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chevaliers français venus avec nous en Chypre. Un marchand de Famagouste vendit un jour au sultan d'Égypte, pour le sceptre royal, une pomme d'or enrichie de quatre pierres précieuses; une escarboucle, une émeraude, un saphir et une perle. Ce joyau coûta 60,000 florins. Quelque temps après la vente, le marchand voulut le racheter, et en offrit 100,000 florins, mais le sultan les refusa. Le connétable de Jérusalem avait quatre perles, que sa femme fit monter en agraffe; on aurait pu sur chacune d'elles trouver à emprunter 3,000 florins partout où on aurait voulu. Il y a dans telle boutique que ce soit de Famagouste plus de bois d'aloès que cinq chars n'en pourraient porter. Je ne dis rien des épiceries, elles sont aussi communes dans cette ville et s'y vendent en aussi grande quantité que le pain. Pour les pierres précieuses, les draps d'or, et les autres objets de luxe, je ne sais que vous dire, on ne me croirait pas dans notre pays de Saxe. Il y a aussi à Famagouste une infinité de courtisanes; elles s'y sont fait des fortunes considérables, et beaucoup d'entre elles possèdent plus de 100,000 florins; mais je n'ose vous parler davantage des richesses de ces infortunées (1). »

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EXPÉDITIONS DU ROI HUGUES IV CONTRE LES TURCS D'ASIE MINEURE. - Hugues IV consacra toute la première partie de son règne à combattre les infidèles, et il mérita par ses exploits, sur terre et sur mer, d'être appelé par le pape Clément VI le plus vaillant champion de la chrétienté. Toujours les armes à la main, on le voit parcourir, sur les na vires chypriotes, les côtes de l'Asie Mineure et de la Syrie, donner assistance aux Arméniens, dont la situation empi. rait tous les jours, piller les villes mari times des infidèles, poursuivre les corsaires, et quelquefois, débarquant à la tête de ses braves chevaliers, faire d'heu reuses incursions dans l'intérieur des pays musulmans. Plusieurs places du littoral de l'ancienne Cilicie, Anamour, Sicce, Candelore, se reconnurent ses tributaires. Satalie elle-même se racheta de ses mains et lui fit hommage. L'an

(1) Rodolphe de Saxe, De Terra Sancta et itinere Therosolimitano.

1344 le pape Clément VI, qui déploya le plus grand zèle pour les intérêts de la chrétienté en Orient, décida les Vénitiens à se joindre au roi de Chypre et aux chevaliers de Rhodes pour combattre les Turcs et défendre l'Archipel, constamment inquiété par les incursions des émirs d'Aidin et de Saroukhan. Les confédérés se réunirent à Negrepont, et, voguant hardiment vers les côtes d'Asie Mineure, ils brûlèrent la flotte turque dans le golfe de Smyrne, enleverent d'assaut la forteresse qui commandait cette ville, et y établirent une garnison. Les chrétiens conserverent cette conquête pendant plus d'un demi-siècle. En 1346 Hugues IV battit les Turcs en Lydie, entre Smyrne et Alto-Logo, tandis que le grand maître de Rhodes incendiait une flotte ennemie dans le port de l'île d'Imbros. Ces brillants débuts permettaient d'attendre de cette croisade les plus beaux résultats. lorsque les opérations de la guerre furent interrompues par le départ du roi de Chypre. Les Vénitiens suivirent son exemple, et la con, fédération fut dissoute.

Hugues IV était fatigué de guerres et d'aventures: il n'accorda plus dès lors qu'une faible et incertaine coopération aux ligues nouvelles que le saint-siége, le plus constant défenseur de la chrétienté contre les Tures, ne tarda pas à renouer entre les puissances maritimes de l'Occident. Toute son attention, tous ses soins furent consacrés dès lors à l'administration de ses États, dont il améliora les institutions civiles, et dont il entretint la prospérité commerciale. Une inondation qui dévasta toute la plaine de Nicosie, la peste noire, qui dépeupla Chypre comme le reste du monde, les passions impétueuses du comte de Tripoli, fils aîné du roi, qu'un amour insensé entraîna dans une lutte violente avec son père, troublerent seules les dernières années du roi Hugues. Ce prince guerrier avait un esprit cultivé et le goût des arts et des lettres. Boccace lui a dédié un de ses ouvrages, le Livre de la Généalogie des dieux. Le savant Georges Lapithes jouissait de sa faveur, et le roi descendait souvent des hauteurs de Saint-Hilarion pour s'entretenir avec lui de littérature et de philosophie, à l'ombre des palmiers et des orangers,

dans les délicieux jardins de Vassilia (1). Fatigué de régner, comme autrefois il l'avait été de combattre, Hugues IV abdiqua en faveur de son fils. à qui il avait pardonné, et se retira dans l'abbaye de Strovilo pour consacrer le reste de sa vie à se préparer à la mort; il mourut en 1361, et fut enterré dans l'église de SaintDominique de Nicosie.

