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dent de laisser dans l'île. Le doge Augustin Barbarigo, accompagné de tout le sénat, monta sur le Bucentaure pour aller au-devant de cette princesse. Catherine fut conduite en triomphe à l'église de Saint-Marc, où elle presenta au doge la figure de l'île de Chypre en argent, et en reçut en échange celle de la petite ville d'Asolo. Après quelques mois de séjour a Venise, l'ancienne reine de Chypre se retira dans sa résidence d'Asolo, où elle vécut jusqu'à une vieillesse très avancée, entourée de toutes les pompes et de tous les honneurs de la royauté. Deux ans auparavant, 1487, la reine Charlotte était morte à Rome, en faisant une donation solennelle du royaume de Chypre à Charles duc de Savoie, avec le titre et la qualité de roi, pour lui et tous ses successeurs. Depuis cette époque les princes de la maison de Savoie ont pris le titre de rois de Chypre.

ÉTAT DE L'ILE DE CHYPRE SOUS LA DOMINATION VÉNITIENNE. - Le sénateur François Priuli, chargé par la république d'organiser le gouvernement de l'île après le départ de la reine Catherine, donna sur-le-champ l'ordre de démanteler les châteaux royaux de SaintHilarion ou Dieu-d'Amour, de Kantara, de Buffavent, de Cave, de Potamia, et de Sigouri, qui exigeaient des garnisons trop considérables. Il vendit aux plus offrants les titres et les fiefs de la couronne, dans l'intention d'abaisser la noblesse chypriote; celle-ci vit s'élever à son niveau des parvenus sans naissance, que le sénat vénitien lui opposait pour la tenir en échec. Cependant, au dire du père Lusignan, « les Vénitiens ont toujours gouverné l'île de Chypre selon les Assises de Hierusalem, ayant les nobles en grande réputation, lesquels le sénat appeloit confédérés et non subjects, pour ce qu'ils n'avoient pas acquis le païs par force, mais par amitié (1). » Le père Lusignan devait regretter la domination vénitienne, qui avait reculé de quatre-vingts ans l'assujettissement de sa patrie par les Turcs, et ses regrets étaient d'autant plus vifs qu'il avait vu l'affreuse catastrophe dans Jaquelle l'indépendance de Chypre avait succombé. Sous le gouvernement de Ve

(1) Lusignan, Description de toute l'isle de Chypre, p. 213.

nise Chypre conserva les institutions civiles et judiciaires des Lusignans. Elle perdit seulement la liberté politique. Le gouvernement civil et l'administration furent confiés à un lieutenant et à deux conseillers, qui s'appelaient tous trois les recteurs ou régents. L'autorité militaire était confiée au provéditeur, et les finances à deux camerlingues ou chambellans. Le sénat changeait ces officiers tous les deux ans. Il maintint l'ancienne division du pays en douze districts, avec les mêmes limites qu'au temps des rois Lusignans. On établit dans chaque district ou contrée un capitaine avec une compagnie de trois cents hommes pour garantir l'ordre et assurer la défense du pays. Outre ces douze compagnies, le sénat entretenait niille cavaliers Albanais ou Épirotes pour la garde des côtes, dout on avait conservé les fortifications, tandis que toutes celles de l'intérieur furent détruites. Par la sagesse de ses mesures et l'habileté de son administration, le sénat put tirer d'abondants revenus de l'île de Chypre, et en rendit l'acquisition très-lucrative pour la république. On en retirait tous les ans un million d'écus d'or, outre toutes les dépenses nécessaires pour l'entretien des officiers et la solde des troupes qui la gardaient de plus huit milie écus d'or pour le tribut du soudan, que le sénat paya ensuite à la Porte lorsque le sultan Selim eut conquis l'Égypte.

