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CHAPITRE XVI.

Départ de Malte.-Smyrne.-Détails sur les intrigues qui amenèrent la paix de Bucharest. J'apprends par les journaux que je suis condamné à la peine capitale. Je suis obligé de m'éloigner.-Arrivée à Trieste.-Séjour à Gratz.-Dénûment où je me trouve.-M. de Metternich.-Désagrément que j'éprouve à Smyrne.-Je passe en Angleterre.-Aventure de mer. Je reviens en France.

EN sortant de Malte, au milieu d'avril 1816, je n'avais pu m'arrêter à aucun parti. Je savais la catastrophe du jeune et courageux Labédoyère, ainsi que celle du maréchal Ney, qui avait eu lieu plus récemment. J'avais, de plus, à me tenir en garde contre un piége: ma femme avait expédié à Gênes un homme de confiance qui réussit à me faire connaître le danger que je courais. Il n'y avait pas quinze jours que cet utile avis m'était parvenu, quand les ponts-levis du fort dans lequel j'étais renfermé s'abaissèrent devant moi.

Je ne me sentais aucune disposition à faire voile pour l'Amérique ; je ne pouvais d'ailleurs que suivre la direction du vaisseau qui avait consenti à se charger de moi ainsi que du général Lallemand. Je m'abandonnai à la fortune.

La situation où j'étais en sortant du fort ne permettait pas, d'ailleurs de longue délibération. J'étais habillé à double; j'avais un habit, une redingote et mon manteau: chacune de mes poches renfermait un petit paquet roulé et ficelé dans une serviette, lequel contenait un rechange complet en linge; mon manteau en masquait un autre que je portais à la main; le général Lallemand était accoutré de la même manière. Obligés l'un et l'autre de cheminer à pied sous le soleil de ces contrées brûlantes, nous eûmes à parcourir tout l'espace qui court du fort Emmanuel, d'où nous sortions, jusqu'à l'extrémité intérieure du grand port au fond duquel était

postée la chaloupe qui devait nous recevoir; nous étions épuisés de fatigue quand nous arrivâmes.

Nous gagnâmes l'embouchure du port, où nous fûmes déposés à bord d'un brick de commerce anglais qui mit à la voile sur-le-champ pour Odessa.

Il devait relâcher à Smyrne et à Constantinople; j'avais d'abord eu la pensée de me fixer dans cette dernière ville, mais j'eus occasion de rencontrer dans la première M. de Vintimille, ancien chevalier de Malte, qui nous avait suivis en Egypte. Nous renouvelâmes connaissance, et, d'après tout ce qu'il me dit du caractère des habitans européens de Smyrne, je me décidai à ne pas aller plus loin. Un négociant anglais, M. Charles Withel, de Liverpool, auquel était adressé le navire qui nous portait, eut le généreux courage de nous offrir un asile: il se chargea de nous à tous risques et périls. Nous fumes, le général Lallemand et moi, les objets des soins les plus délicats de la part de toute sa famille.

Il fut obligé, au bout de quelques mois, de partir pour l'Angleterre. Le général Lallemand avait pris le parti d'aller en Amérique, je restai seul; ma situation politique empirait par suite de mon isolement, je fus à la fin recueilli par une famille française. M. Étienne Fonton, qui me garda six mois entiers caché dans sa maison, veilla sur moi, pourvut à mes besoins et m'embarqua lui-même pour Trieste, quand il y eut danger pour moi et pour lui à ce que je restasse plus long-temps dans sa maison, ou même à Smyrne.

Pendant les premières semaines de mon séjour dans cette ville, j'eus occasion de connaître beaucoup d'Anglais, ainsi que plusieurs Turcs de distinction, entre autres le pacha.

Les uns et les autres me témoignèrent leur étonnement de ce que, avant de commencer la guerre de 1812 avec la Russie, l'empereur Napoléon n'avait pris aucune mesure pour s'assurer du concours des Turcs, qui firent justement la paix au

moment où il leur importait le plus de ne pas se séparer de la France. Ces messieurs ajoutaient que l'empereur avait eu tort d'abandonner les Turcs à la médiation de leurs intérêts politiques naturels, et m'apprirent qu'aussitôt que la guerre entre la France et les Russes fut devenue inévitable, ceux-ci employèrent tous les moyens imaginables pour décider le divan à la paix. Ils protestaient que l'empereur avait proposé à la Russie le démembrement de la Turquie, qu'Alexandre avait rejeté plusieurs fois cette proposition, et que c'était dans l'intention de le forcer à l'accepter, que la France lui faisait la guerre.

Cette assurance n'obtint d'abord aucun crédit auprès des membres du divan; le sultan surtout rejetait cette mesure comme invraisemblable, en observant que ce projet étant ce qui pouvait convenir le mieux aux Russes, ils se seraient empressés d'accepter la proposition, si elle avait été faite.

