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la religion comme de l'État, se fit ordonner par le sénat et par le peuple de créer de nouvelles familles patriciennes. Ce tribun parvenu, c'est ainsi qu'on le représente, relevait donc l'aristocratie tombée. Comme Bonaparte, qui s'efforcait de placer entre lui et le peuple ce qu'il appelait ses grands corps intermédiaires, le pouvoir nouveau prenait ses précautions contre la révolution d'où il était sorti; il voulait un sénat, il voulait des nobles, c'est-à-dire qu'il remettait dans cette société, troublée encore et nivelée, une hiérarchie nécessaire pour se distancer lui-même de la foule; précaution vaine, car cette noblesse, factice comme toute celle qui ne sort pas de ses propres œuvres, si elle est sans force pour résister à celui qui l'a créée, est trop faible aussi pour le défendre ou pour le contenir, autre manière de le sauver. Dans trois siècles Dioclétien et Constantin reprendront cette idée plus sérieusement, mais trop tard. Octave défaisait au reste d'une main ce qu'il élevait de l'autre, en montrant à ces nobles ses rancunes par la défense faite à tout sénateur de sortir de l'Italie sans permission expresse. Il est vrai que ces soupçons se cachaient ici encore sous le prétexte de la bonne administration de l'Etat et que la défense était renouvelée d'anciens édits consulaires, de façon qu'elle paraissait un retour aux vieilles et sages coutumes.

Toutes ces mesures furent prises durant son cinquième consulat. L'année suivante il fit la clôture du cens, qui marqua quatre millions soixante-trois mille citoyens. Le dernier denombrement, celui de l'an 70, en avait donné neuf fois moins, quatre cent cinquante mille. Cette augmentation, due surtout à César, prouve ses intentions libérales. Octave ne le suivra pas dans cette voie. Le peuple romain compte maintenant plus de dix-sept millions d'âmes, c'est toute une nation; il la trouve assez nombreuse et assez forte pour porter le poids de l'empire; tout en restant ce qu'il importe encore de maintenir visà-vis des provinciaux, une classe privilégiée. Sous son règne le chiffre des citoyens ne s'accroîtra que de trentequatre mille.

Lorsque les anciens censeurs fer

maient le cens, celui dont ils avaient mis le nom en tête de la liste des sénateurs, ordinairement l'un d'entre eux, s'appelait le premier du sénat, princeps senatus, et cette place, toute d'honneur, lui était laissée sa vie durant. Agrippa donna à son collègue ce titre républicain (28 av. J. C. ). Aucun pouvoir n'y était attaché; seulement, en l'absence des consuls désignés, le prince du sénat parlait le premier, et, dans les habitudes romaines, ce premier avis exerçait toujours une grande influence; que serace quand il sera donné par l'homme qui a dans les mains toute la puissance militaire. En réalité Agrippa venait de placer les délibérations du sénat sous la direction d'Octave. Personne n'avait le droit de s'en plaindre; qui même en avait le désir? Les fêtes et les jeux se succédaient; le peuple avait reçu une mesure de blé quatre fois plus forte que d'ordinaire; les sénateurs pauvres, des gratifications, et les debiteurs du trésor avant Actium, la quittance de leurs dettes. Pour venir au secours de lærarium épuisé, Octave avait lui-même fait des emprunts. Pourquoi douter et craindre? Ne venait-il pas de donner un gage éclatant du respect qu'il voulait avoir pour les lois et la justice en supprimant toutes les ordonnances triumvirales. Peu d'hommes politiques ont osé prononcer ainsi leur propre condamnation et renier une moitié de leur vie pour assurer à l'autre les sympathies publiques. Rien donc, extérieurement, n'annonçait le maître; il venait d'abdiquer la préfecture des mœurs; s'il était prince du sénat, c'était comme Catulus, et vingt autres l'avaient été avant lui; s'il était encore consul, c'était par les suffrages du peuple, et ne le voyaiton pas alterner les faisceaux avec son collègue, suivant l'antique usage, comme les magistrats d'autrefois, jurer en sortant de charge qu'il n'avait rien fait de contraire aux lois. Le titre d'imperator accusait seul des temps

nouveaux.