La noblesse chypriote, après avoir fait quelque bruit, et montré de mauvaises dispositious contre le gouverne ment vénitien, finit par s'y accoutumer insensiblement, ainsi que le peuple, et se calma tout à fait. Elle se plongea dans l'oisiveté et la mollesse, heureuse de n'avoir plus à combattre pour sa défense et celle de la chrétienté. Pendant presque tout le cours du seizième siècle, l'ile de Chypre semble sommeiller au sein d'une paix profonde, d'où elle devait être arrachée par un terrible réveil. Les seuls événements de son histoire à cette époque sont les grands fléaux naturels qui la frappèrent, et qui se montrèrent alors plus fréquents et plus extraordinaires que jamais. En 1492 un tremblement de terre ébranla toute l'île, fit de grands ravages et renversa une partie de l'église de Sainte-Sophie, cathédrale de Nicosie,

En 1542 les tremblements de terre recommencerent, et furent suivis de l'invasion des sauterelles, qui s'abattirent en si grand nombre sur l'ile qu'elles la dépouillèrent de toute sa végétation. Les habitants de Chypre furent nourris par d immenses convois de vivres qu'on y importa. En 1547 tout le pays fut desolé par des pluies extraordinaires, qui changerent toutes les rivières en torrents, et la disette fut aussi grande qu'après le fleau des sauterelles. En 1565 une cause différente produisit la même calamité. La sécheresse fut telle, que les terres ne produisirent presque rien, et encore cette faible récolte fut-elle exportée par les administrateurs vénitiens, hommes avides, empressés de réaliser de gros benefices. Cette fois la famine fut si grande et la souffrance du peuple si cruelle, que, sortant de leur résignation apathique, les Chypriotes se soulevèrent. assiegerent les régents dans leurs propres maisons, où ils les auraient assommes sans l'intervention des nobles de Nicosie, qui obtinrent des régents qu'ils ouvriraient leurs magasins au public.

PRÉPARATIFS DE DEFENSE CONTRE LES TURCS. Mais le plus grand danger de l'île de Chypre venait des progrès effrayants de la puissance ottomane, qui s'etait considerablement agrandie en Asie et en Afrique, et au milieu de laquelle cette île était comme enclavée. Souvent les galeres turques avaient insulté ses côtes, et preludé par des ravages partiels à la grande entreprise qui alait s'accomplir. Du vivant même de Soliman le Grand, son fils aîné, Selim I, nommé gouverneur de la Caramanie, avait fait comprendre aux Vénitiens, par ses préparatifs et son attitude aggressive, tout ce qu'ils avaient à craindre pour leur lointaine et précieuse pos-ession. Regardant la guerre comme inévitable, le sénat résolut de mettre l'île en etat de

la guerre en Hongrie à l'empereur Maximilien II (1566). Savoraiani, accompagné d'une commission d'ingenieurs qu'on lui avait adjoints, parcourut l'île d'un bout à l'autre, et ne trouva que les deux places de Cérines et de Famagouste en etat de résister à une surprise, mais non à un siege régulier. Il fit non-seulement réparer et augmenter les fortifications de ces deux villes, mais il résolut de mettre Nicosie en état de defense, et il confia aux nobles et aux habitants de la ville l'exécution de ces grands travaux. Ceuxci, pe: suades de l'éminence du danger, mirent à sa disposition leurs biens et leurs personnes, et le seconderent activement. Savorniani fit abattre les anciens murs de Nicosie et les maisons adjacentes; il en réduisit la circonférence d'un quart, divisa cette nouvelle enceinte en onze bastions, et n'y laissa que trois portes, au lieu de huit qu'elle en avait auparavant. Ayant choisi onze des plus riches et des plus puissants seigneurs de l'ile, il leur contia le soin de conduire les travaux, de pourvoir à la dépense, et permit à chacun d'eux de donner son propre nom au bastion qu'il devait construire. L'habile Savorniani fut parfaitement secondé par le zele des Chypriotes, et en moins de six mois Nicosie, entourée de bonnes murailles en pierres de taille, bien terrassées, avec un large et profond fossé, et un chemin couvert, paraissait en état d'offrir à ses habitants un asile inexpugnable. Du fond de la Hongrie, où il faisait aux Impériaux une guerre impitoyable, Soliman jura de châtier Venise de l'audace qu'elle avait eue de fortifier contre lui-même une province qui relevait de son empire. Mais la mort, qui le surprit au siége de Zigeth, le dispensa d'accomplir son serment, que son fils Selim se chargea d'exécuter.

