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se présentaient à cet effet étaient toujours reçus, écoutés et congédiés avec beaucoup d'égards. En trompant les Rhodiens, Philippe commença à les indisposer contre lui. Loin de travailler à calmer le mécontentement et la défiance de ces insulaires, fiers et jaloux de leur liberté, Philippe les irrita de plus en plus par ses hauteurs et son ambition. Il s'en fit des ennemis déclarés, et les poussa à se jeter dans l'alliance des Romains, qui eurent l'adresse de faire croire aux Grees du continent et des fles qu'ils ne combattaient la Macédoine que pour les affranchir de sa domination,

GUERRE ENTRE LES RHODIENS ET PHILIPPE III. Ce ne fut qu'après l'an 205 que Philippe rompit définitive ment avec les Rhodiens. Débarrassé des Romains, avec lesquels il était en guerre depuis dix ans, ce prince, au lieu de se faire des alliés, dans la prévision d'une nouvelle lutte avec ce peuple, au lieu de simplifier sa position en accommodant tous les démêlés qu'il avait avec ses voisins, devint plus provoquant et plus agressif que jamais. Il oublia qu'il avait à faire à une puissance redoutable, qui ne faisait que suspendre ses coups; il attaqua tous ceux dont il aurait do s'assurer l'appui, et en cherchant partout à acquérir il trouva partout des ennemis. Les Rhodiens, menacés par ses intrigues (1) et ses violences dans leur domination sur les îles asiatiques et sur les côtes de la Carie, firent alliance avee Attale, roi de Pergame, à qui Philippe disputait quelques villes de l'Eolide; et comme le roi de Macédoine était encore un ennemi trop redoutable pour ces deux États réunis, ils s'adressèrent aux Romains, et leur dénoncèrent les projets de Philippe contre la liberté des villes grecques de l'Asie (2). Attale était déjà l'allié de Rome. Les Rhodiens le devin

(1) Polyb., I. XVII, 3-6. On ne peut se faire qu'une idée bien incomplète, d'après le récit mutilé de Polybe, des desseins de Philippe contre Rhodes et de la fourberie dont l'intrigant Heraclide devait être le principal agent. Voy. dans Polyb., XV, 23, l'occasion de la rupture définitive des Rhodiens avee Philippe.

(2) Tite-Live, XXXI, 2.

rent alors par l'entremise du roi de Pergame, et à la suite de leur hostilité contre le roi de Macédoine. Toutefois, avant que Rome eût vaincu Carthage et terminé la seconde guerre punique, Attale et les Rhodiens soutinrent seuls tout le poids de la guerre contre Philippe III, de l'an 205 à l'an 200 avant l'ère chrétienne, et ils livrèrent à ce prince, qui s'était créé une marine imposante, deux grandes batailles navales. La première rencontre eut lieu près de Ladé, petite ile située en face de la ville de Milet. L'action fut très-vive et meurtrière, et l'issue paraît en avoir été douteuse. Les Rhodiens prétendirent avoir remporté la victoire; mais Polybe, dans une digression sur deux historiens de Rhodes, Zénon et Antisthène, leur reproche d'avoir altéré la vérité sur ce point; et il établit d'après leurs propres aveux, et surtout d'après la lettre de l'amiral de la flotte rhodienne aux prytanes et au sénat, qu'on pouvait lire encore aux archives de la ville, que le roi de Macédoine avait eu l'avantage dans cette bataille (1).

Ce qui le prouve encore, c'est qu'à la suite de ce combat les Rhodiens battirent en retraite, et Attale fut réduit quelque temps à l'inaction. La mer était libre, et Philippe, dit Polybe, aurait pu se rendre sans obstacle à Alexandrie. Il ne le fit pas, et se contenta d'assiéger Chio (2); mais le siége traîna en longueur, et l'ennemi reparut. Attale et l'amiral rhodien, Théophiliseus, livrèrent à Philippe une seconde bataille navale en vue de Chio. On avait réuni de part et d'autre des forces considérables. La flotte macédonienne se composait de cinquante-trois bâtiments de guerre, de quelques navires non pontés et de cent einquante esquifs, avec des fustes. Les alliés avaient soixante-cinq vaisseaux de guerre, y compris ceux des Byzantins, neuf galiotes et trois trirèmes. Le vaisseau monté par Attale commença le

(1) Polyb., 1. XVI, c. xi. Tite-Live fait allusion à ces deux batailles, et il admet les assertions des historiens rhodiens, « Rex... jam cum Rhodiis et Attalo navalibus certaminibus, neutro feliciter prælio, vires exper tus. » 1. XXXI, c. xiv.

