Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

les Athéniens, contre lesquels ils s'étaient récemment révoltés, et implorèrent leur protection (351). On était fort animé contre eux à Athènes, à cause de la part qu'ils avaient prise à la guerre sociale. «< Cependant Démosthène ne laissa pas que de parler au peuple en leur faveur. Il met d'abord leur faute dans tout son jour; il exagère leur injustice et leur perfidie; il semble entrer dans les justes sentiments de colère et d'indignation du peuple, et l'on dirait qu'il va se déclarer fortement contre les Rhodiens. Mais tout cela n'était qu'un artifice de l'orateur, qui cherchait à s'insinuer dans l'esprit de ses auditeurs et à y exciter des sentiments tout contraires, de bonté et de compassion pour un peuple qui reconnaissait sa faute, qui avouait son indignité, et qui néanmoins venait avec confiance implorer sa protection. Il étale les grandes maximes qui dans tous les temps ont fait la gloire d'Athènes, d'oublier les injures, de pardonner à des rebelles, et de prendre la défense des malheureux. Aux motifs de gloire il ajoute ceux de l'intérêt, en montrant combien il importe de se déclarer pour une ville qui favorise la démocratie, et de ne pas abandonner aux ennemis une île aussi puissante qu'est celle de Rhodes. C'est ce qui fait le sujet du discours de Démosthène intitulé: Pour la liberté des Rhodiens (1). » La mort d'Artémise, qui arriva cette année-là même, et sans doute l'intervention d'Athènes, rendirent la liberté aux Rhodiens. Ce peuple comprit enfin que son véritable intérêt était de rester attaché aux Athéniens et de les soutenir contre les aggressions de Philippe, roi de Macédoine.

-

ÉTAT DE RHODES AU TEMPS DE PHILIPPE ET D'ALEXANDre. En 340 Philippe, assiégea Byzance. La possession de cette ville l'eût rendu maître du Bosphore, c'est-à-dire du commerce du Pont-Euxin, qui était une abondante source de richesses pour Athènes, Rhodes et les autres îles de l'Asie. Les Athéniens prirent des mesures énergiques, et envoyèrent une flotte commandée par Phocion au secours de Byzance. Les

(1) Rollin, Histoire Ancienne, \. XIII, t. V, P. 475.

Rhodiens, redevenus leurs alliés, ainsi que ceux de Chio, de Cos et d'autres insulaires, envoyèrent aussi des renforts. Cette démonstration des cités commerçantes de la Grèce arrêta Philippe, qui lâcha sa proie et fit la paix avec les Athéniens et leurs alliés (1).

Deux ans après, la liberté de la Grèce succombait à la bataille de Chéronée, et en 336 le royaume de Macédoine passait aux mains d'Alexandre le Grand, qui entreprit aussitôt la conquête de l'Asie. Les historiens d'Alexandre remarquent l'empressement avec lequel les Rhodiens se soumirent au héros macédonien (2). C'était cependant un Rhodien, le brave et habile Memnon engagé au service du roi de Perse, qui parut un instant capable d'arrêter Alexandre, si Alexandre avait pu être arrêté. Mais la chute de l'empire des Perses était décrétée dans les conseils éternels; un empire grec et macédonien s'éleva sur ses débris, et Rhodes n'eut qu'à s'applaudir de ces grands événements, qui la délivraient de la crainte des Perses et qui la débarrassaient du fâcheux patronage des Athéniens. Alexandre, dans l'intention peutêtre de ruiner le commerce d'Athènes et de lui susciter une rivale, traita la ville de Rhodes avec une attention et des égards tout particuliers. Il l'honora entre toutes les villes en la choisissant pour y déposer son testament. A partir de cette époque jusqu'à la conquête romaine, Rhodes devient le premier État maritime de la Grèce, et succède à Athènes, qui avait été frappée à mort dans sa lutte avec la Macédoine.

CONDUITE DES RHODIENS APRÈS LA MORT D'ALEXANDRE (323). — La mort d'Alexandre fut suivie d'un soulevement général des vilies grecques. Pendant qu'Athènes donnait le signal de la guerre lamiaque, Rhodes chassait de ses murs la garnison macédonienne, et recouvrait son indépendance (3). Rendus à eux-mêmes, les Rhodiens se livrèrent avec plus d'activité que jamais au commerce, et s'efforcèrent de rester en dehors des agitations politiques de ces temps malheureux. Leurs affaires pros

(1) Diod., XVI, 77.

