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non plus que le gros de la nation, cette masse plébéïenne si peu considérée, étrangère même dans l'État, excepté lorsqu'on était réduit à réclamer son aide pour sauver le trône, l'autel ou le château féodal, dût être informée des événements passés, ou préparée aux coups de la fortune. De Thou, faisant de l'histoire une science occulte, accessible seulement aux gens de robe ou d'église, méprisa l'idiome vulgaire; et, par un singulier contraste, tandis qu'Amyot venait de s'en servir pour faire connaître aux Français les héros et les sages qui vécurent, dans les siècles reculés, sur les bords du Tibre ou de la mer Égée, De Thou, transmettant dans une langue morte le récit des derniers troubles de la patrie, en dérobait les leçons salutaires à la foule de ses contemporains.

Mézeray vient ensuite. Trop véridique pour le temps, il ose rappeler les droits de la nation dans l'établissement des impôts : aussitôt les ministres, qui, par habitude ou par dépravation, maintiennent la clandestinité dans les affaires de finances, lui retirent sa modique pension et brisent sa plume.

Après lui, vient le jésuite Daniel, chargé des grâces, d'un monarque qui rapporte à lui seul toute la monarchie. Excessivement diffus dans les récits des combats, dans les descriptions des fêtes, cet écrivain se tait quand il s'agit d'institutions, de ressorts d'événements, des progrès de l'esprit humain. Il voudrait établir en principe (ainsi que l'observe Saint-Simon) que la plupart des rois de la première race, plusieurs de la seconde, quelques-uns de la troisième, furent illégitimes, très-souvent adultérins et doublement adultérins; que ce défaut ne les avait pas exclus du trône, et n'avait jamais été considéré comme un motif qui pût ou dût les en éloigner. Ainsi, la nation se trouve entretenue dans l'ignorance de son bien-être, comme de ses devoirs; elle est imbue de doctrines pernicieuses et contraires à ce dogme antique de la légitimité dans la succession au trône; et, par une inconcevable erreur, c'est le souverain le plus jaloux des prérogatives de la royauté, qui sème de sa propre main ces germes d'innovation, qui provoque le mépris de la morale publique, et qui invite au renversement des lois fondamentales de la monarchie.

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Les derniers règnes montrent avec évidence que le secret fut le grand principe de nos Rois, en fait de gouvernement. Ils s'étaient tellement persuadés que la publicité mettait leur puissance en danger, qu'ils ne toléraient que des historiographes, c'est-à-dire des écrivains stipendiés. De temps à autre, la vanité, la loquacité de quelques personnages qui avaient figuré dans de hautes intrigues, venaient bien entretenir sur eux-mêmes la curiosité des lecteurs, par la révélation d'anecdotes malignes ou licencieuses; et, à travers ces recueils volumineusement fastidieux, paraissaient aussi quelques mémoires judicieux qui montraient, en passant, les causes d'un événement considérable. Néanmoins la France, si riche en productions littéraires, attendait un corps d'histoire nationale.

A la faveur de cette impatience, Hénault obtint un grand succès. Mais, outre que son ouvrage n'est qu'un abrégé excessivement resserré, le défaut de critique s'y découvre assez souvent, lorsqu'il ne s'agit pas des obscurités de l'ancienne jurisprudence, ou des incertitudes de la chronologie. Prosterné devant l'idole du pouvoir, il se demande, à l'occasion des turpitudes de Henri III ( V. an 1576): « Pourquoi ne dirait-on pas quelquefois les défauts des princes? » Et il lui suffit d'observer: « que ce souverain aurait utilement travaillé pour la religion, en réformant la licence de sa cour. » Hénault fait un grand éloge de Louis XIII, de ce Roi qui ne sut que mettre son autorité dans les mains d'un prêtre, et son royaume sous la protection de la Vierge. Il semble ne trouver d'autre tort à ce prince que d'avoir été placé entre Henri IV et Louis XIV. -François Ier accepte, en 1516, un concordat inutile, onéreux, flétrissant, des mains d'un pontife dépravé qui donne aux Italiens des bénédictions et de mauvais exemples. La mention que fait Hénault de cette transaction, se borne à trois mots (an 1517): Traité avec Rome. - Deux femmes de la famille de ce pape, deux Médicis sont reines de France. Hénault dit de Catherine, dont les débordements et les cruautés effacent l'histoire ou le roman de Frédégonde: Femme d'un génie vaste et d'une magnificence qu'elle porta jusqu'à l'excès.

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La seule réflexion que cet écrivain si prôné se permette sur Marie, autre méchante femme sortie de la même famille, se réduit à ceci : « Princesse dont la fin fut digne de pitié, mais « d'un esprit trop au-dessous de son ambition, et qui ne fut •peut-être pas assez surprise ni assez affligée de la mort funeste « d'un de nos plus grands Rois. » Le précis chronologique d'Hénault abonde en puérilités; par exemple (an 1318): Bulle de Jean XXII, qui déclare la Sainte-Chapelle exempte de la juridiction épiscopale. (An 1601) Établissement des religieux pénitents, dits Picpus. (An 1607) Le duc d'Épernon entre en carrosse dans le Louvre, sous prétexte d'incommodité. (An 1669) On accorde à M. de Guise la permission d'avoir un carreau à la messe du Roi, comme monsieur son père l'avait eu. Cependant Hénault, pourrait-on le croire? vivait dans l'intimité de Montesquieu, à cette même époque où des objets dignes de l'attention des hommes remplaçaient déjà ces ignobles frivolités de cour, sujet éternel de mille et mille volumes. L'abrégé d'Hénault, ouvrage sec et décharné, ne peut servir qu'à la recherche d'un fait, à la vérification d'une date; et les faits sont très-souvent présentés sous un faux jour; les dates sont assez souvent fautives. Ce n'est, à proprement parler, qu'un recueil d'étiquettes placées suivant l'ordre chronologique; ses indications sont tout au plus propres à l'usage auquel sont destinées les bornes milliaires, dont l'exacte position fait le seul mérite.

