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joie de tous les habitants de l'ile de Rhodes. Seul, d'Amaral en conçut un violent chagrin : il jura de se venger des refus de l'ordre, et dans les premiers transports de sa colère il lui échappa de dire que l'Ile-Adam serait le dernier grand maître qui régnerait à Rhodes.

Cette sinistre prédiction ne devait être que trop tôt réalisée. Villiers de l'IleAdam s'était hâté de prendre congé de François Ier et de gagner sa capitale. Après une traversée où il faillit périr plusieurs fois, par le feu, par la tempête, et par les embûches de l'amiral turc Kourdoghli, il arriva à Rhodes, le 19 septembre 1521. Cependant Solinian, successeur de Selim, venait d'inaugurer son règne, le plus glorieux de la dynastie ottomane par la conquête de Belgrade, devant laquelle Mahomet II avait échoué autrefois. Après avoir renversé un des remparts de la chrétienté, Soliman résolut décidément d'attaquer l'autre, c'est-à-dire de s'emparer de Rhodes, qui tenait en échec la puissance musulmane sur mer et en Asie. Jamais les circonstances n'avaient été si favorables à l'exécution d'un pareil projet (1). CharlesQuint et François Ier partageaient et épuisaient l'Europe par leur rivalité politique. L'unité religieuse de la chrétienté venait d'être brisée par l'explosion de la réforme luthérienne. Soliman comprenait qu'il pouvait tout oser contre les Etats chrétiens, et qu'il n'avait rien à en craindre. Il avait pris Belgrade, et il s'etait ainsi ouvert la Hongrie, que la minorité de Louis II livrait sans defense à ses armes; il lui restait à prendre Rhodes, pour dominer dans l'Archipel et assurer de libres et faciles communications entre Constantinople et les deux provinces récemment conquises par Sélim, la Syrie et l'Égypte. Indépendamment de ces raisons, qui étaient plus que suffisantes pour entraîner Soliman, il était encore poussé à la guerre par les exhortations de son vizir Moustapha, de son grand amiral Kourdoghli, qui échauffaient son ambition et son amour de la gloire. Enfin à tous ces motifs s'ajoutaient aussi les communications de deux traîtres, un docteur juif et le vindicatif André d'Amaral,

(1) De Hammer, Histoire de l'Empire Ottoman, t. V, p. 25 à 43.

12e Livraison. (ILE DE RHODES.}

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qui lui démontraient l'opportunité d'une attaque contre Rhodes, en lui représentant cette place comme mal approvisionnée et démantelée en plusieurs endroits.

L'expédition fut donc résolue; mais avant de commencer les hostilités, Soliman, pour accomplir la formalité prescrite par le Coran, envoya au grand maître une lettre dans laquelle il le sommait de se rendre, et jurait comme à l'ordinaire, par le Créateur du ciel et de la terre, par Mahomet, son prophète, par les autres cent vingt-quatre mille prophètes de Dieu, et par les quatre livres sacrés envoyés du ciel, qu'il respecterait, dans le cas d'une soumission volontaire, la liberté et les biens des chevaliers (1). Peu de temps après, la capture d'un brigantin de Rhodes par un navire ture donna le signal des hostilités. Le 18 juin 1522 la flotte ottomane, forte de trois cents voiles, sortit du port de Constantinople et se dirigea sur Rhodes. Elle portait une immense quantité de provisions, et elle avait à bord dix mille soldats de marine, sous les ordres du vizir Moustapha, nommé séraskier de l'expédition. Cependant l'armée de terre, commandée par Soliman lui-même, et forte de cent mille hommes, marchait à travers l'Asie vers le golfe de Marmaris (l'ancien Phiscus). Après une traversée heureuse, la flotte commença son débarquement dans la baie de Parembolus, près de la ville de Rhodes, le jour de la Saint-Jean, patron de l'ordre des Hospitaliers. Un mois se passa à débarquer les troupes, les provisions et l'artillerie, à dresser un camp et à attendre le sultan, à qui le séraskier ne pouvait enlever l'honneur d'ouvrir lui-même le siége. Le 28 juillet 1522 Soliman quittait Marmaris et débarquait à Rhodes, au milieu des salves de l'artillerie de siége, composée de plus de cent bouches à feu. On y remarquait douze énormes canons, dont deux lançaient des boulets de onze à douze palmes de circonférence (2). On en retrouve encore

(1) Vertot, Hist. des Cheval, de Saint-Jean, t. II, p. 456. M. de Hammer regarde cette lettre comme la seule authentique. Tout le reste de la correspondance entre Soliman et Villiers de l'Ile-Adam lui paraît supposé. Voy. t. V, p. 416, not. 15.

