Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

La situation extérieure du royaume de Chypre n'était guere plus brillante. De toutes les conquêtes de Hugues IV et de son fils en Asie Mineure, il ne restait au roi Jacques que le château de Gorhigos. Les hautes et puissantes fortifications de ce château en rendaient la conservation facile; la sûreté de son mouillage et son heureuse situation visa-vis de l'ile de Chypre amenaient toujours de nombreux navires dans son port. Aussi les Lusignans, au milieu de leurs désastres, ne negligerent jamais de pourvoir à sa défense; mais si cette place resta encore longtemps en leur pouvoir, les Lusignans le durent moins à leurs moyens de defense qu'aux graves evene ments dont l'Asie Mineure etait alors le théâtre, et qui détournaient ailleurs l'attention des princes de Caramanie. La puissance des sultans ottomans de Brousse n'avait cessé de grandir; et elle avait absorbé presque toutes les principautés d'Asie Mineure par des mariages, des achats, des soumissions volontaires ou des vie toires. Des dix principautes formees de l'empire d'Iconium, il ne restait plus à soumettre que celle de Caramanie au moment où Bajazet fut reconnu sultan. La guerre éclata entre les Ottomans et les Caramans. Ala-Eddin fut vaincu par Bajazet, qui réunit la Caramanie à son empire l'an 1392. La soumission de l'Asie Mineure fut complétée par la défaite du prince de Castamouni, dans l'aucienne Cappadoce; et il ne resta plus aux chrétiens dans cette contrée que Smyrne et Gorhigos. Bajazet, détourné sans doute par des soins plus importants, ne songea pas à reprendre cette derniere place, et le roi Jacques Ier en conserva la paisible possession.

Non-seulement, dans cette nouvelle période de leur histoire, les Lusignans avaient renoncé à toute hostilité contre les Turcs, mais il s'etait même établi des relations amicales entre les puissants souverains de Brousse et la petite cour de Nicosie. Aussi, après la bataille de Nicopolis, où Bajazet dispersa l'armée chrétienne qui était venue l'attaquer en Hongrie, quand on traita du rachat des vingt-cinq prisonniers qui appartenaient aux plus illustres familles de France, on s'adressa au roi de Chypre pour qu'il travaillât à apaiser Bajazet et à l'amener à un accom

modement (1). Jacques jer se chargea volontiers d'entamer cette negociation; il tenait a témoigner sa bonne volonte envers la France, pour se concilier la faveur de la cour et de la noblesse de ce royaume et s'en faire un appui contre les Genois. Il envoya à Brousse une ambassade composée des plus nobles chevaliers de l'ile de Chypre. Le chef de cette deputation offrit au sultan de la part du roi Jacques un riche drageoir en or, représentant un navire, et valant dix mille ducats. C'était un chef-d'œuvre de l'orfevrerie de Nicosie, assez florissante des le treizième siècle pour être constituée en maitrise par les Lusignans. « Et etoit ladite nef d'or tant belle et bien ouvrée que grand plaisir étoit à regarder. Et la recut et recueillit ledit Amorat (c'est le noin que les chroniqueurs du temps donnent a Bajazet). A grand gré il demanda au roi de Chypre que il lui feroit valoir au double en amour et en courtoisie. » Le succes de ces premières démarches eut pour effet de dissiper les préventions que l'on avait en France contre le roi Jacques, dont on n'ignorait pas le consentement criminel au meurtre de son frère Pierre Jer. Satisfait des temoignages de confiance qu'on lui prodigua, il continua ses bons offices, et contribua puissamment à activer la conclusion du traité qui rendit à la liberté le comte de Nevers et ses compagnons, vers le milieu de l'an 1397, moyennant une rançon de deux cent mille ducats, dont les seigneurs Genois d'Abydos, de Lesbos et de Chio furent les principaux garants. Le 7 janvier 1398 le sire de Beyrouth, neveu du roi Jacques et son ainbassadeur en France, signait à Paris un traité d'alliance avec Amanieu d'Albret, mandataire de Charles VI, par lequel le royaume de Chypre était réconcilié avec la France, et par conséquent replacé dans l'amitié des princes de l'Occident. Néanmoins les Lusignans conservèrent leurs relations pacifiques avec les Ottomans, et, autant par politique que par impuissance, s'abstinrent d'entrer dans la nouvelle confedération que les États chrétiens organisèrent contre eux après la délivrance des prisonniers. Le roi Jacques ne songeait qu'à relever la prospérite de

(1) Froissart, 1. IV, c. xv.

son royaume par une sage administration, lorsque la mort l'enleva dans la soixante-quatrième année de son âge, en septembre 1398.

