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maire, j'étais à sa suite, lorsqu'imprudemment il livra César et sa fortune aux coups du premier audacieux qui aurait cru, en le tuant, débarrasser la France d'un Cromwell, ou à l'effet d'un décret qui l'aurait mis hors de la loi. Il était mon général, je n'étais pas accoutumé à respecter les hommes qui le menaçaient, ni le corps qu'il venait dissoudre, je crus devoir me dévouer pour son salut. Je me mis à la tête de quelques grenadiers, et j'arrivai assez tôt pour recevoir dans mes bras le héros évanoui. C'est à cette circonstance que je dois la faculté de vous parler ici avec franchise. On m'offrit, pour la vingtième fois, un grade éminent : je le refusai pour conserver mon honneur et le droit de fronder la cause pour laquelle je me bats. Depuis ce temps j'ai vu toutes les parties du continent successivement en próie aux guerres que l'ambition de Napoléon exeite, sous le prétexte d'en fermer les avenues aux Anglais, mais avec le but réel de s'emparer de tous les territoires et de tous les peuples, de renverser tous les trônes qu'il n'a pas établis, de déposséder tous les souverains qui ne tiennent pas de lui leurs couronnes., Camarades, j'ai versé des pleurs de rage en voyant par quelles fureurs les pays où nous passions étaient ravagés. En quittant l'Espagne, j'ai brisé. mon sabre teint du sang d'une nation brave et fidèle; et ici, dans ces déserts où vous entraîne le démon de la guerre, je jure que je ne viens chercher qu'un asile où repose mon cadavre, une tombe où s'éteignent le mouvement et la vie de ce bras toujours armé pour une cause que je déteste, et pour des tyrans abhorrés ou méprisés par moi... » On sonne la charge; les Cosaques sont en vue: le capitaine s'élance sur son cheval en saluant de la main ses auditeurs stupéfaits....

Intentique ora tenebant..

No. XXXVIII.

Le Mécanisme des Bulletins.

La scène est à Smolensk.

Buonaparté se promène les bras croisés, et semble méditer profondément, tandis que Berthier, assis près d'une table, tire des notes des papiers qui y

sont entassés.

Napoléon. Eh bien! qu'avons-nous perdu? Berthier. Cela surpasse de beaucoup nos premières conjectures. Notre perte va au-delà de celle présumée des Russes. Des régimens entiers sont anéantis. Jamais je n'ai parcouru avec plus d'effroi ni de douleur les rapports des généraux. Notre armée se consume dans tous ces combats; nous perdons l'élite de nos troupes, et les remplissages qui nous arrivent, quoique se trouvant assez proportionnés à nos pertes journalières, sont loin de les réparer.

Qui aurait pu croire que cette guerre aurait duré si long-temps, et surtout que nos manoeuvres si hardies, faites avec des forces supérieures, n'auraient jamais ni coupé, ni enveloppé, ni tourné les corps russes?

- Ces manœuvres ont réussi quelquefois, mais la bravoure des troupes ennemies les a toujours tirées de ces mauvais pas. Les Russes se sont toujours fait un passage à travers nos colonnes, et, je l'avoue,

cette intrépidité qui jamais ne se dément, ce courage également froid et indomptable, m'effrayent pour nos armées, si nous ne parvenons pas bientôt à mettre fin à cette guerre meurtrière.

Ah! je croyais bien les tenir à Smolensk ; je croyais bien avoir assez provoqué les généraux russes pour les entraîner à livrer bataille.

-Ils ne nous la livreront qu'après que nous nous serons évidemment épuisés par nos marches forcées et nos combats journaliers; que lorsqu'ayant perdu l'élite de nos officiers, nous serons obligés de rester sur la défensive.

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Eh bien, j'irai à Moscow.

La prise de cette ville figurerait merveilleusement dans un bulletin, mais en tirerons-nous un avantage proportionné au bruit que nous pourrons en faire? Nous avançons dans des pays où nous ne pouvons occuper que peu de positions militaires, nous nous étendons sur une terre désolée et dépeuplée, nous nous éloignons de nos ressources et de nos renforts; et si nous éprouvons un revers décisif, nous nous trouverons sans point d'appui pour nous maintenir. Je conçois que les Russes auront aussi à réparer de grandes pertes, et qu'ils ne pourront le faire que par de nouvelles levées; mais outre que ces nouveaux soldats ont plus de force physique, ils ont plus de courage réel que nos conscrits fatigués d'avance par de longues marches et découragés par tous les bruits qui circulent contre nous pour démentir nos bulletins.

