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leurs maîtres; et vous, Romains, nés pour commander, vous souffrez patiemment la servitude! Et quels sont donc ceux qui ont ainsi envahi la république? Des gens d'une monstrueuse cupidité, couverts de crimes et de sang, les plus pervers et les plus orgueilleux des hommes. Pour eux la bonne foi, l'honneur, la piété, enfin la vertu et le vice sont un objet de trafic. Les uns ont égorgé les tribuns du peuple, les autres ont exercé des procédures injustes, la plupart ont versé votre sang; et c'est là ce qui fait leur sauve-garde; plus ils ont été criminels, plus ils sont en sûreté; la terreur qui devait s'attacher à leurs crimes, ils l'ont fait passer dans vos âmes timides: les mêmes désirs, les mêmes haines, les mêmes craintes, n'ont fait de tous ces hommes qu'un seul homme. Mais ce qui est amitié entre les gens de bien devient conspiration entre les méchants. Si vous aviez autant de souci de votre liberté qu'ils ont d'ardeur pour la domination, sans doute la république ne serait pas, comme aujourd'hui, livrée au pillage, et vos bienfaits seraient le prix de la vertu, non de l'audace. Vos ancêtres, pour conquérir leurs droits et fonder la majesté de cet empire, ont fait deux fois scission, et se sont retirés en armes sur le mont Aventin; et vous, pour conserver cette liberté qu'ils vous ont transmise, vous ne feriez pas les derniers efforts? Cependant vous devez montrer d'autant plus d'ardeur qu'il y a plus de honte à perdre ce que l'on possede qu'à ne l'avoir jamais acquis. On me dira, que demandez-vous? Je veux qu'on sévisse contre ceux qui ont livré honteusement la republique à l'ennemi; qu'on les poursuive, non à main armée, ni par force, ces moyens sont indignes de vous, bien que leurs crimes les dussent justifier, mais par des procédures régulières et le témoignage de Jugurtha lui-même. Si sa soumission est réelle, il s'empressera sans doute d'obéir à vos ordres; s'il les méprise, vous saurez ce que vous devez penser d'une paix ou d'une soumission qui laisse à Jugurtha l'impunité de ses crimes, à quelques hommes d'immenses richesses, à la république le dommage et l'opprobre. Mais peut-être n'êtes-vous pas encore fatigués de leur domination; peut-être préférez-vous ces temps où les

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« Bien que ce soit à mes yeux le comble de l'ignominie pour un homme de cœur de se laisser outrager impunément, je me résignerais à voir le pardon accordé à ces pervers, si votre indulgence ne devait pas entraîner votre ruine. Car ils sont si dépravés, que pour eux c'est peu d'avoir mal fait impunément, si on ne leur ôte le pouvoir de mal faire à l'avenir. Et pour vous ce sera un sujet d'éternelles inquiétudes, quand vous comprendrez qu'il vous faut être esclaves, ou combattre pour garder votre liberté. Et quelle espérance avez-vous d'un accord sincère avec eux? Ils veulent dominer, vous voulez être libres; ils veulent faire le mal; vous, l'empêcher; enfin ils traitent vos alliés en ennemis et vos ennemis en alliés. La paix ou l'amitié peut-elle exister avec des sentiments si contraires?

« Je vous le conseille donc et je vous en prie, ne laissez pas un si grand crime impuni. Il ne s'agit pas de trésor public dilapidé ou d'argent arraché par la violence aux alliés, ces délits, quelque graves qu'ils soient, sont devenus si communs qu'ils sont comptés pour rien aujourd'hui. On a livré à votre plus dangereux ennemi l'autorité du sénat: on lui a livré la majesté de votre empire; à Rome et dans les camps la république

a été vendue.

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que le mal. L'homme vertueux si on le néglige devient seulement moins ze.e, le méchant devient plus audacieux; et en prévenant plus souvent l'injustice vous aurez plus rarement besoin de la répres

sion. »

OPPOSITION DE MARIUS CONTRE LES GRANDS. Ces paroles étaient severes, Marius en fit entendre aux nobles de plus dures encore.