COMMENT LE SULTAN SELIM II SE DETERMINE A ENTREPRENDRE LA

se defendre. Toutes les forteresses de CONQUETE DE L'ÎLE DE CHYPRE (1). l'intérieur avaient été démantelées ; celles des côtes, excepté Famagouste, étaient dans un grand délabrement. La république envoya Jules Savorniani, habile ingénieur, d`une noble famille vénitienne, pour relever toutes les fortifications qu'il jugerait necessaire de retablir, avec ordre e håter les travaux et de profiter de l'absence de Soliman, qui faisait alors

(1) Voir pour cette guerre : Gratiani, Histoire de la Guerre de Chypre, écrite en latin, et traduite en français par Lepeletier, in-4o, 1701; Dapper, Description de l'Archipel, p. 79; Jauna, Hist. de Chypre, etc., liv. XXIV el XXV; La vraye et très-fidèle Narration du succès des assaults, defense et prinse du royaume de Cypre, par Père Ange Calepien de

Dans les premières années de son règne, Sélim, embarrassé par la guerre de Hongrie et par une révolte des Arabes de I'Yémen, fut obligé d'ajourner l'exécution de ses desseins contre l'île de Chypre. Mais dès que la tranquillité fut rétablie à l'orient et à l'occident de son empire, il songea sérieusement à rompre avec Venise et à étendre son empire aux dépens des puissances chrétiennes de la Méditerranée. Selim avait accordé toute sa confiance à un juif portugais, nominé dom Miguez ou Joseph Nassy; cet homme, qui s'était fait chrétien et qui était retourné à la religion juive, s'était rendu agréable à Selim, avant son avénement au trône, par ses prêts d'argent et sa complaisance pour tous les vices du jeune prince, à qui il procurait les meilleurs vins du Levant, et surtout ceux de l'île de Chypre. Peu scrupuleux sur l'observation des préceptes du Coran, Sélim avait un penchant décidé pour l'ivrognerie, et il se laissa facilement persuader par les propos de son favori à préparer la conquête de l'île qui produisait les vins délicieux qu'il aimait tant (1). Un jour, dans l'effusion produite par de copieuses libations de vin de Chypre, Selim, se tournant vers le juif, qui était devenu son favori et le compagnon de ses plaisirs, s'écria : « En vérité, si mes désirs s'accomplissent, tu deviendras roi de Chypre. » Ces paroles, prononcées au sein de l'ivresse, remplirent Joseph Nassy d'espérances si ambitieuses, qu'il fit suspendre dans sa maison les armes de Chypre avec cette inscription : « Joseph

Cypre, de l'ordre des frères précheurs, dans l'ouvrage de Lusignan, p. 257; de Hammer, Histoire de l'Empire Ottoman, t. VI, J. XXXVI, p. 383.

(1) Selim devint maître de cette ile tant convoitée; il trouva sa perte dans son succes

meme. On lui envoya les meilleurs vins de l'ile après la conquète. Le 1er décembre 1574, un jour qu'il visitait un bain nouvellement construit, Selim se sentit saisi par le froid en entrant dans des salles encore toutes fraiches.

