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13429.

INTRODUCTION

I

On a, depuis longues années, beaucoup trop médit de la Restauration. En histoire comme en politique, il y a des opinions qui sont affaire de mode, et des appréciations banales que le public adopte docilement pour s'épargner la fatigue de les examiner. On a exagéré ses fautes, dénaturé ses intentions, raillé ses faiblesses, sans lui tenir compte de ce qu'elle a pu faire de bien, ou éviter de mal. On lui a contesté jusqu'au droit de se défendre. Aussi est-ce chose fort délicate que de se faire un avis sur cette période de notre histoire. Les rares survivants de cette époque ont, de nos jours encore, conservé dans leurs jugements la fougue de leurs passions d'autrefois et l'obstination de leurs partipris surannés. Les historiens eux-mêmes, pour qui l'impartialité est un devoir et la vérité un besoin, se sont montrés sévères pour les deux derniers règnes de la dynastie légitime; trop souvent leurs pages ont pris

l'accent du reproche ou le ton d'un réquisitoire1. Et comme, de tout temps, l'assaillant a toujours beau jeu, pour la plupart de nos contemporains, la monarchie de 1814 est un régime à la fois oppresseur et làche, imposé à la France par les étrangers coalisés; un gouvernement ennemi de toute liberté, voisin du ridicule, et sous lequel le pays a vécu, seize années durant, dans l'étouffement et la honte.

Est-ce là toute la vérité? Assurément non; ce n'en est même qu'une faible partie. On a trop oublié, en parlant de la Restauration, que les évolutions d'un pays sont chose le plus souvent inconsciente et nécessaire. On a trop négligé l'atroce tyrannie du gouvernement précédent et ses lamentables conséquences. Après les bouleversements de la Révolution et de l'Empire, tout régime pacifique devait paraître fade et écourant. Les nations parfois sont comme ces femmes dégoûtées pour lesquelles une agitation nerveuse et malsaine est la seule manière de se sentir vivre. En politique, la France est une grande blasée. Et pourtant, en 1814, elle avait besoin de calme, de sommeil même. Elle avait tant à réparer! La Restauration, d'autre part, était inévitable. L'édifice impérial, ruiné extérieurement par les alliés, s'écroulait de lui-même à l'intérieur. La Répu

1. Je fais exception, bien entendu, pour l'œuvre pleine de conscience et d'impartialité de M. de Vielcastel. Et pourtant, je me permettrai de formuler ici une bien légère critique, que M. de Vielcastel accueillera, j'imagine, avec son indulgence habituelle. Il a donné de M. de Vitrolles un portrait finement étudié, mais qui me paraît trop sévère pour être complètement juste (Tome I, p. 163). J'ajouterai que M. de Vielcastel n'a pas eu communication des Mémoires que je publie aujourd'hui; et j'appelle de cette première décision, un peu hâtive, au jugement de l'éminent historien, mieux informé.

blique était impossible: on était encore trop près de la Terreur. Le duc d'Orléans n'était pas encore mûr pour le trône qu'il convoitait déjà. Fallait-il donc créer de toutes pièces une royauté nouvelle, et la confier à un homme nouveau, Bernadotte, par exemple? C'eût été refaire une édition amoindrie de l'empire, et l'on conçoit que les alliés en aient été médiocrement tentés. Seule, l'ancienne race des rois de France avait conservé dans le peuple des attaches dont on a trop diminué l'importance; seuls, ses princes pouvaient, sans rien perdre, accepter le fait accompli, admettre la défaite et renouer avec les alliés; seuls ils pouvaient s'interposer entre la France vaincue et les souverains triomphants, sans renoncer à leur dignité. Il y avait là un noble rôle à prendre, et il faut reconnaître, à l'avantage des Bourbons, qu'ils surent le remplir. Il faut se rappeler que les prétentions des alliés excédaient encore de beaucoup les concessions qu'on dut leur faire, et qu'en 1815, si l'Alsace et la Lorraine restèrent françaises ce fut grâce à l'intervention de Louis XVIII. Le seul tort des princes, s'ils en eurent un, fut de mettre un peu trop d'empressement et d'intrigue dans leur dévouement, cel qui leur donna l'apparence de l'avidité, et leur ôta tout le mérite du sacrifice. Ils ne virent pas que leur attitude prêtait le flanc à la calomnie, ou ils ne s'en aperçurent qu'après coup. Leur faute, à cet égard, a été bien durement punie, et ils ont recueilli la plus riche moisson d'ingratitude qu'ait jamais produit l'attachement à un pays.

Mais après cela, faut-il dire avec certains enthousiastes peu nombreux il est vrai que la Restauration a été le plus parfait de tous les régimes? Non, sans

doute, et ce serait pousser trop loin l'indulgence. La part du blâme serait considérable, à n'envisager que les côtés faibles des deux règnes de Louis XVIII et de Charles X. Mais ce genre de critique, qu'on applique en France à tous les gouvernements, est trop aisé pour mériter qu'on s'y arrête; et d'ailleurs le relevé de leurs erreurs a été dressé sans miséricorde, depuis longtemps déjà. Une seule question aujourd'hui se pose avec quelque intérêt; c'est celle-ci : cette Restauration, que nous voyons inévitable, est-elle toujours restée d'accord avec le principe d'où elle était sortie? a-t-elle été logique dans son développement? en un mot, a-t-elle été ce qu'elle aurait dû être? C'est là ce que je voudrais essayer d'éclaircir dans les pages suivantes, en montrant, à l'aide des documents nouveaux que j'apporte dans le débat, les raisons qu'on peut avoir d'en douter. Ce sera tout à la fois l'explication des Mémoires et la meilleure manière d'y intéresser le lecteur.

II

On sait quelle était, au début, la situation où se trouvaient les successeurs de Napoléon. Venant après la dictature la plus impitoyable, ils avaient l'obligation d'être modérés et le devoir d'être sages. A l'intérieur de l'État, la nécessité s'imposait à eux de prendre le contre-pied du régime impérial, de supprimer, ou tout au moins d'atténuer dans la plus large mesure, les excès de l'autorité césarienne. C'était à titre de libérateurs et de sauveurs qu'ils prenaient le pouvoir. Ils devaient donc rendre

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