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Quand nous fumes habitués à notre nouvelle demeure, nous cherchâmes à nous égayer. J'étois le plus jeune de la société : Desaix m'avoit, en route, nommé officier des signaux; au lazareth, il ne nomma Edile des jeux de la prison. Je fis donc reparoître tous les plaisirs du collége. Nous jouions au diable boîteux, à la poële, à la marenne, au loup, etc. Enfin, nous étions devenus de francs collégiens. Quelquefois nous faisions des siéges, et nous cassions nos portes et nos fenêtres. Desaix commandoit un corps et le général Davoust l'autre. Le soir, avant la nuit, on venoit nous enfermer dans nos chambres. Desaix avoit un cabinet pour lui seul, et nous étions dix dans les deux chambres voisines. Nos hamacs étoient par terre, et faisoient l'ornement de nos tristes appartemens. Souvent, avant de nous endormir, notre général faisoit éteindre toutes les lumières, et chacun devoit compter des histoires de voleurs et de revenans. Elles nous divertissoient beaucoup, et les plus horribles étoient les plus gaies. Quelquefois la conversation s'établissoit sur différens points de morale, d'histoire ou de physique, et Desaix nous prouvoit qu'il étoit aussi instruit que bon militaire.

C'est ainsi que nous cherchions à dissimuler l'ennui de notre captivité et l'impatience qui nous dévoroit.

Enfin, le vingt-neuvième jour de notre détention

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nous fûmes fort étonnés de voir arriver parmi nous l'adjudant-général Cambyse et M. Poussielgue. Ils revenoient d'Egypte, et nous instruisirent des événemens qui s'étoient passés depuis notre départ.

A peine Desaix s'étoit éloigné d'Alexandrie, que le Thésée, vaisseau sous les ordres du commodore Sidney Smith, étoit revenu établir sa croisière devant le port, et fermer les communications. Cette mesure étoit une conséquence de la disposition qu'avoit prise le cabinet de Londres, après la lecture des dépêches interceptées de Kleber. Il crut ne devoir consentir à l'évacuation de l'Egypte, que dans le cas où l'armée se rendroit prisonnière de guerre. L'amiral Keith fut chargé d'instruire Sidney Smith de cette étrange résolution, et il lui adressa en conséquence une lettre pour Kleber. On verra tout-àl'heure la réponse que fit le général en chef à la proposition révoltante qui lui fut communiquée. Ce fut sans doute avec douleur que Sidney Smith se vit contraint de transmettre une déclaration si contraire au droit des gens. Il devoit voir aussi avec regret, s'anéantir en un instant le fruit d'une habile et heureuse négociation, qui attachoit son nom à une transaction politique importante dans l'histoire.

Quoique les instructions envoyées par l'amiral Keith, détruisissent ou du moins suspendissent l'effet de la convention d'El-A'rich, le Grand-Visir et Kleber restèrent d'accord cependant, persuadés

que la cour de Londres ne persévereroit pas dans ses déterminations. Ils concertèrent ensemble différentes mesures provisoires, mais les difficultés naquirent de l'effet même de leurs dispositions réciproques. Pendant ces discussions, dont le but étoit d'éloigner une rupture fatale à l'une ou l'autre armée, Kleber se décida, pour sortir d'incertitude, à expédier à l'amiral Keith, l'adjudant-général Cambyse et M. Poussielgue. Chargés d'avoir une explication franche et précise sur la vacillation bizarre du gouvernement britannique, ils s'embarquèrent, du consentement de Sidney Smith, sur la frégate anglaise qui avoit apporté les dernières dépêches de l'amiral Keith. Ils le trouvèrent devant Gênes, occupé à seconder par mer les efforts que faisoient les Autrichiens, pour s'emparer de cette place si vaillamment défendue par Massena. Keith, à leur grande surprise, bien loin d'entrer en explication avec eux, s'empressa de leur annoncer positivement que l'évacuation de l'Egypte alloit avoir lieu sans aucun obstacle de sa part, et que, bien au contraire, il venoit d'expédier au commodore Sidney Smith de nouvelles dépêches, pour lui prescrire de l'accélérer par tous les moyens imaginables. Mais il n'étoit plus temps; l'armée d'Youssef Pacha étoit vaincue.

Ce changement inespéré dans les décisions du gouvernement anglais, étoit sans doute le fruit de la correspondance de lord Elgin, qui se trouvoit à

Constantinople, et des renseignemens plus positifs que le cabinet de Londres avoit acquis par celle de Sidney Smith, qui s'étoit empressé de lui envoyer la convention signée à El-A'rich. C'est donc en vertu de cette ratification tardive que l'armée française pouvoit quitter l'Egypte, et qu'ils nous étoit permis de rentrer en France.

Mais pendant que ces résolutions contradictoires se succédoient, le Grand-Visir, maître de Cathiéh, de Salêhiéh, de Belbéis, de Damiette, d'une partie du Delta et de la Haute-Egypte, évacués par suite du traité, vouloit obliger les Français à quitter le Caire, dont il lui tardoit d'être en possession. Kleber, qui se fût livré à la discrétion des Turcs, par une condescendance aussi dangereuse, refusa de céder le seul point fortifié qui lui restât après Alexandrie. Ce refus fut notifié à Youssef Pacha, avec la détermination de recommencer de préférence les hostilités, s'il persistoit à exiger un semblable gage. Le Visir abusé, présumant que les Français ne pourroient résister à la supériorité de ses forces, s'obstina dans ses prétentions. Alors Kleber prit son parti, et mettant à l'ordre du jour la lettre de l'amiral Keith, il ajouta seulement ces mots que ma mémoire me retrace fidèlement, je crois : « Soldats, >> on ne répond à tant d'indignité que par la vic» toire; elle est au bout de nos baïonnettes: mar>> chons! » Aussitôt le tambour rassemble sous les

drapeaux nos soldats animés, outragés dans leur honneur, et préférant une noble mort à l'humiliation qu'on leur offre. La plaine de Lacoubbé voit encore se former nos bataillons, foibles par leur nombre, formidables par leur valeur. Tout se prépare pour une grande action qui doit décider du sort de l'Egypte (1).

Mais pour apprécier l'importance de la bataille d'Héliopolis, remarquons que Kleber, confiant dans

(1) Voici la lettre remarquable de l'amiral Keith au général Kleber.

A bord du vaisseau de S. M. Britannique la Reine Charlotte,

le 8 janvier 1800.

« Monsieur, je vous préviens que j'ai reçu des ordres » positifs de S. M. de ne consentir à aucune capitula»tion avec l'armée française que vous commandez en » Egypte et en Syrie, à moins qu'elle ne mette bas » les armes et ne se rende prisonnière de guerre, et » n'abandonne tous les vaisseaux et munitions des port » et ville d'Alexandrie aux puissances alliées; et qu'en » cas de capitulation, je ne dois permettre à aucunes » troupes de retourner en France avant qu'elles n'aient » été échangées. Je crois également nécessaire de vous » informer que tous les vaisseaux ayant des troupes françaises à bord et fesant voile de ce pays, munis » de passe-ports, signés par d'autres que ceux qui ont le droit d'en accorder, seront forcés par les officiers » des vaisseaux que je commande, de rester à Alexan

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