(2) Meursius, Rhod., p. 114. (3) Diod., XVIII, 8.

pérèrent au milieu de la confusion universelle. Ils augmentèrent leur marine; ils concentrèrent dans leur ile le commerce de l'Occident, du PontEuxin et de l'Egypte; ils réprimèrent la piraterie, firent la police des mers, acquirent de grandes richesses, et affectèrent de garder entre les différents princes qui se disputaient l'empire la plus stricte neutralité. Aussi chaque roi recherchait leur alliance et les honorait de ses faveurs. Les Rhodiens paraissaient tenir la balance égale entre eux tous, mais ils inclinaient plus particulièrement pour Ptolémée, roi d'Egypte, car c'était avec l'Égypte qu'ils faisaient leur plus grand commerce, et c'était à ce royaume, où elle s'approvisionnait selon Diodore, que Rhodes devait en quelque sorte son existence (1).

RUPTURE AVEC ANTIGONE. Cependant les Rhodiens paraissaient également bien avec Antigone, qui régnait en Asie Mineure, qui possédait les ports de la Phenicie, et qu'ils avaient aussi le plus grand intérêt à ménager. Ils ne negligeaient aucune occasion de lui être agréables, tant qu'ils pouvaient le faire sans compromettre leurs autres alliances, et en 312 ils lui fournirent dix vaisseaux, qui se joignirent à la flotte qu'il envoyait en Grèce pour l'enlever à l'influence de Cassandre (2). Mais quelque temps après Antigone, ayant rompu avec Ptolémée, voulut entraîner les Rhodiens dans son parti et les contraindre à mettre leurs vaisseaux à la disposition de son fils Démétrius. Ceux-ci refusèrent; Antigone fit capturer leurs navires de commerce; les Rhodiens se défendirent, Antigone les menaça d'un siége. En vain les Rhodiens essayèrent-ils de l'apaiser par leurs protestations de dévouement et leurs hommages; comme ils refusaient toujours, avec autant de fermeté que de modération, de prendre part à la guerre contre Ptolémée, Antigone ne pouvait leur pardonner ce refus. Il resta implacable, et, chassant leurs députés d'auprès de lui, il chargea son fils Démétrius du soin de prendre Rhodes et d'en châtier les habitants. Informés des grands préparatifs que Démétrius faisait contre

(1) Diod., XX, 81. (2) Id., XIX, 77.

ge Livraison. (ILE DE RHODES.)

eux, les Rhodiens prirent l'alarme, et consentirent alors à seconder Antigone dans sa guerre contre Ptolémée. Mais Démétrius ne se contenta pas de cette concession tardive; il exigea qu'on lui livrât cent otages et qu'on lui ouvrît tous les ports de l'île. De telles exigences rendirent aux Rhodiens le courage qui les avait un instant abandonnés, et, reconnaissant que Démétrius en voulait à leur indépendance, ils prirent l'héroïque résolution de périr plutôt que de se rendre.

SIEGE DE RHOdes par DéméTRIUS POLIORCETE (305-304); PRÉPARATIFS DE L'ATTAQUE ET DE LA DEFENSE. — L'ile de Rhodes est célèbre, entre toutes les îles grecques, par les siéges mémorables qu'elle a soutenus, tant dans l'antiquité que dans les temps modernes. Cette particularité de son histoire prouve à la fois la force et l'importance de sa position militaire et le courage de ses habitants. Démétrius, déjà renommé par ses exploits et par la prise de Salamine, capitale de l'île de Cypre, rassembla une flotte considérable dans le port de Loryma, situé en face de l'île de Rhodes, à l'extrémité de la péninsule méridionale de la Carie. Cette flotte se composait de deux cents vaisseaux de guerre, et de plus de cent soixante bâtiments de transport, sur lesquels étaient embarqués environ quarante mille hommes, sans compter la cavalerie et les pirates allies. Indépendamment de ces navires, armés et équipés par Démétrius, il était venu de tous côtés un nombre considérable d'embarcations, évaluées à près de mille par Diodore, que montaient des aventuriers qui comptaient sur le butin de la ville et de l'île de Rhodes, dont on connaissait l'opulence. Car depuis longtemps elle n'avait point été ravagée par aucun ennemi. Cette flotte traversa le canal qui sépare Rhodes du continent, s'avançant en bon ordre, couvrant un immense espace, et déployant ses vastes lignes en face de la ville, d'où les habitants, montés sur les murailles de l'enceinte ou sur les toits de leurs maisons, contemplaient à la fois avec crainte et admiration l'imposante arrivée de l'ennemi (1). Ils ne pou

(1) Diod., l. XX, c. 82-100; Plut., Demetr. 8

vaient s'opposer au débarquement, qui se fit sans obstacle. Démétrius envoya à l'instant des soldats et des pirates pour piller l'intérieur et les côtes de l'ile. Il établit son armée dans un camp, qu'il entoura d'une triple enceinte de retranchements palissadés, et il fit travailler ses troupes de terre et de mer à une digue, qui fut achevée en quelques jours, et qui formait un port assez spacieux pour contenir la flotte (1).

