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elle pas. La beauté chez les Egyyptiens est dans l'embonpoint plus une femme est grosse, et plus elle est belle. Si nous nous récrions sur leur prétendu mauvais goût, ne peuvent-ils en dire autant de nous? Pour jouir, dans un pays étranger, il faut le voir avec les yeux des habitans; et si Savary nous a trompés sur l'Egypte, c'est qu'il la voyoit comme eux, ou qu'il a fait un roman. Le Mamelouk à Paris regrette le Caire, et le Français au Caire regrette sa patrie.

Voilà ce qui fait la différence des deux ouvrages de Volney et de Savary: presque tous, nous avons vu comme le premier; et c'est une preuve que Volney a plus écrit dans l'esprit de la nation son voyage en Egypte.

Dans mon séjour au Caire, je n'oubliai point d'y voir tout ce qu'il y avoit d'intéressant. Je visitai le puits Joseph, la citadelle, la fameuse salle du divan, les villes des tombeaux. Nous faisions souvent des promenades à âne, mais en caravane et armés.

Nous allions nous baigner, et nous trouvions mille charmes à cette nouvelle manière de se purifier; parmi les usages différens des Tures, c'est celui qui m'a toujours paru le plus aimable. Nous contractâmes une partie de leurs habitudes. Nous prîmes la pipe, et nous en appréciâmes bientôt les avantages. Dans un pays chaud, la pipe répand dans

la bouche une fraîcheur qui peut garantir de la soif. C'est un moyen dont je me suis toujours bien trouvé. Le tabac étoit d'ailleurs fort doux, et n'avoit point l'âcreté de celui qu'on trouve communément en Europe. Celui de Lataquié est le plus renommé, et les caractères véritables qui font reconnoître sa qualité, sont sa feuille qui pétille comme la poudre lorsqu'elle s'embrase, et sa cendre d'une extrême blancheur. Nous brûlions souvent, avec le tabac, le bois d'aloës, dont le parfum se mélange très-agréablement avec la fumée. De longs tuyaux l'amenoient dans nos bouches, après avoir retenu une partie de son humidité, et bientôt les véritables fumeurs imitèrent les Turcs en ne crachant point. Le tabac, ainsi distillé, ne peut plus être nuisible à la santé. Enfin nous nous trouvions si bien de cette manière de vivre, que nous l'adoptâmes presque universellement. La pipe ne nous quittoit plus, et le café étoit de tous nos repas. Cette habitude devint même une nécessité pour les gens en place, qui, dans toutes les conférences avec les habitans du pays, étoient pour ainsi dire obligés, par déférence, de boire le café et de fumer comme eux. L'honnêteté exige que vous offriez votre pipe, et les Turcs ne manquoient jamais de gouter notre tasse avant de nous la présenter. Ils semblent ainsi vous dire ; « Bois en sûreté, ce n'est point du poison.

Nous avions presque oublié les chaises, et nous vivions étendus sur les divans qui bordoient nos appartemens. Nos habillemens devinrent incommodes alors, et nous changeâmes nos culottes étroites en pantalons plus larges. C'est ainsi que la nécessité nous fit une loi de suivre des usages que l'habitude consacra bientôt.

Kleber devoit aller visiter les grandes Pyramides. Je fus de la caravane. Je les observai cette fois tout à mon aise. Je gravis sur le plateau de la première, qui paroît pointu à l'œil, et sur lequel cependant plusieurs hommes pourroient tenir facilement. Je pénétrai dans l'intérieur, et montai à la chambre du Roi. Je ne parlerai point de la description de ces monumens, dont Savary, Volney, Denon nous ont donné une si juste idée, mais je répéterai que rien ne sauroit peindre ce qu'on éprouve à la vue de ces monumens fameux. Nous passâmes ensuite à la seconde Pyramide. Il paroît qu'on tenta d'y faire des fouilles, et les débris des pierres détruites pour faire une ouverture semblable à celle de la première, l'attestent évidemment. Nous allâmes ensuite voir le sphinx, les excavations qui sont aux environs, et d'où il semble qu'on a dù tirer les matériaux nécessaires à la construction des Pyramides. Les diverses chambres souterraines étoient couvertes d'hieroglyphes; une des entrées que nous remarquâmes piqua notre curio

sité. Kleber demanda si quelqu'un vouloit y descendre, je m'offris. On me donna des liens dont je tenois l'extrémité, afin de me faire remonter en cas de besoin. La pente de cette entrée étoit douce, je me laissai aller avec précaution, tâtant de tous côtés avec la main qui me restoit de libre; je glissai l'espace de quelques pieds, mais bientôt arrêté, je ne pus trouver d'issue; je criai qu'on me remontât, et j'en fus pour ma peine. Je pense encore cependant que des fouilles que l'on feroit dans les chambres souterraines, amèneroient peut-être quelques découvertes intéressantes. Au retour des Pyramides, nous aliâmes dîner chez le général Lannes, dans une petite maison assez jolie qu'il avoit dans l'île de Rhoda. Le soir, je rentrai au Caire.

L'ordonnateur en chef étoit invité à un grand dîner que devoit lui donner Ismaël-Ismaïl, un des négocians les plus considérés au Caire. L'intendant-général de l'armée, d'autres membres des autorités du pays, étoient conviés à ce repas. L'ordonnateur Sucy me fit le plaisir de m'en prier et de m'amener avec lui. Nous partîmes après-midi sur nos chevaux et ânes.

On nous attendoit depuis quelques instans, le maître de la maison avoit fait tous les préparatifs pour notre réception.

Nous laissâmes nos montures dans une cour assez vaste, où se trouvoient réunis un grand nombre

de domestiques. Nous fùmes d'abord introduits dans une salle où l'on avoit dressé une grande table entourée de chaises. Les Turcs pensoient nous faire une galanterie, en nous servant à la française. Nous ne fimes que passer dans cette salle à manger, et nous entrâmes dans un autre appartement, où nous, trouvâmes la société. Les saluts furent réciproques, et nous nous étendimes sur les divans, Les convives étoient costumés richement. Des musiciens, dans une partie de ce salon, attendoient l'ordre de commencer leur symphonie, que je puis dire discordante. Vis-à-vis nous étoient des plateaux, couverts de liqueurs douces et de confitures ́de toutes espèces. On nous les servit ; elles étoient agréables, mais c'étoit pour nous un contre-sens en cuisine, et elles ne nous firent pas un grand plaisir. Les pipes remplies d'un excellent tabac et de bois d'aloës, nous furent présentées. Les domestiqués les allumoient au brasier, et nous les apportoient dans leurs bouches : c'est l'usage, et depuis long-temps nous ne regardions plus à une chose qui nous avoit d'abord dégoûtés. D'ailleurs l'extrémité du tuyau étant toujours garnie d'ambre, 'elle ne peut conserver l'humidité de la bouche de celui qui vous passe la pipe après l'avoir essuyée. On parloit beaucoup, on rioit peu. Quelle gaîté pouvoit en effet régner parmi des gens dont les goûts, les mœurs sont si différens, et qui ne peu

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