REGNE DE JANUS (20 septembre 139828 juin 1432) — « Le fils aîne du roi Jacques I, qui le remplaça sur le trône, s'appelait non pas Jean, comme on le nomme ordinairement, mais Janus; et ces noms, souvent confondus, doivent être cependant distingués. Il suffit de citer parmi les personnages qui ont porté le dernier, soit en Italie, où il était fort commun, soit dans le royaume de Chypre, où il fut aussi en usage, Janus de Campo Fregoso, doge de Gènes, Janus de Montolif, maréchal de Chypre, et de rappeler que des trois enfants naturels de Jacques le Bâtard, l'un s'appelait Jean et l'autre Janus, prénom que l'on écrivit aussi Gen, deux formes du nom de la ville de Gènes, Janua et Genua, d'où il dérive (1). »

Janus monta sur le trône à l'âge de vingt-quatre ans. Actif. brave, bien intentionné, ce prince paraissait destiné à relever le royaume de l'abaissement où il était tombé; et cependant son règne fut encore plus désastreux que celui de ses prédécesseurs. Les débuts de son administration avaient donné de belles espérances. La prospérité de l'île semblait renaître; Limisso, entouré de bonnes fortifications, devenait le centre d'un commerce considérable, et remplaçait Famagouste comme marché et comine boulevard du royaume. Toute son ambition était de reconquérir Famagouste, et d'expulser les Génois de l'île de Chypre, où leur présence était à la fois pour les Lusignans une honte et un fleau. «Mais les Génois, inquiets des projets du roi, suscitèrent contre lui la vengeance des Mamelouks; et l'an 1425 une invasion égyptienne dé ivra Gènes de ses craintes, en portant la dévastation dans les États de Janus (2). Limisso fut ravagée,

(1) Bibl. de l'École des Chartes, t. V, page 126; Notice sur les monnaies et les sceaux des rois de Chypre, par M. de MasLatrie.

(2) Je laisse la responsabilité de cette grave accusation à M. de Mas-Latrie, Bibl. de Ecole des Chartes, t. II, p. 135, 2o série, qui en produira certainement les preuves

Nicosie emportée, tout le pays livré au pillage, Janus lui-même vaincu sur le champ de bataille de Cheirochitia, au sud de l'Olympe, fait prisonnier et conduit au Caire. Abattu par ses désastres, le roi accepta toutes les conditions que l'on mit à son rachat; il se soumit à un tribut, que ses successeurs payèrent aux sultans d'Égypte jusqu'à la fin de leur règne; il promit de ne plus faire la guerre aux Sarrasins; il engagea de nouveaux revenus pour l'acquittement de la dette des Génois, lèpre funeste que les Lusignans se transmettaient de règne en règne depuis Pierre II, et qui dévorait dans leur germe les ressources les plus précieuses du royaume. Il licencia les chevaliers venus à son aide de France et d'Aragon, il désarma ses dernières galères, et ne pensa plus qu'à mourir en paix avec tous ses voisins. » Dans les cinq années qui s'écoulèrent depuis son retour de la captivité jusqu'a sa mort, les frais énormes de sa rançon le jetèrent dans une telle détresse, qu'il avait à peine de quoi s'entretenir, non-seulement en roi, mais en simple particulier. Cette misère remplit ses derniers jours d'amertume, et hâta la fin de sa vie; il mourut en juin 1432, à l'âge de cinquante-six ans, et fut enseveli dans l'église de Saint-Dominique de Nicosie. RÈGNE DE JEAN II (1432 - 26 juillet 1548). Ce prince n'avait point encore atteint l'âge de régner; mais la reine mère, Charlotte de Bourbon, hâta la cérémonie de son couronnement, pour ôter tout prétexte à l'ambition des oncles du jeune roi. Jean II fut proclamé, selon l'usage, roi de Chypre, de Jerusalem et d'Arménie de ces trois royaumes il n'en possédait effectivement qu'un seul, et encore les Génois le partageaient avec lui.