Il demande aussitôt un flacon de vin de Chypre, et boit à longs traits. La force du vin l'enivre, il chancelle, tombe, et se frappe violemment la tête contre les dalles de marbre. Onze jours après il expirait dans le délire, Voy. le Correspondant, du 10 août 1847, D. 363.

roi de Chypre. » Quand Sélim monta sur le trône, il combla son favori de bienfaits: il lui donna le titre de duc de Naxos et des douze principales Cyclades, qui furent enlevées à là dynastie vénitienne, qui les possédait depuis trois siècles. C'était un commencement de rupture avec Venise; toutefois la guerre n'éclata définitivement qu'après le rétablissement de la paix en Hongrie et dans l'Yémen, et quand Joseph Nassy, qui n'oubliait pas sa royauté de Chypre, eut réussi par ses intrigues à vaincre l'opposition du grand vizir, et par ses complaisances à rallumer les passions du sultan Sélim. Le juif ayant mis dans ses intérêts le moufti Ebousouend, celui-ci publia un fetwa qui déclarait la guerre avec les infidèles légitime et nécessaire. L'incendie de l'arsenal de Venise, allumé peut-être par les émissaires de Nassy, le 13 septembre 1569, donna encore plus de force et d'ardeur au parti qui à Constantinople voulait la guerre avec cette puissance. Selim fit demander aux Vénitiens la cession de l'île de Chypre, et sur leur refus l'expédition fut définitivement résolue.

DÉBARQUEMENT DES TURCS DANS L'ÎLE DE Chypre (1570).—A cette nouvelle l'effroi se répandit dans toute la chrétienté; ce n'était pas seulement l'île de Chypre, mais toute la domination vénitienne et tous les rivages chrétiens de la Méditerranée qui se sentaient menacés par l'invasion ottomane. Le pape Pie V appelle l'Europe aux armes; on négocie, on s'empresse, on s'agite sans pouvoir se concerter et prendre des mesures promptes et énergiques. Venise, tremblante pour elle-même, met en défense ses possessions de terre ferme, et elle oublie d'envoyer en Chypre les troupes nécessaires pour garder les fortifications de Savorniani. Cependant les Tures, bien plus actifs que les chrétiens, et tous unis sous un même commandement, préparaient un armement formidable à Rhodes et à Negrepont. Lala-Mustapha fut nommé seraskier des troupes de débarquement, et Piali-Pacha commandant de la flotte, qui se divisait en trois escadres, et comprenait en tout trois cent soixante voiles. Le 1er juillet 1570 la flotte turque jeta l'ancre dans la rade de Limassol, près de l'ancienne Ama

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thonte, et opéra son débarquement sans obstacle, grâce à l'incurie et à l'incapacité du provéditeur Nicolo Dandolo, qui defendit à Hector Baglioni, commandant de l'infanterie, de s'opposer à cette descente. Dans un conseil de guerre, tenu au bourg d'Aschia, dans la Messaree, où l'imprévoyance du provéditeur et l'incapacité présomptueuse du comte de Rocas, général de la cavalerie, se réunirent pour repousser les sages conseils de Baglioni, il fut décidé qu'on ne songerait qu'à la défense de Nicosie et de Famagouste, sans se mettre en peine du reste de l'île, d'où le mauvais air, les chaleurs excessives et les maladies chasseraient bientôt les ennemis. Ce fut pour ces vaines raisons qu'on laissa les Turcs debarquer tranquillement dans l'ile comme sur une terre de leur empire. Le fort de Leftari dans le voisinage de Limassol, s'était rendu à la première sommation, et le séraskier Mustapha avait épargné la vie et les biens des habitants, pour engager par cette feinte modération les autres villes à faire une prompte soumission. Mais les Vénitiens prévinrent la contagion de l'exemple en tirant une vengeance éclatante de la trahison de Leftari: ils surprirent la place pendant la nuit, massacrèrent la plupart des habitants, et entraînèrent les femmes et les enfants dans les montagnes. Ces rigueurs paraissaient nécessaires : un grand nombre de Grecs, en haine des Latins, le bas peuple, en haine des grands, voyaient sans inquiétude et avec une sorte de faveur l'entreprise des Turcs qui devaient les débarrasser de leurs maîtres actuels.