REGNE DE PIERRE fer (1959-1369). Ce prince était jeune, plein de courage, chevaleresque à l'excès, et porté aux grandes entreprises. Tant que son père vécut, après son abdication, il se contint; mais à la mort du vieux roi il donna l'essor à son genie aventureux, et remplit l'Europe et l'Asie du bruit de son nom. Les Tures-Karamans avaient détruit le royaume chrétien d'Arménie. Le roi Leon ne conservait plus que la citadelle de Gorhigos, dont la ville était en leur pouvoir. Les défenseurs de Gorhigos se donnèrent au roi Pierre, qui, libre d'agir à son gré, accepta leur hom mage et leur promit son appui. L'acquisition de Gorhigos avait une double importance politique et commerciale. Les Lusignans possédaient enfin une ville fortifiée sur le littoral de l'Asie Mineure. Encouragé par ce début, Pierre entreprit de continuer ses conquêtes sur le rivage de l'Asie et de refouler les Tures dans l'intérieur, comme autrefois les Athéniens avaient tenté d'y refouler

(1) Voir Archives des Missions, p. 5o1, et Bibliothèque de l'École des Chartes, 20 série, 1. I, p. 488, les études de M. de Mas-Latrie sur l'ile de Chypre; voir sur Georges Lapithès les Notices et extraits des Manuscrits, t. XII, 2o partie. Ce volume contient un extrait de la dissertation d'Allatius intitulée de Geor giis; cet extrait est relatif à la vie et aux ouvrages de Georges Lapithès. Allatius y cite un curieux passage d'Agathangelus sur sa visite à Lapithes, qui demeurait sur les bords de la

rivière de ce nom. On trouve aussi dans ce

volume trois lettres de Georges Lapithès à Nicéphore Gregoras sur des questions metaphysiques, et un poëme moral de quinze cent un vers, «< dont les idées, dit M. Boissonade manquent assurément de force et d'originalité, mais sont raisonnables et sages, dont le style est simple et suffisamment correct, et qui pourrait être mis avec utilité aux mains des jeunes gens qui étudient la langue grecque.

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les Perses. Le 12 avril 1361 il partit de Famagouste avec une flotte de cent dixneuf navires, fait voile sur Satalie, et s'empare en un assaut de cette cité réputée imprenable, dont il confie la garde à Jacques de Nores. La soumission de Lajazzo et de Candelore fut le résultat de ce brillant fait d'armes, auquel toute la chrétienté applaudit.

La conquête de Satalie ranima la guerre religieuse, depuis quelque temps languissante, et remit aux prises les chrétiens avec les princes musulmans, tures et arabes. Tacca, émir dépossédé de Satalie, appela les Turcs à son secours, et descendit des hauteurs du mont Taurus avec une formidable armée. Jacques de Norès résista avec une intrépidité héroïque. Mais le royaume de Chypre ne pouvait soutenir seul tout le poids de cette guerre; et le roi Pierre I se rendit en Europe pour appeler les rois et les chevaliers latins à la croisade (1362). Un fatal concours de circonstances fit traîner ce voyage en longueur (1). Les Vénitiens et les Génois, jaloux de la pros. périté des Chypriotes, firent tous leurs efforts pour entraver les armements de Pierre 1. La rivalité de la France et de l'Angleterre, les troubles d'Allemagne, les guerres de Castille et d'Aragon empêchaient les seigneurs d'Occident de s'engager dans une entreprise si lointaine. Personne ne songeait à suivre le roi de Chypre, qui, de son côté, ne pouvait se décider à quitter ces cours brillantes de France, de Flandre, d'Italie, de Pologne, de Hongrie, où il était fêté comme un héros. Il perdit trois ans dans ce voyage, qui semblait n'avoir plus d'autre objet que le plaisir. Pendant ce temps Tacca poussait vigoureusement le siege de Satalie, les navires turcs insultaient les côtes de l'île de Chypre; les musulroyaume depuis le cap Saint-André jusmans parcouraient les rivages de ce qu'a Chrusocho, brutant les habitations, enlevant les bestiaux et les hommes dans les campagnes, jusqu'aux portes des villes; enfin l'émir de Damas me