et,

Aux premiers jours de l'année 27 Octave se rendit à la curie; il déclara que son père étant vengé, et la paix rétablie, il avait le droit de renoncer aux fatigues du gouvernement et de prendre sa part du repos et des loisirs que ses victoires

avaient faits à ses concitoyens; en consequence il déposait ses pouvoirs entre les mains du senat. On s'était résigné à avoir un maître, et voilà qu'un désintéressement inattendu remettait tout en question. Le plus grand nombre fut frappé de stupeur. Les uns craignaient; d'autres, plus clairvoyants, doutaient. On eut vite le mot de cette partie jouée, avec un grand sérieux, à la face de Rome. Ceux qui étaient dans le secret, ou à qui on l'avait laissé deviner, se recrient contre ce làche abandon de la république, contre ces égoïstes désirs, qui iraient bien à un citoyen obscur, qui sont coupables dans celui que le monde proclame et attend encore pour son sauveur. Octave hésite; mais le sénat tout entier le presse : il accepte enfin, et une loi volée par le peuple, sanctionnée par les pères conscrits, lui confirme le comHandeinent suprême des armées, qu'il augmentera ou diminuera à son gré, avec le droit de faire la paix ou la guerre. Ce n'est point Auguste qui usurpe, mais le peuple romain qui se dépouille. Les formes sont sauvées et la légalité sera acquise au despotisme.

Du reste, Octave continue son rôle de modération affectée; ce titre d'impérator qu'on lui offre à vie, il ne le veut que pour dix ans, pour moins encore, s'il achève plus tôt la pacification des frontières. Le commandement des armées exigeait et entraînait le commandement dans les provinces, et le sénat les avait toutes placées sous son autorité absolue en l'investissant de la puissance proconsulaire; il s'effraye d'une telle charge; qu'au moins le sénat partage avec lui. I lui laissera les régions calmes et prospères de l'intérieur, il prendra pour lui celles qui remuent encore ou que les barbares menacent. Tout le monde s'immolant ce jour-là au bien public, le sénat se soumet à la nécessité d'administrer la moitié de l'Empire; il est vrai qu'il n'aura pas un soldat dans ses paisibles provinces, qu'envelopperont les vingt-trois légions de l'imperator; cependant, dans la ferveur de sa reconnaissance, il cherche un nom nouveau pour celui qui ouvre à Rome une ère nouvelle. Munacius Plancus propose celui d'Auguste, qu'on ne donnait qu'aux dieux; le sénat et le peuple saluent de leurs acclamations répé

tees cette derniere apotheose (17 janvier, 27 av. J. C. ). La carrière était ouverte à l'adulation, tous s'y précipitent; un tribun, Pacuvius, se devoue a Auguste, et jure de ne pas lui survivre : une foule insensée et servile repete apres lui le même serment. La longue vie du prince les dispensa de tenir parole, et le tribun eut tout loisir d'exploiter son dévouement. Il était bon d'encourager la bassesse; Pacuvius reçut des recompenses et des honneurs.

A l'époque que nous avons atteinte, le fondateur de l'Empire n'avait encore dans les mains d'une façon exceptionnelle que l'autorité militaire (1). Mais Auguste ne fut jamais impatient d'arriver; afin de justifier son pouvoir, il quitta Rome pendant trois ans, et alla organiser la Gaule et l'Espagne, soumettre les Slaves par un de ses lieutenants, et dompter lui-même les Astures et les Cantabres. Quand il revint, en l'an 24, après une maladie qui le frappa à Tarragone, la joie causée par son rétablissement à son retour se traduisit en nouvelles concessions. Il avait promis une distribution d'argent; mais avant de la faire, il sollicita modestement l'autorisation du senat, qui répondit en le dispensant de la loi Cincia, relative aux donations. Cette dispense, ici peu importante, étant un premier pas sur cette doctrine fondamentale du pouvoir absolu, et proclamée plus tard par Ulpien, le prince n'est lie par aucune loi. On le flatta aussi dans les siens. Marcellus, à la fois son neveu et son gendre, fut autorise a briguer le consulat dix ans avant l'âge; une pareille exemption de cinq années fut accordée à Tibere, son fils adoptif. En même temps l'un fut nommé édile et l'autre questeur.