SIÉGE ET PRISE de Nicosie (1570). — Vers le milieu du mois de juillet, la grosse artillerie étant debarquee, le séraskier convoqua un conseil de guerre dans lequel il fit décider qu'on commencerait les opérations par le siége de Nicosie, contrairement à l'avis du capitan Piali-Pacha, qui voulait d'abord assiéger Famagouste, pour donner à la flotte l'occasion de se signaler. En conséquence de cette décision, Mustapha-Pacha, après avoir ravage tout le plat pays, parut devant les murs de Nicosie avec une armée d'environ cent mille hommes. Il divisa l'infanterie régulière en sept corps, composés de sept mille hommes chacun,et leur assigna leur point d'attaque. Chaque corps avait une

batterie de sept canons. La garnisou de Nicosie était forte de dix mille hommes, savoir: quinze cents Italiens, mille gentils-hommes avec leurs domestiques, deux mille cinq cents miliciens libres, trois mille Vénitiens de terre ferme, deux cent cinquante Albanais, et mille nobles de Nicosie. Dandolo, Rocas et le capitaine Palaiso s'étaient enfermés dans la place. Pendant les sept semaines que dura le siége, Piali Paclia se tint en croisière avec la flotte dans les eaux de Rhodes, pour fermer le passage aux escadres que les chrétiens avaient mises en mer. Les assiégés de Nicosie se défendirent bravement, et repousserent deux attaques avec bravoure; mais dans un troisième assaut, livre le jour de l'Assomption, ils perdirent plusieurs de leurs meilleurs officiers. A la fin du mois d'août, Piali étant revenu de sa croisière, le séraskier fit renforcer son armée de vingt mille soldats et matelots de la flotte, et ordonna un assaut général.

Ce dernier assaut avait été fixé au 9 septembre 1570. Les bastions de Podocataro, Costanza et Tripoli furent emportés avant le lever du soleil; leurs garnisons se retirèrent en desordre dans l'intérieur de la place, où les Turcs se précipitèrent avec impétuosité. En vain les habitants, jetant leurs armes, imploraient à grands cris la pitié des vainqueurs, les Turcs les égorgeaient impitoyablement. Cependant le provediteur, l'archevêque, et les autres magistrats occupaient encore le palais du gouverneur : six canons furent pointés sur l'édifice, et le séraskier envoya aux assiégés un moine qui les somma de se rendre et leur promit la vie sauve. Déja ils avaient mis bas les armes, lorsqu'au retour du moine, les Turcs, furieux de leur résistance, pénétrèrent dans le palais et les massacrerent tous. De tous côtés s'offraient à la vue des scènes d'horreur et de carnage, spectacle ordinaire des villes prises d'assaut par les barbares. Pour échapper à la honte dont elles étaient menacées, plusieurs femmes se précipiterent du haut des toits; d'autres assassinèrent leurs filles de leur propre main; l'une d'elles poignarda sou fils en s'écriant : « Non, tu n'assouviras pas comme esclave les infâmes passions des Tures; »> puis elle se frappa elle-même. Vingt mille per

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sonnes furent immolées à la fureur sanguinaire du vainqueur et deux mille jeunes gens de l'un et de l'autre sexe furent emmenés en esclavage. Pendant huit jours la ville resta livrée à la férocité du soldat; mais l'action héroïque d'une femme grecque ou vénitienne priva le vainqueur du principal fruit de sa conquête. Poussée par le désir de la vengeance, elle mit le feu à la galiotte du grand vizir Mohammed-Pacha et à deux autres navires, qui, chargés du butin le plus précieux en or, argent, canons et jeunes filles des premières familles, attendaient dans le port le moment de mettre à la voile. L'explosion des poudres fit sauter le vaisseau du grand vizir, et le feu consuma les deux autres; mille jeunes esclaves périrent dans les flammes, quelques matelots seulement parvinrent à se sauver à la nage. Enfin le calme se rétablit. Le séraskier alla le 15 septembre entendre la prière dans 1 église de SainteSophie, changée en mosquée, et trois jours après il se rendit devant les murs de Famagouste, laissant à Nicosie Mousaffer-Pacha avec un corps de deux mille hommes.