(2) Polyb., I. XVI, 2, 9.

combat, et tous les autres, sans même attendre le signal, se heurtèrent. Les marins d'autrefois, à défaut de cette formidable artillerie dont nous armons nos vaisseaux de guerre, avaient aussi trouvé des procédés très-expéditifs et très-puissants pour s'entre-détruire. Les navires lancés à toute vitesse, se précipitaient les uns sur les autres, se percaient de leurs éperons, se brisaient les rames, se fracassaient les flanes, le plus fort coulant le plus faible, quelquefois s'abimant tous les deux, et le choc produisait quelquefois plus vite ce résultat glorieux que nous obtenons aujourd'hui par l'emploi du projectile fulminant. Souvent aussi ce n'était point à la force qu'on demandait la victoire, mais à l'adresse et à l'agilité des manoeuvres. Polybe nous donne une idée bien exacte de la tactique navale des anciens. « Toutes les fois qu'un engagement avait lieu de front, dit-il, les Rhodiens l'emportaient par une manœuvre fort habile: abaissant autant que possible la proue de leurs navires, ils recevaient des coups hors de l'eau et en portaient à l'ennemi au-dessous de la ligne de flottaison, lui faisant ainsi des blessures sans remède. Mais ils eurent rarement recours à cet artifice. Ils évitaient les combats de cette nature, à cause du courage que mettaient les Macédoniens à se defendre du haut de leurs ponts, dans une lutte réglée. Courant de préférence au milieu des navires macédoniens, ils en brisaient les rames et rendaient par là tout mouvement impossible; ils se portaient à droite, à gauche, se jetaient à la proue de tel vaisseau, frappaient tel autre dans le flane au moment où il se tournait, entamaient l'un, enlevaient à l'autre quelque partie de ses agrès. Une foule de bâtiments macédoniens périrent de cette

maniere. »>

Cette fois Philippe éprouva une défaite complete il perdit vingt navires, soixante-cinq esquifs, un grand nombre de matelots et de soldats. Attale fut obligé de se faire échouer sur la côte d'Asie et d'abandonner le vaisseau royal; les Rhodiens eurent à déplorer la mort de Theophiliscus, leur amiral, qui ne survécut qu'un jour à sa victoire. « C'était un homme, dit Polybe, dont la bravoure dans les combats et la sagesse

dans les conseils sont dignes de mémoire. S'il n'avait pas osé en venir aux mains avec Philippe, ses concitoyens et les autres peuples, intimides par l'audace du prince, eussent néglige l'occa sion de le vaincre. En ouvrant les hostilités, il força sa patrie à profiter des circonstances favorables, et contraignit Attale à ne plus différer sans cesse de préparer activement la guerre, et à la faire avec énergie et courage. Aussi, ce ne fut que justice quand les Rhodiens lui rendirent, après sa mort, des honneurs assez éclatants pour exciter au dévouement envers la patrie et leurs contemporains et leurs descendants (1). »

LES RHODIENS SE PLACENT SOUS LE PROTECTORAT DE ROME. Malgré cette défaite Philippe était toujours redoutable; les Romains venaient de terminer la seconde guerre punique; le sénat se mit alors à la disposition de ses allies grecs d'Europe et d'Asie, qui l'appelerent contre la Macédoine. Ce fut à Athenes que se forma l'orage qui devait fondre sur Philippe. Attale se rendit en personne dans cette ville: il y vint des ambassadeurs rhodiens et des commissaires du sénat (2). Enhardi par la présence d'alliés si puissants, le peuple athénien décréta la guerre contre Philippe, placa Attale parmi ses bienfaiteurs et ses héros, et fit aux Rhodiens une réception magnifique. Ainsi Rome avait soulevé et lancé tous ses alliés contre Philippe; quand il voulut agir contre eux, elle lui defendit de les combattre; sur son refus d'obéir, elle lui déclara la guerre (200).

Nous ne devons rechercher dans cette grande lutte, qui fut le prélude de l'abaissement de la Macédoine et de l'assujettissement de la Grèce, que les faits relatifs aux Rhodiens et la part qu'ils y prirent. L'intervention romaine n'était si bien accueillie de ces insulaires que par ce qu'elle leur procurait immédiatement de grands avantages. Il devait en résulter que Philippe, occupé du soin de défendre son royaume contre les Romains, renoncerait à ses projets d'agrandissement maritime, et que de ce côté les Rhodiens auraient le champ libre. En

(1) Polyb., XVI, 9; trad. Bouchot, t. II p. 304. (2) Tite-Live, XXXI, 14 ; Polyb., XVI, 24.

effet, le premier résultat qu'ils obtinrent de cette coalition, fut d'entraîner dans leur alliance toutes les Cyclades, excepté Andros, Paros et Cythnos, qui étaient occupées par des garnisons macédoniennes. Mais en négligeant d'agir avec vigueur contre Philippe, ils lui permirent de leur enlever plusieurs places de la Carie, de prendre Abydos, et de se rétablir dans l'Hellespont; il parut bien évident alors que les Romains étaient seuls capables d'arrêter ce prince et de l'abattre.