« Je sais, Romains, que la plupart des magistrats ne tiennent pas la même conduite quand ils sollicitent le pouvoir et quand ils l'exercent apres l'avoir obtenu. D'abord actifs, souples, moderes, puis vivant dans la mollesse et l'orgueil. Telle n'est pas ma façon de penser, car autant la republiqué entière est au-dessus du consulat et de la préture, autant il faut mettre plus de soin a bien gouverner qu'à briguer ces honneurs. Je ne me dissimule pas combien l'éclatante faveur dont vous m'avez honoré m'impose d'obligations: pourvoir aux préparatifs de la guerre, menager à la fois le trésor public, contraindre au service des citoyens à qui on ne voudrait pas déplaire, veiller a tout au dedans et au dehors, malgré l'envie, les intrigues et les factions; c'est là, Romains, une tâche plus rude qu'on ne pense. Les autres du moins, quand il leur arrive de faillir, trouvent une protection dans leur ancienne noblesse, dans les grandes actions de leurs ancêtres, dans le credit de leurs proches et de leurs alliés, dans le nombre de leurs clients pour moi, toutes mes espérances sont en moi-même, et il faut que je les soutienne par mon courage et mon intégrité. Car auprès de ceux-là tous les autres appuis sont bien faibles.

Depuis mon enfance jusqu'à ce jour j'ai preparé ma vie aux dangers et aux fatigues; telle a été ma conduite avant vos bienfaits, quand j'étais sans espoir de récompense, telle elle sera aujourd'hui que je l'ai reçue. La modération dans le pouvoir est difficile à ceux qui pour y parvenir ont fait semblant d'être probes; pour moi, qui ai passé ma vie dans l'exercice des vertus, l'habitude de bien faire m'est devenue naturelle.

« Vous m'avez ordonné de faire la guerre à Jugurtha: la noblesse s'est indignée de votre choix. Réfléchissez à

loisir, je vous prie, s'il ne vaudrait pas mieux chonger votre decision, et, dans cette foule de nobles, choisir pour cette expédition, ou pour toute autre, un homme de vieille race, compt int beaucoup d'aïeux et pas une seule campagne, afin sans doute que dans une mission si importante, plein d'ignorance, de trouble et de precipitation, il prenne quel que homme du peuple qui lui enseigne ses devoirs. Il arrive souvent en effet que celui que vous aviez charge du commandement cherche un autre homme qui lui commande. J'en connais, Romaitis, qui après être parvenus au consulat, ont commence à lire les actions des ancêtres et les préceptes des Grecs sur l'art militaire; hommes qui font tout à contre sens, car de ces deux choses, exercer et obtenir le consulat, si l'exercice est la dernière dans l'ordre des temps, c'est la première par l'importance et les résultats.

« Maintenant, Romains, comparez à ces nobles superbes Marius, homme nouveau. Ce qu'ils ont lu ou entendu dire, je l'ai vu ou je l'ai fait; ce qu'ils ont appris dans les livres, je l'ai appris dans les camps.

« Voyez maintenant ce qui vaut mieux des actions ou des paroles. Ils méprisent ma naissance, et moi je méprise leur lâchete. On peut m'objecter a moi le tort de la fortune: à eux l'on objectera leur déshonneur. A mon avis la nature fait tous les hommes égaux, et c'est le plus courageux qui est le plus noble. Si l'on pouvait demander aux aïeux d'Albinus ou de Bestia, de qui, d'eux ou de moi, ils aimeraient mieux être les pères, croyez-vous qu'ils répondissent autre chose, sinon qu'ils voudraient avoir pour fils les plus vertueux. S'ils ont le droit de me mepriser, qu'ils méprisent donc aussi leurs ancêtres, dont la noblesse doit son origine à la vertu.

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Ils sont jaloux de mon élévation, qu'ils ne soient donc aussi de mes fatigues, de mon integrité, de mes périls, qui me l'ont acquise. Mais ces hommes, gàtés par l'orgueil, vivent comme s'ils méprisaient vos honneurs ; et ils les demandent, comme s'ils avaient bien vécu. Certes ils s'abusent d'une étrange manière, en voulant réunir en eux deux

choses incompatibles : les plaisirs de la mollesse et les récompenses de la vertu. Cependant, lorsqu'ils parlent devant vous ou dans le sénat, tous leurs discours sont pleins d'éloges de leurs ancêtres; ils croient se rendre plus illustres en rappelant les belles actions de ces grands hommes mais c'est tout le contraire; car, plus la vie des uns a eu d'éclat, plus la lâcheté des autres est dé gradante.

