Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

manière qu'en même temps les pauvres ont de quoi subsister, et la ville ne manque pas de bras pour ses besoins, surtout pour la marine. » De telles mœurs et de telles institutions témoignent assez du bon sens et de la sagesse de ceux qui gouvernaient cette république, et justifient pleinement cet éloge, si précis et si juste, que Strabon fait des Rhodiens quand il dit de ce peuple: « Le gouvernement des Rhodiens est ami du peuple, mais non pas démocratique (1). »'

Le gouvernement de Rhodes n'avait pas toujours été aristocratique, comme il l'était devenu dans les trois derniers siècles de la liberté grecque, et jusqu'au temps de l'empire romain. Quoique dorienne d'origine, la population de l'ile de Rhodes s'était engagée dans l'alliance d'Athènes. Celle-ci avait placé sous son protectorat tous les États maritimes de la Grèce, et s'était attachée à développer partout les institutions démocratiques. Dans le cours du quatrième siècle avant J.-C., après l'abaissement de la puissance athénienne, la démocratie rhodienne se compromit par ses exces; des démagogues s'emparerent de la confiance du peuple, disposèrent des revenus publics, et excitèrent la multitude contre les grands. Le parti des grands ne se laissa pas intimider; il sut se grouper et s'entendre une coalition se forma entre tous les intérêts menacés ; le pouvoir fut enlevé à la multitude, et, par de nouvelles dispositions, l'influence de l'aristocratie devint prépondérante. Une révolution semblable avait eu lieu à Cos à la même époque (2), ainsi qu'à Chio et à Lesbos, comme le remarque Démosthène, dans son discours De la liberté des Rhodiens. Ce fut au milieu de ces changements que le Rhodien Hégesiloque entreprit d'assujettir sa patrie, avec le secours de Mausole roi de Carie, et qu'il parvint à occuper quelque temps le pouvoir, jusqu'au moment où ses vices et son ivrognerie le rendirent si méprisable aux yeux des Rhodiens, qu'ils le chassèrent (3). Sortie

(1) Voici la phrase de Strabon, qui est d'une précision presque intraduisible: Anμοκηδεῖς δ ̓ εἰσὶν οἱ Ρόδιοι, καίπερ οὐ δημοκρατούμενοι; Ι. XIV, c. II.

(2) Aristot., Polit., 1. V, c. 11, c. v. (3) Meursius, Rhod., I, 19.

enfin de cette crise, qui faillit être fatale à sa liberté, Rhodes vit s'affermir ce régime aristocratique qui devait lui assurer encore une nouvelle période de prospérité et de grandeur, et qui était en vigueur au temps de Polybe, dont les récits nous en montrent l'action et les ressorts.

Toutes les grandes questions d'intérêt public, les alliances, la paix ou la guerre étaient décidées à la pluralité des suffrages dans l'assemblée du peuple, dont la composition nous est inconnue et dont le lieu de séance était ordinairement le théâtre (1). Les premiers magistrats de la république étaient les prytanes, qui étaient nommés par l'assemblée du peuple, pour six mois seulement, mais que l'on pouvait proroger dans leurs fonctions. La prytanie formait un conseil de plusieurs membres; elle se réunissait dans un édifice appelé le prytanée, qui paraît avoir été le chef-lieu de l'Etat, et où étaient déposées les archives (2). Plutarque compare les prytanes aux généraux à Athenes et aux béotarques, ce qui prouve qu'ils réunissaient aux attributions politiques à l'intérieur le commandement des armées, comme les consuls romains. C'étaient les prytanes qui présidaient les assemblées publiques et qui en dirigeaient les délibérations. Ce n'est qu'au temps de Dinon et de Polyarate qu'on voit l'influence leur échapper, et passer aux mains des chefs du parti populaire, qui repoussait l'alliance avec les Romains. Un mot d'Hesychius nous révèle l'existence d'un sénat dont les membres auraient porté le nom de Maotpot (3), mais il n'en est fait mention nulle part ailleurs, et le silence de Polybe à ce sujet autorise à conjecturer que ce corps avait peu d'importance politique, ou qu'il ne fut qu'une institution temporaire. Les fonctions les plus im

