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ÉLÉMENT GERMANIQUE DANS LE CODE NAPOLÉON. 161

XII. De l'élément germanique dans le Code Napoléon'.

Dès l'origine, on a longuement et passionnément discuté en Allemagne sur le mérite du Code civil. Les uns l'ont célébré comme le nec plus ultrà de la sagesse législative; les autres l'ont décrié comme une œuvre absurde et comme l'arsenal des idées révolutionnaires. Ici, comme presque toujours, la vérité se rencontre dans un juste milieu; et, tout en reconnaissant qu'il existe de grandes lacunes dans le Code civil, on doit avouer qu'il possède de grands avantages et une valeur essentielle. Le Code civil a joué un rôle analogue à celui que remplit autrefois le droit canonique; avec le même esprit pratique, mais avec plus de méthode et d'étendue, il a éliminé le droit suranné et purement historique, et (après le malheureux succès des tentatives faites pour fonder la législation civile sur des principes purement philosophiques) il a solidement assis le droit pratique sur une double base historique, le droit romain une part, le droit germanique de l'autre. Le Code civil renfermé dans de justes limites l'application exagérée et mal entendue du droit romain, pour lequel, en France comme en Allemagne, on professait depuis des ecles un respect superstitieux; il a ramené cette applition à des proportions convenables; il a rétabli un incipe qu'on avait trop tôt mis en oubli, au grand detriment du droit national, et qui consiste à n'accorder

Le travail dont nous donnons la traduction est dû à notre hoFrable ami, M. Zapfl, professeur de Code civil à Heidelberg, auer d'un excellent Manuel d'histoire du droit germanique et d'un té de droit public (Staatsrecht) parvenu, en moins de six mois, seconde édition. F. F. PONCelet.

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au droit romain que l'autorité de raison écrite, san obliger le juge à suivre chacune de ses dispositions par ticulières avec une exactitude servile. C'était ainsi qu le droit canonique avait procédé. Quand le Code civi n'aurait d'autre mérite que celui d'avoir fait revivre e reconnaître le juste rapport du droit romain avec le droit national des peuples de race germanique, i faudrait avouer qu'à ce seul titre il marque une époque importante dans l'histoire de la jurispru dence, et qu'il a pour la pratique une valeur inestimable. Le plus grand pas est fait lorsqu'on a décou vert et formulé le principe qui laisse s'accorder et se compléter l'une par l'autre ces deux législations romaine et germanique, qui depuis des siècles se disputent la suprématie; le principe, dis-je, qui, tout en assurant au droit national sa force et sa supériorité, lui permet de s'approprier tout ce qu'il y a de valeur absolue dans le droit romain, si admirable par son développement scientifique. En n'accordant au droit romain que que l'autorité de raison écrite, le Code civil assure le développement régulier de la législation sans faire violence au passé ni au caractère de la nation. Il assure en même temps au progrès philosophique une influence égale sur la législation comme sur la jurisprudence; il force le juge à se décider dans tous les cas par le raisonnement et la logique. Rien n'est donc moins fondé que la crainte de voir le Code empêcher le développement scientifique du droit. Au contraire, si par ce mot on entend autre chose que la compilation d'antiquités juridiques faite sans but et sans résultats, si l'on fait consister la science dans la recherche approfondie de la nature du droit, recherche entreprise dans un esprit à la fois philoso phique et pratique ; si le but de cette étude est d'appro

fondir les idées et d'en faire ressortir l'enchaînement logique, il sera vrai de dire que le Code a donné à la jurisprudence un nouvel essor : il a donné à la France un centre commun où sont venues aboutir toutes les études juridiques, centre qui malheureusement manque encore à l'Allemagne, au grand détriment de la pratique et de la science. En se bornant à l'exposition de quelques principes fondamentaux, en enjoignant au juge, par l'article 4, de combler par le raisonnement les nombreuses lacunes laissées quelquefois à dessein par ses rédacteurs, le Code civil a réellement affranchi la jurisprudence des chaînes dans lesquelles l'avait emprisonnée le droit romain. Cette libre carrière que le Code ouvre à la science, en lui donnant pour point de départ deux mille et quelques articles faciles à connaître, est même ce qui donne au Code sa principale valeur : c'est ce qui l'a maintenu dans les pays où les praticiens avaient eu le temps de se familiariser avec son esprit. Quand on eut surmonté les premières difficultés de l'application, on reconnut bientôt que, par le système dans lequel il est conçu, le Code replace le jurisconsulte, le praticien aussi bien que le théoricien, au point de vue du jurisconsulte romain; il lui permet de faire usage de sa logique et d'être créateur à son tour, au lieu de faire de la jurisprudence l'art de connaître ce qu'ont pensé les jurisconsultes classiques, et d'appliquer comme des lois immuables leurs opinions individuelles, péniblement retrouvées et mal interprétées peut-être. C'est cependant ainsi que nous avons agi jusqu'à ce jour, sans que ni l'affection pour le droit national, ni l'indépendance du vieil esprit germanique, aient pu triompher de cet asser vissement.

