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qu'aucun doute, aucun scrupule ne déconcertent. L'instinct est bien extraordinaire chez moi : il me montre dans tout homme un ennemi, et dans toute femme une proie. On m'a comparé au tigre: Que je ressemble au tigre ou au lion, peu m'importe; si, quand cela est nécessaire au maintien de mon pouvoir, j'ai l'impitoyable férocité de l'un et la terrible colère de l'autre. Il y a un langage que je n'ai jamais entendu, c'est celui du sentiment. Les délices de l'amour me semblaient des chimères, ses tourmens une chose ridicule; les plaisirs de la bienfaisance, les émotions de la pitié n'ont jamais eu d'accès dans mon cœur. Cette froideur est la plus grande qualité d'un homme destiné à commander aux autres. Alexandre aimait, il a mal fini; César était aussi susceptible de sensibilité, il est tombé sous les coups de son propre fils. Auguste a été cruel, ce n'est que quand il a été affermi qu'il a paru humain. S'il eût élé menacé eusuite, il eût été inexorable dans ses vengeances. J'aime Attila ; il n'avait point de pitié; Tamerlan était trop généreux; Gengiskan avait trop de grandeur d'âme. Parmi tous ces hommes-là, je n'en vois aucun qui me vaille, ou plutôt je possède toutes leurs qualités réunies sans avoir leurs faiblesses. Je suis né pour commander au monde. J'ai entendu Roederer me citer une maxime dont voici, je crois, le sens : « Il faut croire n'avoir rien fait, tant qu'il reste quelque chose à faire » J'aime cette maxime, j'en veux faire mon motto. Dans le fait, j'oublie tout ce que j'ai fait, je suis insensible à mes triomphes, à mes progrès, quand je vois tout ce qui reste encore debout autour de moi. Ce n'est que de l'ensemble que je jouirai. Ce n'est que quand j'aurai tout détruit et tout recréé, que je me reposerai. Encore me reposerai-je? Non, je déteste le repos, c'est mon

plus grand ennemi; si je dois périr, c'est par le

repos.

Je n'ai jamais été frappé de la gloire des autres que pour l'envier, et de leur pouvoir que pour le détruire. Je me suis trouvé avec les monarques de la terre, leur présence ne m'a inspiré d'autre émotion que celle de la haine. Et cependant le vulgaire les respecte. Ah! je les réduirai si bas, qu'on n'osera pas même les plaindre.

Il y a une chose qui exciterait en moi un rire inextinguible, si mes muscles pouvaient se prêter à ce genre de convulsion; c'est l'espoir qu'on a en général de me voir humain quand je serai redouté autant que je dois l'être, et généreux quand tout sera arrangé selon mes plans. Pauvres idiots! vous -ne connaissez pas mon cœur: je n'ai jamais été humain ou généreux que par politique, et quand je pourrai tout oser sans imprudence, c'est alors que ses replis se développeront à l'univers épouvanté ! ô que de délices ce moment me promet!

J'ai été Jacobin dans la révolution, ou plutôt, ainsi que les libellistes m'en accusent, j'ai été terroriste, tueur, mitrailleur ; je leur accorde tout cela, parce que l'ensemble de na destinée l'explique et le justifie. Ce parti convenait à mon instinct, et si je n'étais pas empereur, j'aurais voulu être Roberspierre.

La preuve de l'affinité qu'il y a entre ce parti et moi, c'est que tous les Jacobins que j'ai employés m'ont servi fidèlement. Je sais qu'ils aiment mes mesures acerbes, et que partout où il y a sévérité et oppression on est sûr de l'alacrité avec laquelle ils prêtent leur ministère.

J'ai eu lieu de juger les hommes qui ont survécu à la révolution après y avoir joué un rôle. Ils

sont vains de l'influence qu'ils ont eue, parce qu'ils prétendent qu'elle fut la récompense de leur caractère et de leurs talens; mais en général, je les ai trouvés peu habiles dans l'administration, et peu fermes dans leur marche. Ils ont plus de pénétration que de connaissances, et plus d'astuce que de fermeté. Ce sont des tigres qui, en perdant leur férocité, sont devenus des chats.

Syéyes est un métaphysicien sans idées claires et sans caractère décidé. Ainsi que le dit Talleyrand, on l'a cru profond, il n'est que creux; son silence, qu'on attribuait à une haute prudence, n'était quelquefois que le résultat d'un défaut d'idées, et presque toujours celui de sa timidité et de son indécision. Quand j'ai vu cet homme de près, j'ai été surpris de sa nullité. Cependant, comme il avait acquis une certaine finesse par l'habitude où il était de jouer un rôle calculé, je n'aurais jamais pu écraser sa réputation sans le secours de Cambacérès.