(1) Polyb., XVI, 15, 8; XXIX, 4, 4. Cette circonstance nous montre que l'assemblée devait être assez restreinte. Cependant Polybe ne l'appelle pas seulement ỏ duos, mais aussi To Años, la foule, la multitude. Après tout, la valeur de ce terme n'est toujours que relative.

(2) Polyb., XXV, 23, 4; XXVII, 6, 2; (3) Meurs., Rhod., p. 65: Mástроι парà Ῥοδίοις βουλευτήρες,

portantes à Rhodes, après la charge de prytane, étaient celles d'amiral et d'ambassadeur (ναύαρχος, πρεσβευτής), que l'on voit souvent réunies dans les mêmes mains. Ainsi Théétète et Rodophon, qui commandaient la flotte, furent aussi députés au sénat par un décret du peuple, qui voulait par là, dit Polybe, éviter l'éclat d'une vaine ambassade. D'ailleurs une loi spéciale conférait au navarque le droit de négocier (1).

CARACTÈRE, MOEURS, COUTUMES DES RHODIens. Ce qui nous paraît distinguer la constitution rhodienne de celle des autres cités doriennes gouvernées comme elle aristocratiquement, c'est la forte organisation du pouvoir exécutif, c'est-à-dire l'importance des grandes magistratures, qui eurent toujours réellement, sans entrave et sans contrôle, la direction des affaires publiques. Au reste, ce n'est pas seulement à la forme de son gouvernement que Rhodes a dû la conservation de sa prospérité et de son importance politique. Un peuple ne se soutient pas uniquement par sa constitution et par ses lois, mais beaucoup plus par son caractère, ses bonnes mœurs et par les hommes qu'il produit. Aussi est-ce une vérité de tous les temps et de tous les pays, trop méconnue des cités et des nations qui tombent en décadence, celle que le poëte latin a exprimée par ce beau vers :

Moribus antiquis stat res romana virisque! L'histoire de Rhodes nous montre un

peuple industrieux, patient, laborieux, brave, constant dans ses alliances, fidèle, sûr, commode à tous les étrangers, très-appliqué aux arts utiles du com merce et de la navigation, aimant à s'enrichir, mais non à vivre dans l'oisiveté, et à la tête de ce peuple d'habiles hommes d'État, de courageux marins, de prudents ambassadeurs, sortis la plupart de familles enrichies par le commerce et où la pratique des grandes affaires se transmettait par la nature et l'éducation. En faut-il davantage pour comprendre comment Rhodes est devenue une cité aussi célèbre et aussi puissante, et comment cette petite île s'est élevée par la vertu de son peuple au-dessus de

(1) Polyb., XXX, 55; XVII, 1, 4.

ses moyens (1)? Au premier siècle de l'empire romain Rhodes résistait encore à cette corruption qui avait dissous les mœurs de l'ancienne Grèce, et elle conservait les coutumes d'autrefois. Les Rhodiens portaient toujours la longue chevelure; ils marchaient gravement dans les rues. « Vous connaissez les Rhodiens, dit Dion Chrysostôme (2), ce peuple qui vit auprès de vous en liberté et en une tranquillité parfaite : il est inconvenant chez eux de courir par les rues de la ville, et ils ne permettent pas même aux étrangers de le faire. » Au théâtre même gravité : ils écoutaient en silence et sans applaudir, et le silence était un signe de satisfaction. Dion loue encore leur convenance, leur sobriété, leur simplicité dans les repas. Ils avaient aussi de l'éloignement pour le luxe des vêtements, et ne souffraient que l'usage de bandes de pourpre trèsétroites et qui auraient passé pour ridicules ailleurs. «< Enfin, ajoute Dion, toutes ces choses vous rendent une cité vénérable, et vous placent au-dessus de toutes les autres villes; c'est là ce qui vous fait admirer et chérir, et votre cité brille plus par la conservation des antiques mœurs grecques que par la beauté de ses ports, de ses murs et de ses arsenaux (3). »