(2) « J'ai moi-même mesuré, dit M. de

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quelques-uns dans les murs et dans l'enceinte de la forteresse.

Le grand maître n'avait pu s'opposer au débarquement des Turcs. Abandonné par les princes chrétiens, réduit aux ressources de son ordre, il n'avait pu réunir que quatre mille cinq cents soldats et six cents chevaliers. Toutefois, pour ne laisser aucune ressource à l'ennemi, il avait fait incendier les villages, il avait abattu tous les édifices extérieurs et reçu dans la ville tous les habitants des campagnes pour les employer à la réparation des brèches. Les Grecs de Rhodes et des îles s'étaient attachés à la domination des chevaliers, et en général ils leur restèrent fidèles, malgré les avances et les séductions de Soliman (1). Quant aux chevaliers, enflammés par le dévouement, le courage et la piété du grand maître, ils se montrèrent tous disposés à le seconder jusqu'au dernier soupir. L'Ile-Adam distribua à différentes langues de l'ordre la défense des sept bastions de la ville. Lui-même se plaça à la Porte des Vainqueurs, près de l'église de Sainte-Marie de la Victoire. Cette porte était au nord de la ville, à l'opposite du port Mandraccio et de celui des Galères; à gauche de cette porte était le bastion de la langue allemande, puis la porte d'Amboise et le bastion de la langue espagnole; à droite, les bastions des langues d'Auvergne et de France. Ces quatre bastions défendaient la partie nord de la ville. A l'est, où se portaient principalement les attaques des assiégeants, s'élevait le bastion de la langue anglaise. Les murs, au sud de la ville, étaient confiés aux chevaliers de Provence et d'Italie; ceux de la langue portugaise avaient la défense de la porte maritime. Guyot de Castellane, vieux bailli provençal, eut la garde de la forte tour de Saint-Nicolas, avec vingt chevaliers et six cents soldats. De fortes chaînes et la tour Saint-Michel complétaient la défense du port.

Les Ottomans enveloppèrent la ville du nord au sud dans l'ordre suivant : à l'aile droite en face des bastions des lan

Hammer, plusieurs de ces boulets pour m'assurer de l'exactitude de l'assertion des historiens du temps. » T. V, p. 416, not. 18.

(1) Voy. Vertot, 1. VIII, t. II, p. 458.

gues française et allemande était placé Ayaz-Pacha, béglerbey de Roumélie, et à ses côtés, en face des bastions d'Espagne et d'Auvergne, le troisième vizir, Achmet-Pacha. Au centre, et parallèlement au bastion de la langue anglaise, se trouvaient le séraskier et le second vizir, Moustapha-Pacha. Le camp du sultan fut établi devant la position de Moustapha, sur la colline de Saint-Côme et de Saint-Damien, et près de la chapelle de la Vierge d'Elemonitra. Au sud-est de la ville, c'est-à-dire à l'aile gauche de l'armée assiégeante, Kasimbeg, béglerbey d'Anatolie, devait conduire l'attaque contre le bastion de la langue de Provence, et plus loin encore, à l'extrémité de cette même aile gauche, le grand vizir, Piri-Pacha, était opposé aux chevaliers d'Italie.

Le 1er août le béglerbey de Roumélie ouvrit le siége en attaquant le poste des chevaliers allemands, que commandait Christophe de Waldner. Vingt et un canons foudroyaient le bastion allemand et vingt-deux la tour de Saint-Nicolas. Quatorze batteries de trois canons chacune étaient dirigées contre les bastions d'Espagne et d'Angleterre, et dix-sept autres semblables contre le bastion d'Italie. Les assiégeants et les assiégés employèrent le mois d'août en travaux de mines et de contre-mines. Malgré le grand nombre de bras dont pouvait disposer l'ennemi, les travaux de la défense conservaient l'avantage, grâce à l'habileté de l'ingénieur vénitien Gabriel Martinengo, que, d'après l'avis du chevalier de Bosio, le grand maître avait fait venir de l'île de Candie. A peine arrivé à Rhodes, Martinengo s'était enflammé au contact de l'enthousiasme guerrier et religieux qui animait les chevaliers, et il s'était enrôlé dans cette milice sacrée, dont il fut un des plus vaillants défenseurs. La bravoure héroïque du grand maître et les talents de Martinengo firent échouer toutes les premières tentatives de l'ennemi.