« La gloire des aïeux est comme un flambeau qui jette sa lumière sur les vertus et sur les vices de leurs descendants.

<< Pour moi, Romains, je n'eus pas cet avantage; mais ce qui est plus glorieux, il m'est permis de parler de mes propres actions. Voyez cependant leur injustice. Ce qu'ils s'arrogent pour une vertu qui n'est pas la leur, ils ne me l'accordent pas pour la mienne; sans doute parce que je n'ai pas d'images et que ma noblesse est nouvelle; mais j'aime mieux l'avoir fondée que de déshonorer celle qui m'aurait été transmise. Je sais bien que s'ils veulent me répondre, ils sauront trouver facilement des phrases éloquentes et arrangées avec art; mais comme depuis que vous m'avez élevé à une si haute dignité, ils nous déchirent en tous lieux, vous et moi, de leurs invectives, je n'ai pas cru devoir me taire, de peur qu'on ne prît mon silence pour

un aveu.

« Ce n'est pas qu'à mon avis des discours pussent me nuire; car s'ils sont vrais, ils doivent faire mon éloge; s'ils sont faux, ma vie et mon caractère les démentent. Mais puisqu'ils accusent la résolution qui m'a déféré une haute dignité et une mission importante, réfléchissez encore si vous devez vous repentir de votre choix. Je ne peux pas, pour le justifier, étaler les images, les triomphes ou les consulats de mes ancêtres; mais, s'il le faut, des piques, un étendard, des colliers, d'autres récompenses militaires, et des cicatrices sur ma poitrine. Voilà mes images. Voilà ma noblesse, laquelle ne m'a pas été, comme la leur, transmise par heritage, mais que j'ai gagnée à force de périls et de travaux.

« Mes discours sont sans apprêt, et je m'en inquiète peu, ma vertu se montre

assez par elle-même. C'est à eux que l'art des paroles est nécessaire pour couvrir la honte de leurs actions. Je n'ai point étudié la littérature grecque, et me souciais peu de l'apprendre ne voyant pas qu'elle eût rendu plus vertueux ceux qui l'enseignaient. Mais j'ai appris des choses beaucoup plus utiles à l'Etat. J'ai appris à frapper l'ennemi, à garder un poste, à ne rien craindre que le déshonneur, à supporter également le froid et le chaud, à coucher sur la terre, à souffrir en même temps les privations et les fatigues. Voilà par quelles leçons j'exhorterai mes soldats. Je ne les ferai pas vivre dans la gêne et moi dans l'abondance, et je n'acheterai pas ma gloire au prix de leurs travaux. C'est là le seul commandement utile, le seul qu'on doive exercer envers des citoyens; car vivre soi-même dans la mollesse et contraindre les soldats au devoir par les châtiments, c'est agir en tyran, et non pas en bon général. C'est par la pratique de ces maximes que vos ancêtres ont illustré et leur nom et la république. La noblesse, s'autorisant de ces grands hommes. auxquels elle ressemble si peu, nous méprise, nous qui sommes ses émules. Elle réclame de vous tous les honneurs, non pas comme une récompense dont il faut se rendre digne, mais comme une dette. En vérité ces hommes si orgueilleux s'abusent étrangement. Ils ont reçu de leurs ancêtres tout ce que ceux-ci pouvaient leur transmettre, des richesses, des images, un souvenir glorieux de leur nom; ils n'ont pas reçu la vertu qu'on ne peut laisser par heritage, et qui ne se donne ni ne se reçoit. Ils m'accusent d'avarice et de grossièreté, parce que je ne sais pas ordonner les apprêts d'un festin, que je n'ai pas d'histrion et que je ne paye pas un cuisinier plus cher qu'un valet de ferme. Je me fais gloire de cet aveu, car mon père et d'autres citoyens vertueux m'ont appris que ces délicatesses conviennent aux femmes et le travail aux hommes; qu'il faut au brave plus de gloire que de richesses, et que ses armes le parent mieux que ses ameublements. Eh bien donc, qu'ils mènent la vie qui leur plaît et qu'ils prisent si fort; qu'ils fassent l'amour, qu'ils boivent, qu'ils passent leur vieillesse où ils ont passé leur ado

lescence, dans les festins, esclaves de leurs sens et livrés aux plus sales passions. Qu'ils nous laissent à nous la sueur, la poussière et toutes les fatigues, plus agréables pour nous que leurs délices. Mais il n'en est pas ainsi, car lorsque ces hommes avilis se sont déshonorés par tous les excès, ils viennent ravir les récompenses de la vertu. C'est ainsi que par une injustice odieuse, la débauche et la lâcheté, les pires de tous les vices, sans nuire à ceux qui s'y livrent, sont un fléau pour la république qui en est innocente. »>