(1) De Mas-Latrie, Relations, etc.; Bibl. de l'Ecole des Chartes, a série, t. I, p. 497. Voir dans cet article les intéressants développements consacrés à l'histoire politique du règne de Pierre Io,

naçait de joindre ses forces à celles des Tures pour accabler les Chypriotes, que leur roi semblait avoir délaissés. Averti par des lettres pressantes de son frère le prince d'Antioche, Pierre er revint à des préoccupations plus sérieuses. Il réunit à Venise une escadre sur laquelle s'embarquèrent des guerriers peu nombreux, mais éprouvés, fit voile sur Rhodes, où il rassembla toutes ses forces; et avec le secours des chevaliers de SaintJean il tenta un coup de main hardi contre l'Égypte. Après un combat sanglant, où il fit des prodiges, le roi de Chypre s'empara d'Alexandrie, cette ville aussi peuplée que Paris, aussi belle que Venise, aussi forte que Gênes, dit un contemporain, et la livra au pillage pendant trois jours. Mais il ne put garder sa conquête; les réclamations des marchands italiens et catalans, que cette guerre privait des bénéfices du commerce d'Égypte, le contraignirent à traiter avec le Soudan du Caire (1365).

Pendant qu'il négociait la conclusion de ce traité, le roi de Chypre avait à défendre ses possessions d'Arménie contre les attaques des Turcs-Karamans. Go rhigos fut assiégée par une puissante armée. Le prince d'Antioche la dégagea au prix des plus héroïques efforts, et le grand Karaman, découragé et affaibli par les pertes qu'il avait éprouvées, demanda la paix. Un traité fut conclu à Nicosie entre les deux princes, et tant que Pierre vécut les Karamans n'osèrent plus inquiéter les Chypriotes, ni dans leur île, ni dans leurs possessions de terre ferme (1366), Mais les négociations avec le soudan d'Égypte n'aboutissaient pas il fallait toujours rester sous les armes. Pierre, incapable de repos, attaque les côtes de Syrie, enlève Tripoli, Tortose, Bélinas, Lajazzo, et il accepte la couronne d'Arménie, devenue vacante par l'extinction de la dynastie de Livon. Ne sachant pas proportionner ses entreprises à ses forces, Pierre forme le projet de rétablir le royaume de Jérusalem et d'arracher aux musulmans toutes les villes de l'Arménie : il lève de nouvelles troupes, il équipe des flottes, il reparaît en Europe pour obtenir des subsides, et il retourne à Rhodes pour concerter avec les chevaliers un nouveau plan de croisade. Mais à son retour en Chypre, il

trouve ses États dans la détresse, sa propre maison dans le désordre, et il est assailli de chagrins, absorbé par de graves préoccupations qui le forcèrent à oublier l'Arménie, le royaume de Jérusalem et l'Égypte. Au milieu de tous ces projets désordonnés, Pierre Jer avait fini par perdre l'empire de soi-même. Il s'abandonnait à la fougue de ses passions, et ses debauches irritèrent contre lui les familles chez lesquelles il répandait le déshonneur. D'ailleurs « son humeur belliqueuse et ses projets de conquête, sans cesse renaissants, avaient fini par lasser cette noblesse chypriote, brave encore, mais dégénérée et sensuelle, capable dans un moment critique de quelques généreux efforts, mais trop effeminée au sein des richesses pour supporter ces longues guerres qu'avaient autrefois soutenues les chevaliers du vieux sire de Beyrouth et de Philippe de Navarre. Pendant l'absence du prince des mécontentements s'étaient manifestés parmi la noblesse; les propres frères du roi, le prince d'Antioche lui-même, qui avait sauvé Gorhigos, le prince Jacques, son compagnon d'armes en Egypte et en Syrie, n'avaient pas caché les dissentiments qui les divisaient souvent. Les violences auxquelles Pierre s'abandonna à l'occasion de circonstances fâcheuses qui avaient compromis la réputation de la reine, hâtèrent le dénodment d'un complot dont la pensée remontait peut-être à l'expédition de Satalie. Le 16 janvier 1369, deux mois après son arrivée d'Oc cident, il périssait assassiné par les seigneurs de sa cour (1). »

REGNE DE PIERRE II (16 janvier 1369-17 octobre 1382). — Jean, prince de Galilée, frère du roi, l'auteur ou le principal complice de la conspiration qui avait mis fin à ses jours, s'empara aussitôt du pouvoir, et l'exerça au nom du jeune roi Pierre II, malgré les réclamations de la reine-mère, Eléonore à qui la tutelle de son fils avait été déférée (2). Après le meurtre de Pierre, le royaume

(1) Biblioth, de l'École des Chartes, 2a série, t. I, p. 521.