Pendant cette guerre, qui dura quatre ans (200 à 197) toutes les forces des Rhodiens furent constamment à la disposition du sénat. L'amiral rhodien, Acésimbrote, prit part à toutes les tentatives faites par les Romains contre l'Eubée et les autres possessions maritimes de Philippe. En vain les Achéens, qui étaient restés d'abord fidèles à Philippe, essayèrent-ils de détacher Rhodes du parti romain (1), ce fut au contraire la ligue Achéenne qui se laissa entraîner à changer d'alliance, et les députés rhodiens (2) assistèrent au congrès où fut prise cette détermination à laquelle ils contribuèrent pour beaucoup (198). L'année suivante on parla du rétablis sement de la paix entre Philippe, les Romains et leurs alliés. L'amiral rhodien Acésimbrote parut aux conférences de Nicée près des Thermopyles. Il réclama la restitution de la Péree, province de la Carie, que Philippe avait enlevée aux Rhodiens: il le somma d'ôter ses garnisons de Jassos, de Bargylis et d'Eurome, de replacer Périnthe dans l'état de dépendance où elle était autrefois à l'égard de Byzance, d'abandonner Sestos, Abydos, tous les marchés et tous les ports de l'Asie (3). Philippe consentit à rendre la Pérée; mais il ne voulut pas céder sur les autres points. On rompit les conférences; la guerre recommença. Bientôt Philippe fut vaincu à la bataille de Cynocéphales, les Rhodiens reconquirent la Pérée, excepté Stratonicée, où s'enferma le général macédonien Dinocrate. Le traité que les Romains dictèrent au roi de Macédoine donna aux

(1) Polyb., XVI, 35. (2) Tite-Live, XXXII, 19. (3) Polyb., XVII, 2.

Rhodiens la complète possession de cette province, et assura la liberté de toutes les cités maritimes que les Rhodiens avaient voulu soustraire à son influence (1).

Philippe avait cessé d'être redoutable, mais Antiochus le Grand devenait menaçant à son tour. Ses tentatives en Asie Mineure et contre l'Égypte inquiétaient les Rhodiens. L'Égypte, leur ancienne alliée, déclinait tous les jours. Antiochus aspirait aussi à la domination des mers Rhodes entreprit de l'arrêter, et de défendre les villes alliées du roi d'Égypte. Grâce à leur activité, Caune, Mynde, Halicarnasse et Samos échappèrent aux tentatives du roi de Syrie, et restèrent dans l'alliance de Rhodes et de l'Égypte (2). Mais les choses n'en devaient pas rester là. Antiochus, opposant aux prétentions des Romains des prétentions non moins hautes, se déclara leur rival, et descendit sur ce champ de bataille où la Macédoine venait d'être vaincue. Rhodes et Eumène, successeur d'Attale au trône de Pergame, déployèrent encore plus de zèle dans cette guerre que dans la précédente. Antiochus avait couvert la mer Égée de ses vaisseaux; les Rhodiens aidèrent Rome à anéantir cette marine puissante qui gênait leur commerce. Leurs amiraux Pausistrate, Eudémus, Pamphylidas combattirent avec les préteurs romains aux batailles de Sida, d'Ephèse et de Myonèse contre Annibal et le Rhodien exile Polyxénidas, dont les talents ne purent empêcher la destruction des flottes d'Antiochus (3). La mer une fois libre, les Romains passèrent en Asie; Antiochus fut défait dans une grande bataille près de Magnésie, et les Rhodiens eurent une large part à ses dépouilles.

Eumène obtint tous les pays en deçà du Taurus et de l'Halys. Les Rhodiens recurent la Lycie et la Carie jusqu'au Méandre. Toutefois, les deux alliés étaient en désaccord sur un point im

(1) Tite-Live, XXXIII, 18, 30. (2) Tite-Live, XXXIII, 20.