[blocks in formation]

(1) Barthélem., Anach., c. LXXI. Voyez l'éloge fait par Tacite des mœurs de la cité grecque de Marseille, Vie d' Agricola, c. iv. Un peuple commerçant ne prospère qu'à la condition d'être tel que furent Rhodes et Marseille.

(2) Ap. Meurs., Rhod.,
P. 66.

(3) On trouve épars çà et là dans Plutarque, Anacréon et Juvénal quelques traits de satire contre les vices et les travers des Rhodiens; mais ils ne peuvent détruire le témoignage de toute l'histoire en faveur du caractère et des mœurs de ce peuple. Voy. Meursius, loc. cit.

la barbe et les cheveux longs. La se conde loi est admirable, et ne peut avoir été portée que par les plus honnêtes gens du monde: elle ordonnait au fils de payer les dettes de son père, même dans le cas où il aurait renoncé à l'héritage. La troisième était empreinte d'un sentiment rigoureux et peut-être outré de la dignité de l'Etat : elle interdisait au bourreau d'entrer dans la ville. Aussi toutes les exécutions capitales se faisaient hors des murs (1). Ce qu'il y avait de plus célebre dans la législation des Rhodiens, c'était leur code maritime, à la sagesse duquel les Romains rendirent un éclatant hommage en l'adoptant tout entier. « Je suis, il est vrai, disait Antonin, d'après le jurisconsulte Volusius Marcianus, je suis le seigneur du monde, mais ce sont les Rhodiens qui ont écrit la législation des mers. Et cela le divin Auguste l'avait lui-même reconnu. » On lit aussi dans Constantin Herménopule: Toutes les affaires maritimes, tous les différends relatifs à la navigation sont décidés par la loi rhodienne. C'est d'après elle qu'on établit la procédure et qu'on rend les jugements, à moins qu'il n'y ait une loi contraire qui s'y oppose formellement. Les lois des Rhodiens sont le plus ancien de tous les codes maritimes.» On retrouve en grande partie ces règlements sur le commerce et la navigation dans les compilations des jurisconsultes romains et dans les édits et ordonnances des empereurs, qui n'avaient fait que les traduire du grec en latin. C'est en puisant à ces sources que le savant Leunclavius est parvenu à reconstruire le code commercial et maritime des Rhodiens, dont il a donné un recueil divisé en cinquante et un chapitres, la plupart extraits des onze livres du Digeste (2).

(1) Meursius, Rhod., l. I, c. xx1, p. 70. (2) Leunclavius, Juris Græco-Romani, tam Canonis quam Civilis, Tomi duo, in-fol. Francof., 1596. A la fin du t. II, p. 265, se trouve ce recueil des lois rhodiennes, avec le titre suivant: Jus navale Rhodiorum, quod imperatores sacratissimi Tiberius, Hadrianus, Antoninus, Pertinax, Lucius Septimius Severus sanciverunt. C'est un document fort intéressant et le plus complet sur le droit maritime des anciens. Mais les limites de mon travail ne me permettent pas d'en rendre

