Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Agésipolis, chef de l'ambassade, lui dit qu'il s'étonnait que Rhodes n'essayât pas d'empêcher la guerre qui venait d'éclater entre Ptolémée et Antiochus, au sujet de la Colé-Syrie, et que ce rôle lui convenait parfaitement. Pourquoi cette insinuation? se demande Polybe. Était-ce par crainte d'Antiochus, avec lequel on voulait éviter toute contestation tant qu'on aurait encore Persée sur les bras, ou pour entraîner les Rhodiens à quelque faute dont on profiterait contre leur liberté ? Il n'est pas facile de le décider, ajoute-t-il; mais je crois la seconde supposition plus vraie, et ce qui se passa peu apres à Rhodes semble la confirmer (1).

En effet, en voyant tous les ménageinents dont on usait à leur égard, les Rhodiens crurent que les Romains avaient peur, et que leurs affaires allaient mal. Encouragés par la résistance inespérée de Persée, qui depuis quatre ans soutenait la guerre sans désavantage, excités par Dinon et Polyarate, dont les discours étaient sans cesse dirigés contre les Romains, après avoir intervenu dans la querelle des rois d'Egypte et de Syrie, ils s'aveuglèrent au point de s'ériger en arbitres entre les Romains et Persée. Les partisans de Rome ne purent arrêter ce mouvement. Les amis de Persée eurent le dessus, ils recurent les ambassadeurs de ce prince et de son allié Gentius, roi d'Illyrie, et firent décider dans l'assemblée du peuple qu'on négocierait un accommodement entre les deux puissances, et qu'on prendrait des mesures pour garantir l'indépendance des villes grecques (2). Une ambassade partit à l'instant pour Rome, afin d'informer le sénat des nouvelles dispositions du peuple rhodien. D'autres députés furent envoyés à Persée et à Gentius, avec des instructions ayant pour but le rétablissement de la paix. On savait à Rome l'objet de l'ambassade rhodienne; on lui fit attendre l'audience du sénat, et elle ne fut reçue qu'après la défaite de Persée à Pydna. Les députés, dont le chef était Agésipolis, dirent qu'ils étaient venus afin de terminer la guerre; que

(1) Polyb., XXVIII, 14.

(2) Polyb., XXIX, 4; Tite-Live, XLIV, 14, 29; XLV, 3.

les Rhodiens avaient résolu d'intervenir, parce que cette lutte, qui traînait en lougueur, était également funeste pour tous les Grecs et pour les Romains, par les depenses qu'elle occasionnait, et que la guerre étant terminée comme les Rhodiens le désiraient, ils n'avaient qu'à témoigner combien ils se rejouissaient avec Rome de cet heureux succes (1). Mais le sénat ne se laissa pas prendre à ces dernières paroles; il répondit aux députés que Rhodes n'avait en vue dans sa conduite ni l'intérêt de la Grèce, ni celui des Romains, mais bien celui de Persée, et on congédia séchement l'ambassade.

Rhodes était tombée dans une disgrâce complete et bien méritée. On ne voulut pas recevoir au sénat la députation envoyée pour féliciter le peuple romain de sa victoire sur la Macédoine; on lui refusa les présents d'usage et le logement dans la Grécostase, en un mot tous les devoirs de l'hospitalité. Le préteur Juventius Thalna excitait le peuple à déclarer la guerre à Rhodes, et il espérait en être chargé. Mais les tribuns Antonius et Pomponius firent repousser cette proposition, et obtinrent que les Rhodiens seraient reçus dans le sénat. Quand il eut obtenu la permission de parler, Astymède, chef de l'ambassade, prononça une longue apologie de la conduite de sa patrie, que Polybe trouve maladroitement composée, bizarre et choquante; car cette défense, dit-il, se composait bien moins d'arguments en faveur des Rhodiens que d'accusations contre autrui (2). Mais le discours d'Astymede ne se trouve pas dans Polybe. On voit

(1) Polyb., XXIX, 7. Tite-Live raconte une première réception de cette ambassade, 1. XLIV, 14, avant la défaite de Persée; mais au livre XLV, ch. 111, il paraît revenir au sentiment de Polybe, qui rejette l'audience après la bataille de Pydna. Le langage qu'il prête aux députés Rhodiens est hors de vraisemblance. Leur démarche était déjà bien assez compromettante par elle-même sans qu'ils y joignissent encore l'insolence do langage. Tite-Live aura puisé ce récit à de mauvaises sources. Le témoignage de Polybe est de beaucoup le meilleur pour tous ces temps, et ordinairement Tite-Live ne fait que le reproduire.