La rédaction remarquable du Code civil, la netteté

d'expression, l'absence de contradictions peuvent être citées comme des qualités qui ont beaucoup contribué à son succès. Nous ne nous arrêterons pas à ce point, connu de tout le monde; nous aborderons immédiatement un autre mérite du Code que l'on n'a jusqu'ici envisagé que d'une manière peu satisfaisante, mérite qui, même dans les États allemands où le Code est en vigueur, est plutôt tacitement qu'explicitement reconnu, et qui néanmoins est la principale, sinon la seule cause des sympathies qu'il a rencontrées : je veux parler de l'affinité étroite d'un grand nombre de dispositions du Code avec le droit germanique. Le Code fournit une preuve frappante de cette vérité, que le droit national des peuples contient certains principes fondamentaux et indestructibles, une philosophie innée, si j'ose me servir de cette expression, qui suit un peuple dans tout le développement de sa vie sociale, qui se retrouve partout avec lui, quelles que soient les contrées où la Providence le transplante; une philosophie, en un mot, que le mélange avec d'autres peuples peut modifier, mais ne peut pas complétement étouffer, tant que le peuple lui-même n'a pas complétement péri. On peut assurer qu'alors même que tous les autres témoignages historiques auraient disparu, l'affinité des peuples pourrait encore se reconnaître avec certitude par la comparaison des législations.

Le soulèvement de l'Allemagne contre la France dans les premières années d'introduction du Code civil; le caractère apparent du Code civil, qui se présentait comme la législation d'un peuple étranger qui avait prétendu à la conquête de l'Allemagne, comme une législation violemment imposée par le protecteur de la confédération germanique; enfin l'ignorance où

l'on était en Allemagne des vrais principes du droit germanique, la prédominance de l'élément romain dans l'administration de la justice, la composition des tribunaux, dont les membres se recrutaient presque exclusivement parmi les romanistes: tous ces motifs réunis suffisaient pour faire méconnaître l'affinité réelle d'un grand nombre de dispositions du Code civil avec le droit germanique. En faisant la guerre au Code, on s'imaginait défendre le droit national contre le droit étranger; et, par une méprise singulière, c'était en réalité un droit étranger peu à peu introduit dans la jurisprudence, et depuis longtemps à charge à la nation, que l'on défendait de cette façon. On ne remarquait pas que, jusqu'à la rédaction du Code civil, la jurisprudence avait suivi en France la même marche qu'en Allemagne; on ne voyait pas qu'en France, précisément aux mêmes époques, pendant les mêmes siècles, le droit romain et le droit germanique s'étaient disputé la prééminence, et l'avaient tour à tour obtenue. On était hors d'état de reconnaître que le Code civil avait proclamé dans un grand nombre de matières la victoire de l'élément germanique sur l'élément romain : je pourrais même dire qu'en Allemagne, sous l'empire des idées romaines, on avait peur du droit germanique tel que le Code le présentait ; on était scandalisé de ce qu'il donnait au droit germanique place sur l'autel où l'on n'avait jusqu'alors sacrifié qu'au droit romain. Il s'en fallut même de peu qu'on ne déclarât révolutionnaires quelques-unes des institutions du droit germanique, parce qu'elles se présentaient à nous sous un vêtement étranger, et singulièrement mélangées des idées favorites de la révolution française. Mais les temps sont passés où il était possible, pour ne pas dire inévitable, de se faire illusion sur ce qu'on devait entendre

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