Ces paroles haineuses étaient une nouvelle déclaration de guerre. Soutenus en effet par la gloire du vainqueur de Jugurtha et des Cimbres, les tribuns recommencèrent la lutte. Le plus fameux, le plus entreprenant fut Saturnius, dont nous avons raconté dans la première partie les excès et la triste fin. La mort de ce turbulent citoyen, et l'exil volontaire de Marius rendirent pour quelques années le calme à la ville et la sécurité aux grands. Le tribun Drusus remit tout en question. Il voulait remanier de fond en comble la constitution et associer enfin les Italiens au peuple romain. Les grands le firent assassiner; mais la guerre Sociale éclata. On ne la termina qu'en accordant le droit de cité au plus grand nombre d'Italiens. Dès lors la vieille constitution ne pouvait plus durer; comme elle déclarait que la Souveraineté ne devait pas être exercee ailleurs qu'a Rome même, elle ne pouvait plus convenir dès que le peuple romain ne renfermait plus seulement les Italiens groupés autour de la ville dans les campagnes environnantes. La lutte entre Marius et Sylla eut pour prétexte la répartition des nouveaux citoyens dans les trente-cinq anciennes tribus, et pour motif réel le désir dans les chefs, le besoin dans la foule d'une domination monarchique. Qu'on cherche bien en effet dans la vie de Marius, et on n'y trouvera pas une seule idée politique. Aussi de toutes les renommées que Rome nous a léguées, celle-ci est-elle une des moins légitimes. Un autre, sinon Marius, eût vaincu les Cimbres et sauvé l'Italie, et cet autre, peut-être, n'eut pas comme lui, chargé d'ans et de gloire, jeté Rome dans la guerre civile;

il n'eut pas inauguré le meurtre, non de quelques citoyens, mais de classes entieres, comme maxime politique et raison d'État. Sans Marius, Sylla n'eût pas été ce qu'il fut. Nous avons honore les Grac ques malgré leurs fautes, fletrissons ici l'ambition sterile de celui qui ne fut pas même un homme de parti.

REFORME ARISTOCRATIQUE DE SYLLA. - Sylla fut un tout autre homme, à part ses vices et sa cruaute. Sans doute une fois qu'il fut sorti de l'obscurité, où il se retint lui-même jusqu'à quarante-cinq ans, il ne voulut pas, malgré le faste de son abdication, y rentrer. Mais maître du pouvoir, il s'occupa de régénérer le gouvernement de son pays. Il n'eut pas seulement de l'ambition, mais de grandes idées politiques; et pour s'être trompe dans ses reformes il n'en reste pas moins un homme eminent.

Sylla n'avait été toute sa vie qu'un soldat, habitué sous Marius lui-même à l'obeissance militaire. S'inquiétant bien plus de la puissance de Rome que de sa liberté, il voulut faire régner au forum le silence des camps. Cette liberté, il est vrai, n'était plus que la licence. Mais pour arrêter ces tiraillements perpétuels, qui à la fin auraient compromis la fortune de Rome, il ne sut trouver d'autres remèdes qu'un retour vers le passé: il crut l'aristocratie assez forte pour porter le poids de l'empire, et il le lui donna.

I importe peu de présenter les lois du dictateur dans l'ordre, incertain d'ailleurs, où elles se succederent; il vaut mieux les classer sous différents chefs selon qu'elles se rapportent aux catégories suivantes: extension de l'autorite du sénat, limitation de la puissance des tribuns et de l'assemblée du peuple, mesures relatives au droit de cité, aux Italiens, aux provinciaux; lois pénales, lois somptuaires, etc.

La guerre civile et les proscriptions avaient décimé le sénat. Sylla y fit entrer trois cents membres nouveaux, choisis parmi les chevaliers; et pour faire de cette assemblée le pivot de l'Etat, le principe conservateur de la constitution, il lui rendit les jugements et la discussion préalable des lois, c'est-à-dire le veto législatif, Il lui conserva le droit de

désigner les provinces consulaires, et plaça les gouverneurs dans sa dépendance en établissant que ceux-ci resteraient dans leurs provinces tant qu'il plairait au sénat.

