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dernière entrevue de bien autre chose que d'un discours sur les successions, dont Mirabeau ne s'était jamais occupé, mais de secrets politiques d'une très haute importance, surtout des complots du PalaisRoyal et des intrigues qui avaient préparé les journées des 5 et 6 octobre 1789. On sait que cet horrible attentat fut le coup le plus funeste porté à la monarchie, à l'existence de la famille royale, et que Mirabeau se sépara aussitôt après de la faction d'Orléans, non pas certainement par amour de la dynastie régnante, mais par mépris pour le prince dont il avait entrepris de servir les ambitieux projets, et qui, par sa lâcheté, les faisait échouer dans l'exécution. Il exprima ce mépris si hautement et dans des termes si énergiques que le duc d'Orléans et son parti ne le lui pardonnèrent pas, qu'il fut convenu dans les comités du Palais-Royal, qu'on chercherait par tous les moyens à conjurer les périls d'une aussi fàeheuse défection. Talleyrand, resté fidèle à la cause du Palais-Royal, sans toutefois se séparer du grand orateur, l'observa au contraire dès-lors avec plus d'attention, et l'on ne peut pas douter qu'il n'ait eu à sa mort une très grande part. Comme dans ce temps-là tout se disait et s'imprimait ouvertement, il fut dit dans plusieurs journaux et dans d'autres écrits, même à la tribune, que c'était à son instigation et par ses conseils qu'un poison sans remède lui avait été administré dans une partie de débauche, chez une dame Lejeai, notoirement sa maîtresse. Jamais l'évêque d'Autun ne s'est lavé de cette accusation; et le discours qu'il prononça le lendemain à la tribune pour annoncer la mort du grand orateur dont il se

dit impudemment l'exécuteur testamentaire, est pour nous une preuve plutôt qu'une négation de sa complicité, dans un crime commis tout entier au profit de la révolution, de la faction qui l'avait commencée, et qui voulait l'achever à tout prix, per fas et nefas Ainsi nous ne doutons pas que tout le pompeux discours du prélat, annonçant la proie immense que la mort venait de saisir, ne fût qu'une de ces comédies dont les fastes de la révolution, et surtout la vie de Talleyrand, offrent tant d'exemples!

Nous ne pensons donc pas que, ni lui, ni le comte de Lamark, aient reçu des mains de Mirabeau l'œuvre posthume récemment publiée et qui ne contient au reste rien de relatif aux événements dont celui-ci avait été, ainsi que Talleyrand, le confident et l'un des principaux acteurs. Nous savons même que ce comte de Lamark fut longtemps fort embarrassé de ces papiers que le hasard avait mis dans ses mains; que, ne se sentant pas capable d'en être l'éditeur, il s'adressa successivement à plusieurs hommes de lettres, notamment à Beaulieu, notre collaborateur, qu'il fit venir vers l'an 1820 à Bruxelles, où il le retint pendant deux ans, et d'où celui-ci revint fort mécontent, disant que le comte n'y entendait rien, qu'il voulait supprimer les choses les plus intéressantes. Il est évident qu'une partie de ces manuscrits, qui ont fini par tomber dans les mains de la famille d'Orléans et viennent d'être publiés, ne contiennent rien d'important, comme nous l'avait dit Beaulieu, et que tout ce qui était relatif aux complots du Palais-Royal en a disparu. On n'imagine pas à quel point Louis-Philippe s'occupait depuis la Restau

ration, surtout dans les derniers temps de sa vie, de presse et de publications historiques. Nous avons là-dessus des détails curieux et qui trouveront leur place ailleurs.

A la même époque, beaucoup de bruits fâcheux se répandirent sur le goût effréné de Talleyrand pour le jeu, et sur les pertes considérables qu'il y avait faites. Il reconnut luimême qu'il avait perdu 30,000 francs en un jour au salon des Échecs. Ce qu'il y a en cela d'assez bizarre, et ce qui caractérise bien l'époque, c'est que ce fut précisément dans le même temps qu'on lui proposa sérieusement l'archevêché de Paris, et que les électeurs, parmi lesquels se trouvaient, il est vrai, suivant les décrets, des protestants et des juifs, pensèrent qu'un joueur et pis encore peut être un très-bon archevêque... Plus sage qu'eux, il s'y refusa, persuadé que là ne seraient pas les profits de la révolution.