LES BEAUX-ARTS A RHODES; PEIN TURE; Sculpture. — Les Rhodiens aimaient les beaux-arts. Les richesses qu'ils avaient acquises par une prospérité commerciale non interrompue pendant plusieurs siècles les mirent en état d'embellir leur ville des chefs-d'œuvre des plus grands artistes de la Grèce, dont ils savaient magnifiquement récompenser le talent. Pleins d'amour pour la cite dans laquelle ils vivaient libres et heureux, les Rhodiens s'étaient fait un point d'honneur de lui donner un aspect splendide, en la remplissant de grands et beaux édifices, que la peinture et la sculpture furent appelées à décorer. Il y avait dans la ville de Rhodes, dit Pline l'Ancien, plus de trois mille statues. Les porti ques de ses temples étaient ornès de peintures d'un prix infini, et la possession d'un seul de ses ouvrages, disait le rhéteur Aristide, eût suffi pour rendre une ville illustre. Ce n'est pas que Rhodes ait donné naissance à aucun de ces artistes de premier ordre qui font tant d'honneur au génie grec; mais elle savait dignement apprécier leurs œuvres, elle les attirait dans son sein, et n'épar gnait rien pour se procurer les productions de leur génie.

Protogène, qui vivait à Rhodes au temps du siége de cette ville par Démétrius, était né à Caune en Carie. C'était une ville sujette des Rhodiens, qui, à ce titre et à cause de l'accueil qu'ils firent à son talent, peuvent revendiquer ce peintre comme l'un des leurs. Protogène resta longtemps pauvre et méconnu, Ses compatriotes, qui recherchaient avec tant d'ardeur les tableaux des maîtres étrangers, ne savaient pas apprécier les chefsd'œuvre que Protogene faisait sous leurs yeux. Alors Apelle, qui était dans tout l'éclat de sa gloire, vint à Rhodes (1).

compte. Je me contente de dire, comme Meursius: Illic videat qui volet. Voy. aussi Dapper, Descr., p. 146.

(1) Pline, Hist. Nat., XXXV, 35, 25. Pline abonde en anecdotes sur Apelle et Protogène. C'est lui qui nous a conservé la suivante: A peine débarqué dans l'ile de Rhodes, Apelle courut à l'atelier de Protogene. Celui-ci était absent, mais un grand tableau était disposé sur le chevalet pour être peint, et une vieille femme le gardait. Cette vieille répondit que Protogene était sorti,

Ce grand peintre, qui ne connut jamais la jalousie, et qui fut toujours généreux envers ses rivaux, vint à l'atelier de Protogène, admira son talent, et résolut de forcer les Rhodiens à l'admirer. Il lui demanda combien il vendait les tableaux qu'il venait de terminer: Protogène les mit à un prix très-modique. Apelle en offrit 50 talents (246,000 francs ), et répandit le bruit qu'il les achetait pour les vendre comme siens. Par là il fit comprendre aux Rhodiens le mérite de leur peintre, et il ne leur céda les tableaux qu'après qu'ils y eurent mis un plus haut prix.

Dès lors Protogène eut toute la réputation qu'il méritait, et Apelle put le traiter en égal. Cependant Protogène n'atteignit jamais à la même hauteur que le peintre de Cos, et Apelle exprima un jour lui-même, quoique d'une manière fort délicate, le sentiment qu'il avait de sa supériorité. « Protogène, dit-il, a autant de talent que moi et peut-être plus;

et elle demanda quel était le nom du visiteur : « Le voici » répondit Apelle; et sai sissant un pinceau, il traça sur le tableau une ligne d'une extreme tenuité; Protogène de retour, la vieille lui raconte ce qui s'était passé. L'artiste, ayant contemplé la délicatesse du trait, dit aussitôt qu'Apelle était venu, nul autre n'étant capable de rien faire d'aussi parfait. Lui-même alors dans cette même ligne en traça une encore plus déliée, avec une autre couleur, et sortit en recommandant à la vieille de la faire voir à l'étranger, s'il revenait, et de lui dire : « Voilà celui que vous cherchez. » Ce qu'il avait prévu arriva : Apelle revint, et, honteux d'avoir été surpassé, il refondit les deux lignes avec une troisième couleur, ne laissant plus possible même le trait le plus subtil. Protogène, s'avouant vaincu, vola au port chercher son hote (Pline, ibid., 22, traduction de M. Littré). On garda cette toile sur laquelle les deux artistes avaient lutte d'adresse et de savoir-faire,