De leur côté les Rhodiens se prépa raient à une vigoureuse défense. Îls envoyèrent des députés à tous les rois alliés, à Ptolémée, à Lysimaque et à Cassandre pour solliciter leurs secours. Ils enrôlèrent comme volontaires tous les étrangers domiciliés à Rhodes et capables de porter les armes. Ils renvoyèrent toutes les bouches inutiles. Le nombre des défenseurs de la place était de huit mille hommes, tant citoyens qu'étrangers. Par un décret du peuple, les esclaves les plus vigoureux furent rachetés, mis en liberté, armés comme les citoyens, parmi lesquels on promit de les admettre s'ils servaient avec bravoure et fidélité. On déclara de plus que la ville ferait enterrer honorablement ceux qui seraient morts en combattant; qu'elle pourvoirait à la subsistance et à l'entretien de leurs pères, mères, femmes et enfants; qu'elle fournirait aux filles une dot pour les marier; et que quand les garçons seraient en âge de servir dans l'armée, elle leur donnerait en public, sur le théâtre, dans la grande solennité des Bacchanales, une armure complète. Ces dispositions et l'imminence du péril excitèrent au plus haut degré le patriotisme de tous les habitants de Rhodes. Toutes les classes de citoyens rivalisaient entre elles de zèle et de dévouement; les riches apportaient leur argent, les pauvres offraient leurs bras pour la fabrication des armes. Les uns travaillaient aux balistes et aux catapultes, les autres réparaient les brèches des murs. Tout était en mouvement; tous cherchaient à se distinguer et à se surpasser les uns les autres. Les assiégés commencerent par faire sortir du port

(1) Ce port de Démétrius est peut-être le port ensable que l'on voit aujourd'hui au midi de la ville de Rhodes.

trois navires, fins voiliers, qui enlevèrent un convoi de vivres destiné à l'ennemi. Les bâtiments qui le composaient furent coulés à fond ou brûlés, les prisonniers retenus jusqu'à ce qu'ils payassent rançon; car on était convenu de part et d'autre que le prix du rachat des prisonniers serait, par tête, de 1000 drachmes pour un homme libre et de 500 pour un esclave.

PREMIÈRES OPÉRATIONS DU SIÉGE; ATTAQUES DU CÔTÉ DE LA MER. — - Dé métrius commença l'attaque du côté de la mer, pour se rendre maître du port et des tours qui en défendaient l'entrée. Il avait fait fabriquer différentes machines propres à seconder les efforts des assiégeants, toutes ingénieusement conçues et exécutées. C'étaient d'abord deux tortues placées chacune sur deux bâtiments plats joints ensemble: l'une, plus forte et plus massive, pour garantir ses soldats des masses énormes que les assiégés lançaient du haut des tours et des murailles avec leurs catapultes; l'autre, d'une construction plus légère, pour les mettre à l'abri des flèches et des traits lancés par les balistes. Puis venaient deux tours à quatre étages, qui surpassaient en hauteur les tours qui défendaient l'entrée du port, et qui étaient posées sur deux bâtiments joints et liés ensemble. Devant ces tortues et ces tours il fit élever une espèce de barrière flottante, soutenue par des solives équarries clouées ensemble, et destinée à protéger les bâtiments qui supportaient les machines de siége contre les éperons des navires ennemis. Ensuite Démétrius rassembla un grand nombre de barques; il y fit dresser des remparts de planches, derrière lesquels il plaça toutes sortes de machines propres à lancer des traits. Ces barques furent montées par d'habiles archers et surtout par des Crétois.

Les Rhodiens, voyant que les assiégeants tournaient tous leurs efforts du côté du port, mirent aussi tous leurs soins pour le défendre. Ils dressèrent deux machines sur la digue, et trois autres sur des bâtiments de charge près de l'entrée du petit port. On disposa aussi tous les navires du grand port de manière à les faire servir à lancer des traits contre l'ennemi.