A cette époque le prélat député était devenu le point de mire de toutes les attaques contre la révolution, et surtout contre les ennemis du clergé. Ce fut probablement à cause de cela et pour se séparer entièrement de la cause religieuse qu'il se démit de l'évêché d'Autun, l'un des plus beaux de l'ancienne France, et qui conduisait nécessairement au siége archiépiscopal de Lyon, ce que Talleyrand savait fort bien. Mais comme il l'avait dit aux envoyés de la cour, les profits de la révolution lui paraissaient plus amples et mieux assurés.

Cependant il ne vit rien de mieux alors que d'accepter une place d'administrateur du département de Paris, qu'avait occupée Mirabeau. Si ce ne fut pas avec l'intention de travailler beaucoup à l'administration qu'il accepta cet emploi, ce fut

sans doute pour y trouver quelque moyen d'intrigue, et faire de l'agiotage et des spéculations de bourse, comme il en a fait toute sa vie.

Dès les premiers jours il rédigea, au nom de cette autorité, une adresse ou remontrance des plus impertinentes qu'ait jamais faites un parlement, et il la présenta luimême au roi, ce qui est bien sûr, car il s'en est vanté dans une publication ultérieure. Nous n'en citerons que quelques mots, dirigés contre les ecclésiastiques qui avaient refusé de prêter serment à la Constitution civile du clergé, et dont Louis XVI continuait à s'entourer, au grand déplaisir de l'évêque d'Autun.

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.... Cachant sous un voile saint leur orgueil humilié, les en- nemis de la liberté versent sur la religion des larmes hypocrites; ce - sont là, sire, les hommes dont vous êtes entouré. On voit avec peine que vous favorisez les réfractaires, que vous n'êtes servi presque que par des ennemis de la Constitution; . et l'on craint que ces préférences trop manifestes n'indiquent les véritables dispositions de votre cœur. Sire, les circonstances sont fortes; une fausse politique doit répugner « à votre caractère, et ne serait bonne « à rien; éloignez de vous les ennemis de la Constitution. Chargez de • vos instructions des ministres qui soient dignes de cette auguste fonc«tion. Que la nation apprenne que • son roi s'est choisi, pour envi- ronnner sa personne, les plus fer- mes appuis de la liberté. »

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Ces dernières paroles indiquent assez le but et les motifs de cette audacieuse remontrance. Le ci-devant évêque avait refusé la candidature au siége de Paris, parce qu'il savait bien

que désormais il n'y aurait rien à gagner dans la carrière ecclésiastique pour son ambition et sa cupidité, mais qu'il n'en était pas de même de celle du ministère. Or, c'était encore Louis XVI qui nommait ses ministres; et le prélat député savait bien qu'on n'obtenait rien de ce faible monarque que par les menaces et les injures. Cependant il ne réus sit pas dans ce nouveau calcul. Louis XVI était trop pieux, trop honnête homme pour placer à côté de lui un prélat que le pape avait excommunié, un prélat qui s'était fait le défenseur et l'appui de tant de décrets contre le droit et contre l'Église, auxquels il allait être luimême obligé de refuser sa sanction. On touchait alors à la fin de cette Assemblée, se disant constituante, qui s'était emparée de tous les pouvoirs par tant de violences, d'usurpations, et qui allait les remettre avec tant d'imprévoyance et de maladresse à des hommes encore plus pervers et plus ignorants. Talleyrand ne prit plus de part à ses débats, et il s'en tint à ses fonctions d'administrateur du département, dont même, selon son usage, il ne s'occupa guère, ne les considérant sans doute que comme un provisoire, un marche-pied pour s'élever davantage.

Ce fut à la fin de l'année 1791 que le citoyen Talleyrand, qui n'était plus ni évêque ni député, mais qui conservait le titre d'administrateur du département de Paris, reçut la mission de ministre non accrédité ou non avoué près le gouvernement britannique. C'était certainement une mission de très-haute importance, et les causes, les motifs en restent encore ignorés pour la plus grande partie. Nous sommes cependant parvenu à les pénétrer, et l'évidence de ce que