L'idée de l'hérédité perçait dans ces honneurs prématurés; mais Auguste était trop prudent pour la laisser deja s'établir; plus que jamais au contraire il affichait des sentiments republicains. Dans son onzième consulat, une nouvelle maladie l'ayant reduit à toute extrémité, il appela autour de son lit de mort les magistrats et les plus illustres

(1) Il avait aussi le consulat, mais en se le faisant également donner à chaque élection.

des sénateurs et des chevaliers. On croyait qu'il allait déclarer Marcellus son successeur au titre d'impérator; mais, après avoir quelque temps parlé des affaires publiques, il remit à Pison, son collègue au consulat, un état des for ces et des revenus de l'Empire, et à Agrippa son anneau. C'était le testament d'Alexandre au plus digne! Aux yeux de beaucoup de gens c'était mieux encore, puisqu'il semblait instituer la république même pour son héritière. Afin qu'on n'en doutât pas, il voulut, quand le médecin Musa l'eut guéri, qu'on lût au sénat l'écrit où il avait déposé ses dernières volontés. Les pères déclarè rent bien haut cette preuve inutile, et refusèrent la lecture du testament. Alors il annonça qu'il abdiquerait le consulat; nouvelle opposition du sénat et du peuple. Mais il s'opiniâtre dans son désintéressement, sort de Rome, où il n'est plus libre de se montrer sans ambition, et va abdiquer sur le mont Albain. Le choix de son successeur ne fut pas moins habile; il se substitua Lucius Sextius, qui avait servi de questeur à Brutus et qui conservait un religieux respect pour la mémoire de son général, dont l'image ornait encore sa maison.

Il y aurait eu de l'ingratitude à demeurer en reste avec un tel homme. Rome devait se montrer autant que lui généreuse et confiante. Il abandonnait quelques mois le consulat, on lui donna pour sa vie durant la puissance tribunitienne, avec le privilége de faire au sénat quelque proposition qu'il lui plut, et l'autorité proconsulaire, même dans les provinces sénatoriales, avec le droit de porter l'habit de guerre et l'épée jusque dans l'intérieur du Pomorium. Cette fois c'était bien réellement l'abdication du sénat et du peuple. Car à l'autorité militaire, qu'il avait déjà, on ajoutait la puissance civile que les tribuns, grâce à la nature indéterminée de leur charge, avaient plus d'une fois envahie tout entière. Depuis que les ambitieux ne cherchaient plus leur appui dans le peuple, mais dans les armées, le tribunat était bien déchu; cependant il était toujours populaire, et il pouvait encore donner le droit à celui qui avait la force, parce qu'il plaçait légalement la constitution sous son pouvoir discrétionnaire. Au

guste se garda bien de refuser la magistrature républicaine par excellence, celle qui rendait inviolable et dont le premier devoir était de veiller au salut de l'État, dùt-on pour l'atteindre passer par-dessus les lois; car Cicéron lui-même avait formulé le célèbre et dangereux axiome: Salus populi suprema lex esto.

Ainsi Auguste allait avoir le droit de proposer, c'est-à-dire de faire des lois, de recevoir et de juger les appels, c'est. à-dire la juridiction suprême d'arrête par le veto tribunitien toute mesure. toute sentence, c'est-à-dire d'opposer partout sa volonté aux lois et aux magistrats, de convoquer le sénat ou le peupie, et de prendre c'est-à-dire de diriger à son gré les comices d'élection. Et ces prérogatives il les aura non pour une aunée, mais pour la vie; non dans Rome seulement et jusqu'à un mille de ses murs, mais par tout l'Empire; non partagées avec neuf collegues, mais exercées par lui seul, sans compte à rendre, puisqu'il ne sortait jamais de charge, et accrues encore de toute l'influence que lui donnent ses autres pouvoirs et son inviolabilité. Nous voici donc enfin en pleine monarchie, et l'on ne peut accuser Auguste d'usurpation, car tout se fait légalement, même sans innovation blessante. Il n'est ni roi ni dictateur, mais seulement prince au sénat, imperator à l'armée, tribun au Forum, proconsul dans les provinces. Ce qui était autrefois divisé entre plusieurs est remis dans les mains d'un seul; ce qui était annuel est devenu permanent. Voilà toute la révolution; c'est l'inverse de celle qui suivit l'expulsion des Tarquins. En quelques années, et sous l'habile conduite d'un seul homme, Rome remontait la pente qu'elle avait mis cinq siècles à descendre.

