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considérable dans ce combat. La flotille avoit beaucoup souffert. Les Mamelouks, après avoir pris une de nos djermes, et avoir massacré ceux qui la montoient, avoient été obligés de la laisser,

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Le général en chef fit alors passer dans le Delta la cavalerie qui n'étoit pas montée. Elle devoit nous suivre dans notre marche et camper sur l'autre rive en face de nous.

Nous bivouaquâmes la nuit suivante dans un vilJage à quatre lieues de Chébreisse, Les vivres devenoient plus rares chaque jour. Les villages déserts ne nous offroient que de bien foibles ressources. Nous n'avions pas mangé de pain depuis longtemps; les paysans et les Mamelouks avoient fait passer les bestiaux dans le Delta. Nous rencontrions bien de temps à autre quelques bufles égarés, mais il falloit les chasser comme des bêtes féroces, et avec beaucoup de précaution. Les chameaux même, d'ailleurs fort pacifiques, s'habituoient difficilement à notre costume, à notre langage. Lait, poules, pigeons, lentilles, bled, fèves, nous dévorions tout; mais il nous falloit vivre sans pain, et sans lui la meilleure chair ne peut plaire aux Français,

Les communications d'une division à une autre, quelque rapprochée qu'elle fût, étoient dangereuses par les malheureuses rencontres qu'on faisoit en route et dans une plaine, où rien ne sembloit pou

voir se dérober à votre œil attentif et constamment aux aguets. J'ai vu, dans les champs de Pastèques, sur les bords du Nil, et à peu de distance de nos bivouacs, je ne sais combien de cadavres dépouillés, étendus sur le ventre et sans têtes. Ces témoignages de la cruauté et du goût dépravé des Arabes, augmentoient l'horreur et l'épouvante qu'ils inspiroient dans ces premiers jours (1).

Depuis Chébreisse, nous ne vîmes plus les Mamelouks; les paysans rapportoient qu'ils s'étoient retirés dans une position formidable.

(1) C'est en portant les ordres du général en chef que le jeune et intéressant Denano, officier d'état-major, tomba entre les mains des Arabes. Il fut conduit à la tribu dans le désert et retenu prisonnier. S'il ne fut pas massacré d'abord, c'est, sans doute, que les Arabes le crurent, à ses épaulettes et à sa broderie, un personnage de grande importance. Bonaparte, instruit de cet événement, fit réunir sur-le-champ une somme d'environ cent piastres, et l'envoya au cheikh de la tribu, avec une lettre qui réclamoit le jeune Denano.

Le cheik rassemble ses gens et leur fait part des propositions du général en chef, en leur montrant la rançon. Il s'élève aussitôt une contestation entre ceux qui avoient arrêté Denano. Chacun croit avoir des droits à toucher seul la somme offerte; la dispute s'échauffe, on est près d'en venir aux prises, quand le cheikh, pour terminer une discussion si dangereuse par ses consé

Le 29 messidor (17 juillet), nous bivouaquâmes, à Térané, et la division Desaix étoit le même soir à Ouardân. Je sommeillois profondément dans la tente de l'ordonnateur en chef, quand je fus éveillé brusquement: c'étoit l'ordre de partir sur-le-champ. Jamais ordre n'arriva plus mal à propos, et je le reçus d'assez mauvaise humeur. Je me levai cependant; une remarque me consoloit un peu, c'est que je n'avois point de toilette à faire : depuis mon départ d'Alexandrie, je n'avois jamais reposé que sur la terre, dans mon manteau, et toujours habillé.

Le général en chef venoit d'ordonner que tout ce qui compose l'administration d'une armée, commissaires des guerres, hôpitaux, boulangers, bouchers, constructeurs, eussent à partir sur-le-champ pour aller rejoindre la division Desaix au village d'Ouardân. Nous voilà réunis, les uns à cheval, les autres sur des ânes, et l'escorte à pied, bien plus mécontente que nous encore, jurant et pestant horrible

ment.

Un adjudant-général commandoit ce peloton peu militaire et indiscipliné.

quences, prend son pistolet et casse la tête à l'infortuné Denano, qui se livroit aux plus douces espérances. Après cette fatale catastrophe, le cheikh renvoye la rançon devenue inutile. Ce fait m'a été attesté par plusieurs personnes ; il donne une idée assez remarquable de la loyauté barbare dés Arabes.

A peine avions-nous passé les avant-postes des divisions restées à Térané, que la lune se coucha et nous laissa dans une obscurité, non très-profonde, mais plus dangereuse pour des esprits inquiets, puisque la clarté du firmament, toujours pur, nous laissoit entrevoir les objets sans les distinguer, et que l'imagination les représentoit souvent comme des Arabes ou des Mamelouks prêts à nous surprendre et à nous massacrer. Nous n'avions point de guides; le général en chef avoit dit à l'adjudantgénéral qui nous commandoit : « Ouardân est sur » le bord du Nil, vous n'avez qu'à le suivre jusqu'à » ce que vous soyez reconnus par les postes de la >> division. » D'après cet ordre, nous suivions exactement le rivage. Notre escorte, composée de quelques hommes murmurant toujours, finit par éclater. Jetant gibernes et fusils par terre, les soldats s'écrièrent qu'ils étoient abîmés de fatigue, qu'ils ne pouvoient plus marcher. On voulut les ha ranguer, les réprimander, rien ne put les détermi→ ner. Il fallut que les boulangers, les bouchers quittassent leurs ânes, et prissent les fusils et les gibernes. Le calme revint pendant quelques instans, et nous marchâmes dans le plus grand désordre, mais dans le plus grand silence. Le temps que l'on passoit ainsi dans les souffrances et dans l'inquiétude, sembloit avoir perdu sa vitesse. Personne, même les plus babillards, ces fameux conteurs d'histoires

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n'ouvroient que rarement la bouche, et c'étoit pour proférer des juremens épouvantables, des malédictions sur les savans.

Il faut expliquer ici cette espèce de fureur qui animoit les soldats contre les savans: ils s'étoient persuadés que Bonaparte avoit été trompé par eux; qu'enfin c'étoit à eux que l'on devoit l'expédition d'Egypte, et par conséquent les maux qui nous accabloient. L'attente des richesses, les images riantes qu'on s'étoient formées, disparoissoient à l'aspect des privations, et l'espoir de raconter un jour ses malheurs, soutenoit à peine le courage. C'étoient donc les savans qui avoient préparé, causé le voyage en Egypte; la haine et les préventions du soldat s'étoient tournées contre eux. Toutes les fois qu'ils rencontrèrent un Français, non revêtu de l'habit militaire, ils l'appelèrent savant; enfin le commis aux distributions vouloit-il expliquer la différence des mesures du pays avec les nôtres, c'étoit un savant ces plaisanteries rappeloient quelquefois la gaîté dans les troupes.

Après avoir marché quelques instans, le murmure s'éleva de nouveau parmi les ouvriers, les boulangers, etc. Un d'entre eux laissa échapper une parole qui causa le plus grand trouble : peutêtre, cria-t-il, avons-nous dépassé Ouardân, et nous allons tomber dans les mains des Mamelouks? Il y a plus de quatre heures que nous marchons,

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