[ocr errors]

:

La reine mère gouverna pendant deux ans avec habileté et prudence. Plus que jamais les rois de Chypre étaient tombés dans l'impuissance de rien entreprendre au dehors; et la nécessité leur imposait une politique timide, conforme à l'humilité de leur fortune. Tous leurs efforts tendaient à trouver des allies puissants pour les opposer aux puissants

dans sa grande Histoire des Rois de Chypre de la maison de Lusignan.

ennemis qui les menaçaient. Au commencement du quinzieme siecle l'Asie Mineure avait vu s'accomplir de grands évenements: Tamerlan avait vaincu Bajazet, et les émirs depouillés par l'Ottoman avaient été rétablis dans leurs Etats Cette catastrophe, qui ajourna d'un demi-siecle la fondation definitive de l'empire des Turcs, n'eut aucun effet fâcheux pour le royaume de Chypre, qui resta en paix avec le grand Karaman. Janus entretint avec soin cette alliance, qui pouvait le couvrir contre de nouvelles tentatives de la part des Egyptiens; et à l'avénement de Jean II on se hâta d'envoyer une ambassade à Ibrahim-Beg, prince de Konieh, pour renouveler les anciens traites. Un gentilhomme francais, Bertrandon de la Brocquière, premier écuyer-tranchant de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, revenait alors du pèlerinage de Terre Sainte à travers l'Asie Mineure. Il rencontra l'ambassade à Larendah, vers la Toussaint de l'an 1432, et l'accompagna jusqu'a Konieh, dont il donne dans sa relation une description intéressante (1). Il assista à l'audience que le Karaman accorda aux ambassadeurs de Chypre. Il les entendit qui disaient au prince en lui remettant la lettre du roi Jean II : « Que son père étoit mort, et qu'il envoyoit devant lui pour le visiter et savoir s'il vouloit entretenir la paix qui estoit paravant entre son dit père et lay et leur païs. » Il fut temoin que l'émir, tout en restant dans des termes assez vagues, assura les seigneurs de Chypre du maintien de la paix.

Mais avec toute espèce d'ennemi, et surtout avec les musulmans, on n'est jamais assuré de la paix, quand on ne peut pas faire vigoureusement la guerre. Depuis la mort de Pierre ler les Lusignans faisaient la triste expérience de cette vérité, et leurs règnes se passaient dans des périls, des alarmes et des capitulations continuelles. En 1444 le seigneur de Candelore prépara un armement pour faire la conquête de l'île de Chypre, et ne renonça à ce projet que par crainte des chevaliers de Rhodes.

(1) Voyage de Bertrandon de la Brocquière en la terre d'Oultremer, l'an 1432; manuscrit de la Bibl. Nat. Voir Bibliot, de l'École des Chartes, 2a série, t. II, p. 136.

Quatre ans après, le grand Karaman, reconcilié avec le sultan de Caire, réunissait à Stalimuri ou Anamour, sur le canal de Cérines, un armement considérable, soit pour conquerir, soit pour rançonner le royaume de Chypre. C'en était fait des lors de la royaute des Lusignans, que le faible Jean II etait incapab'e de défendre, sans l'energique intervention des Hospitaliers, qui menacerent le Karaman d'une déclaration de guerre s'il persistait dans sa resolution. Ce prince promit de respecter l'île de Chypre. et d'éloigner ses troupes de la côte; mais pour ne pas perdre les frais de son armement il s'approcha de Gorhigos, en novembre 1448. et cette place lui fut livrée par des soldats de la garnison. Il y avait plus de quatre-vingts ans que les Chypriotes occupaient cette importante position, et non seulement ils ne savaient plus s'armer pour la defendre, mais il se trouvait parmi eux des traîtres qui en ouvraient les portes a l'ennemi.

La cour, comme la nation, tout était également tombé dans cette dégradation morale qui précède et prépare la chute des empires; le roi Jean II etait un prince lâche, incapable et de mœurs dissolues. Il épousa Helene Paléologue, fille de Theodore, despote de Morée. Cette femme ambitieuse s'empara du pouvoir, et Jean, qui ne tenait qu'à s's plaisirs, la laissa maîtresse des affaires. Helene était gouvernée par sa nourrice; celleci etait dominée par son fils, et tout dépendait du caprice et des passions de ce jeune homme, ignorant et vicieux. Laissons de côté la repoussante histoire de cette cour corrompue, dont les désordres et les crimes préparaient au royaume de Chypre un si déplorable avenir. Enhardi par la faiblesse du roi et par les divisions qui dechiraient la famille royale et la noblesse, Louphtou Beg, seigneur de Candelore, menaça de nouveau l'ile de Chypre. Tandis que Jean II, incapable de sortir de son inertie ordinaire, se renfermait dans le château de Cérines, le grand maître de Rhodes envoyait une escadre dans les mers de Syrie, et forçait Louphtou-Beg à conclure, le 7 septembre 1450, sous la garantie de l'ordre des Hospitaliers, un traite de paix et de commerce avec le roi de Chypre. Ainsi la dynastie des Lusignans ne devait la

prolongation de son existence qu'à l'active protection des chevaliers de Rhodes. On sentait que le royaume de Chypre allait échapper des mains débiles qui n'en pouvaient plus tenir les rênes. Genes, l'Egypte, les émirs de l'Asie Mineure, peut être les chevaliers de Rhodes épiaient le moment favorable pour s'emparer de cette riche proie. Aucun d'eux ne l'obtint; ce fut Venise qui recueillit l'héritage des Lusignans.

