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UN DUNKERQUOIS COLON

A St-DOMINGUE (Antilles)

de 1763 à 1818

d'après les lettres inédites de Dominique LE MAIRE

PUBLIÉES PAR

M. L'ABBÉ GEORGES RAFIN

Membre Actif

INTRODUCTION

M. Dominique Le Maire (1), né à Dunkerque, le 4 Juin 1739, fils d'Etienne Antoine et de JeanneThérèse Maleise, partit de cette ville en 1763 pour le Port-au-Prince, île de Saint-Domingue, dans les Antilles, dans le but de liquider la maison mortuaire de M. Antoine-Joseph Maleise, son oncle, et de recueillir ce qui en devait revenir à sa famille, environ 42.000 francs.

Il se plut dans ce climat, s'y fixa, et résolut de fonder pour son compte un établissement.

Il demeura d'abord au Port-au-Prince, mais il y

(1) La famille Le Maire était originaire de Desvres en Artois.

subit un funeste tremblement de terre. Ce désastre le détermina à se rendre à Jérémie, où il réalisa le projet de fonder cette superbe habitation, qu'après 34 ans de travaux, de soins, d'énormes dépenses et de persévérance, il devait se voir forcé d'abandonner par suite de l'insurrection des nègres.

Des acquisitions, des concessions territoriales le rendirent à Jérémie propriétaire de 386 quarreaux de terre 6543 pas; le quarreau de Saint-Domingue représentant 35.000 pieds de France et le pas 3 pieds et demi, il cultivait donc plus de 150 hectares.

Ces terres étaient divisées en deux parties. L'une, portant le nom de Hatte et Corail, à dix lieues NordEst de Jérémie, était sur la paroisse de Dame-Marie, dont Dominique Le Maire devint plus tard marguillier; l'autre, dépendant de la paroisse de Saint-Louis de Jérémie portait le nom de la Rarine des Abricots, et se trouvait à six lieues Sud-Ouest de Jérémie, dans le quartier de la Grande-Anse.

Cette dernière était la plus importante et placée dans les hauteurs sur le rivage droit du bras droit de la Grande rivière de Jérémie.

Après avoir parcouru ses terres et s'être assuré d'avoir de l'eau, il choisit un monticule pour y établir sa demeure; il y bàtit sur pilotis sa maison, sa case à maître, divisée en huit pièces, la plus solide et la plus spacieuse de toutes celles du quartier; tout près de là, un bâtiment servant de cuisine; un peu plus loin, sa boulangerie; et, à quelque distance de ces divers bâtiments, une caloge vaste et très étendue pour y placer les produits de ses récoltes, et capable de contenir celle de trois ans en cas d'événements. Plus loin se trouvaient les cases à nègres, avec

les portions de terrain assignées à chacune d'elles; ce qui offrait à la vue l'aspect d'un grand hameau ou village.

Dominique Le Maire cultivait sur ses terres le café, le coton et le cacao. Les deux premiers étaient ses productions favorites. Il y fit jusqu'à 70 et 80 milliers de café. Son revenu annuel dépassait 200.000 livres, argent d'Amérique. On se fera une idée de sa situation, quand on saura que l'on offrait, en 1791, aux dires de capitaines de navires dunkerquois qui y avaient séjourné, jusqu'à 30.000 fr. pour cent quarreaux de terres non défrichées.

Pour cette exploitation, il avait plus de cent nègres ou négresses, dont le plus grand nombre était né sur sa propriété.

Outre les plantes indigènes, il cultivait dans son verger, qui était très spacieux, des arbres exotiques, tels que le giroflier, le canellier et le muscadier, et il y réussissait au-delà de ses espérances.

Craignant les effets fâcheux de l'influence des idées révolutionnaires à Saint-Domingue, il prit la résolution de faire des envois de café et de coton à sa sœur, Mme Fockedey-Le Maire (1), à Dunkerque, pour s'assurer un sort en France en cas de bouleversement; mais les guerres, le blocus et les troubles de la colonie mirent bientôt obstacle à l'exécution de ce dessein.