(2) Loredano, Histoire des Rois de Chypre, t. II, p. 4, liv. VIII; Bibliothèque de l'École des Chartes, 2o série, t. II, p. 121, 3o article de M. de Mas-Latrie.

des Lusignans se trouvait dans la situation la plus critique: un roi en bas âge, des oncles ambitieux, une reine-mere turbulente, des partis au dedans, de nombreux ennemis au dehors, les anciennes guerres avec les musulmans, des luttes nouvelles avec une puissante ville de la chrétiente, telles sont les tâcheuses circonstances produites ou aggravées par la mort de Pierre ler, qui arrêtent la prospérité du royaume de Chypre et le précipitent vers sa décadence.

D'abord il fallut renoncer aux projets d'agrandissement en Asie Mineure, dont l'execution avait commence sous le regue precedent d'une manière si brillante. L'Arménie fut abandonnée, et on laissa le roi Léon V, nouvellement élu, défendre ses dernières forteresses avec la seule assistance des chevaliers de Rhodes. Il fut même impossible de garder Satalie, la plus belle conquête du brave Pierre Ir. L'émir Tacca, qui était devenu seigneur de Candelore ou Alaïa, entretenait des intelligences secrètes avec les musulmans restes dans la ville. Un homme devoué à l'émir, accueilli par le capitaine de Satalie, qu'il trompa en recevant le baptême, convint avec quelques Turcs de livrer une porte à Tacca, qui, survenant au jour fixé, se vit bientôt maître de quatorze tours. Toutefois, il fut repoussé; mais la ville resta bloquée par l'armée de l'emir, qui occupait la campagne. Ce n'etait pas seule ment contre les musulmans que la cour de Nicosie avait à combattre pour la défense de cette importante possession: les Genois, avec cet égoïsme qui caractérise toutes les puissances commerciales, s'étaient proposé de profiter de la faiblesse du gouvernement de Pierre II; en même temps qu'ils I attaquaient dans ses propres États, ils interceptaient les communications entre Chypre et Satalie, pour augmenter la detresse de cette cité, et en obtenir la cession comme prix d'un accommodement. Mais leurs calculs furent déjoués; car le roi, exasperé par leur conduite violente et perfide, plutôt que de satisfaire leur avide ambition en leur ouvrant une place forte si rapprochée de ses Etats, préféra la rendre aux Turcs. Le 14 mai 1373 la ville de Satalie fut evacuée par la garnison chypriote, et la ban

Je Livraison. (ILE DE CHYPRE. )

nière de l'islamisme flotta de nouveau sur ces remparts où douze ans auparavant le victorieux Pierre er avait arbore l'étendard de la croix. Ces douze années avaient bien changé l'état de l'ile de Chypre. « En 1361 le royaume était au comble de la prospérité et de la force : il tenait en respect l'Egypte et la Syrie, il secourait l'Arménie, il imposait des tributs aux émirs de l'Asie Mineure, il n'avait en Occident que des allies ou des amis; en 1373 de tous les ports des musulmans qui l'entouraient il pouvait craindre une attaque, et du côté de l'Italie la guerre était imminente (1). »

En effet, les Génois, toujours en rivalité de commerce avec Venise, et voulant acquérir dans le Levant une place de commerce d'où ils pussent faire concurrence au comptoir venitien de Beyrouth, avaient provoqué dans Famagouste une collision qui entretenait des hostilités aussi funestes qu'un état de guerre déclare. C'était en 1372, pendant le couronnement du jeune roi, à la suite d'une querelle de préséance entre les consuls de Venise et de Gènes, que la bonne intelligence avait éte troublee entre le gouvernement des Lusignans et celui des Génois. Dans la rupture, comme dans le cours des hostilités, tous les torts furent constamment du côté de ces avides marchands que l'amour du lucre entraîna dans tous les exces de la perfidie et de la violence. En vain le pape Grégoire XI, fidèle à la politique ordinaire du saint-siége, essaya-t-il d'amener les Génois à un accommodement. Ceux-ci, qui ne s'étaient point engagés dans une telle entreprise pour reculer devant les représentations d'un vieillard désarmé, parurent sur les côtes de Chypre avec une flotte considerable, conduite par Grégoire Frégose, frère du doge de Gènes, et débarquèrent à Limisso au mois de juin de l'an 1373. Apres avoir traverse l'ile, et ravage les environs de Nicosie, Fregose investit la ville de Famagouste, et s'en empara par un stratageine, au mois d'octobre de la même année (2). La ville fut livrée pendant trois jours a la fureur de la soldatesque, qui la maltraita horri

(1) Biblioth. de l'École des Chartes, 2o serie, t. II, p. 123.