nous en dirons est telle que, pour tout lecteur de bonne foi, le doute sera impossible. Le prélat-diplomate arriva à Londres avec son digne ami le duc de Lauzun, qui, grand seigneur comme lui, s'était comme lui jeté dans le parti de la révolution et les intrigues du Palais-Royal. On doit penser qu'il ne fut pas étranger aux secrets de cette ambassade et qu'il en connut toutes les instructions. Ces instructions étaient de plus d'une espèce. Les premières, données par la bonté de Louis XVI, tendaient à sauver la France d'une guerre commencée en apparence pour le sauver, mais dont toutes les conséquences le conduisirent à l'échafaud. Ce n'était pas à celle-là que tenait le prélat-ambassadeur; les instructions qu'il avait reçues de la faction révolutionnaire ou des comités du Palais-Royal, ce qui fut toujours identique, l'intéressaient bien davantage. Georges III, qui ne voyait qu'avec effroi les infortunes et les dangers de Louis XVI et qui désirait sincèrement l'aider à en sortir, était en apparence assez bien secondé par les ministres Pitt, Granville, Portland, etc.; mais on sait que dans ce pays, pour les rois comme pour les ministres, la raison d'État est toujours au-dessus de toutes les autres, et malheureureusement, alors comme toujours, ce qui était dans l'intérêt de la France n'était pas toujours dans celui de l'Angleterre, ou du moins il n'est que trop vrai que ses ministres ne le voyaient pas ainsi, et que d'ailleurs, poussés par le parti de l'opposition, il ne dépendait pas d'eux complétement de venir au secours de Louis XVI comme l'eût désiré Georges III. Il était même déjà survenu l'année précédente quelques différends entre la France et le ministère britannique, à l'occasion

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d'une importation de 20,000 sacs de blé qui fut demandée au nom de Louis XVI dans un moment de ces disettes factices qui eurent tant de part aux premières crises de nos révolutions. C'était, il est vrai, aux réclamations de l'opposition parlementaire que le refus d'une exportation aussi peu importante devait être attribué; mais nos désordres révolutionnaires avaient donné beaucoup de force à ce parti, qui, dirigé par des hommes supérieurs, tels que Fox, Grey et Sheridan, était devenu très redoutable. Ils applaudissaient à nos innovations, et, secondés par le parti démagogique, en tête duquel on remarquait Prietsley, Thomas Paine, etc., ils se flattaient de les introduire dans les Trois-Royaumes. Déjà ils s'étaient mis en rapport avec nos clubs et même avec l'Assemblée nationale, à laquelle, dès le mois d'octobre 1791, la Société constitutionnelle des wighs de Londres avait adressé une déclaration où elle applaudissait aux principes de la révolution et prenait l'engagement d'en appuyer le succès par tous les moyens en son pouvoir. D'autres associations avaient exprimé les mêmes idées, et le ministère en avait conçu de l'inquiétude. On ne peut pas douter que le parti de la révolution, en France, n'eût aidé à de pareilles manifestations et qu'il n'y eût des rapports établis entre les révolutionnaires des deux pays. On ne peut pas douter non plus que Talleyrand n'eût connaissance de tout cela, et il l'ignorait d'autant moins que toutes ces intrigues, toutes ces correspondances aboutissaient au point central du Palais-Royal, où, du vivant de Mirabeau, il avait été fortement question d'une imitation de cette révolution de 1688 qui avait

fait passer la couronne d'Angleterre dans une branche collatérale.

Tout, depuis 1789, concourait au succès de ce plan; mais la coalition desgrandes puissances de l'Europe inquiéta vivement alors les chefs du parti révolutionnaire; et ce fut pour conjurer le redoutable orage dont les menaçaient les conventions de Mantoue et de Pilnitz qu'ils envoyèrent en même temps Ségur et Biron à Berlin, Sémonville à Turin, Talleyrand à Londres, et dans d'autres cours encore des agents moins connus. Si les deux premiers de ces envoyés eurent d'abord moins de succès, c'est sans doute parce qu'ils furent moins habiles ou qu'ils rencontrèrent plus d'obstacles. Le duc de Lauzun (Biron), qui, ainsi que nous l'avons dit, était venu à Londres avec Talleyrand dans le mois d'octobre 1791, en était parti presque aussitôt pour la Prusse qu'il s'agissait de faire entrer dans le même système que l'Angleterre. La lettre qu'il écrivit peu de temps après de Berlin à son ami Talleyrand indique assez les plans de cette époque, et elle caractérise si bien les hommes et les choses de ce pays, que nous croyons devoir la citer. Heymann (1)