Néanmoins l'intrigue ne se rebuta pas; elle imagina de supposer de prétendues pièces originales, et produisit des lettres de l'empereur où se trouvaient des allusions à des projets relatifs au partage de la Turquie. On ajoutait, comme preuve des véritables intentions de la France, que, si cette puissance n'avait pas le dessein de s'arranger avec les Russes aux dépens des Turcs, elle aurait depuis long-temps envoyé son ambassadeur à Constantinople, et excité ceux-ci à pousser la guerre avec vigueur; que, puisqu'elle ne l'avait pas fait, c'est que l'empereur Napoléon ne voulait prendre aucun engagement avec eux, afin de pouvoir traiter sans eux, c'est-à-dire les sacrifier.

Cette perfidie trouva à s'accréditer, parce qu'aucune excuse raisonnable ne justifiait l'absence de notre ambassadeur, surtout quand on se rappelait qu'en 1806, avant de commencer la guerre de Prusse, où l'on ne savait pas encore que l'on finirait par avoir affaire aux Russes, la France avait commencé

par envoyer à Constantinople, en qualité d'ambassadeur, le général Sébastiani, qui eut le temps d'établir son crédit, quand il eut besoin de faire prendre un parti vigoureux aux Turcs, ainsi qu'il le fit en 1807.

Les Turcs cédèrent donc en 1812 aux obsessions dont ils étaient entourés. Ils le firent autant par crédulité que par nonchalance, par crainte d'être abandonnés ; ils signèrent une paix dont ils subissent aujourd'hui les conséquences: les Russes eurent l'air de leur faire des concessions, sur lesquelles ils se promettaient bien de revenir à la première occasion favorable.

En rapprochant ce que j'apprenais des événemens, je vois que l'empereur avait ouvert la campagne, et qu'il était déjà vers Smolensk lorsqu'il reçut l'avis de cet état de choses à Constantinople. Cette nouvelle lui fut d'autant plus pénible, qu'il était au commencement de juillet, et que, malgré la précision de ses ordres, les dispositions qu'il avait prescrites furent assez mal exécutées, pour qu'il ne pût empêcher le corps de Bagration de rallier la grande armée russe, qui se trouvait ainsi réunie et intacte.

Il dut se convaincre que l'armée russe de Moldavie allait venir augmenter ses embarras, et je crois que ce fut pour ne pas les avoir en même temps l'une et l'autre à combattre qu'il ne pensa pas à s'arrêter à Smolensk, et prit la résolution de pousser immédiatement sur Moscou. Il espérait joindre la grande armée ennemie, en finir avec elle, et faire ensuite un mouvement sur celle qui venait de Moldavie.

C'est ainsi qu'eut lieu la bataille de Mojaisk et les événemens qui l'ont suivie.

Je vécus paisiblement dans ma retraite de Smyrne sans sortir de ma chambre, depuis le commencement d'août 1816 jusqu'au mercredi des cendres 1817. Mon unique occupation était d'achever ces Mémoires, et de parcourir les journaux

français. J'y lisais les jugemens de tous ceux qui, comme moi, avaient été mis sur la première liste de proscription du mois de juillet 1815, où mon nom figurait le dernier.

J'étais dans une parfaite sécurité sur le jugement qui devait en être la suite, parce qu'en descendant dans ma conscience, je n'y trouvais rien qui pût y faire entrer des inquiétudes. Tout ce qui venait me voir avait l'air de partager mes espérances et se serait fait un scrupule de m'alarmer. Enfin, depuis près d'un mois, celui qui me précédait sur cette liste était jugé. Je comptais les jours avec anxiété, lorsqu'un bâtiment, arrivant de Marseille, apporta le journal où se trouvait ma condamnation par contumace à la peine capitale. Je reçus par la même voie des lettres de ma famille, qui m'engageait à fuir sans délai.

M. Fonton trouva le moyen de m'embarquer sur un vaisseau qui partait pour Trieste; il m'y conduisit la nuit, et le lendemain nous étions hors de vue. Ce voyage fut malheureux: ordinairement on n'emploie que vingt-cinq jours à le faire, et nous en mîmes soixante-dix. Aussi éprouvâmes-nous les plus cruelles privations, avant d'arriver au lazaret de Trieste.

Je ne tardai pas à reconnaître que l'avis de mon passage m'avait devancé je fus isolé des autres passagers et mis à part pendant toute ma quarantaine. Le dernier jour arrivé, on vint m'enlever pendant la nuit; on avait fait entrer une voiture dans la cour du lazaret. On m'y fit monter sous l'escorte d'un officier de police, qui me déclara qu'il avait ordre de me conduire à Gratz en Styrie. J'étais livré à de tristes pressentimens sur le sort qui m'y était réservé, et je fus agréablement surpris de m'y voir libre et l'objet de bons procédés. J'y aurais été heureux sans les souvenirs qui me déchiraient le cœur, et qui aggravaient mon affligeante situation pécuniaire. J'étais réduit à ne pouvoir dépenser que vingt kreutzers par jour, c'est-à-dire à peu près quinze

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