Après ce grand pas, Auguste s'arrêta quatre années, qu'il employa à organiser les provinces orientales et à convaincre les Romains de l'impuissance et de l'inutilité de leurs magistratures républicaines. De tous les grands démembrements de la puissance publique il ne restait hors de ses mains que la censure et le consulat; je ne parle point du souverain pontificat, qu'il laissait dédaigneusement à Lépide. Mais la censure était comme abolie de fait, et le consulat il se

l'était fait donner tous les ans. Pour laisser les Romains faire une dernière épreuve, il rétablit l'une et il renouça à l'autre. Les comices de l'an 23 nominerent d'abord consuls Marcellus et Auruntius. Mais comme si le ciel était complice de la politique d'Auguste, dès qu'ils furent entrés en charge, le Tibre déborda, la peste désola l'Italie et la disette épouvantà la ville. Le peuple, voyant dans ces malheurs des signes de la colere, des dieux, s'ameuta contre le sénat, qui permettait à Octave de déserter son poste et d'abandonner la république. Les sénateurs enfermés dans la Curie furent menacés d'y être brûlés vifs s'ils ne le nommaient dictateur et censeur à vie. Auguste refusa, et le peuple insistant, il déchira de douleur ses vêtements, découvrit sa poitrine, et demanda la mort plutôt que la honte de paraître attenter à la liberté de ses concitoyens. Il prit cependant l'intendance des vivres, mais afin d'avoir le droit de veiller avec plus de sollicitude à la subsistance du peuple. Quant à la censure, dont il avait été parlé, il la fit donner à deux anciens proscrits Planicus et Paulus Lepidus. Ces deux répub licains étaient bien choisis pour avilir la grande charge républicaine et ôter aux Romains le respect qu'ils lui gardaient encore. « Censure malheureuse, dit un contemporain, qu'ils passèrent en de continuels débats, sans honneur pour eux-mêmes, sans profit pour la république. L'un n'avait point l'energie d'un cen seur, l'autre n'en avait pas les mœurs. Paulus ne pouvait remplir sa charge, Plancus eut dû la craindre. » La censure ne s'en releva pas. Plancus et Lépidus furent les derniers investis de cette magistrature dans la forme antique. Quand les troubles de l'an 19 firent souhaiter le rétablissement d'une magistrature qui put atteindre ceux que la loi ne pouvait toujours frapper, Auguste fit pour la censure ce qu'il avait fait pour le tribunat, ce qu'il fera encore pour le consulat, il prit l'autorité de la charge, sans le nom; on lui donna pour cinq ans la préfecture des mœurs (magister morum).

Le consulat tomba de la même manière. Il ne l'avait pas accepté, avons nous dit, pour l'an 22. Aussitôt les brigues d'autrefois re' arurent des troubles

éclatèrent, et toute la ville fut agitée par ces ambitions insensées qui se precipitaient sur une ombre de pouvoir comme sur le pouvoir même. Auguste était alors en Sicile; il manda aupres de lui les candidats, et, apres les avoir vivement gourmandés, il fit proceder a l'election en leur absence; mais la tranquillité de Rome lui importait trop pour qu'il n'eût pas dans la ville quelqu'un qui put lui en répondre. Agrippa, qu'il avait honorablement éloigne pour complaire au jeune Marcellus, mort maintenant, fut appele, fiancé à la fille de l'empereur et envoyé dans la capitale, où l'ordre rentra avec lui. Les choses allèrent bien jusque vers le temps ou Auguste s'apprêta à quitter l'Orient. Certain d'arriver bientôt, il envoya Agrippa contre les Cantabres, révoltés, et laissa Rome encore une fois à elle-même. Pour y augmenter les chances de troubles, et je ne pense pas être injuste envers Octave en lui prêtant ces calculs, que l'histoire n'atteste pas mais que son caractere autorise à croire, il évita de notifier avant le 1er janvier son refus d'accepter une des deux places de consul qu'on lui avait réservée. Sentius entra done seul en charge; mais cette nouveauté irrita, et de nouveaux comices d'élection ayant été annonces on s'y porta avec des passions et des colères qui rappelereat les plus beaux jours des violences tribunitiennes. Le sang même coula. Le sénat, qui le prenait encore au sérieux, exhuma la vieille et redoutable formule par laquelle le consul etait investi de l'autorité dictatoriale, Caveat ne quid respublica detrimenti capiat. Sentius connaissait mieux son rôle et ses forces; il refusa ce qu'on lui donnait, et le sénat, ramené au sentiment de sa faiblesse, envoya des députés à Auguste. L'imperator, satisfait, se hâta de nommer un d'entre eux consul substitué.