De nos jours, audacieuse à dénaturer les événements et les réputations, l'hypocrisie vient contrefaire l'histoire. Une personne à laquelle des efforts soutenus pendant trois quarts de siècle, ne produisent qu'une pâle et maigre célébrité; qui a plus écrit que n'ont écrit Scudéri et Baculard, l'un et l'autre ; qui aimerait à confondre tous les genres, comme elle essaya de toutes les doctrines; après avoir échoué dans de bizarres essais d'éducation particulière, s'offrit pour l'instruction du genre humain. Obscurément mêlée à nos troubles politiques, dès leur naissance, elle y prit du goût pour les sentiments équivoques, et de la prédilection pour les systèmes confus. Se jetant, bientôt après, dans la basse littérature, toute chargée

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de romans, mais dont, heureusement, la frêle contexture atténue le danger; et, poursuivant sa mission vagabonde, elle écrit, avec une stérile abondance, des compositions morales, philosophiques, religieuses, ascétiques même, destinées à toutes les conditions. Parvenue à sa première vieillesse, elle a généreusement fait présent aux lecteurs superficiels, d'une vingtaine de volumes biographiques, travestissant à tel point les faits les plus avérés, que les événements comme les personnages en sont rendus méconnaissables. Pour elle, aucune réputation n'est sacrée ; elle n'en laisse aucune intacte. En écrivant deux gros in-8° sur notre Henri IV, elle a pu lui dérober cette grâce, cette aménité, ce charme, cette simplicité, cette bonhomie qui le distingue de tous les grands hommes; elle n'a su inspirer qu'un respect glacial, une triste admiration. Enfin, elle se délecte, dans sa caducité, par des compilations dont le décousu, les infidélités et les commentaires forment des tableaux-modèles bien dignes de plaire à ces gens qui regretteraient le noble temps des ruelles, les triomphes des courtisans - valets, et les succès des filous de bonne compagnie.

Il est temps de considérer le passé sous de plus dignes aspects. Des historiens ont paru, qui, recherchant les causes des révolutions, indiquent ainsi les moyens de s'en garantir. A la vérité, les plus recommandables, Hume, Robertson, Muller, appartiennent à l'Écosse, à la Suisse; mais resterions-nous, par vanité nationale, dans la fausse route où s'engagèrent nos écrivains? Dirait-on que le talent de la com→ position historique manque à nos auteurs? Cependant, c'est d'un Français, de Rollin, que l'Italie reçut la première histoire de Rome écrite par les modernes. Les annales du Bas-Empire furent l'œuvre de deux Français péniblement laborieux. Un réfugié, Rapin - Toyras, mit les Anglais sur les traces de leurs propres fureurs. Robertson, dans son Introduction à l'Histoire de Charles-Quint, dit de Voltaire : « «<l'ai suivi comme un guide dans mes recherches; et il m'a indiqué non-seulement les faits sur lesquels il était important de s'arrêter, mais encore les conséquences qu'il fallait en

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tirer...... Je vois en lui un historien savant et profond.

Enfin, c'est à l'un de nos compatriotes, Lévêque, qu'est due la connaissance des antiquités de ce vaste empire qui n'est moderne et européen que depuis un siècle.

Des principales contrées de l'Europe, la France est sans doute celle qui présente le plus grand nombre d'hommes éminents. Les Français ont réussi en toutes choses, et trop souvent, sans autres moyens que des efforts individuels, sans autre appui que les dons d'une heureuse nature; rarement les institutions favorisaient-elles leurs tentatives. Aujourd'hui, que la nation aime à connaître ce qu'elle fut, afin d'éviter ce qu'elle ne doit plus être, et pressentir ce qu'elle peut devenir; vous, scrutateurs opiniâtres de la haute antiquité, daignez descendre jusqu'à la France, vous y établir; et, négligeant enfin vos héros babyloniens, mèdes, grecs et romains, parlez-nous un peu des nôtres. Pourquoi nous présenter toujours Épaminondas et Décius? Voici Catinat et d'Assas. Bayard à Brescia vaut bien Scipion à Carthagène. Le combat des Thermopyles est beau; mais la submersion du Vengeur est sublime. Montrez-nous donc que nous eûmes d'éclatants intervalles de gloire, et de très-rares moments de prospérité; que cet éclat, ce bonheur, furent dus à nos grands hommes, et presque à eux seuls; que tout ce qui nous échappa, nous échappa parce que nos institutions étaient vicieuses; parce que, disposant de nos destinées, nos chefs furent trop souvent le jouet de leur propre inconsidération.

En aucun temps la France ne fut dépourvue de génies supérieurs, d'ames généreuses, de talents distingués. Cette terre favorisée produisait avec luxuriance, et sans cesse, les plus beaux jets de la nature; mais si tant d'hommes éminents ne se voyaient pas rejetés dans l'inaction, ils restaient isolés ou circonscrits de telle manière que la nation n'éprouvait pas, de leurs travaux divisés, les effets permanents qu'elle en eût retirés, alors que leur action se fût simultanément dirigéc vers un seul but, celui de la prospérité générale. Ainsi, des feux que ne réunit pas un foyer concentrique, ne distribuent, dans leurs rayons divergents, qu'une chaleur sans intensité.

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