Le 4 septembre deux mines renversèrent une partie du bastion anglais. Plusieurs bataillons de janissaires s'élancèrent sur la brèche ; et déjà ils gagnaient le sommet de la muraille et ils y plantaient leurs étendards. Mais le grand maître accourut l'étendard de la croix

déployé, et les força à se retirer apres une perte de près de deux mille hommes. Un second assaut, livré six jours plus tard par les Turcs, leur fit éprouver une perte aussi forte; les assiégeants n'eurent que trente hommes tués, parmi lesquels le géneral de l'artillerie et le porte-drapeau du grand maître. Le 13 septembre, à la suite d'une première attaque, les Turcs forcerent le bastion anglais, sur lequel ils arborerent cinq drapeaux. Le commandeur Waldner les arrêta, et le grand maître acheva leur défaite. Quelques jours après le docteur juif qui trahissait l'ordre et correspondait avec le camp ottoman, surpris au moment où il allait lancer à l'ennemi une lettre au moyen d'une flèche, fut écartelé.

Jusque là il n'y avait eu que des assauts partiels; mais le 24 septembre on annonça une attaque générale sur toute la ligne des fortifications. Depuis midi jusqu'à minuit, des hérauts parcoururent le camp en criant : « Demain il y aura assaut; la pierre et le territoire sont au Padischah, le sang et les biens des habitants sont le butin des vainqueurs.» Au point du jour les Ottomans se portèrent au nord, à l'est et au sud de la ville; cependant leurs efforts se concentrèrent surtout contre les bastions des langues anglaise et espagnole; l'aga des janissaires parvint même à surprendre ce dernier bastion et à y planter son drapeau. Mais ce triomphe he fut que de courte durée: le grand maître qui avait déjà repoussé l'attaque du bastion anglais, engagea avec les janissaires un combat acharné. Les Tures furent repoussés de toutes parts, laissant quinze mille des leurs sur la brèche et dans les fossés. Dans cet assaut, le plus terrible de tous ceux qui se livrèrent pendant le cours du siége, toute la population de l'île seconda bravement la valeur des chevaliers. Les femmes elles-mêmes prirent une part glorieuse au succès de cette sanglante journée. Sans s'effrayer des cris, du tumulte et du carnage, elles portaient les unes des munitions et des rafraîchissements aux guerriers qui combattaient sans relâche, les autres de la terre pour en remplir les brèches, et des pierres pour les jeter sur les assaillants.

Le sultan, irrité du mauvais succes de cette entreprise, s'en prit au béglerbey de Roumélie, Ayaz-Pacha. Il le deposa, et le fit emprisonner; mais il le rendit a la liberté et à ses fonctions dès le lendemain (1). Il songeait, dit-on, à lever le siége, lorsqu'un transfuge, envoyé peutêtre par d'Amaral, vint lui faire sur la situation déplorable de la ville des revelations qui déterminerent Soliman a persévérer. Le 12 octobre, à la pointe du jour, Achmet-Pacha, qui avait remplace Moustapha dans la direction du siége, tenta de surprendre le bastion anglais; les remparts étaient déjà au pouvoir des Turcs, lorsque l'aga des janissaires fut blessé et ses soldats forces de battre en retraite. Vers la fin du même mois, un nouvel assaut fut tente contre les bastions d'Italie et de Provence, d'où les assiégeants furent repousses apres un combat meurtrier. Cependant Martinengo avait été gravement blessé, et pendant les trente-quatre jours que dura sa maladie l'Ile-Adam veilla seul à toutes les opérations de la defense, ne prenant plus de repos qu'entièrement armé, et paraissant devenu, ainsi que ses chevaliers, insensible à la fatigue comme aux dangers.

Sur ces entrefaites la trahison de d'Amaral fut découverte. Son domestique Blaise Diez, fut surpris en communication avec l'ennemi. On le mit à la question, et il révéla toutes les intelligences de son maître avec les Turcs. Un prêtre grec, chapelain de l'ordre, confirma sa déposition. D'Amaral, confronté avec ses deux accusateurs, nia tous les faits qui lui étaient imputés, et la torture ne lui arracha aucun aveu. Mais la conviction des juges résista à toutes ses dénégations, et d'Amaral fut condammé à mort avec son valet. Avant l'exécution, il fut dégradé dans l'église de SaintJean, en présence de tout l'ordre assem

(1) Voir le Journal de l'expédition de Soliman contre l'ile de Rhodes, dans Hammer, t. V, p. 421. Cette arrestation, ajoute l'historien, a donné naissance à la fable que Bourbon, et d'après lui Bosio, Vertot, Knolles, Mézeray, Sagredo, Mignot et Alix ont rapportée au sujet de Moustafa-Pacha que le sultan aurait fait mourir à coups de flèches. De Hammer, t. V, not. 22.

blé conduit ensuite sur la grande place de l'ordre, il y subit la mort avec fermeté. Bourbon, Fontanus, tous les historiens de l'ordre, ont flétri la mémoire du grand chancelier d'Amaral. Cependant Vertot remarque qu'on ne l'aurait pas traité si rigoureusement, si quand il s'agit du salut public le seul soupçon n'était pas pour ainsi dire un crime que la politique ne pardonne guère (1). (30 octobre 1522.)