L'épreuve était faite : dès que la main d'Auguste s'éloignait Rome retombait dans le désordre, les gens sages le pensaient; ils le dirent tout haut dans le sénat; et en rentrant dans la ville Auguste y trouva la proposition de recevoir pour sa vie durant la puissance consu laire. Il avait déjà la réalité du pouvoir : l'armée et les provinces, une partie qui chaque jour s'agrandira sans nouveaux

efforts de l'activité législative et judiciaire; il est enfin le chef véritable de l'administration et du pouvoir exécutif, car les charges qui semblent encore indépendantes ne sont ouvertes qu'à ses créatures. Il pourrait donc laisser les grands de Rome jouer à la république avec ce consulat qui, cerné de toutes parts, n'a plus qu'une vaine représentation. Mais il faut en finir avec cette révolution qu'il prolonge depuis dix ans; pour compléter son établissement monarchique il ne peut laisser en dehors la charge qui donne action sur tous les citoyens, qui durant cinq cents ans a représenté la gloire et la puissance de Rome, et qui tout à l'heure encore avait failli se changer en dictature. Cependant il se gardera de faire disparaître cet illustre débris: il sera consul comme il est tribun, je veux dire qu'il aura sans partage les droits de la charge tout en permettant à d'autres d'en porter le titre et les insignes. Non-seulement il conservera le consulat, mais il le multipliera en quelque sorte; et, comme s'il ne trouvait jamais assez de consulaires, chaque année il en fera trois, quatre, même un plus grand nombre (consules suffecti); c'est une manière aussi de tuer un pouvoir que de l'étouffer sous six hommes. L'inoffensive magistrature durera maintenant plus que l'Empire même.

Les consuls, comme presque tous les magistrats romains, pouvaient promulguer des édits; Auguste, à titre de proconsul, de tribun et de censeur, avait déjà ce droit, mais limité aux affaires relevant de chacune de ces charges. En lui donnant la puissance consulaire les sénateurs étendirent pour lui à presque toutes les questions le jus edicendi des consuls. Ils voulaient jurer d'avance d'obéir à toutes les lois Augustales; comptant plus sur sa force que sur leurs serments, il les dispensa d'une formalité inutile. Tibère témoignait plus tard de la multitude et de l'importance de ses règlements. Lui-même il suivit cet exemple que tous ses successeurs imitèrent; et les édits impériaux devinrent la source la plus abondante où puisèrent les jurisconsultes de Justinien. Rédigés non plus au point de vue étroit d'une caste et d'une cité, mais dans l'in

térêt universel de l'empire, ils firent entrer chaque jour davantage le droit naturel dans le droit civil. Sans eux le code romain n'eût jamais été appelé la raison écrite.

Auguste n'avait accepté que pour dix ans le commandement des provinces et des armées; au commencement de l'année 18 il se fit renouveler pour cinq ans ses pouvoirs; ce temps devait suffire, disait-il, pour qu'il terminât son ouvrage. Mais quand il fut écoulé il demanda une nouvelle prorogation de dix années, et continua ainsi jusqu'à sa mort, en protestant chaque fois contre la violence qu'on faisait à ses goûts, au nom de l'intérêt public. En souvenir de ces abdications répétées du sénat et du peuple, ses successeurs, jusqu'aux derniers moments de l'Empire, célébrèrent toujours la dixième année de leur règne par des fêtes solennelles. Sacra decennalia.

Ce sénat était bien dévoué, bien docile ! Mais les corps politiques assez nombreux pour que la responsabilité de chaque membre se cache et se perde dans la foule ne se prêtent pas toujours au silence et à l'immobilité. Récemment le sénat avait montré quelque velléité d'agir. Auguste, qui, comme je l'ai dit, voulait paraître gouverner par lui, avait besoin d'y trouver encore plus de résignation. Il se décida à l'épurer une seconde fois, et Agrippa, qu'il associa cinq ans à la puissance tribunitienne, l'aida encore dans cette opération. Dion et Suétone en rapportent les détails, en exagérant sans doute les craintes qu'elle inspirait à Auguste. Quelques libres paroles s'y firent entendre. Un des exclus montra sa poitrine couverte de cicatrices, un autre s'indigna qu'on l'eût admis en chassant son père; et Antistus Labéon, choisi avec trente de ses collègues pour présenter chacun une liste de cinq candidats, mit en tête de la sienne le nom de Lépide. N'en connais-tu pas de plus digne, demanda Auguste avec colere? Ne le conserves-tu pas comme souverain pontife, répondit froidement le grand jurisconsulte; et Lépide revint siéger à la curie. Mais ce retour au sénat ne le tira point de son abaissement; sa mort, arrivée cinq ans après (13 av. J. C.), laissa libre le grand pontificat, qu'Auguste saisit enfin. Ce fut sa dernière usurpation; il ne

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