(2) Tite-Live, XLV, 21-26; Polyb., XXX, 4.

dans celui que Tite-Live lui attribue qu'il essayait d'établir que Rome n'avait aucun acte hostile à reprocher aux Rhodiens, que si le langage de l'ambassadeur chargé de proposer au sénat leur médiation a été assez hautain pour déplaire, il serait trop rigoureux de le punir par la ruine entière de la république; que les fautes de Dinon et de Polyarate ne sont pas celles de la cité tout entière; que les Rhodiens sont d'anciens alliés, dont les services peuvent racheter une erreur passagère, et que si Rome veut leur faire la guerre, ils sont bien résolus à ne pas se défendre et à se résigner (1).

Cependant rien n'apaisait le courroux du sénat; mais Caton le censeur prit la parole en faveur des Rhodiens. « On accuse, dit-il, les Rhodiens de se montrer trop orgueilleux. C'est un défaut sans doute, et je serais fâché d'entendre faire ce reproche à moi ou aux miens. Mais que les Rhodiens soient orgueilleux, que vous importe? seriez-vous blessés de voir qu'il y a au monde un peuple plus orgueilleux que vous (2)? Caton était un homme d'une grande éloquence et d'une grande autorité, son discours modifia les dispositions du sénat on se contenta d'abaisser les Rhodiens, on ne les détruisit pas. Quand ils surent qu'on ne les traiterait pas en ennemis, les Rhodiens ressentirent la joie la plus vive; ils votèrent l'envoi d'une couronne de dix mille pieces d'or, qu'ils firent porter à Rome par Théétète, à la fois amiral et ambassadeur. Théétète était chargé de conclure avec les Romains un traité d'alliance. Des liens d'amitié, dit Tite-Live, avaient existé depuis longtemps entre les deux républiques, sans stipulation d'aucun genre, et Rhodes n'avait eu pour s'abstenir de tout engagement d'autre motif

(1) On ne voit pas ce qu'il y a de si bizarre et de si choquant dans ce discours. Il est évident que ce n'est pas l'original dont Polybe fait une si amère critique.

(2) Ce discours de Caton se trouvait en entier dans le cinquième livre de ses Origines. Aulu-Gelle nous en a conservé'de beaux fragments dans un chapitre où il réfute fort sensément la critique de ce discours par Tullius Tiron, affranchi de Cicéron. Aul-Gell., Noct. Att., VII, 3.

que de ne pas ôter aux rois l'espérance d'être secourus par elle au besoin, et de ne pas se priver elle-même des fruits de leur générosité, et d'une part à leur fortune. En ce moment les Rhodiens sentaient le besoin de rechercher formellement l'alliance des Romains non pour se créer un appui vis-à-vis des autres, car ils ne craignaient plus que les Romains, mais pour devenir moins suspects aux Romains eux-mêmes (1).

Le sénat ne se hâta pas de rassurer les Rhodiens par la concession d'une alliance définitive. Il valait mieux prolonger cet état d'incertitude et d'angoisses, pendant lequel Rhodes, toujours tenue dans la crainte du plus grand châtiment, était insensible aux coups dont on la frappait. A toutes les ambassades, à toutes les supplications des Rhodiens, le sénat répondait par des édits de spoliation. Non-seulement on leur enleva la Lycie et la Carie, que Rome leur avait données, mais encore Caune et Stratonicée, qu'ils avaient acquises d'euxmêmes. On frappa leur revenu dans ses principales sources; on leur ôta la perception du péage du marché de Délos; leurs douanes, qui rapportaient un million de drachmes, tombèrent à cent cinquante mille. Enfin, quand on sut que les Rhodiens avaient obéi à tous les ordres du senat, qu'ils avaient condamné à mort les partisans de la Macédoine, on leur accorda le traité d'alliance tant désiré (2) (167 av. J. C.).

