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la face de l'Italie. Dans la Lucanie, le Samnium et l'Étrurie tous les propriétaires furent chassés et remplacés par des soldats. Sylla voulut en quelque sorte créer un peuple nouveau pour sa nouvelle constitution. Cent vingt mille légionnaires recurent les terres les plus fertiles de la Peninsule. C'était l'execution d'une loi agraire, telle que les Gracques eux-mêmes n'avaient osé la concevoir. Mais les tristes résultats qu'elle eut montrerent combien était chimérique l'espoir mis dans cette réforme. Il y a des remèdes qui administrés trop tard tuent au lieu de guérir; ce sera dans ses colonies que Catilina recrutera ses baudes incendiaires.

Sylla avait rendu le pouvoir aux grands; il ne s'abusait pas cependant sur leur moralité, et ses lois pénales, diriges contre les crimes qu'ils commettaient habituellement, prouvent qu'il chercha sinon à les rendre meilleurs, du moins à les intimider. Pour diminuer la brigue, il décréta qu'on ne pourrait exercer la même charge qu'après un intervalle de dix ans, et il defendit qu'on sollicitât la préture avant la questure, le consulat avant la préture. Lucretius Ofella, celui qui avait si longtemps assiége Preneste, scella cette loi de son sang. Il demandait le consulat sans avoir été preteur, Sylla l'avertit de se désister; il continua: un centurion le poignarda au milieu de la place. Quand le peuple traîna le meurtrier aux pieds du dictateur, assis sur son tribunal dans le temple de Castor. « Qu'on relâche cet homme, dit-il, c'est parmes ordres qu'il a agi » ; et il leur conta le burlesque apologue du laboureur qui deux fois arrêté dans ses travaux, à la fin se débarrasse par le feu des insectes dont il est tourmenté, ajoutant : « Deux fois je vous ai vaincus, prenez garde que pour de nouvelles fautes je n'emploie cette fois de plus terribles peines.

Il ne s'était elevé lui-même que par la violence; le premier il avait donné l'exemple de faire marcher sur Rome les légions; il crut pouvoir prévenir le retour de pareils attentats, et, reprenant la loi de lese-majesté de Saturninus et de Varius, il l'étendit à des cas nouveaux. A l'avenir devait être puni par l'interdiction du feu et de l'eau, c'est-à-dire par l'exil, quiconque porterait atteinte

à l'honneur et a la securité de l'Empire, violerait le véto d'un tribun, ou arrêterait un magistrat dans l'exercice de ses fonctions; tout magistrat qui laisserait lui-même degrader entre ses mains les droits de sa charge; tout gouverneur qui de sa pleine autorité declarerait la guerre, sortirait de sa province avec ses troupes, les exciterait à la revolte, les livrerait à l'ennemi, ou vendrait leur liberté à des chefs prisonniers. Ce fut de cette loi, qui plus tard punit nonseulement les actes mais les paroles, que les empereurs firent un si cruel usage.

Par sa loi de falso contre ceux qui falsifiaient la monnaie (1) ou les testaments, qui vendaient ou achetaient des hommes libres, et par la loi de sicariis contre les meurtriers, les incendiaires, les parricides, les faux témoins et les juges prevaricateurs, Sylla punissait des crimes trop communs dans Rome. Par sa loi de repetundis, cette sauve-garde des provinces, il chercha à réprimer l'avidité des preteurs dans leurs gouvernements. Ce fut, au reste, la seule mesure qu'il ait prise en faveur des provinciaux ; homme du passé, il voulait que la conquête, dont il avait lui-même renouvelé les droits, continuât de peser sur eux, et sa loi de provinciis ordinandis ne regarda guere que les intérêts de Rome. Aucun gouverneur ne devait quitter sa province sans ordres; il fallait qu'il y restât jusqu'a ce qu'il plût au sénat de lui envoyer un successeur et qu'il en sortit alors dans les trente jours qui suivaient l'expiration de ses pouvoirs. Cependant il defendit aux gouverneurs de rien exiger au delà de ce qui leur était accordé par les réglements, et limita les dépenses, souvent excessives, que faisaient les provinces pour envoyer à Rome des ambassades.chargées de louer le gouverneur sortant et de gagner d'avance leur nouveau maître.