SIEGE ET PRISE DE FAMAGOUSTE (1571). Cependant les galères de l'Espagne, de Venise et du pape, commençaient à se réunir, et les Vénitiens faisaient tous leurs efforts pour entraîner leurs alliés à marcher pour la défense de l'île de Chypre. La nouvelle de la prise de Nicosie jeta le découragement et la division dans l'escadre confédérée; et malgré les instances de Zano, l'amiral vénitien, et de Colonna, amiral du saint-siége, l'amiral espagnol Doria refusa d'aller chercher la flotte de Piali-Pacha dans les eaux de Chypre, et l'on resta en station dans l'île de Candie. Seulement douze galères vénitiennes, commandées par Marc-Antoine Quirini, parvinrent à jeter dans Famagouste un secours de seize cents hommes et des approvisionnements. Ces mêmes galères coulèrent bas plusieurs vaisseaux turcs, et s'emparèrent de celui qui apportait de Constantinople la solde des troupes. Le sultan s'en prit de ces échecs successifs aux beys de Chio et de Rhodes, qui avaient été laissés en station devant l'île; le premier eut la tête tranchée, le second fut privé de son fanal, insigne distinctif des

beys de mer. L'hiver avait retardé les opérations du siége. La flotte des Ottomans était retournée à Constantinople; mais au printemps de 1571 elle reparut dans l'île de Chypre, et le siége de Famagouste, qui jusque là n'avait été qu'un blocus, fut poussé avec vigueur

La défense de Famagouste fut bien mieux dirigée que ne l'avait été celle de Nicosie. L'héroïque Marc-Antoine Bragadino commandait en chef la ville et la forteresse; il avait sous ses ordres son frère, Jean André. Hector Baglioni était capitaine général, et Jean Antoine Quirini, intendant. On renvoya toutes les bouches inutiles, et il ne resta dans la place que sept mille hommes, moitié Italiens, moitié Grecs, capables de porter les armes. Les fortifications de Famagouste n'étaient pas en bon état; ses défenseurs furent indignement délaissés par les États chrétiens d'Occident: mais le courage de Bragadino et l'ardeur qu'il communiqua à toute sa garnison tinrent longtemps les Turcs en échec, et rendirent glorieux les derniers moments de la domination chrétienne dans l'île de Chypre.

La tranchée, ouverte dans le cours du mois d'avril, était entièrement terminée au milieu de mai, sans qu'il eût été possible aux assiégés d'y mettre obstacle. Dans une étendue de plus de trois milles (1), Mustapha avait fait pratiquer, quelquefois à travers le roc, un chemin large et si profond, qu'un homme à cheval pouvait le parcourir sans être aperçu; en arrière de ce fossé on avait construit dix forts, d'où partait un feu continuel, qui empêchait les sorties de la garnison. Les murs, les tours, et les bastions étaient foudroyés par cinq batteries composées de soixante-quatorze canons, parmi lesquels on en remarquait quatre d'un calibre extraordinaire, tels que ceux que les Tures avaient l'habitude d'employer dans leurs grands siéges à Constantinople, à Scutari, à Belgrade et à Rhodes, et que les historiens chrétiens appelent tantôt helépoles, tantôt basilics. Du côté des assiégés le feu était dirigé par le général d'artillerie Martinengo, qui promettait de soutenir en cette circonstance l'honneur d'un nom déjà illustré au siége de Rhodes.

(1) De Hammer, Histoire des Ottomans, VI, p. 408.

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