Telle fut l'issue de ce fâcheux démêlé des Rhodiens avec Rome, la perte de leurs plus belles possessions sur le continent, l'humiliation de leur cité, et un commencement de sujétion. On pourrait être tenté de plaindre les Rhodiens, mais il ne faut pas les croire dignes d'un meilleur sort. Il n'y avait rien dans ce mouvement contre Rome qui ressemblåt à ces grandes et généreuses tentatives d'un peuple qui voit la servitude s'avancer vers lui à grands pas et qui se dévoue pour la repousser. Ce ne fut qu'une ridicule intrigue, tramée par des misérables, qui n'agissaient que par va

(1) Tite-Live, XLV, 25, a emprunté ces réflexions à Polybe, 1. XXX, 5, qu'il ne fait ici que traduire.

(2) Polyb., XXXI, 6.

nité et pour de sordides intérêts. C'est ce que Polybe fait parfaitement comprendre dans une appréciation calme et elevée de la conduite et des sentiments de tous les chefs grecs qui se compromirent vis-à-vis des Romains pendant la guerre contre Persée. Dans ce beau fragment de son Histoire, il montre Dinon et Polyarate, qu'un certain prestige de courage et d'audace avait entourés jusque la, s'abaisser pour sauver leur vie à toutes sortes de subterfuges et de bassesses, et se dépouiller aux yeux de la posterité de tout droit à la pitié et au pardon. Qu'on ne dise pas que Polybe, ami de Scipion l'Africain, comblé de faveur à Rome, ait voulu poursuivre jusqu'à la mémoire de deux hommes qui avaient encouru la colère du peuple romain, puisqu'il rend un si bel hommage à la noble résolution des chefs épirotes, qui dans une situation semblable surent mourir résolument les armes à la main. Polybe est l'ami des Romains, il n'en est jamais le courtisan. « Si j'ai insisté si longtemps sur Polyarate et Dinon, dit-il en terminant, ce n'est pas certes que j'ai prétendu insulter à leur malheur; rien ne serait plus inconvenant. Mais j'ai voulu mettre en évidence leurs erreurs, afin de préparer ceux qui se trouveraient dans des circons tances pareilles à se conduire avec plus de prudence et de sagesse (1). » Dans tout ce morceau, Polybe n'a tort qu'en un seul point, c'est quand il reproche aux deux malheureux dont il juge les actions de n'avoir pas su échapper à l'infamie par une mort volontaire. Sans doute ce n'est pas toujours par courage qu'on recule devant le suicide; mais il importe de ne pas laisser croire aux hommes, et Polybe aurait dû le savoir, que c'est un acte de vertu que d'y avoir recours (2).

[blocks in formation]

passer entre les mains de Rome; ils consentirent à vivre paisibles à l'ombre de la protection romaine, en restant fidèles à l'alliance qui leur avait été imposée, heureux de conserver encore quelque liberté d'action dans la sphère de leurs intérêts commerciaux et jusqu'à un certain point dans leurs relations politiques. Grâce à la sagesse de ses magistrats, Rhodes se remit peu à peu de ses malheurs, et regagna la faveur du peuple romain, à qui elle fit élever un colosse de trente coudées dans le temple de Minerve. Elle obtint du sénat la concession de Calynda, et pour ceux qui avaient des propriétés en Lycie et en Carie l'autorisation de les conserver aux mêmes conditions qu'autrefois. Les Rhodiens se réconcilierent avec Eumène, qui avait, comme eux, obtenu difficilement son pardon, et ils en recurent un présent de quatre-vingt mille medimnes de blé (1). Quelque temps après une guerre acharnée éclata entre les Crétois et les Rhodiens. Ceux-ci demandèrent du secours à la ligue achéenne. Les Crétois en firent autant; l'assemblée penchait pour les Rhodiens, mais Callicrate, le chef du parti romain en Achaïe, s'écria qu'on ne devait ni faire la guerre ni envoyer du secours à qui que ce füt sans l'agrément des Romains (2). Cette guerre était ruineuse pour Rhodes, qui en confia la conduite à des chefs malhabiles. Il fallut, bon gré mal gré, recourir aux Romains pour en être débarrasse. Astymede fut envoyé à Rome, exposa au sénat la situation des affaires. Le sénat prêta à ses discours une sérieuse attention, et aussitôt un legat partit pour mettre un terme aux hostilités (3) (154 av. J.-C.).