Tous ces préparatifs étant terminés de

part et d'autre, Démétrius fit avancer ses machines contre les deux ports; mais le vent souffla violemment, et la mer devint si houleuse, qu'il lui fut impossible de rien faire pendant tout le jour. Sur le soir la mer se calma; Démétrius s'approcha secrètement du rivage, s'etablit sur une éminence voisine du môle qui domine le grand port, s'y retrancha immédiatement et y logea quatre cents soldats. Le jour étant venu, il introduisit ses machines dans le port, fit jouer ses balistes, et pratiqua plusieurs brèches dans l'enceinte du môle. Cependant la garnison de la ville se défendit vaillamment, les pertes furent égales des deux côtés, et le soir Démétrius fut obligé de se retirer et de mettre ses machines hors de la portée des traits de l'ennemi. Dans la nuit qui suivit cette première attaque, les Rhodiens firent sortir de leur port, à la faveur des tenebres, quantité de brùlots, dans le dessein d'aller mettre le feu aux tortues et aux tours de bois de Démétrius. Mais ils ne purent forcer la barrière flottante qui les couvrait. Le lendemain Démétrius ordonna un nou vel assaut le signal en fut donné au son de la trompette, auquel ses soldats repondirent par de grands cris. Mais les assiégés tinrent bon, et résistèrent heureusement à toutes les attaques que les assiégeants firent sans interruption pendant huit jours.

Cependant, de la hauteur où ils s'étaient postés, les soldats de Démétrius Jançaient sur l'enceinte du môle des pierres d'un poids énorme qui brisèrent les machines des assiégés, ébranlerent les tours et firent brèche à la muraille. Alors les assiégeants attaquèrent avec furie pour s'emparer du môle. Ce poste était de la dernière importance; les Rhodiens n'épargnerent rien pour le défendre, et ils réussirent à forcer l'ennemi à se retirer. Cet échec ne diminua rien de l'ardeur des assiégeants. Plus animés encore qu'auparavant contre les Rhodiens, ils montent à l'escalade en même temps par terre et par mer, et donnent tant d'occupation aux assiégés, qu'ils ne savent à quel endroit courir. Partout on attaque avec furie, et partout l'on résiste avec intrépidité. Plusieurs, renversés de dessus leurs échelles, tombent par terre le corps brisé; quelques-uns des princi

paux commandants, arrivés jusque sur le mur, sont blessés et pris par les Rhodiens. Il fallut enfin que Démétrius, malgré sa valeur, pensât à la retraite, pour aller raccommoder ses machines endommagées et les vaisseaux qui les portaient.

Démétrius, rentré dans son port, employa sept jours à réparer ses machines et ses embarcations. Pendant ce temps, les Rhodiens rendirent les derniers honneurs à leurs morts. Ils consacrèrent aux dieux les armes et les éperons enlevés à l'ennemi, et ils réparèrent les brèches de leurs murailles. Après ce repos forcé, Démétrius recommença le siége, et s'approcha de nouveau du grand port, par où il voulait s'emparer de la place. Des qu'il fut à portée, il fit lancer des brûlots contre les navires des Rho diens, tandis qu'on battait les murs à coups de pierres lancées par les catapultes sans interruption. Les assiégés eurent beaucoup de peine à garantir leurs vaisseaux de l'incendie. L'ardeur de cette attaque fut telle, que les Pryta nes, ou premiers magistrats de la ville, craignant de voir le port forcé, appelèrent tous les habitants aux armes; tous répondirent à cet appel. Trois des plus forts navires, montés par les meilleurs marins et commandés par le navarque Exéceste, furent envoyés contre les barques de Démétrius, pour tenter de les couler bas avec les machines qu'elles portaient. Cet ordre fut exécuté avec une promptitude et une adresse merveilleuses. Les trois galères, après avoir brisé et franchi la palissade flottante, donnèrent de leurs éperons avec tant de violence dans le flanc des bâtiments qui portaient les machines, qu'on y vit aussitôt l'eau entrer de tous côtés. Deux de ces machines périrent, la troisième, traînée à la remorque, fut sauvée. Mais les Rhodiens, enhardis par ce succès, se laissèrent emporter trop loin enveloppés par les navires ennemis, leurs bâtiments furent brisés à coups d'éperons. Cependant des trois vaisseaux qui avaient fait cette audacieuse sortie, deux rentrèrent au port. Le troisième, monté par le brave Exéceste, tomba seul au pouvoir de l'ennemi.