Ses contemporains racontent qu'il menait une vie simple et frugale, ne montrant aucun goût pour le faste, le jeu ou les plaisirs.

Célibataire, d'une conduite absolument régulière et n'ayant d'autre désir que celui d'atteindre par son

(1) La mère du Conventionnel.

application et ses travaux agricoles à une haute prospérité, il n'avait en vue que le bien-être de ses nombreux neveux et nièces, dont il avait fait comme ses enfants adoptifs.

Dominique Le Maire mourut à Kingston, dans la Jamaïque, en 1818.

Les extraits de ses lettres, qu'on va lire, nous montrent ses espérances quand il passe les plus belles années de sa vie à former l'habitation, qui était de tout le quartier la plus riche en culture, la plus remarquable par la solidité et la distribution de ses bâtiments, la plus digne d'observation pour la douceur du régime intérieur qui y régnait. Nous serons ensuite témoin de ses angoisses quand la Révolution pénètre dans la colonie, nous assisterons aux progrès de l'insurrection, nous lirons les discours des chefs nègres et mulâtres, nous assisterons aux horreurs de leurs féroces représailles. Nous verrons enfin Dominique Le Maire quittant son habitation pour échapper au fer dont le menacent les nègres qui lui doivent leurs moyens d'existence, tombant dans les mains des Anglais, menant dans l'exil la vie pauvre et pénible du prisonnier, mourant enfin loin de sa patrie et de sa famille.

Cette correspondance entièrement inédite n'intéresse pas seulement par les détails historiques qu'elle donne sur la vie d'un colon, propriétaire d'un grand nombre d'esclaves et sur l'insurrection des Noirs de Saint-Domingue, elle captive à la manière d'un roman, racontée avec cette éloquence pénétrante de l'homme qui parle sous l'impression des événements qu'il décrit.

I

Un premier voyage en « course >>

Ma chère Mère (1),

Brest, 26 Mars 1759.

J'ai eu l'honneur de vous écrire une lettre le 13 courant, dans laquelle je vous marquais notre relâche ici, et que nous avions fait deux prises, une chargée de tabac, laquelle est bien arrivée à Cherbourg, et l'autre de riz, laquelle étant bien amarrée dans le port de Bréhat (2), y est coulée bas par l'ignorance du capitaine de prise, qui est Menertje Bart, frère de Maritje. L'on n'en a retiré que 87 barils de sec, tout le reste est avarié. Nous avons reçu des canous de Morlaix, et nous comptons appareiller demain.......

Ma chère Mère,

Baudon (3), 10 Avril 1759

Nous avons eu le malheur d'être pris le 3 par deux vaisseaux de guerre anglais, qui nous ont conduits à Kinsale (4) en Irlande, où nous sommes arrivés le 6 courant. Le lendemain on nous a envoyés à Baudon, petite ville à deux lieues de Kinsale, où nous avons notre liberté sur notre parole d'honneur. Nous avons été très bien traités par les Anglais; personne n'ayant été plantéré, nous avons ici 6 deniers d'Angleterre par jour pour vivre. Cela suffit à la vérité pour vivre, mais misérablement en mangeant des patates en guise de pain. C'est pourquoi je vous prie de vouloir bien remettre six louis à M. Possel, à qui j'écris par cet ordinaire d'avoir la bonté de m'en faire toucher le montant ici par le moyen de ses amis de Londres. J'espère que vous aurez reçu ma part de pluntrage de la Fulvie.

(1) Jeanne-Thérèse Maleise, veuve de Antoine-Etienne Le Maire, ancien doyen du corps des Marchands, sous le titre de Saint-Louis, décédée à Dunkerque le 13 Novembre 1762, àgée de 61 ans. Elle était née à Ypres de Josse et de Jeanne Devor.

(2) Ile de la côte du département des Côtes-du-Nord, arrondissement de St-Brieuc, canton de Paimpol, 10 kil. nord, 1100 hab.

(3) Ville du comté de Cork, province de Munster, Irlande, sur le Baudon, tributaire de l'Atlantique.

(4) Ville du comté et à 22 kil. de Cork, Irlande, sur l'estuaire du Baudon.

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