[blocks in formation]

des Romains. Les Rhodiens no cédèrent pas à l'entraînement général, et se conduisirent en alliés fidèles et dévoués. Ils donnèrent asile à un grand nombre de Romains échappés au massacre ordonné par le roi de Pont, et entre autres à Lucius Cassius, proconsul d'Asie (88). Mithridate résolut de réduire les Rhodiens, qui presque seuls lui résistaient. Il réunit une flotte considérable, et passa dans l'île de Cos. Les Rhodiens sortirent audevant de lui avec courage. Mais l'inégalité du nombre était si grande, que tout ce que put faire l'habileté des Rhodiens, ce fut d'empêcher la flotte de Mithridate de les envelopper. Rentres dans leur port, sans grandes pertes, ils le fermèrent avec des chaînes, détruisirent les faubourgs de la ville, et s'apprêtèrent à soutenir un siége.

Cependant Mithridate n'avait pas encore ses forces de terre. Les troupes navales qu'il débarqua furent battues dans plusieurs rencontres autour des murs. Le succès de ces combats enhardit les assiégés à tenter une bataille navale. Malgré leur petit nombre, ils furent vainqueurs. Quelques jours après l'armée de terre arriva; un vent violent rendit le débarquement difficile, et permit aux Rhodiens de couler bas plusieurs navires et de faire quatre cents prisonniers. Mithridate, ayant toutes ses forces de terre et de mer, tenta l'attaque des deux côtés. Des feux allumés sur le mont Atabyrius donnerent le signal d'un assaut général, pendant la nuit. Les Rhodiens repousserent les assaillants. Une sambuque placée sur deux navires s'approcha des murailles près du temple d'Isis, pour les battre en brèche. Mais elle s'affaissa sous son propre poids, et devint la proie des flammes. Mithridate ne pouvait s'arrêter plus longtemps à ce siége, qui menaçait de se prolonger comme celui de Démétrius; il abandonna l'entreprise, et les Rhodiens eurent la gloire d'avoir rendu service aux Romains en arrêtant les premiers ce torrent qui s'était répandu sur toute l'Asie (1). Bientôt Sylla enleva à Mithridate toutes ses conquêtes, et, pendant qu'il châtiait rigoureusement les cités qui s'étaient données à lui, il renouvela

(1) Appian., De Bello Mithridatico, 22-27; Diod. Sicul., XXXVII, 28.

avec les Rhodiens l'ancien traité d'alliance (1). Les Rhodiens, bien traités par Sylla, suivirent son parti dans la guerre civile. Norbanus, l'un des chefs du parti populaire, s'était réfugié dans leur île. Le peuple s'assembla pour délibérer sur son sort, et Norbanus, s'apercevant qu'on allait le livrer, se poignarda au milieu de la place publique (2).

RHODES PENDANT LES GUERRES CIVILES DE ROME. Le signal des guerres civiles était donné; Rhodes n'avait plus à choisir entre Rome et ses ennemis, mais entre les partis romains qui se disputaient l'empire. A l'exemple de tous les autres insulaires, de toutes les provinces maritimes de l'Orient, elle fournit des vaisseaux à Pompée, (49) avant la bataille de Pharsale. Elle lui en donna encore pour favoriser sa fuite (3), mais aucun des fugitifs du parti pompéien ne fut reçu ni dans la ville ni dans le port; et quand César poursuivant Pompée arriva dans leurs murs, les Rhodiens le traitèrent en maître, et mirent leur flotte à sa disposition (4). Les vaisseaux rhodiens, commandés par Euphranor, suivirent César en Egypte, et y combattirent avec une bravoure et un dévouément auxquels il est hautement rendu justice dans le livre de la Guerre d'Alexandrie. Après la mort de César (44) les troubles recommencèrent. Le monde romain se partagea entre ses meurtriers et ses vengeurs. Rhodes resta fidèle au dernier parti, qu'elle avait embrassé; et quand Dolabella passa dans l'île pour aller en Syrie disputer cette province à Cassius, les Rhodiens contribuèrent à lui former une flotte (5), tandis qu'ils refusèrent de fournir des vaisseaux à Cassius, et qu'ils repoussèrent toutes les avances qui leur furent faites par les chefs du parti républicain (6). Cassius jura de se venger; et

[blocks in formation]

quand il eut soumis la Syrie, qu'il eut mis à mort Dolabella dans Laodicée, il se concerta avec Brutus, qui se chargea d'aller châtier les Lyciens, tandis qu'il devait marcher lui-même contre les Rhodiens.