Ces bruits ne peuvent circuler : n'ai-je pas défendu, sous peine de mort, qu'on s'entretînt en Allemagne des événemens de la guerre ?

Cela

pourra

contenir les mécontens et les alarmistes aussi long-temps qu'en nous voyant avancer on pourra nous supposer des succès; mais si jamais.

nous restons stationnaires par prudence ou par nécessité, les rapports, les bruits, les conjectures les plus défavorables se répandront comme un torrent dans l'Allemagne mécontente, et nous susciterons des ennemis qui n'attendent pour se déclarer que d'apprendre que les Russes ont été vainqueurs.

Je viendrai sur ces misérables avec le bruit et la rapidité du tonnerre, je les réduirai en poudre. Je ne veux pas qu'il se dise sur le continent un seul mot, qui s'y publie une seule ligne qui accuse ou contrarie mes plans. Je connais les hommes; j'ai prouvé que je les connaissais; je puis à mon gré maîtriser en eux la parole et l'opinion.

Oui, Sire, tant que vous serez victorieux; mais combien ils se vengeraient de leur silence et de leur soumission, si la défaite nous forçait à revenir sur nos pas !

Si j'étais battu, je ne me montrerais que plus terrible aux yeux de cette race humaine que je déteste; mes derniers efforts feraient crouler le monde ; j'anéantirais avec moi la création. Ecrivez, Berthier. (Buonaparté dicte le 13e. bulletin.)...... « Le duc de Tarente a trouvé à Dunaberg 20 pièces de canon au lieu de huit, ainsi qu'on l'avait an

noncé.....

Sire, ne trouvez-vous pas cette circonstance un peu minutieuse pour'un bulletin de la grande armée, surtout après les énumérations exagérées que nous avons faites de tout ce que nous avons pris depuis le commencement de la campagne?

Je trouve, au contraire, que cette remarque donne un air de vérité au bulletin, et qu'elle prouve que dans tout ce que nous avons dit de nos prises nous n'avons pas exagéré. Berthier, vous ne connaissez pas les hommes; ils s'arrêtent aux petits détails, et s'ils les trouvent fidèles, ils croient en

suite les choses les plus extravagantes. (Buonaparté continue. ) « Il a obligé plusieurs bâtimens chargés de plus de 40 mille bombes de se retirer....

Sire, cela ne peut être considéré comme un exploit militaire; il est assez naturel que quand une forteresse est prise, les navires qui y apportaient des projectiles se retirent.

Berthier, écrivez quarante mille bombes, cela est sonore, cela donne une haute idée de la forteresse pour laquelle elles étaient destinées, et par conséquent de l'exploit qui l'a livrée dans nos mains. Nous avons dans cette campagne si peu de faits militaires remarquables, qu'il faut s'attacher à tout, et qu'il faut même ajouter une teinte plus forte à notre charlatanisme ordinaire.... Ecrivez.... « Le prince de Schwartzemberg fait le plus grand éloge des troupes saxonnes et autrichiennes. Če prince a montré une grande activité.......

-

que

Sire, que dira l'armée, qui sait les Saxons, les Autrichiens et Swartzemberg ont montré beaucoup de mollesse, et que Votre Majesté en a hautement exprimé son indignation?

-Eh! sac.... est-ce pour l'armée que je fais mes bulletins ? Peut m'importe qu'elle y voie des contradictions, pourvu qu'elle continue à se battre de manière à me fournir des matériaux pour les faire? Ne voyez-vous pas que je veux persuader à l'Europe que mes alliés par force se battent comme s'ils étaient là de bonne volonté, et que par conséquent j'ai un fonds inépuisable de bons soldats. D'ailleurs, cela peut donner de la bravoure à ces soldats du pape. Le suffrage du premier capitaine de l'univers peut beaucoup sur des gens qui portent l'uniforme. Ecrivez : « L'Empereur a fait demander des promotions et des récompenses pour les officiers de son corps d'armée qui se sont distin

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