Depuis la guerre Sociale il n'y avait plus a Rome de tribunaux, plus de justice. Sylla réorganisa les Quæstiones perpetuæ, établies soixante-dix ans auparavant par Calpurnius Frugi. Des lors il y

(1) La falsification des monnaies était arrivée à un tel point, que le peuple avait élevé des statues à Marius Graditianus, qui avait cherché à l'arrêter.

eut huit de ces tribunaux permanents, à chacun desquels fut préposé un préteur. Comme les juges dans ces cours de justice étaient tous sénateurs, et qu'ils prononçaient sans appel, l'administration de la justice criminelle passait tout entière au sénat. Auparavant le droit de récusation était presque illimité; il ne permit pas qu'on récusât plus de trois juges, à moins d'être sénateur.

Nous ne savons pas ce que fit le dictateur pour l'administration financière; il s'en occupa cependant, car il porta de huit à vingt le nombre des questeurs. Tacite nous apprend qu'il toucha même aux limites sacrées du Pomérium, et qu'il agrandit l'enceinte de Rome, bien qu'il n'eût ajouté aucune province à l'Empire.

Dans cette restauration du gouvernement aristocratique Sylla ne pouvait oublier la religion. Malgré l'impiété dont il avait fait preuve en Grèce, il afficha en maintes circonstances un profond respect pour les dieux, et jusqu'à sa dernière heure il crut aux prédictions des astrologues. A la bataille de la porte Colline il tira de son sein une petite statuette d'Apollon, et la pria très-dévotement de le sauver de tout péril. On sait son culte pour la Fortune, et pour Vénus, à laquelle il offrit une couronne et une hache d'or, double symbole de son propre pouvoir. Par conviction comme par politique, il s'efforça donc de rendre le crédit et l'éclat à l'ancienne religion; i augmenta le nombre des pontifes et des augures, qu'il porta de dix à quinze, leur rendit le droit de compléter eux-mêmes leur collége, et fit partout chercher les oracles sibyllins pour remplacer les livres qui avaient péri dans l'incendie du Capitole. Ce temple même il le rebâtit avec magnificence.

Malgré la dépravation de ses mœurs, ses amours infâmes et ses débauches, Sylla rendit plusieurs lois sur la sainteté du mariage, l'abus du divorce, les dépenses des festins et des funérailles. Comme toutes les lois somptuaires, ces dispositions furent sans force et sans durée; celui même qui les avait portées les renversa par son exemple. Mais il n'en fut pas ainsi de ses lois pénales, dont plusieurs dispositions ont vecu jusqu'à nos jours.

Il y a deux choses dans la vie publique de Sylla, et celle à laquelle on songe le moins est la plus grande. A son avénement au pouvoir l'empire et la constitution tombaient en ruines; il sauva l'un à Chéronée, et Rome vécut cinq siècles sur ses victoires; il voulut relever l'autre par ses lois, et elles ne durèrent pas dix années. Cependant si l'on embrasse dans son ensemble cette réforme législative, la plus vaste qui se soit accomplie à Rome depuis les décemvirs, on sera frappé de l'audacieux génie de l'homme qui l'exécuta. Constitution politique, organisation judiciaire, administration publique, vie privée, tout y est réglé. Mais Sylla s'était trompé. Après avoir vu le mal, il s'était arrêté à en combattre les causes extérieures; et quand il eut écrasé le tribunat et remis toute la force légale aux mains d'une aristocratie épuisée, il crut avoir tout fait, et pouvoir se retirer; il n'avait que galvanisé un cadavre.

1. Au lieu de regarder du côté de l'ave'nir, au lieu de reconnaître les idées qui lentement s'élevaient du fond des provinces, de l'Italie, et de Rome même, il était resté les yeux fixés sur les temps anciens; et dans cette évocation aveugle du passé il n'avait pas même songé à tenir compte des éléments nouveaux qui depuis quatre siècles s'étaient produits dans la société romaine. Dans l'antiquité, à laquelle remontait le dictateur, les esclaves, les chevaliers, les Italiens et presque le peuple lui-même n'avaient pas d'existence politique; dans ses lois ils n'en eurent pas davantage. Mais en ne stipulant rien pour les esclaves il rendait possible une troisième révolte, que Spartacus guidera; en effaçant les priviléges des chevaliers, il les mettait du côté de ceux qui voulaient une révolution; en écrasant les Italiens et le peuple il préparait une armée pour Lépide, un parti pour Pompée. Il n'y a pas jusqu'à la guerre sans nom de Catilina qui ne relève de cette dictature malheureuse.

Cette royauté qui ne voulut pas durer n'arracha donc pas le germe de mort qui se développait au sein de la république; et, en donnant à une aristocratie irrévocablement condamnée la force de lutter encore, elle rendit les dernières douleurs plus vives et plus longues.

