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Tandis que l'Angleterre, par exemple, dont les annales offrent un bien moindre nombre d'hommes supérieurs, a vu leurs efforts, constamment dirigés vers un même résultat, être couronnés d'un succès complet.

L'esprit de la nation anglaise s'étant porté, depuis trois siècles, sur un seul objet, elle le possède : la mer est devenue son domaine. En France, au contraire, que d'oscillations, que de contradictions, que de méprises dans notre politique, dans nos armements, dans notre législation, à dater de la paix de Nimègue (1678), terme des prospérités de Louis XIV ! Dèslors le sang et l'or des Français ont été versés à grands flots, non pour l'intérêt réel de la France, mais pour imposer aux Anglais un culte qu'ils réprouvaient; pour renverser le roi Guillaume, qui avait mécontenté Louis XIV, en refusant la main de sa fille naturelle; pour l'agrandissement spécial de la maison de Bourbon; pour satisfaire les préjugés d'une huguenote convertie, et les passions d'un Jésuite atrabilaire ; pour détrôner l'héritière de Hapsbourg, dont on avait si solennellement garanti les droits; pour venger des sarcasmes d'un Roi bel-esprit, la fille d'un boucher, favorite à Versailles. Le génie des Français a produit; le gouvernement anglais a récolté. Les monarques, ou plutôt les courtisans du Louvre et de l'OEil-de-Bœuf, ont dissipé, détruit les plus beaux germes de la nature.

S'étonnera-t-on qu'une nation, engagée dans de fausses routes, durant des siècles, soit susceptible de s'égarer, lorsque les rênes du gouvernement viennent à se détendre? Notre révolution n'a fait que jeter dans de nouvelles déviations cette nation jusque-là si mal dirigée. C'est ce qu'il convient de lui dire, pour l'amener à la connaissance de ce qui peut constituer, établir sa véritable prospérité. Eh! comment le faire, si, au lieu de signaler dans sa propre histoire les écueils qu'elle doit éviter, on l'entretient encore des institutions de Sparte et de Rome?

C'est nos annales mêmes qu'il convient de dérouler. On y verra que la fausse splendeur de certaines époques, de plusieurs règnes cités avec emphase, fit le malheur de la France

Assez long-temps on nous a présenté le faste de la grandeur comme le signe de la félicité publique. Les Rois qui ruinèrent leurs peuples sont ceux-là mêmes qui recevaient les plus grands éloges. Les actes de leur administration les plus funestes à leurs États excitaient l'enthousiasme, étaient célébrés par-dessus tous les autres.

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Grand Roi, cesse de vaincre, ou je cesse d'écrire.

(BOILEAU.)

Le Roi dont le jugement est une règle toujours sûre.... Sous lui, la France a appris à se connaître.... Si les Français peuvent tout, c'est que leur Roi est partout leur « capitaine.... Jamais on n'a fait la guerre avec une force • plns inévitable.... Après que le Roi est privé de ces deux « grands chefs (Turenne, Condé), on le voit concevoir de plus grands desseins, exécuter de plus grandes choses, s'élever au-dessus de lui-même, surpasser et l'espérance des - siens, et l'attente de l'univers tant est haut son courage; ■ tant est vaste son intelligence; tant ses destinées sont glo« rieuses ! » Bossuet, Oraisons Funèbres.) « Les Rois de « France (dit-il ailleurs) sont, de tous les Rois, le plus clai« rement prédits dans les prophéties.... Je ne sais si la mialice romaine a jamais rien eu d'aussi admirable que les ar« mées de Louis XIV. » Comment le monarque, enivré de ces magnifiques louanges que déposaient à ses pieds l'oracle de la chaire et l'oracle du Parnasse, ne s'en serait-il pas cru digne? Et c'est à Louis XIV qu'on les prodiguait, à ce monarque asiatique, portant dans ses camps le luxe de Xerxès; dont la capacité militaire se réduisait à mettre beaucoup d'importance dans les petits détails; qui ne parut jamais devant une place que sa reddition ne fût certaine, et qui, dans ses campagnes d'ostentation, loin de montrer le petit-fils d'Henri IV, se souciait peu de s'exposer comme Louis XIII, prince brave, trèsbrave de sa personne, et cherchant les dangers avec passion. On sait comment Louis XIV devint l'objet des sarcasmes, à l'occasion de son départ de l'armée, en 1676, lorsqu'il évita l'occasion de détruire l'armée du prince d'Orange, près de Valenciennes. (V. Saint-Simon.)

Dans une monarchie absolue, comme était la monarchie française, le prince distingué par de brillantes qualités, ou par des vertus privées, pouvait cependant faire le malheur public. Ni l'éclat de sa cour, ni la douceur de ses mœurs, ni l'urbanité de ses manières, ne devraient en imposer, quand il s'agit de l'intérêt général. Toutes les fois que la destinée de l'espèce humaine est mise en jeu, il faut se tenir en garde contre les prestiges de la grandeur.

Ainsi, Louis XII reçut le beau surnom de Père du Peuple; mais, pour le lui conserver, il faut lui tenir compte de ses inspirations car les projets qui lui firent décerner ce titre restèrent en ébauche, et cela par sa propre faute. Les projets que lui dictait l'amour de ses sujets étaient incompatibles avec ses prétentions si folles au-delà des monts, ses combinaisons si fausses et ses campagnes si mal conduites. Diminuer les impôts de moitié, c'était plus que doubler les difficultés des guerres qui remplirent les dix-sept années de son règne Toujours en négociations ou sous les armes, Louis XII fut toujours abusé, toujours vaincu. Il se consolait des perfidies de Ferdinand d'Aragon, en s'écriant : « J'aime mieux perdre • un royaume que l'honneur.» Voilà, sans doute, un noble sentiment; mais une conduite prudente, qui aurait conservé à-la-fois ce royaume de Naples et l'honneur, aurait un plus juste droit à l'admiration. Et puis! qu'importait cette possession lointaine au bonheur des Bourguignons et des Tourangeaux? Ce bon Roi, sans cesse égaré dans sa politique, soutint, accueillit, éleva, enrichit l'exécrable César Borgia, et donna une immense prépondérance au père de ce monstre, au pape Alexandre VI, dont les crimes furent si profitables à la cour de Rome et si nuisibles aux peuples voisins.