Les tribuns perdirent le droit de présenter une rogation au peuple, leur véto fut restreint aux seules affaires civiles, et le tribunat lui-même fut presque déclaré infamant. Du moins l'exercice de cette charge ôta le droit d'en briguer d'autres, et les ambitieux s'éloignèrent d'une magistrature condamnée au silence et au désintéressement.

Si les tribuns ne pouvaient plus parler au peuple, si toute loi devait être préalablement approuvée par le sénat, les comices par tribus perdaient en réalité leur puissance législative réduits à l'élection des magistrats inférieurs, ils semblaient n'exister plus. Quant aux comices par centuries, Sylla ne songea pas à leur rendre par le rétablissement intégral des classes le caractère aristocratique que Servius leur avait donné. Cependant la nécessité que toute proposition de loi fût précédée d'un sénatus-consulte portait une grave atteinte à leur souveraineté législative, comme leur pouvoir judiciaire en souffrait une par l'érection de nouveaux tribunaux permanents, et par la suppression du droit d'appel. En matière électorale le peuple fut encore dépouillé de la prérogative qu'il possédait depuis l'an 104, de nommer lui-même les pontifes. Quant aux chevaliers, qui depuis cinquante ans jouaient un si grand rôle, Sylla n'en tint compte. Il ne les trouvait pas dans la vieille constitution, il les effaça de la nouvelle. Il en fut de même de la censure; à ses yeux, c'était une magistrature récente, qui voulait primer le senat lui-même; il la supprima. Mais la censure et l'ordre équestre se vengèrent. Ce sera par les chevaliers que sa legislation périra, et les premiers censeurs nommés neuf ans après sa dictature chasseront de son sénat soixantequatre membres. Afin de paraître faire quelque chose pour le peuple et les pauvres, il confirma la loi de Valerius Flaccus qui abolissait les dettes d'un quart. Il baissa aussi le prix des denrées, mais pour se donner le droit de supprimer les distributions qui nourrissaient la

paresse du peuple. Si un enseignement politique ressort de la constitution romaine, c'est celui-ci, assurément, que le gouvernement qui veut être fort, calme et durable doit faire la part des éléments nouveaux qui successivement se produisent dans la cité. Les sociétés sont de grandes familles, où les aînés doivent partager avec les plus jeunes à mesure que ceux-ci arrivent à la force, à l'intelligence, au travail commun. Durant trois siècles, ce système avait fait la fortune de Rome. Mais depuis longtemps l'aristocratie y avait renoncé; et cette faute Sylla l'exagérait encore par ses lois. Les tribuns, le peuple et les grands étaient ramenés de quatre siècles en arrière, les uns à l'obscurité du rôle qu'ils jouaient le lendemain de la retraite au mont Sacré, les autres à l'éclat, à la puissance des premiers jours de la république. Mais Sylla pouvait-il aussi les rappeler aux mœurs antiques : les nobles au désintéressement, les pauvres au patriotisme? Il ne le crut pas; il n'essaya pas même de rendre aux grands et au peuple par une épuration sévère la considération et le respect d'eux-mêmes. Loin de là: dans le senat il fit entrer des gens obscurs et indignes; dans le peuple il répandit dix mille esclaves des proscrits qu'il affranchit, et qui portèrent son nom, les Cornéliens. Des Espagnols, des Gaulois obtinrent même le droit de cité; et il laissa les autres Italiens, excepté ceux qui avaient servi contre lui, répandus dans les trente-cinq tribus. C'était un fait accompli sur lequel il ne voulait point revenir, pour ne pas soulever de nouvelles irritations. Dù moment d'ailleurs qu'il rendait le gouvernement exclusivement aristocratique, il y avait moins de danger à prodiguer un titre presque inutile mais qui satisfaisait encore la vanité. Aussi le laissa-t-il à ses vétérans établis dans les colonies militaires. Ce n'en était pas moins, dans son système, une imprudence; car ces nouveaux citoyens pouvaient faire arriver un de ses ennemis au consulat, et dans l'anarchie legale où Rome vivait depuis un demi-siècle un consul pouvait défaire ce qu'avait fait un dictateur.

L'établissement des colonies militaires fut une des mesures les plus importantes de la dictature de Sylla. Elles changerent

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