Il est dur de souhaiter la perte de la liberté et de pousser de ses vœux toute une grande nation vers la servitude. Mais quand cette liberté n'est qu'une sanglante anarchie, où tout se perd, les mœurs, les lois, le sens moral; quand l'héritage du genre humain est en péril par la faute d'un peuple, il faut bien desirer que ce peuple rentre en tutelle plutôt que de retourner à la barbarie.

INUTILITÉ DES EFFORTS DE SYLLA

POUR RENDRE LE POUVOIR

AUX GRANDS. Au reste, Sylla compromit d'avance ses lois en les privant de leur meilleure sanction, l'exemple du législateur. Il n'y a de lois durables que celles qui se défendent elles-mêmes par le respect de tous, et chaque jour il violait les siennes. Il avait puni le meurtre; et il tua sans jugement, après les proscriptions, Ofella et Granius; la trahison, et toutes ses dépêches, tous ses actes étaient scellés du signe d'une perfidie. Il avait restreint les dépenses et ses profusions au peuple, la pompe des funérailles de Métella était une insulte à ses lois somptuaires. Il avait rétabli l'autorité du sénat, et il avait nommé de simples soldats sénateurs. Il avait relevé l'honneur du mariage, et il vivait dans l'adultère et d'infames débauches. D'autres respecteraient-ils cette législation mieux que celui qui l'avait fondée? Il ne le crut pas lui-même, et ses paroles à Pompée au sujet de Lépide prouvent qu'il n'espérait pas pour elle un règne paisible. En effet, odieuse au peuple et aux Italiens, défendue par quelques nobles corrompus et par de grossiers soldats, qui l'abandonneront dès qu'ils auront dissipé l'argent et les terres qu'ils lui doivent, elle avait encore contre elle la classe la plus riche et la plus active, les chevaliers, qui ne trouvaient plus leur place dans la nouvelle constitution. Du vivant même de Sylla deux hommes de l'ordre équestre avaient commencé la lutte Pompée en se créant un parti dans le parti même des syllaniens; Cicéron en attaquant hardiment un affranchi du dictateur, dans le procès de Roscius, et le dictateur lui-même dans une cause moins connue, mais plus grave, où le jeune et audacieux orateur entraîna ses juges à déclarer que Sylla n'avait pu ôter le droit de cité aux villes d'Italie.

7o Livraison. ( ITAL!E. *)

Dans cette réaction, Pompce sera le bras, Cicéron la voix eloquente, et tous deux seront un instant portés par elle au pouvoir suprême.

Sylla etait mort en l'année 78. Trois ans s'étaient à peine écoulés que deja l'édifice qu'il avait éleve chancelait et que huit ans après il s'écroulait en entier. En 75 les tribuns obtinrent le droit de haranguer le peuple et d'aspirer aux charges; après le retour de Pompée d'Espagne, en 70, le tribunat fut rétabli dans tous ses droits, et les jugements furent rendus aux chevaliers. De l'œuvre de Sylla il ne restait plus qu'un souvenir sanglant.

LA RÉFORME PAR L'ARISTOCRATIE ET CELLE PAR LE PEUPLE N'AYANT PU RÉUSSIR, IL EN EST TENTÉ UNE AUTRE PAR LA MONARCHIE. - Ainsi, dans l'espace de soixante années deux tentatives furent faites, en sens contraire, pour reconstituer la république, l'une en vue des intérêts populaires, l'autre au nom des intérêts aristocratiques. La première échoua, parce que les Gracques comptèrent trop sur l'intelligence et la moralité du peuple; l'autre parut réussir, parce que Sylla s'appuya sur la seule force vive qui restât à Rome, la noblesse. Mais cette noblesse était trop protondément corrompue dans ses mœurs publiques, comme dans sa vie privée, pour être digne du commandement. Pompée lui arracha pour payer les applaudissements du peuple ce que Sylla lui avait donné. C'était la encore une restauration inintelligente du passé, un retour aux temps de Sulpicius et de Saturninus, sans plus de garantie contre l'esprit de faction; c'était la guerre ramenée au Forum, où les luttes à main armee recommencèrent aussitôt. C'étaient maintenant les consuls qui reprochaient aux tribuns leurs violences. Nobles et peuple étaient donc également convaincus d'impuissance à gouverner; et il n'y avait plus qu'une expérience à tenter, la monarchie. Trois hommes y tendaient alors; Pompée à la manière de Péricles, par les lois mêmes de son pays; Catilina, comme les Denys et Agathoclès, par les conspirations et la soldatesque; César, à la façon d'Alexandre, par d'irrésistibles séductions et l'ascendant de son génie. Entre les trois hommes, un autre se plaça,

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qui, meilleur que son temps, croyait à la vertu, au pouvoir de la raison, et qui ne se résignait pas encore à la pensée qu'on ne pût sauver cette grande chose, la liberté. Comme Drusus, Cicéron cherchait le salut de la république, non dans la domination exclusive d'une classe de citoyens, mais dans la conciliation de tous les ordres. Avec un seul c'était le despotisme, avec deux la guerre, avec trois l'harmonie, la paix.