SIEGE ET PRISE DE RHODES PAR CASSIUS (42). Cassius réunit sa flotte et son armée dans la ville de Myndus en Carie, et il exerça ses vaisseaux à la manoeuvre avant de les mener contre les Rhodiens, qui étaient toujours des marins redoutables (1). « Il y avoit dans Rhodes un parti qui vouloit qu'on se soumit à Cassius. C'etoit celui des plus sensés, qui trop ordinairement est le plus faible. Le gros de la multitude, animé par quelques esprits téméraires et factieux, prétendoit faire résistance, et ne doutoit point du succès. La gloire de leurs ancêtres leur en répondoit : ils se rappeloient avec complaisance Démétrius et Mithridate, princes tout autrement puissants que ne l'étoit Cassius, obligés de se retirer honteusement de devant Rhodes. Ils persévérèrent dans cette résolution, et lorsque Cassius approcha, au lieu de lui promettre satisfaction, ils lui firent la proposition insultante d'attendre les ordres du sénat siégeant actuellement à Rome, c'est-àdire les ordres des triumvirs.

« On peut juger de quel air Cassius, le plus fier des hommes, reçut un pareil discours. Il n'y répondit que par des menaces, dont les Rhodiens ne furent pas aussi touchés qu'ils devoient l'être. Seulement, ils firent une tentative pour le fléchir, en lui députant Archelaus, leur concitoyen, qui avoit été son maître dans les lettres grecques. Car Rhodes étoit une école de toutes les belles connaissances, et Cassius y avait été instruit pendant sa jeunesse. Archelaus s'acquitta de sa commission de la manière la plus tendre et la plus pathétique. Mais Cassius, content d'avoir fait beaucoup d'amitié à son ancien maître, demeura inexorable sur le fond de la chose. Il fallut en venir aux mains : et les Rhodiens furent assez téméraires pour risquer par deux fois le combat naval. Dion rapporte qu'ils pousserent l'insolence jusqu'a étaler aux yeux des Romains les chaînes

(1) Appian., 1. IV, 65-74.

qu'ils leur préparoient. Mais cet excès de folie et d'aveuglement paroit peu vraisemblable. Ce qui est certain, c'est que deux fois vaincus les Rhodiens s'opiniâtrerent encore à souffrir l'approche des troupes romaines, et se laisserent assiéger par terre et par mer. Alors néanmoins ceux qui vouloient la paix prirent le dessus, et commencèrent à négocier avec Fannius et Lentulus, qui commandoient l'armée de terre des assiégeants. Mais pendant qu'ils parlemeutoient, Cassius, qui montoit lui-même sa flotte, et qui gouvernoit l'attaque du côté du port, parut tout d'un coup au milieu de la ville avec un nombre de gens d'élite, sans avoir fait brèche à la muraille, sans être monté à l'escalade. Les poternes du côté de la mer lui avaient été ouvertes par quelques-uns des principaux citoyens de Rhodes, qui, frappés de la crainte de voir leur ville prise d'assaut, n'avoient pas cru pouvoir trop se hâter de prévenir un tel malheur.

Un mot de Cassius sembloit d'abord promettre de la modération : car comme plusieurs le saluoient des noms de maître et de roi, il rejeta bien loin ces titres, en disant que sa plus grande gloire étoit d'avoir tué celui qui avoit osé se faire maître et roi dans Rome. Le reste de sa conduite ne repondit pas à ce début. Il fit ériger un tribunal au milieu de la place, et planta à côté une pique, comme un signe qu'il prétendoit traiter Rhodes en ville prise de force. Il condamna à mort et fit exécuter en sa présence cinquante des principaux auteurs de la rébellion, et prononça contre vingtcinq autres, qui s'étaient enfuis ou cachés, la peine du bannissement. Il est vrai qu'il assura au reste des habitants la vie et la liberté, ayant fait défendre à ses troupes sous peine de mort d'exercer aucune violence contre les personnes. Il leur interdit de plus le pillage; mais ce ne fut que pour piller lui-même cette ville, l'une des plus opulentes de l'Asie, car il mit la main sur tous les trésors et sur toutes les choses de prix qui appartenoient au public, sans épargner ni les offrandes consacrées dans les temples, ni les statues mêmes des dieux. Et comme les Rhodiens le prioient de leur laisser au moins quelqu'une de leurs divinités, il leur répondit qu'il leur lais

« ZurückWeiter »