La plus grande partie du mois de novembre se passa en travaux et en engagements partiels, qui ajoutaient toujours à la faiblesse des chevaliers et aux progrès des Turcs. Le 23 novembre un nouvel assaut donné au bastion d'Italie coûta aux Ottomans cinq cents hommes sans aucun résultat. Le 30, jour de SaintAndré, les bastions d'Espagne et d'Italie furent impétueusement assaillis par les Ottomans. Les chevaliers, exténués de fatigue, plièrent d'abord, et l'ennemi se répandait dans les retranchements. Jamais Rhodes ne s'était vue si près de succomber. A l'instant toutes les cloches sonnent l'alarme, de tous côtés on voit accourir chevaliers, bourgeois, paysans les Turcs sont arrêtés; la brèche est reconquise; la pluie qui tombe par torrents entraîne les ouvrages des Musulmans. Ils se dispersent tous en laissant trois mille des leurs sur le champ de bataille.

Cette nouvelle perte détermina le séraskier à ne plus tenter d'attaques ouvertes et à se réduire aux tranchées et aux mines. Le siége avait coûté à Soliman environ cent mille hommes, dont la moitié avait péri les armes à la main, l'autre moitié par suite de maladies. Malgré ces pertes immenses, l'armée du sultan se trouvait toujours recrutée, tandis que chaque jour la mort faisait dans les rangs des défenseurs de l'ordre des vides irréparables. Aussi Soliman, sachanties chevaliers réduits à la dernière extrémité, et croyant leur courage abattu, fit proposer le 10 décembre une entrevue au grand maître, et offrit une capitulation honorable, sous la condition de rendre la ville dans le délai de trois jours. La reddition de la place avait déjà été résolue dans le chapitre des grands-croix de

(1) Vertot, Hist. de l'Ordre, etc., c. II, 503.

l'ordre, et dans celui où chaque langue était réprésentée par deux chevaliers. Cependant cette résolution, blâmée vivement par les plus intrépides, fut révoquée, et l'on fit demander à Soliman un délai plus long que celui qu'il proposait. Pour toute réponse Soliman ordonna à ses généraux de recommencer le siége (18 décembre). Mais il avait réussi par des négociations à jeter la division dans la ville; les populations grecques, fatiguées du siége, effrayées des menaces des Turcs, séduites par l'espoir d'une capitulation, se détachent des chevaliers, qui, réduits à eux-mêmes, sans munitions et presque sans vivres, se virent enfin dans l'impossibilité de prolonger plus longtemps leur résistance. D'abord Villiers de l'Isle-Adam, ne pouvant se résigner à l'aveu de sa défaite, osa encore garder une attitude supérieure à sa fortune. Il envoya au séraskier l'écrit par lequel Bajazet II avait jadis garanti au grand maître Pierre d'Aubusson la libre possession de Rhodes, en son nom et en celui de ses descendants. Dès qu'il vit cette pièce entre ses mains, Achmet-Pacha la déchira et la foula aux pieds, et il répondit au grand maître une lettre pleine de grossières injures. Bientôt Villiers de l'Isle-Adam, réduit à la dernière extrémité, se vit contraint à changer de langage, et il députa à Soliman un chevalier et deux bourgeois de la ville pour négocier la reddition de Rhodes (22 décembre). La capitulation fut aussi honorable que pouvaient l'espérer des vaincus. Elle portait que les églises ne seraient point profanées, que l'exercice de la religion chrétienne serait libre, que le peuple serait exempt d'impôts pendant cinq ans, que tous ceux qui voudraient sortir de l'île en auraient la permission, que les chevaliers pourraient se retirer avec tout ce qui leur appartenait en meubles, en armes, reliques et vases sacrés; que tous les forts de Rhodes et des autres îles qui appartenaient à la religion et le château de Saint-Pierre seraient remis aux Turcs; que l'armée ottomane s'éloignerait de quelques milles; que l'aga et quatre mille janissaires viendraient seuls prendre possession de la place; enfin que l'ordre donnerait comme otages vingt-cinq chevaliers et vingt-cinq des principaux bourgeois.

