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loir réaliser mes soupçons. Les sentimens de l'homme sont quelquefois bien bizarres.

On s'empressa sur les deux bords de mettre les canots à la mer, et de les envoyer à terre. Le capitaine Ragusais revint ensuite nous annoncer qu'il avoit été reçu à merveille, qu'il avoit laissé à terre l'homme de confiance d'Hamelin, pour faire des provisions fraîches, et que nous aurions bientôt tout ce que pouvoient desirer des estomacs délabrés et fatigués. On se moqua encore de moi.

Vers les trois heures après midi, Hamelin, ne voyant point revenir le second canot, qui étoit à terre depuis le matin, voulut aller lui-même s'informer de ce qui pouvoit le retenir; je m'embarquai avec lui pour la curiosité de connoître Sciacca, et pour la satisfaction de pouvoir dire : « J'ai été en » Sicile. »

Nous arrivâmes près d'un mauvais môle, qui se prolongeoit dans le port; il étoit couvert de sentinelles, ressemblans par leur costume et leurs figu res à ces brigands, dont les romans de madame Radclife nous ont si bien dépeint les forfaits et l'esprit vindicatif. Le peuple étoit monté sur les toits des maisons et couvroit le rivage. De loin nous n'avions supposé d'autres motifs à ce rassemblement que la nouveauté de la circonstance.

Lorsque nous abordâmes, un caporal, le plus affreux de tous les caporaux du monde, nous cria

d'une voix rauque: « a terra, signori, a terra ». — « Ah! Ah! dis-je à Hamelin, voilà une récep>>tion effectivement fort encourageante. Mais, réD pliquai-je à ce butor, en italien, si nous voulons >> rester dans le canot, n'en sommes-nous point les >> maîtres? No, signori, no, a terra, tels sont » mes ordres, me répondit le brutal »>, et nous dûmes, malgré nous, aborder le mole, où nous trouvâmes l'homme de confiance d'Hamelin, ne sachant trop que penser du rôle qu'on lui faisoit jouer depuis plusieurs heures. Il n'avoit pu voir ses amis, qu'il nous avoit tant vantés; on leur avoit défendu de l'approcher.

Cette situation commençoit à devenir embarrassante, lorsque nous vîmes arriver les autorités de Sciacca, qui ne démentoient point la garde nationale. Le président ou maire, portant la parole, nous demanda, avec insolence, nos passe-ports. Hamelin s'empressa de lui rapporter que nous venions d'Egypte, que nous la quittions en vertu d'une convention faite à El-A'rich avec le Grand-Visir; qu'enfin nous avions avec nous un officier anglais chargé de veiller à ce que nous fussions respectés, tant par les vaisseaux de son gouvernement, que par ceux de ses alliés. Vos passeports, répliqua l'aimable président: Hamelin m'engagea à aller les chercher et à prévenir le général Desaix de ce qui se passoit. Je fis faire diligence au canot ; car j'avois fort bien re

marqué que le bon peuple, assis sur les toits des maisons, nous lançoit des pierres de temps en temps, et qu'à chaque fois elles tomboient toujours plus près de nous.

J'arrivai à mon bord. On étoit à dîner. Je jetai l'alarme, en rendant les discours des autorités de Sciacca, les menées de la garde nationale et des habitans. L'aide-de-camp du général Murat, Colbert (1), parloit anglais, il emmena l'officier de cette nation qui étoit avec nous, et ils retournèrent ensemble auprès d'Hamelin. Cependant la nuit approchoit, et personne ne revenoit. Desaix étoit de mauvaise humeur, et pensoit déjà au parti qu'il devoit prendre, si le même soir on ne lui rendoit pas 'ses compagnons de voyage. Il ordonna aux hommes estropiés qui composoient la garnison des deux bâtimens, marchant de conserve, de nettoyer leurs armes, et de se préparer en cas de besoin. Chaque soldat mettoit un zèle qui ne pouvoit s'expliquer que par la haine que nous inspiroient les Siciliens, et le desir de sauver Desaix. L'aviso parlementaire tira ses pièces de la cale et les mit sur le pont.

Desaix, suivant son premier projet, vouloit prendre Sciacca; mais en supposant que nous eus

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(1) Obligé de rester en Egypte par suite de ses blessures, il n'avoit pu partir qu'avec le général Desaix.

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sions réussi dans cette téméraire entreprise, quel en eût été le résultat? nos camarades eussent été massacrés, au plus léger mouvement hostile de notre part. Le second consistoit à armer la grande chaloupe du bord avec un canon de trois, de la faire monter par des grenadiers, et d'aller dans cet état réclamer nos prisonniers. Cette ambassade devoit être accompagnée d'une lettre aux autorités siciliennes, dans laquelle le général devoit leur annoncer: « qu'il mettoit à la voile pour se rendre à Naples auprès de l'amiral Nelson, et qu'il se plaindroit à lui du peu de respect qu'on accordoit >> aux passe-ports du commodore Sidney-Smith, » et au pavillon anglais ». Ce parti étoit le meilleur, nous allions l'exécuter, lorsque nous vîmes revenir nos canots. Le capitaine Ragusais avoit reçu une pierre sur la tête, et l'officier anglais lui-même avoit été insulté. Il avoit parlé avec vigueur aux habitans de Sciacca, les avoit menacés si à propos, qu 'ils s'étoient vraiment effrayés et avoient consenti à nous laisser partir, moyennant une rétribution de quatre-vingt-dix piastres pour quelques laitues et bottes de carottes. Je demandai à mes camarades, le danger passé, si j'avois eu tort de m'effrayer d'un semblable mouillage, et si nous avions lieu de venter l'accueil que nous avoient fait les habitans de Sciacca. Peut-être que, sans l'officier anglais, l'espoir d'un riche butin qu'on nous supposoit rappor→

ter avec nous, auroit amené une seconde répétition du massacre des Français à Augusta.

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Le lendemain, à la pointe du jour, nous mîmes à la voile; nous perdîmes bientôt de vue la Sicile et ses bords inhospitaliers. Après avoir reconnu la Pantalaria, ensuite les caps de la Sardaigne, nous remontâmes la côte occidentale de cette île, ainsi que celle de la Corse. Nous ne fimes pas la rencontre d'un seul bâtiment, et nous arrivâmes dans la nuit, après plusieurs jours de marche, en vue des bords chéris de la France. Au jour, nous nous trouvâmes enveloppés dans une brume qui ne nous permettoit pas de distinguer à un quart de lieue devant nous. Ce temps étoit sûrement le plus favorable à des Français, qui, revenant sans passe-ports anglais, auroient voulu tromper la vigilance des croisières. Les destins voulurent qu'au moment où nous nous réjouissions d'avance du plaisir d'entrer à Toulon, nous donnâmes dans une frégate anglaise. Par le temps qu'il faisoit, la voir et être dessus fut l'affaire d'un instant. La frégate nous tira et mit en panne. Nous imitâmes sa manœuvre. La pluie tomboit alors, mais le plaisir de voir une frégate anglaise dont nous ne redoutions point la rencontre, fit oublier les douleurs aux malades, et Desaix monta sur le pont, quoique la mer fût grosse et notre bâtiment d'autant plus agité qu'il ne gouvernoit plus.

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