(3) Tite-Live, XXXVI; Polyb., XXI, passim. Dans cette guerre Polyxénidas détruisit, à la hauteur de Samos, une flotte rhodienne, commandée par le navarque Pausistrate. Tite-Live, XXXVII, 10.

portant, la liberté des villes grecques d'Asie Eumène les demandait en récompense de ses services. Les Rhodiens plaiderent leur cause dans un langage qui prouve combien ils se faisaient illusion sur le caractère et les conséquences des événements qui s'accomplissaient alors, et auxquels ils avaient pris une si grande part. « La fin que vous marquez à vos actions, dirent les députés de Rhodes parlant dans le sénat, est bien autre que celle du reste des hommes. D'ordinaire, ils ne se jettent dans les guerres que pour conquérir et gagner des villes, des munitions et des flottes. Les dieux vous ont épargné cette nécessité en plaçant l'univers sous votre obeissance. De quoi donc avez vous besoin? De quoi vous faut-il maintenant avoir le plus de soin? De cette gloire, de cette renommée universelle qu'il est si difficile d'acquérir et plus encore de conserver. Vous allez reconnaître ce que nous vous disons; vous avez combattu Philippe, vous avez tout bravé pour rendre la liberté aux Grecs: tel a été votre but, telle a été la récompense que vous vous êtes promise de cette expedition; il n'y en avait pas d'autre, et cependant vous en avez plus joui que de tous les tributs imposés aux Carthaginois. Cela est très-naturel l'argent est une propriété commune à tous les hommes; mais la réputation, les hommages, la louange, ne sont faits que pour les dieux et ceux qui leur ressemblent. Oui, votre œuvre la plus belle a été l'affranchisse ment des Grecs. Si vous la complétez aujourd'hui, cette œuvre, l'édifice de votre renommée est à jamais élevé; sinon, votre gloire sera bientôt abaissée. Sénateurs, après avoir participé à cette entreprise et, avec vous, soutenu pour la poursuivre de grands combats, bravé de véritables périls, nous ne voulons pas aujourd'hui trahir le devoir d'un peuple ami. Aussi nous n'avons pas craint en effet de vous dire franchement la conduite que nous croyons la seule vraiment digne de vous, nous l'avons fait sans arrière-pensée, en hommes qui ne mettent rien au-dessus de l'honnête (1). » Ce discours parut digne de la

(1) Polyb., XXII, 6; Tite-Live, XXXVII, 54. «Apta magnitudini romanæ oratio visa est. »

grandeur romaine, dit Tite-Live, et les villes grecques qui avaient été tributaires d'Antiochus furent, conformément aux voeux des Rhodiens, déclarées libres. Peu s'en fallut que les Rhodiens n'obtinssent aussi la liberté de Soles, ville de Cilicie, qu'ils disaient être, comme eux, une colonie d'Argos. Le sénat paraissait disposé à leur accorder tout ce qu'ils voulaient, pourvu que cela fût préjudiciable à Antiochus, et il fut même sur le point de contraindre ce prince à evacuer toute la Cilicie.

Après avoir vaincu Antiochus, les Romains châtierent les Étoliens, qui avaient appelé ce prince en Grèce. Quoique le châtiment fùt mérite, Rhodes voyait avec regret un peuple grec frappe par les Romains. C'était un precedent fåcheux, et qui faisait concevoir des inquiétudes pour l'avenir. Les députés rhodiens travaillèrent très-activement à faire conclure un traité. Ils parurent au camp de Fulvius, qui assiégeait Ambracie (1), et désarmèrent son courroux. Le consul permit aux Étoliens d'envoyer à Rome des députés, pour qui les Rhodiens obtinrent une audience du sénat. Néanmoins, le peuple étolien fut traité avec rigueur, et il n'y eut aucun peuple grec qui ne pût prevoir que le sénat, qui n'était encore qu'un protecteur et un allié, deviendrait bientôt un maître impérieux.

CONDUITE ÉQUIVOQUE DES RHODIENS PENDANT LA GUERRE CONTRE PERSÉE. Les Rhodiens ne devaient pas tarder à en faire l'expérience. En leur donnant la Lycie, le sénat leur avait fait un cadeau embarrassant. Les Lyciens n'obeissaient qu'à contre-cœur, et Rhodes se fatiguait à les faire obéir. Enfin des députés de Xanthe, capitale de la Lycie, vinrent à Rome se plaindre au sénat de la tyrannie des Rhodiens, qui était beaucoup plus cruelle, disaientils, que celle d'Antiochus. Les Rhodiens s'aperçurent alors qu'ils étaient à leur tour justiciables de cette juridiction du peuple romain qu'ils avaient invoquée autrefois contre Philippe et Antiochus. Le senat écoutait toujours les plaignants; d'ailleurs les Rhodiens ne montraient plus le même zèle, ils fai

10.