:

Je n'ai pas à raconter ici comment il échoua, ni par quelles fautes les grands forcèrent Crassus et Pompée à se rapprocher de César pour former le premier triumvirat. Du jour où trois citoyens, mettant en commun leur crédit, purent dominer l'État, faire des élections et distribuer les provinces, il n'y avait plus de république; il n'y avait plus pour l'établissement définitif de la monarchie qu'une question de temps et de forme de fait elle existait déjà. La mort de Crassus chez les Parthes rompit le triumvirat, et laissa en présence Pompée et César. La bataille de Pharsale décida que le vainqueur ne serait pas celui des deux rivaux qui avait fini par se faire le représentant de l'aristocratie. La liberté était si bien impossible, que le coup de poignard des ides de mars qui tua le tyran ne put tuer la tyrannie. Octave hérita de César; Antoine eût voulu le forcer de partager au moins avec lui ce démembrement de l'Empire était prématuré. Par la bataille d'Actium le monde romain apprit qu'il ne serait pas divisé entre deux domina

teurs.

Résumons. La cause véritable de la chute de la république n'est pas, comme on le répète encore tous les jours, la turbulence et l'ambition de quelques factieux; et les empereurs ne sont pas des tribuns couronnés. Qui a donné l'empire? L'armée, et non pas le peuple; l'armée, où les soldats s'indignent et se croient déshonorés lorsqu'on les appelle citoyens. Qui l'a pris ? des tribuns? Non; mais des généraux, auxquels Marius et Sylla ont révélé le moyen d'avoir des soldats dociles, sans scrupules et exclusivement dévoués à leur personne l'un en enrolant les proletaires et en faisant de la condition de légionnaire un métier; l'autre en montrant qu'avec du

butin et de la gloire on pouvait se rendre assez maître de leur conscience pour les faire marcher sur Rome même. Quel rôle le tribunat joue-t-il dans les dernières convulsions de la république ? Un des plus obscurs. Les violences de Saturninus, de Sulpitius et de Clodius font illusion. Ces hommes, dans n'importe quelle charge, se fussent conduits ainsi; et le tribunat n'était pour eux qu'un instrument commode. Mais dès que les grandes ambitions se montrent les tribuns disparaissent. Ce n'est pas au Forum que Catilina, Pompée, César trouvent leur force, leur point d'appui. Ils comptent n'y demander que la légitimation du pouvoir que les armes leur auront donné.

La république est tombée, nous l'avons dit déja, parce que la classe moyenne disparut à ce point qu'un tribun ́affirmait qu'on ne pourrait compter dans la cité deux mille citoyens propriétaires; elle tomba, parce qu'il n'y eut plus dans l'État qu'une aristocratie peu nombreuse, violente, oppressive, et en face d'elle une populace famélique, qui refusa les offres viriles des Gracques, du pain à condition du travail et de l'économie, mais qui accepta les aumônes intéressées des ambitieux. On lui promettait des jeux, des fêtes, de l'abondance, et l'oisiveté; elle régularisa en échange tout ce qu'on voulut, battant monnaie avec sa souveraineté et payant avec des votes les congiaires et les sportules.

Il y a là une grande leçon : c'est qu'il ne faut aller chercher la liberté ni trop haut ni trop bas. Les grands la veulent pour eux seuls, et la populace ne s'en soucie guère, parce que sous tous les régimes elle en trouve toujours sous ses haillons autant qu'elle en veut, et surtout de celle qu'elle veut.

ORGANISATION DE LA CONSTITUTION IMPERIALE PAR AUGUSTE. Antoine mort, l'Égypte conquise et nulle voix, nulle opposition ne s'élevant dans l'Empire, Octave se trouva seul maître.

Quinze années auparavant un jeune élève des écoles d'Apollonie partait seul de cette ville et arrivait presque inconnu à Rome, où, malgré les conseils de ses proches et les prières de sa mère, cet ambitieux de dix-huit ans avait l'audace de réclamer l'héritage de son père adoptif,

ITALIE.