L'opiniâtreté de Démétrius à attaquer égalait la persévérance des Rhodiens à se défendre. Malgré son dernier échec,

il ne se découragea pas. Il inventa une machine qui avait trois fois plus de hauteur et de largeur que celles qu'il venait de perdre. Dès qu'elle fut achevée, il la fit dresser du côté du port qu'il avait résolu de forcer. Mais au moment de s'en servir une tempête furieuse s'étant élevée, les bâtiments qui la portaient furent désunis, remplis d'eau, et la machine mise hors de service. Les assiégés, attentifs à profiter de toutes les occasions, allèrent, au milieu du tumulte et de la confusion produits par cet orage, attaquer le poste qui depuis le commencement du siége occupait cette hauteur voisine du môle. Ils furent repoussés plusieurs fois; mais les gens de Démétrius, accablés par le nombre, et ne recevant pas de secours, mirent bas les armes, et se rendirent au nombre de quatre cents. Ce fut au milieu de cet enchaînement de succès, que les assiégés recurent des renforts de leurs alliés; savoir, cent cinquante hommes envoyés de Gnosse, ville de Crète, et cinq cents fournis par Ptolémée, roi d'Égypte, dont plusieurs mercenaires rhodiens qui servaient dans son armée.

SECONDES OPÉRATIONS DU SIÉGE; ATTAQUES DU CÔTÉ DE LA TERRE. Quoique le siége n'avançât pas, Démétrius s'opiniâtrait à le continuer; mais, obligé de renoncer à ses attaques par mer, il tourna tous ses efforts du côté de la terre. Il inventa une machine qui surpassait toutes celles qu'il avait déjà fait construire, et que l'on appela l'hélépole. « La base était carrée, dit Diodore; chaque côté, formé de poutres équarries jointes ensemble par des crampons de fer, avait à peu près cinquante coudées de long. L'espace intérieur était divisé par des planches, laissant entre elles environ une coudée d'intervalle, et destinées à porter ceux qui devaient faire jouer la machine. Toute la masse était supportée par des roues, au nombre de huit, grandes et solides. Les jantes des roues, garnies de cercles en fer, avaient deux coudées d'épaisseur, et pour pouvoir imprimer à la machine toutes sortes de directions, on y avait adapté des pivots mobiles. Les quatre angles étaient formés par quatre piliers de cent coudées de hauteur, et légèrement inclinés en baut. Toute la bâtisse était partagée en neuf

étages, dont le plus bas se composait de quarante-trois planches et le plus élevé de neuf. Trois côtés de cette machine étaient recouverts extérieurement par des lames de fer, qui les garantissaient contre les torches allumées. Sur le quatrième côté, faisant face à l'ennemi, étaient pratiquées, à chaque étage, des fenêtres proportionnées à la grosseur des projectiles qui étaient lancés sur la ville. Ces fenêtres étaient garnies d'auvents, fixés par des ressorts, et derrière lesquels se trouvaient à l'abri les hommes qui lançaient les projectiles. Ces auvents étaient formés de peaux cousues ensemble et bourrées de laine pour amortir le choc des pierres lancées par les catapultes. Enfin, à chaque étage étaient deux échelles larges; l'une servait pour monter et apporter les munitions nécessaires, et l'autre pour descendre, afin de ne pas troubler la régularité du service. Les hommes les plus vigoureux de l'armée, au nombre de trois mille quatre cents, furent choisis pour mettre en mouvement cet immense appareil de guerre. Les uns, placés en dedans, les autres, en dehors et en arrière, donnaient l'impulsion au mécanisme qui faisait avancer l'hélépole (1). » On construisit encore des tortues pour protéger les terrassiers, des galeries où les ouvriers pouvaient travailler en sûreté. On nivela le sol dans une étendue de quatre stades, par les équipages de la flotte. Trente mille hommes avaient été employés à ces divers travaux, qui furent achevés avec une étonnnante rapidité et qui méritèrent si justement à Démétrius le surnom de POLIORCÈTE, preneur de villes, qu'on lui donna.

A la vue de ces formidables préparatifs, les Rhodiens n'étaient pas restés inactifs. Ils travaillèrent à élever un contre-mur à l'endroit où Démétrius devait faire jouer l'hélépole; et pour construire ce mur ils employèrent des matériaux enlevés au théâtre, aux édifices voisins et même à quelques temples, en promettant de réparer le dommage qu'ils faisaient aux dieux. Puis ils envoyèrent en course neuf de leurs meilleurs vaisseaux, divisés en trois escadres, dont ils donnèrent le commandement à leurs

(1) Diod., XX, 91.

« ZurückWeiter »