REGNE DE CHARLOTTE ET DE LOUIS DE SAVOIE (26 juillet 1458). — Jean II avait eu de son mariage avec Hélene une fille, la princesse Charlotte, qui était sa légitime héritière. Mais toute sa tendresse s'était portée sur Jacques, son fils naturel. Cependant à sa mort CharJotte fut reconnue reine de Chypre, et elle partagea le trône avec son mari, Louis de Savoie, prince médiocre, qui ne lui fut d'aucun secours dans la guerre civile que l'ambition de Jacques le Bâtard ne tarda pas à allumer. En effet Jacques, forcé de quitter le royaume, apres le couronnement de sa sœur, se rendit au Caire, demanda une audience au soudan, et, s'adressant à ce prince, comme au suzerain du royaume de Chypre, il le supplia de le mettre en possession d'un trône dont il se prétendait injustement dépouillé. Jacques n'était qu'un ambitieux, deja souillé de crimes; mais sa jeunesse, sa beauté, ses manières nobles et aisées, ses vices brillants, le rendaient agréable à tout le monde. Le soudan, flatté de cet acte de soumission, dont il n'avait pas à apprécier la bassesse, le couronna roi de Chypre, et lui donna quatre-vingts vaisseaux et de bonnes troupes pour soutenir ses prétentions.

REGNE DE JACQUES II (septembre 1460-6 juin 1473). - A la tête de ce puissant armement, Jacques débarque au port de Constance, près de Famagouste, et le plus grand nombre des Chypriotes se déclarent pour lui. Alors la confusion est au comble. Les Sarrasins pillent le royaume au nom du roi Jacques; les Genois le dévastent pour leur propre compte. Louis de Savoie défend mollement le trône de sa femme Charlotte; et chassé de position en position il va se jeter dans le château de Cérines, où Jacques, maître de Nicosie et du reste

de l'île, vint bientôt l'assiéger. Mais il n'y tint pas longtemps; il s'échappa par mer, et revint en Piémont. Cependant Charlotte, plus résolue, passe en Italie, rassemble quelques soldats, débarque hardiment à Paphos, dont elle s'empare, traverse toute l'île, couverte de bandes de Sarrasins, de Catalans, et ravitaille la forteresse de Cerines. Vains efforts! les ressources lui manquent, les peuples l'abandonnent, elle s'éloigne, le cœur navré, et la forteresse de Cérines se rend au roi Jacques le 25 avril 1464.

Jacques s'était emparé du trone par d'odieux moyens; mais il ne se montra pas indigne de régner. Il reprit Famagouste aux Génois, qui l'occupaient depuis quatre-vingt-dix ans. Cette conquête, tant de fois tentée et abandonnée par ses prédécesseurs, affermit son pouvoir et parut le légitimer. Il acheva de gagner les cœurs par ses manières affables, par son attention à ménager l'argent de ses sujets, et à l'égard de ses ennemis par un heureux mélange de fermeté et de clémence. Loredano fait de ce roi un éloge complet, et l'égale aux plus grands de sa race. Mais l'écrivain vénitien est prévenu en faveur du prince que sa patrie avait adopté et dont elle hérita. II l'est également, par la même raison, contre Charlotte, sa sœur et sa rivale, qu'il efface trop dédaigneusement de ses récits. Et cependant l'histoire témoigne de l'héroïsme et du grand cœur de cette princesse, qui lutta si énergiquement contre la fortune de l'heureux bâtard qui la detrôna. En effet, la reddition de Cerines ne l'a pas découragée; elle court à Rhodes, elle ouvre des négociations avec les Hospitaliers, avec les Génois, avec le sultan de Constantinople; elle tente de mettre dans son parti l'amiral et la flotte de Venise envoyée pour soutenir son adversaire; puis, quand elle se voit délaissée, ruinée, quand ses partisans sont battus ou bannis, que la Savoie la repousse, que les princes de l'Europe restent sourds à ses prières; quand elle a perdu l'unique enfant à qui elle pût la sser la couronne, elle adopte un fils du roi de Naples; elle se rend au Caire avec lui, et entreprend de changer la politique du soudan; enfin, quand le sort fait échouer toutes ses généreuses tentatives, accablée de souffrances et de

peines, elle vient mourir à Rome, à l'âge de quarante-neuf ans, aupres du Vatican, où avaient toujours éte ses plus fideles amis, et de la basilique de Saint-Pierre, ou ses restes reposent encore (1).