et Pline assure l'avoir vue à Rome, où elle était plus regardée que les plus beaux tableaux. On raconte à Rome quelque chose de semblable sur une visite de Michel-Ange à Raphael. Celui-ci travaillait à la décoration de la Farnésine; Michel-Ange vint le voir, et ne le trouvant pas, il crayonna à la hâte une tête dans laquelle Raphael reconnut à l'instant la main de son rival. On voit encore cette tête à la Farnésine, sur le plafond de la salle où se trouve la Galatée,

mais j'ai un avantage sur lui, c'est qu'il ne sait pas ôter la main de dessus un tableau. » Mémorable leçon, ajoute Pline, qui apprend que trop de soin est souvent nuisible. En effet, c'était là le seul défaut de Protogène, de viser à trop finir ses ouvrages, et par là de n'en finir jamais avec eux, ce qui leur ôtait de la grâce et du naturel. Cependant c'était assurément un grand peintre que celui dont Pline raconte que tant qu'il travailla à son tableau d'Ialysus, il ne vécut que de lupins et d'eau, afin de soutenir et d'exciter son talent par l'abstinence. C'est pousser bien loin sans doute l'amour de l'art et le désir de la gloire, mais il n'y a qu'un homme passionné et réellement supérieur qui puisse s'imposer de pareils sacrifices.

Les deux chefs-d'œuvre de Protogène étaient son tableau d'lalysus, et celui qui représentait un satyre appuyé contre une colonne sur laquelle était perchée une perdrix. Quand ce tableau fut exposé aux regards du public, l'oiseau causa une admiration universelle, au point que l'on négligea le satyre, que Protogène avait travaillé avec le plus grand soin. L'enthousiasme s'accrut encore lorsqu'on eut apporté devant ce tableau des perdrix apprivoisées, qui se mirent à chanter dès qu'elles aperçurent la perdrix peinte. Protogène, indigné que l'on oubliât le principal pour admirer l'accessoire, obtint des gardiens du temple où était posé son tableau la permission d'effacer la perdrix, et il l'effaça (1). On sait tout le soin qu'il mit à composer son Ialysus, qui devait être son principal titre de gloire et auquel il travailla sept ans (2). Pour rendre ce tableau plus durable et le défendre des dégradations et de la vétusté, il y mit quatre fois la couleur, afin qu'une couche tombant l'autre lui succédât. C'est pendant qu'il travaillait à ce tableau qu'il arriva à ce peintre, si soigneux et si appliqué, d'obtenir par le hasard un effet que ni son art ni ses efforts n'avaient pu rendre. Il voulait représenter un chien haletant, la gueule blanchie d'écume; il s'y était repris à vingt fois, toujours mécontent de ce qu'il avait fait. Enfin, irrité de son

(1) Strab., I. XIV, c. 11. (2) Cicér., Orat., c, II.

impuissance, il jeta de dépit l'éponge contre le tableau, comme pour l'effacer. Cette brusquerie réussit mieux que tout son travail; l'éponge déposa d'elle-même les couleurs comme il le désirait, et cette fois le hasard reproduisit exactement la nature. Pline cite encore de Protogène un Cydippe, un Tlépolème, le poete tragique Philiscus en méditation, un athlete, le roi Antigone, la mère d'Aristote. Ses derniers ouvrages furent un Alexandre et le dieu Pan. Protogène faisait aussi des figures en bronze. Au temps de Pline le tableau d'lalysus avait été transporté à Rome et consacré dans le temple de la Paix, construit sous Vespasien, et dont on voit encore les ruines imposantes le long de la voie Sacrée. Les Rhodiens possédaient aussi de belles peintures de Zeuxis, d'Apelle et des plus grands maîtres de l'antiquité, et elle n'avait pas été tellement dépouillée par les Romains qu'elle n'eût encore conservé de nombreux œuvres d'art, dont Lucien parle avec admiration.