Cambacérès a un vilain nom et un mauvais renom. Cependant je l'ai comblé d'honneurs et chargé d'ordres et de richesses. Il en est tout surpris, j'en suis étonné moi-même. Il n'y a qu'heur et malheur dans ce monde. On dit qu'il a l'air d'un singe; n'importe, j'ai chamarré ce singe-là; les magots de la Chine brillent quelquefois des plus vives couleurs. Il faut qu'il y ait à ma cour des hommes plus laids que moi; quand on rit de leur figure, on ne s'occupe pas de la mienne.

Talleyrand est le seul homme de mon empire qui ait osé me mystifier; c'est celui que je croyais le moins capable de tant d'audace. Les courtisans consommés méprisent l'idole qu'ils semblentadorer, et sont par cela même toujours prêts à la briser. Je dois me méfier de ces gens-là; Talleyrand est trop riche.

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Les généraux sont maintenant ceux qui m'embarrassent le plus. Depuis que je leur ai donné une grande existence, ils sont jaloux les uns des autres. Les honneurs les ont rendus orgueilleux; les richesses ont fait d'eux des hommes plutôt avares qu'avides. J'en suis fâché; j'aimerais mieux les voir dépenser avec prodigalité, qu'amasser avec parcimonie. J'ai eu tort de leur donner des domaines, malgré le soin que j'ai pris d'ordonner què mes donations situées en Allemagne fussent échangées contre des biens situés en France. Ils ont rêvé qu'ils avaient des propriétés, et ils ne font plus lá guerre avec tant d'empressement. Que serait-ce, si je leur avais donné des châteaux et des terrès, et s'ils avaient goûté les délices et les honneurs de la vie seigneuriale!

Mes vétérans meurent; je ne serai bientôt plus obligé d'être général, il me suffira d'être despote.

Bientôt il n'y aura plus de batailles en Europe parce qu'il n'y aura plus d'autres troupes régulières que les miennes. Je laisserai aux souverains des gardes, c'est-à-dire des géôliers. Mais l'Angleterre!

Je hais tout ce qui est Anglais, tout ce qui présente à mon imagination quelque chose d'anglais. Je n'ai rien pu contre ce pays; pourrai-je quelque chose contre lui? Oui, si la fatalité le veut. Mais n'est-il pas décidé que rien ne résiste à Napoléon?

Lorsque j'ai fait visiter les papiers de l'impératrice Marie-Louise, j'y ai trouvé une phrase qui m'a plu, et que j'ai transcrite sur-le-champ: « Le coeur de Napoléon est comme la lave du volcan qui est en fusion tant qu'elle est brûlante, et qui le dispute en dureté au marbre lorsqu'elle est froide. » C'est comme cela qu'un grand homme doit aimer; l'amour ne doit être en lui qu'une fureur physique,

à laquelle succède le plus grand calme lorsqu'elle est satisfaite.

Je n'ai pas plu aux femmes que j'ai désirées, et celles qui ont voulu de moi ne me plaisaient pas. Je dois avouer que l'organisation de mon coeur est bien bizarre. Les autres hommes jouissent dans des sentimens ou des transports partagés, cela me déplaît: je veux jouir seul et surprendre l'agonie de la douleur dans l'objet dont je ravis les faveurs. C'est là un vrai plaisir de prince; je veux l'interdire à tous mes sujets; je veux que partout le viol soit puni de mort.

On parle des embarras du pouvoir, des chagrins qu'il cause, des soins qu'il impose. Ceux qui s'en plaignent ne l'aiment pas; ils ne savent pas comment en jouir.

Le commerce unit les hommes, tout ce qui les unit les coalise tôt ou tard; donc le commerce est funeste à l'autorité; je dois proscrire le commerce.

Tout gouvernant qui considère les hommes comme des individus, ne pourra jamais en user selon que son intérêt ou ses vues l'exigent. Il ne doit les voir qu'en masse; ce sont des abstractions sur lesquelles s'exercent ses calculs et dont il ne connaît la valeur que par les résultats. Syéyes m'avait un jour dit quelque chose comme cela pour expliquer ma manière de traiter mes semblables. De ce qui était un reproche j'ai fait une maxime. C'est ainsi que les hommes de génie profitent de tout, même des poisons.

Je n'ai pas lu beaucoup l'histoire, mais je crois savoir, par les extraits que j'en ai fait faire pour mon usage, qu'à mesure que les dynasties s'éloignent de leur berceau, elles se détériorent. Le grand homme qui les établit, donne au pouvoir une énergie qui dure pendant plusieurs siècles; mais il arrive des

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