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(4) Heymann était un général fort intrigant, qui avait quitté le service de France pour passer à celui de Prusse, lors du voyage de Varennes, auquel le marquis de Bouillé tait repenti. Heymann avait aussi fait un l'avait employé, ce dont plus tard il s'évoyage à Berlin, en 1790, avec la recomman dation de Mirabeau et beaucoup d'argent. Louis XVI, qui, étant prévenu, ne lui fit Revenu en France, il avait été présenté à aucun accueil. Nous pensons que Bouillé s'en défiait également alors; mais Biron, qui appartenait tout entier au parti d'Orléans, ne pensait pas ainsi. Devenu gé néral prussien, Heymann accompagna son nouveau souverain dans l'expédition de Champagne, en 1792, et il y fut l'agent se

cret, le confident intime du duc de Brunswick, dans ses négociations avec Dumouriez.

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.est à nous autant que jamais. Per⚫ sonne ne peut mieux tenir dans sa - main tous les entours illuminés et corruptibles du roi. Les bases de • toute négociation avec lui doivent être un asile en France, c'est-àdire une propriété en terres pour • Bischoffwerder, qu'on ne lui déli« vrera qu'après le succès, et quelques centaines de louis pour lui donner de la confiance et du zèle. . A ce prix, je réponds de Bischoffwer• der. Il faut de l'argent, et beaucoup - d'argent, pour mademoiselle de Donhoff, maîtresse du roi, pour son oncle Lindorff, vilain gueux qui a beaucoup d'influence sur elle et qui aime l'argent mieux que tout. Il en faut aussi pour mademoiselle .de Lindnau, maîtresse de Bischoff4werder, qui le gouverne tout-à• fait; il en faut encore pour le mi⚫nistre Wohlner, garçon illuminé de Bischoffwerder, qui, quand il le faut, fait parler le Saint-Esprit et ⚫ marcher l'ombre du grand Frédé• ric. Il faut ensuite ménager et payer quelques intrigants subalternes, ⚫ tels que Rietz, sa femme, et un va⚫let de chambre, secrétaire intime ⚫ du roi, qui signe pour lui, qui s'appelle Dufour, ne peut rien, mais sait tout. Il est important de ne pas regarder à l'argent, de ne pas craindre d'être un peu volé, pourvu • qu'on réussisse, et d'assurer une - fortune considérable à l'heureux négociateur, sans le rechercher du ⚫ tout sur la comptabilité de sa corruption, etc. >> Biron terminait cette espèce de rapport confidentiel si vrai, et qui conduisait si naturellement aux moyens de corruption employés plus tard avec tant de succès par Dumouriez, en insistant sur la nécessité de se hâter en Prusse comme en Angleterre. On ne peut pas douter LXXXIII.

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que Talleyrand, n'ait parfaitement compris tout cela. Il reçut cette dépêche à Paris, au retour de son premier voyage, et se hâta de la communiquer à ceux qui dirigeaient avec lui la diplomatie de cette époque, notamment Dumouriez; et il y répondit lui-même ainsi, dès le lendemain 5 janvier 1792: « Tous les gens en qui « vous et moi avons confiance, mon cher Lauzun, trouvent l'idée de Berlin ce qu'il y a de plus sauveur dans le moment.... J'espère que • vous serez un peu plus content de nous.... M. Jarry part, comme vous l'aviez ordonné, pour la Prusse. Les instructions sont celles que vous auriez dictées; il monte après-demain en voiture, etc.,»

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C'était certainement pour prendre part aux négociations que l'on suivait alors avec toutes les puissances que Talleyrand était revenu à Paris; cependant il n'y resta pas longtemps. Les affaires de Londres n'étaient pas moins urgentes, et il y retourna bientôt. Avant d'en venir à cette seconde mission, nous achèverons le récit de la première, en citant le jugement qu'en a porté Gouverneur Morris, ce judicieux observateur, dans une lettre qu'il écrivit de Londres, le 4 février 1792, au président Washington. On y remarquera quelques traits assez piquants et qui complètent bien le portrait de notre diplomate....C'est ⚫ ici l'occasion de parler de cet abbé de Périgord, depuis évêque d'Autun, homme de haute naissance, d'esprit et de plaisir, générale• ment décrié par la multitude et la publicité de ses amours, la légèreté de ses discours, son agiotage durant le ministère de Calonne, avec · lequel il était alors dans le meilleur accord et parmi les ennemis ⚫ duquel il s'est rangé depuis.. Après

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