jours hors de la règle commune et appelés à réussir dans toutes les choses, où tant d'au tres ont échoué. Et c'est par cette raison que les mêmes catastrophes se reproduisent si souvent dans l'histoire, parce que les mêmes fautes sont commises, et que l'ambition, la vanité et l'aveugle confiance, restent les mêmes. L'opinion de gens éclairés, est que l'expédition d'Egypte fut uniquement et comme projet et comme disposition l'ouvrage de Bonaparte. Je vais tâcher de démontrer que cette opinion est fondée, en rapportant quelques faits qui serviront d'introduction à ces mémoires. Au mois de fructidor an 5 (1), des négociations étoient entamées à la fois avec l'Angleterre et l'empereur d'Allemagne. Treilhard et Bonnier, plénipotentiaires de la République, ayant demandé la restitution de toutes les possessions que S. M. Britannique avoit enlevées, tant à la France qu'à l'Espagne et à la Hollande, ses alliés, lord Malmesbury quitta Lille, et tout espoir d'arrangement fut détruit. (1) Août et septembre 1797. Bonaparte, après une campagne aussi brillante qu'extraordinaire par ses résultats, traitoit à Passeriano de la paix de Campo-Formio, dont les bases avoient été posées dans les préliminaires de Léoben. Il montroit pendant les négociations une impatience extrême, et parloit en vainqueur qui ne souffre pas de contradiction (1). Lorsqu'il apprit qu'Augereau venoit d'être nommé au commandement de l'armée d'Allemagne (2), un moment de dépit lui fit signer la paix, dont il étoit d'ailleurs mécontent. Les conditions de cette paix, il ne l'ignoroit pas, étoient impolitiques, extrêmement défavorables pour le présent, et encore plus pour l'avenir ́; mais en se rendant au congrès de Rastadt, il espéroit améliorer ce qu'il avoit commencé. Il est certain que c'est pendant son séjour à Passeriano que l'idée d'une expédition en Egypte prit naissance, et se déve (1) Il dit un jour : Je porterai ma réponse à Vienne, (2) Augereau partit le 11 vendémiaire ( 2 octobre 1797) pour aller prendre le commandement de l'armée d'Allemagne, qui comprenoit, sous cette dénomination les armées de Sambre-et-Meuse et du Rhin-et-Moselle. loppa dans des conversations intimes avec un homme de beaucoup de mérite qui se trouvoit auprès de lui. En effet, on lit ces mots remarquables dans la proclamation qu'il adressa (1)à l'escadre de l'amiral Bruies, alors dans la mer Adriatique. « Camarades, dès que nous aurons paci» fié le continent, nous nous réunirons ǎ » vous pour conquérir la liberté des mers. » Sans vous, nous ne pouvons porter la gloire du nom français que dans un petit » coin du continent; avec vous, nous tra» verserons les mers, et la gloire nationale. » verra les régions les plus éloignées (2). » Tout romanesque que pût paroître le projet d'aller attaquer les Anglais dans l'Orient, il se rattachoit à des vues méditées autrefois par l'ancien gouvernement, et il (1) 6 vendémiaire an 7 (27 septembre 1797). (2) Bonaparte montroit une grande confiance dans les talens et les moyens de l'amiral Bruies. Voici l'extrait d'une lettre du général en chef au Directoire : « Le contre-amiral Bruies est un officier distingué » par ses connoissances, autant que par la fermeté de >> son caractère. Un capitaine de son escadre ne se refuseroit pas deux fois de suite à l'exécution de ses » şignaux. Il a l'art et le caractère pour se faire obéir. » devoit sourire à un homme avide de gloire et jaloux de conserver une autorité indépendante. La paix paroissant assurée sur le continent, puisque le congrès de Rastadt alloit s'ouvrir et achever de régler les rapports politiques entre l'Allemagne et la France, il ne restoit plus d'ennemis à combattre en Europe que l'Angleterre. C'est vers cette île que le Directoire dirigea alors toutes ses vues, et l'esprit national secondoit par son élans les efforts impuissans que manifestoit le gouvernement français. Le Directoire arrêta le 26 octobre, qu'il se rassembleroit sans délai sur les côtes de l'Océan une armée qui prendroit le nom d'armée d'Angleterre, et dont le commandement en chef seroit donné au géneral Bonaparte. Des proclamations engagèrent en même temps le peuple français à ne pas déposer les armes, tant que le gouvernement anglais ne seroit point châtié; enfin on ne parloit plus, on ne paroissoit plus s'occuper que d'une invasion en Angleterre. On cherchoit à prouver que cette puissance ne pouvoit, quelle que fût sa supériorité sur mer, s'opposer à la jonction des forces navales de la France et de l'Espagne. On vit éclore chaque jour des projets de descente plus bisarres et plus extravagans les uns que les autres. Cependant, les plénipotentiaires qui avoient été à Lille, furent nommés pour traiter au congrès de Rastadt. Bonaparte, avant de quitter l'Italie, adressa à ses troupes une proclamation qui, bien que la paix fût signée, attestoit suffisamment qu'il ne renonçoit pas à l'espoir d'une guerre nouvelle et prochaine (1). Arrivé à Rastadt, ses préventions contre les plénipotentiaires Treilhard et Bonnier, qu'il trouva au congrès, peut-être plus encore les divisions fâcheuses qui régnoient entre ces ministres, l'empêchèrent de réus (1) Extrait de la proclamation datée de Milan le 24 brumaire (14 novembre 1797-) Soldats, je pars demain pour me rendre à Ras» tadt..... En vous entretenant des princes que vous » avez vaincus...., des peuples qui vous doivent leur » liberté....., des combats que vous avez livrés en deux » campagnes; dites-vous dans deux campagnes nous aurons plus fait encore. » Il partit de Milan le 17 novembre, passa le 24 à Bâle et se rendit, sans retard à Rastadt, |