University c

GENERAL LIBRANT

MICH

tombé sous vingt coups de poignard. D'a- ment presque tout le pouvoir exe
bord on s'était ri de lui; mais les plus habi-
les, il les avait trompés; les plus forts, il
les avait brisés; et sur les ruines de tous
les partis et de toutes les ambitions sa
fortune s'élevait maintenant inébranla-
ble. Arrivé au terme, qu'allait-il faire?
On dit qu'il consulta Agrippa et Mécene;
que celui-là conseilla l'abdication et ce-
lui-ci l'empire. Mais de tels conseils ne
sont tenus que sur les bancs des rhé-
teurs; pour les hommes pratiques, la
république était condamnée, sans que
Mécène eût besoin de plaider contre elle;
et quoiqu'on se plaise à faire d'Agrippa
un héritier des sentiments de Caton et
de Brutus, l'instrument de toutes ces
victoires mor rchiques, le vainqueur de
Sextus et d'Antoine me paraîtra toujours
un singulier républicain. Je ne crois
donc pas aux puériles hésitations d'Oc-
tave, mais à sa ferme volonté de rester
le maître, en sauvant toutefois les ap-
parences et en mettant des formes à son
usurpation; car avec l'exemple de sa vie
César lui avait laissé l'enseignement de
sa mort. Peu soucieux de se rejeter par
des innovations, dont les résultats se-
raient inconnus, au milieu des hasards
d'où il venait de sortir, Octave s'appliqua
à faire de pièces et de morceaux une
constitution qui est restée sans nom dans
la langue politique et qui pendant trois
siecles reposa sur un mensonge. La fraude
ne dure pas d'ordinaire si longtemps;
c'est qu'elle n'était ici que dans la forme.
Tout le monde s'entendait sur le fond
des choses; mais tout le monde aussi
voulait garder la décevante illusion, la
chère et glorieuse image de l'antique
indépendance.

Mais ce qu'il a surtout besoin de c
server, c'est l'armée, garantie meilleure
à une pareille époque que tous les décrets
et que toutes les magistratures. Il ne
veut donc à aucun prix licencier ses
légions; et pour rester à leur tête il se
fit decerner par le sénat le nom d'im-
perator, non pas ce simple titre d'hon-
neur que les soldats donnaient sur le
champ de bataille aux consuls victo-
rieux, mais cette charge nouvelle, sous
un vieux titre, que César avait eue et qui
conférait le conimandement suprême de
toutes les forces militaires de l'Empire.
Les généraux deviennent ainsi ses lieu-
tenants, les soldats lui jurent fidélité, et
il exerce le droit de vie et de mort sur
tous ceux qui portent l'épée.

Il ne prit done ni la royauté, toujours odieuse, ni la dictature, qui rappelait de sanglants souvenirs; mais il connaissait assez l'histoire de son pays pour savoir qu'il trouverait aisément dans les prérogatives mal définies des anciennes magistratures de quoi déguiser la monarchie sous des oripeaux républicains, et qu'il pourrait defrayer le pouvoir absolu avec les lois de la liberté. Depuis l'an 31 il était consul, et c'etait avec ce titre qu'il avait combattu à Actium et devant Alexandrie; il gardera pendant six années encore cette charge, qui le fait chef officiel de l'Etat et qui lui donne légale

Il était consul, imperator; mais il ne pouvait être à lui seul le sénat tout entier. Cependant dans ce système it fallait conserver la vieille assemblée. Octave se décide hardiment à faire du sénat lui-même le rouage principal de son gouvernement. Pour cela deux choses sont nécessaires; il faut que ce corps tombé dans un grand discrédit soit relevé aux yeux du peuple, et en même temps qu'il reste souple et docile. Il atteint ce double but en se faisant donner avec Agrippa pour collègue, et, sous le titre de préfecture des mœurs, la censure, qui lui permet de faire la révision du senat. Il y avait alors mille sénateurs. Sur son invitation, cinquante se firent justice à eux-mêmes, et abdiquèrent; il leur conserva leurs insignes; cent quarante, c'est-à-dire tous les membres indignes et tous ceux, amis d'Antoine ou de Brutus, s'il y en avait encore, qui pouvaient lui porter ombrage, furent rayés. On craignait de leur part quelque entreprise hardie; tant que l'operation dura dix sénateurs armes entourerent le tribunal du préfet des mœurs, et luimême il ne se rendit au sénat qu'avec une cuirasse sous sa toge. Mais les Charonites et les Orcini accepterent leur condamnation en silence.

La guerre avait tant moissonné de vieilles familles que, malgré les anoblissements de César, les patriciens manquaient pour les services religieux qu'eux seuls devaient remplir. Octave, qui tenait à paraître le restaurateur de

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