104. Code of Gentov Laws, p. 86. Mill, I, p. 146.

• Manou, IX, 148 et suiv.

Code of G. L., p. 84. Manou, IX, 148 et suiv.

Gans, I, p. 118, 121.

Diod. de Sicile (éd. Wesseling, Amsterdam, 1746), p. 91.

tiens, chez qui toutes les castes, excepté celle des prêtres, vivaient en polygamie, ne faisaient point de distinctions entre les enfants légitimes et illégitimes 1.

Chez les Hébreux il existait une différence entre l'épouse principale et les concubines, qui étaient souvent les servantes ou esclaves de la première; mais, quant aux enfants issus d'elles, il n'y avait pas la moindre différence : tous étaient également légitimes et capables de succéder. Cependant il y a des exemples contraires: Abraham chasse Agar et son fils Ismaël; son autre fils Isaac hérite de tous ses biens, tandis que les enfants issus des servantes n'obtiennent que des dons'. Cette exception s'explique peut-être parce qu'Abraham était une espèce de prince ou chef de tribu, et qu'Isaac était celui qui devait lui succéder dans sa dignité et son pouvoir. Nous voyons, au contraire, le patriarche Jacob ordonner que les enfants de ses concubines aient des droits égaux à ceux de ses fils qu'il a eus de ses femmes légitimes Lia et Rachel. La volonté du père de famille paraît avoir été la suprême loi.

Le droit postérieur contenu dans le Talmud, déclare expressément que tous les enfants, même ceux qui sont nés d'une réprouvée, doivent partager également : sont exceptés cependant les enfants issus de femmes ou servantes étrangères '.

De même, on ne trouve, soit dans les mœurs des anciens Arabes et des anciens Perses, soit dans le Coran et le Zend-Avesta, aucune distinction entre les enfants

1 Struvius, Jurisprud. heroica, pars 111, cap. VI, sect. I, § 39. * Genėse, XXI, 10, 14, 24, 36. XXV, 5, 6.

› Gans, Das Erbrecht in weltgeschichtlicher Entwickelung (Le Droit de succession développé sous le point de vue de l'histoire générale), vol. I, pag. 164.

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