La ville de Rhodes renfermait une véritable population de statues. Elle en avait encore trois mille à une époque où Rome lui en avait déjà fait perdre quelques-unes. Les Rhodiens avaient en sculpture un goût particulier, plutôt asiatique que grec. Ils aimaient les colosses, et ils en avaient fait élever un grand nombre. Le plus célebre de tous était celui du Soleil, qui avait été coulé en bronze par Charès de Lindos, élève de Lysippe. Ce colosse avait soixantedix coudées de hauteur (1). Charès et

(1) Pline, Hist. Nat., XXXIV, 18, 3. Cf. Meurs., Rhod., p. 41. On a souvent discuté sur l'emplacement occupé par le colosse de Rhodes. On s'est trompe en le mettant à l'entrée du grand port, l'écartement des jambes du colosse ne pouvant être que de trente-cinq à trente-six pieds. D'ailleurs s'il eût été en cet endroit, le tremblement de terre l'eût précipité dans les flots. Son véritable emplacement était en face de l'entrée du port, et devant le bassin des Galeres. Les deux tours qu'on voit au fond du port furent bâties sur les bases qui soutenaient jadis ses jambes écartées, et sous lesquelles passaient les bâtiments que l'on retirait dans un bassin que le grand maitre d'Aubusson fit combler en 1478. Voy. les Monuments de Rhodes du colonel Rottiers, p. 50 et 81.

son disciple Lachès y travaillèrent douze ans; on y dépensa 300 talents (1,476,000 francs), produit des machines de guerre abandonnées par le roi Démétrius, ennuyé de la longueur du siége de Rhodes. Cette statue fut renversée cinquante-six ans après son érection par le tremblement de terre de l'an 282, qui ébranla Rhodes, la Carie et toutes les îles voisines. Tout abattue qu'elle est, dit Pline, elle excite l'admiration : peu d'hommes en embrassent le pouce; les doigts sont plus gros que la plupart des statues. Le vide de ses membres rompus ressemble à de vastes cavernes. Au dedans on voit des pierres énormes, par le poids desquelles l'artiste avait affermi sa statue en l'établissant. Les débris de ce colosse restèrent gisant sur le sol jusqu'au moment où les Arabes s'étant emparés de l'île, l'an 656, ils en vendirent le bronze à un marchand juif, qui y trouva la charge de neuf cents chameaux. Rhodes avait encore, dans l'antiquité, cent autres colosses plus petits, mais dont un seul aurait suffi pour illustrer toute autre ville. On y voyait aussi cinq colosses de dieux faits par Bryaxis. Mais ce qu'il y avait de plus précieux à Rhodes en sculpture, c'était le char du soleil, ouvrage de Lysippe, le seul objet d'art que respecta Cassius, après qu'il se fut emparé de Rhodes.

L'antiquité produisit des artistes trèshabiles à ciseler l'argent. Les plus admirés après Mentor, qui fut le plus grand maître en cet art, étaient Acragas, Boethus et Mys. Au temps de Pline (1) on voyait à Rhodes des morceaux tres-estimés de ces artistes de Boethus, dans le temple de Minerve à Lindos; d'Acragas, dans le temple de Bacchus, à Rhodes, des coupes représentant en ciselures des bacchantes et des centaures, d'autres coupes représentant des chasses; de Mys, dans le même temple de Bacchus, un Silène et des Amours.

LITTÉRATURE; PHILOSOPHIE; ScienCES. La ville de Rhodes fut aussi le centre d'un mouvement intellectuel très

actif et très-fécond. On y cultivait avec ardeur et succès les lettres, les sciences et la philosophie, et elle fut pendant longtemps, selon l'expression de Dap

(1) Pline, Hist. Nat., XXXIII, 55, 1.

« ZurückWeiter »