Le vulgaire des écrivains ne tarit pas non plus sur les éloges de François ; et le vulgaire des lecteurs les admet sans restrictions. On croit réfuter toute critique en appelant ce Roi, le Restaurateur des Lettres; et cependant son règne n'offre qu'un enchaînement de fautes et de malheurs dont lui-même est la cause. Dépourvu de talents pour la guerre, il la fait en personne; jouet des favoris et des femmes, et trop complai

sant pour sa mère, il s'aliène Doria, le connétable de Bourbon. En vain, se promet-il pour sa Maison, d'heureux résultats de ee Concordat, monument honteux parmi les honteuses transactions de la diplomatie française; il ruine la France après l'avoir entraînée sur le bord de l'abîme. Avec ses conquêtes lointaines, il perd, enfin, l'honneur, en violant le traité de Madrid, sous des prétextes de la plus insigne déloyauté; bien différent de saint Louis et du malheureux Jean, ses ancêtres, scrupuleux observateurs des conventions les plus rigoureuses. Qu'importe, après tout cela, que François I" ait visité un peintre malade et qu'il ait causé avec Marot?

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« En lisant les déclamations de nos jours (dit madame de Staël), ⚫ on croirait que les huit siècles de la monarchie n'ont été que des jours tranquilles, et que la nation était alors sur des roses. On oublie les Templiers brûlés sous Philippe-le-Bel; le * triomphe des Anglais sous les Valois; la guerre de la Jacquerie; « les assassinats des ducs d'Orléans et de Bourgogne; les cruautés ⚫perfides de Louis XI; les protestants français condamnés à • d'affreux supplices sous François Ier, tandis qu'il s'alliait lui⚫ même aux protestants d'Alleinagne ; les horreurs de la ligue, ⚫ surpassées toutes encore par le massacre de la Saint-Barthé ⚫lemi; les conspirations contre Henri IV et son assassinat, « œuvre effroyable des ligueurs ; les échafauds arbitraires éle «vés par le cardinal de Richelieu; les Dragonnades, la révo⚫cation de l'Édit de Nantes, l'expulsion des Protestants et la ⚫ guerre des Cévennes, sous Louis XIV. »

Devra-t-on toujours faire l'apothéose du fils d'Anne d'Autriche, en considération de quelques améliorations accidentelles, incomplètes autant qu'inévitables; affectant d'oublier les désastres des quarante dernières années de son règne, les calamités qu'il répandit sur la France dans son temps, et celles qu'il lui prépara et dont nous avons éprouvé le poids? Son orgueil insensé sera-t-il toujours divinisé, parce que son berceau se vit entouré de cette foule de grands hommes, véritables demi-dieux issus des guerres civiles, ou créés par l'influence encore agissante du héros qui ferma le temple de la Discorde? Tous ces beaux talents avaient germé avant le jour

qui vit naître Louis XIV; ils se développèrent par leur propre sève, avant que le jeune monarque fût en état de les protéger; ils appartiennent à l'époque même. Turenne, Condé n'avaientils pas déjà fait triompher les armes de Louis XIII ? N'étaitce pas cinq jours après la mort de Louis XIII, que le champ de Rocroi se couvrit de lauriers? Cette même année 1643, Turenne, déjà célèbre par plusieurs campagnes, recevait le bâton de maréchal sur la brèche de Trino. La France vit la merveille du Cid deux ans avant le prince qui affecta d'oublier la vieillesse de Corneille. En 1642, Pascal révélait son génie au monde savant. Colbert avait mûri le sien pendant la minorité. C'est entouré de ce cortége, riche héritage du siècle précédent, que Louis XIV se place sur le trône, lorsqu'à vingt-trois ans il veut régner par lui-même. Tout prospérera pendant l'existence de ces grands hommes qui virent son adolescence; mais, après la mort des capitaines sortis de l'école de Gustave-Adolphe et des élèves de ces capitaines;'après ces génies supérieurs des premiers temps, que trouve-t-on ? Deux ou trois génies secondaires, un grand nombre de vils courtisans et de généraux à talents ordinaires, trois ou quatre généraux de second ordre, quelques légers reflets de gloire et beaucoup de maux, d'erreurs et de honte. « Voilà, dit Saint« Simon, où conduisit l'aveuglement des choix, l'orgueil de « tout faire, la jalousie des anciens ministres et capitaines, la vanité d'en choisir de tels qu'on ne pût leur rien attri« buer pour ne point partager la réputation de grand avec ⚫ personne, la clôture exacte qui ferma tout accès, jeta dans « les plus affreux panneaux; enfin, toute cette déplorable fade gouverner qui précipita dans le plus évident péril d'une perte certaine, et qui jeta dans le dernier désespoir << ce maître de la paix et de la guerre, ce châtieur des nations, « ce conquérant, ce grand par excellence, cet homme im« mortel pour qui on épuisait le marbre et le bronze, pour qui tout était à bout d'encens. Conduit ainsi, jusqu'au der« nier bord du précipice, avec l'horrible loisir d'en recon<< naître toute la profondeur; la toute-puissante main qui n'a posé que quelques grains de sable pour bornes aux plus fu

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