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A peine cette capitulation eut-elle été signée de part et d'autre, qu'elle fut violée dans ses clauses principales. Le cinquième jour après la signature, c'està-dire le 25 décembre 1522, les janissaires échappèrent à leurs chefs, et s'approcherent de la ville sans autres armes que des bâtons. Ils forcerent une des portes, pillèrent les maisons des principaux habitants, et commirent toutes sortes d'excès. Leur fureur se déchaîna surtout contre l'église Saint-Jean; ils raclèrent les peintures à fresque représentant les saints, brisèrent les statues, ouvrirent les tombeaux des grands maîtres, renversèrent les autels, traîne rent les crucifix dans la boue, et mirent au pillage les ornements sacrés. Du haut du clocher de l'église Saint-Jean on appela les croyants à la prière. C'était dans la matinée du jour de Noël que s'accomplissait le pillage, au moment même où le pape Adrien d'Utrecht célébrait le service divin dans l'église de SaintPierre; pendant l'office, une pierre, se detachant de la corniche, vint tomber à ses pieds, circonstance qui fut regardée comme le présage de la chute du premier boulevard de la chrétienté (1).

Le lendemain, le 7 du mois de safer, 26 décembre, Villiers de l'Isle-Adam, informé que le sultan désirait le voir, se rendit, malgré sa répugnance, à cette entrevue. Il vint au camp ottoman, accompagné seulement de quelques chevaliers. Comme c'était un jour de divan, il resta longtemps devant la tente de son vainqueur, exposé à la neige et à la pluie, en attendant le moment d'être introduit. Enfin le grand maître, après avoir été revêtu d'un kaftan d'honneur, fut conduit en présence de Souléiman. Ces deux princes, qui étaient arrivés ensemble au pouvoir deux ans auparavant, et qui se trouvaient maintenant face à face dans des positions si diverses, garderent longtemps le silence et s'examinerent réciproquement. Enfin le sultan, prenant la parole, s'efforça de consoler le grand maître de sa défaite en lui représentant que c'était le sort des princes de perdre des villes et des royaumes, et lui renouvela l'assurance d'une libre re

(1) De Hammer, Hist. des Ottomans, t. V, P. 39.

traite. Deux jours après Souléiman, étant allé voir le bastion d'Espagne et la tour de Saint-Nicolas, voulut visiter également Rhodes et le palais du grand maître avant de retourner à son camp. Accompagné seulement d'Achmet-Pacha et d'un jeune esclave, il se rendit au réfectoire des chevaliers, et demanda Villiers de l'Isle-Adam. Achmet-Pacha faisant fonction d'interprète et traduisant les paroles du sultan en grec, assura de nouveau au grand maître que la capitulation serait de tous points strictement exécutée, et lui offrit un terme plus long pour l'évacuation de Rhodes. Le grand maître remercia le sultan, et se borna a lui demander de rester fidele aux clauses du traité. Le 1er janvier 1523, le grand maître, avant de s'éloigner, vint baiser la main du sultan, et lui offrit quatre vases d'or. « Ce n'est pas sans en être peiné moi-même, dit Souleiman à son favori Ibrahim, que je force ce chrétien a abandonner dans sa vieillesse sa maison et ses biens (1). » Après cette dernière entrevue le grand maître et les débris de l'ordre quitterent pour toujours l'île de Rhodes, où les chevaliers de SaintJean-de-Jérusalem régnaient avec tant de gloire depuis près de deux cent vingt ans. Plus de quatre mille habitants de l'ile les accompagnèrent dans leur retraite, et l'escadre se composait de cinquante bâtiments. Leur retour en Europe fut désastreux : battus par de violentes tempêtes, décimés par des maladies après avoir successivement relâché à Candie, à Gallipoli, à Messine, ce ne fut que six mois après qu'ils abordèrent à Civita-Vecchia, le port principal des États de l'Église. Au mois de janvier 1524, Villiers de l'Isle-Adam vint se fixer à Viterbe, que Clément VII, successeur d'Adrien IV, lui assigna pour résidence provisoire. Enfin en 1530 Charles-Quint conclut avec le conseil de l'ordre le traité de Castel-Franco, par lequel il cédait aux chevaliers Malte, Gozzo et Tripoli. Rendu ainsi à sa destination, l'ordre de Saint-Jean prit possession de l'île de Malte au mois d'octobre 1530. Il recommença dans ce nouveau poste sa lutte héroïque avec l'islamisme,

(1) De Hammer, Hist. des Ottomans, t. V, p. 40.

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