(1) Polyb., XXII, 12; Tite-Live XXXVIII,

saient des avances à Persée, roi de Macédoine, successeur de Philippe III. Le sénat lança contre eux un décret sévère, qui leur enjoignait de traiter les Lyciens en alliés et non pas en sujets (1). Ceux-ci, enhardis par cette protection, où se manifestait l'intention d'humilier les Rhodiens, prirent les armes pour secouer le joug. Polybe avait raconté cette guerre dans les parties perdues de son histoire. Tite-Live se contente d'y faire allusion, et de dire que les Lyciens, accablés par Rhodes, eurent de nouveau recours à l'intervention protectrice du sénat (2) (174 av. J.-C.).

Les Rhodiens commençaient donc à devenir suspects au moment où éclata la guerre contre Persée (172). Eumène avait été seul à provoquer cette guerre, que les députés rhodiens essayèrent vainement de détourner, parce qu'ils commençaient à comprendre que Rome était devenue plus redoutable que ne l'avait jamais été la Macédoine (3). Cette attitude nouvelle prise par les Rhodiens, qui autrefois avaient montré tant d'ardeur contre Philippe et Antiochus, inspira quelque inquiétude au sénat, et donna des espérances à Persée. De part et d'autre on envoya des députés, le sénat pour maintenir Rhodes dans son alliance, Persée pour l'entraîner dans la sienne. Quoique l'enthousiasme qu'avaient inspiré autrefois les Romains fût bien refroidi, cependant les magistrats rhodiens hésitaient à se jeter dans un nouveau parti, et le prytane Hégésiloque montra aux légats une flotte de quarante vaisseaux préte à combattre pour le service de Rome. D'un autre côté, on reçut les ambassadeurs de Persée avec distinction; mais on fit répondre à ce prince que dorénavant il s'abstînt de rien demander qui exposât les Rhodiens à paraître contraires aux désirs de Rome (4).

C'était ce qu'il y avait de mieux à faire, et les prytanes travaillèrent de tout leur pouvoir à maintenir la république

(1) Tite-Live, XLI, 6; Polyb., XXVI, 7 et suiv.

(2) Tite-Live, XLI, 25.

(3) Tite-Live, XLII, 14, 26.

(4) Polyb., XXVII, 3, 4; Tite-Live, XLII, 45, 46.

dans cette voie; mais dans tout État libre il se trouve toujours des hommes ambitieux, qui ne sont pas aux affaires, qui veulent y parvenir, et qui poussent le peuple du côté où il leur plaît de le faire aller. Dinon et Polyarate se mirent à la tête du parti hostile aux Romains. Le chef de la flotte romaine, Spurius Lucrétius, avait écrit aux Rhodiens pour leur demander des vaisseaux (171). Dinon et Polyarate essayèrent de faire refuser le contingent; mais le prytane Stratoclès réussit à obtenir dans l'assemblée du peuple la sanction du décret qui ordonnait l'envoi des vaisseaux. « Du reste, dit Polybe, ces deux hommes n'étaient si zélés pour Persée que parce que Polyarate, homme vain et fastueux, avait engagé tous ses biens, et que Dinon, avare sans pudeur, avait toujours fait métier de s'enrichir des largesses des rois et des puissants (1). » À la fin de cette campagne, Persée envoya Anténor à Rhodes pour traiter du rachat des prisonniers. Les magistrats ne voulaient aucune relation avec ce prince; Dinon et Polyarate étaient de l'avis contraire : ils l'emportèrent, et l'on convint de la rançon des captifs.

C'était un échec grave pour le parti romain. Cette décision indiquait la tendance des Rhodiens à se rapprocher de la Macédoine. Cependant le sénat ne s'en plaignit pas, renouvela l'alliance et permit aux Rhodiens d'exporter des blés de Sicile (2). Dans ce temps-là parut un décret du sénat qui prescrivait aux alliés grecs de ne plus obéir désormais aux ordres des généraux, mais seulement aux sénatus-consultes. Cette mesure excita une grande joie en Grèce, où l'on souffrait déjà beaucoup des exactions des consuls et des préteurs romains; les Rhodiens y applaudirent, et le parti romain s'en trouva fortifié. Profitant de ces bonnes dispositions, les magistrats firent envoyer une députation à Marcius Philippus et à Caïus Figulus, qui commandaient cette année-là l'armée et la flotte envoyées contre Persée (169). Les deux généraux recurent les députés avec les plus grandes démonstrations d'amitié. Le consul, prenant à part

(1) Polyb., XXVII, 7. (2) Id., XXVIII, 2.

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