L'appui de Venise avait rendu inu tiles tant d'efforts et de persévérance: le trône de Jacques était affermi; Gênes avait perdu le poste important de Famagouste, et influence des Vénitiens augmentait de jour en jour dans le royaume et sur le roi Jacques, qu'ils en trainèrent dans la ligue formée par les princes chrétiens contre les Ottomans. Jacques renonça à la politique suivie par ses prédécesseurs, et l'on vit les galères chypriotes combattre sur les côtes de l'lonie et de la Pamphylie à côté des navires Vénitiens, sous les ordres du généralissime Pierre Mocenigo, qui renouvela dans ses brillantes campagnes de la guerre de 1470 les exploits de Hugues IV et de Pierre . Le mariage de Jacques avec Catherine Cornaro avait resserré les liens de son union avec la république de Venise. Ce mariage fut conclu par le sénat venitien avec une solennité extraordinaire. Le sénat délibéra sur cette alliance, l'approuva par un décret, adopta la jeune Catherine, et la declara fille de la république vénitienne, sachant bien que la mère survivrait à sa fille et qu'elle en hériterait. Tout se passa comme l'avaient prévu les fins politiques du sénat de Saint-Marc Catherine devint reine de Chypre en 1471. Une foule de Vénitiens s'y installerent à sa suite. Il semblait déjà qu'ils fussent maîtres de l'île. Deux ans après Jacques mourut (1473). Il laissait sa femme enceinte. Elle accoucha d'un fils: on l'appela Jacques, comme son père. Il fut reconnu roi; Catherine eut la régence, les Vénitiens le pouvoir réel. Ce furent eux qui réprimèrent les complots des partis tout était tranquille sous leur domination, et cette situation aurait pu se prolonger longtemps si la mort n'eut enlevé le petit prince le jour même qu'il achevait sa deuxième année (1475).

L'ILE DE CHYPRE PASSE SOUS LA DOMINATION DES VENITIENS. - La mort du petit roi Jacques devait chan

(1) Bibl. de l'École des Chartes, t. V, p. 434.

ger entièrement la situation politique de l'île de Chypre, et la faire retomber, après trois siecles d'independance, sous la domination étrangère. Il y avait longtemps que ce royaume avait cessé d'être le boulevard de la chrétienté contre les Turcs, qu'il ne se défendait plus par ses propres forces et qu'il était tombe en tutelle. L'extinction de la dynastie des Lusignans le livra aux mains de la puissance qui le protégeait alors, et qui le préserva encore pendant un siecle de l'invasion des Ottomans. En effet, tout était prêt à la mort du roi enfant pour l'aecomplissement de cette réunion que préparait de loin la politique prévoyante de l'aristocratie vénitienne. Les Chypriotes auraient bien voulu se maintenir au rang de royaume indépendant; et ils désiraient l'exécution du testament du roi Jacques, qui appelait à la succession ses enfants naturels. Mais les Vénitiens étaient maîtres du pays par la precaution qu'avait prise Mocenigo de s'assurer les forteresses, et par la présence de Loredano et de sa puissante flotte. Toute la noblesse chypriote était depuis longtemps tenue dans la dépendance et l'abaissement. Il fallut continuer à obéir à la reine Catherine, qui, obsédée par les Vénitiens, consentit a renoncer à son royaume en faveur de la république (1). Le sénateur Georges Cornaro, son frère, fut chargé d'obtenir d'elle l'acte d'abdication. Il lui représenta si vivement les dangers auxquels l'exposait l'esprit séditieux de ses sujets, et l'ambition menacante des Turcs, qu'elle abandonna cé trône si chancelant et si périlleux pour la souveraineté, moins brillante mais plus paisible, de la ville d'Asolo, que le sénat lui cédait en compensation. L'impuissance des Chypriotes était trop grande pour qu'ils pussent s'opposer à l'installation du gouvernement vénitien, et tout ce qu'ils purent obtenir fut une promesse formelle que le sénat de Venise les gouvernerait selon les lois fondamentales des Assises. L'an 1489, la reine Catherine s'embarqua pour Venise avec son frere Georges Cornaro et les trois fils naturels de Jacques, qu'il eût été impru

(1) Dominique Jauna, Histoire génerale des Royaumes de Chypre, de Jérusalem, d' Arménie et d'Égypte, t. II, 1. XXIII, c. 11.

« ZurückWeiter »