(2) Vov. Loredano, II, p. 41.

blement, et pilla tout, même les richesses des églises. Puis après s'être emparé, par une indigne trahison, de la personne du roi Pierre II, Frégose marcha sur Nicosie, l'occupa huit jours, la livra comme Famagouste à toutes les horreurs du pillage, et, ne pouvant obtenir du jeune roi prisonnier qu'il lui fit ouvrir les forteresses de Cerines et de Dieu-d'Amour, il poussa la brutalité jusqu'à le souffleter de sa propre main. Le malheureux roi, outragé, dépouillé de ses États, fut contraint de consentir à une paix humiliante et de livrer au vindicatif Frégose son oncle le connétable de Chypre, qui fut emmené prisonnier à Gènes. En se retirant de l'île de Chypre, 1374, Frégose rendit la liberté au roi; mais le royaume ne se remit jamais du coup qui lui avait été porté : la flotte était anéantie, l'armée dispersee, les revenus engagés par les tributs enormes qu'exigèrent les Génois avant d'évacuer toutes les places dont ils s'étaient emparés, excepté Famagouste.

Dans cet état de misère et de délabrement, le royaume des Lusignans serait devenu la proie de quelqu'un des émirs de l'Asie Mineure, et surtout de Tacca, le plus acharné à sa ruine, si la crainte des chevaliers de Rhodes d'un côté, et des sultans ottomans de Brousse de l'autre, n'eût préoccupé ces émirs du soin de leur propre défense. Le royaume de Chypre vécut encore un siècle, parce que personne ne se présenta pour lui donner le coup de mort. Aux misères publiques se joignent à cette époque les désordres et les crimes des princes de la famille royale. La reine Éléonore faisait assassiner le prince Jean, oucle du roi, qui laissa tuer volontiers le meurtrier de son père. La dépravation des mœurs avait fait d'effrayants progrès, et rappelait celle des temps anciens. L'exemple des nombreux assassinats commis à la cour avait répandu de tous côtés l'habitude du meurtre, et on ne se faisait plus justice que par le poignard (1). Faible au dehors, méprisé au dedans, Pierre II crut se rele ver et s'affermir en épousant Valentine Visconti, fille de Jean Galéas Ier, duc de

(1) Voy. l'histoire de Tibat dans Loredano, t. II, p. 84, et Biblioth, de l'École des Chartes, t. II, p. 125, 2o série.

Milan, qui avait fondé dans l'Italie septentrionale un puissant État, et dont il espérait se faire un appui contre les Génois. Ce mariage augmenta encore les troubles de la famille royale. Eléonore et Valentine devinrent ennemies mortelles, comme il arrive souvent entre bru et belle-mère; et, après les plus violentes querelles, la reine mère céda la place à la jeune princesse, et se retira en Aragon. Pierre II commençait à espérer qu'il allait enfin trouver la tranquillité dans son palais, lorsqu'il fut atteint d'une maladie qui l'emporta en quatre mois, à l'âge de vingt-six ans. Il en avait régné onze. Il ne laissait pas d'enfants, et fit héritière de tous ses biens sa sœur Marie, femme de Jacques de Lusignan, comte de Tripoli.

REGNE DE JACQUES Ier (1382-20 septembre 1398). - Après la mort du roi, il fut longtemps délibéré dans l'assemblée de la haute cour sur l'élection de son successeur. Deux partis étaient en présence; l'un reconnaissait les droits de la sœur du feu roi, et voulait mettre la couronne sur la tête de son époux, Jacques de Lusignan, comte de Tripoli; l'autre soutenait les prétentions plus fondées du connétable, oncle du roi, dont on n'osait contester les droits que parce qu'il était encore retenu prisonnier à Gènes. Enfin la jeune reine Valentine Visconti avait aussi ses partisans, qui espéraient faire tourner à son avantage le conflit suscité entre les héritiers du nom de Lusignan. Mais leurs intrigues furent dejouees; et la haute cour proclama roi Jacques 1, ancien connétable de Chypre, à qui les Genois permirent d'aller prendre possession de son royaume, moyennant un traité avantageux. Les principales conditions de ce traité furent que les Génois retiendraient la ville de Famagouste et deux lieues de pays aux environs, avec les gabelles de la mer pour cent mille ducats, qu'ils auraient le droit d'exercer toutes sortes d'arts dans toute l'île, et qu'ils jouiraient de tous les privileges qui étaient accordes aux Chypriotes. Jacques Ier, pressé d'aller jouir du titre de roi, consentit à ce traité, qui le forçait à partager son royaume avec la république de Gènes (1).

(1) Loredano, l. IX, t. II, p. 108.

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