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fut désigné pour porter au Directoire les dépêches du général en chef, et lui expliquer les motifs qui l'avoient déterminé à évacuer l'Egypte : un commissaire-ordonnateur et deux commissaires des guerres furent chargés de l'accompagner, pour faire préparer en France tout ce qui étoit utile à l'armée à l'époque de son débarquement. Le commissaire ordonnateur en chef voulut bien me nommer, et je n'oublierai jamais cette faveur si grande à mes yeux.

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La nouvelle du traité avec le Grand-Visir se répandit bientôt dans toute l'Egypte. Les officiers vendoient leurs chevaux; chacun cherchoit à rassembler un peu d'argent, afin de se procurer les choses indispensables pour la route. Si Kleber avoit outrepassé ses pouvoirs en traitant de l'évacuation de l'Egypte, il étoit suffisamment excusé par le transport de joie que manifestoit toute l'armée. Hélas! un trop grand nombre de ceux qui se flattoient encore alors du bonheur de revoir la patrie, ont arrosé de leur sang cette terre, qu'ils croyoient quitter bientôt.

Les généraux Dugua et Davoust demandèrent et obtinrent la permission de retourner en France.

Les articles stipulés dans la convention faite à El-A'rich, s'exécutoient avec fidélité. Nos troupes avoient évacué Cathiéh et successivement Salêhiéh. Les commissaires désignés par le Grand-Visir s'é

toient rendus au Caire. Les parties contractantes montroient également le desir de remplir leurs engagemens. On peut se rappeler que pendant ce temps, le cabinet de Londres prenoit connoissance des dépêches interceptées du général en chef. Croyant sans doute, d'après leur contenu, que notre position étoit désespérée, il expédia de nouvelles instructions à l'amiral Keith. Elles portoient en substance que, puisque notre armée étoit ainsi réduite, on ne devoit consentir à son évacuation, vu sa situation critique, qu'autant qu'elle se rendroit prisonnière de guerre. Le commodore Sidney Smith apprécioit mieux l'avantage de nous faire abandonner si facilement notre conquête, et il étoit bien persuadé que si l'armée française le vouloit, elle pouvoit encore, commandée par un général habile, se conserver long-temps en Egypte. On verra tout à l'heure quels furent les résultats funestes de ce changement dans les dispositions du cabinet de SaintJames, changement qui parut aux Anglais même l'acte d'une mauvaise foi mal inspirée, et par lequel le gouvernement Britannique refusoit de donner son assentiment à une convention toute dans ses intérêts, puisqu'elle expulsoit de l'Egypte, une armée dont le séjour en Afrique étoit regardé comme un attentat affreux à l'empire absolu de l'Angleterre sur le commerce du monde.

Le 1er ventose (20 février), je partis de Boulak

avec les généraux Desaix, Davoust et Dugua. Nous nous embarquâmes sur plusieurs djermes. Nous avions avec nous près de deux cents soldats blessés et estropiés de différens corps de l'armée. Ils devoient passer en France et servir en même-temps de garnison sur nos bords. A leur retour dans la patrie, leurs récits simples et naïfs commencèrent à faire percer la vérité. S'ils montrèrent dans leur franchise énergique, une douce satisfaction à raconter les dangers qu'ils avoient courus, ils détruisirent, par le tableau des souffrances, des privations qu'ils avoient endurées, ce prestige séduisant et trompeur dont on avoit voulu envelopper la conquête de l'Egypte.

Je ne sais pourquoi le silence régna d'abord parmi nous. Rien ne nous attachoit au Caire, et cependant nous ne voyions pas disparoître ses hauts minarets et ceux de Boulak, sans éprouver une impression de tristesse. Je perdis bientôt de vue ma maison, je lui dis adieu pour toujours.

Desaix, né à Ayat, en Auvergne, étoit dans sa trente-troisième année, et depuis long-temps déjà son nom étoit célèbre chez les Français, respecté et estimé chez les Autrichiens. On ne pourra jamais joindre plus de modestie à plus de talent, plus de douceur à plus de fermeté dans le caractère, plus de sang-froid dans les plus grands dangers. Observateur instruit, tout lui sembloit mériter son atten

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tion; il aimoit à causer avec les artisans, avec les paysans qu'il rencontroit. Desaix avoit une physionomie prévenante, des yeux expressifs et spirituels; sa conversation toujours animée, souvent brillante, annonçoit une mémoire nourrie des meilleures lectures et un jugement sain et profond. Quelques voix l'avoient surnommé Bayard, et il méritoit ce nom du chevalier sans peur et sans reproches il étoit l'un et l'autre. Son abord étoit facile, son accueil obligeant. Amant passionné de la gloire, il vouloit tout faire pour elle. Il témoignoit pour Bonaparte une admiration réelle, bien prononcée, et sa crainte, au milieu des obstacles nombreux qui retardèrent notre arrivée en France, étoit que ce général ne lui laissât plus rien à faire. Hélas! c'est de son sang que Desaix devoit arroser les lauriers de Marengo.

Le plaisir de retourner en France, l'assurance de faire une traversée sans crainte de mauvaise ren'contre, puisque nous partions en exécution de l'article 14 de la convention, munis de passe-ports du Grand-Visir et du commodore Sidney-Smith qui, pour plus de sûreté encore, nous avoit donné un officier anglais pour nous accompagner, faisoient naître une franche gaîté parmi nous, et les plaisanteries, les bons mots, les plus risibles discussions annonçoient la joie que nous ressentions.

Après quelques jours, nous arrivâmes à Rosette, sans qu'aucun accident eût troublé notre charmant

voyage. Nous campâmes sur la petite île qui sépare les deux branches du Nil, et là, Desaix nous quitta pour aller par terre à Alexandrie, nos marins nous ayant déclaré que le vent contraire dureroit encore au moins deux jours. La mer étoit d'ailleurs trop forte; il n'étoit point possible de s'exposer au passage du Boghaze, dangereux lorsque les vagues s'élèvent sur les sables qui obstruent l'embouchure du Nil.

Le surlendemain de notre arrivée à Rosette, nous mîmes à la voile et sortîmes heureusement du fleuve. Nous voguâmes vers Alexandrie, dépassâmes les rochers d'Aboukir, et découvrîmes bientôt le Thesée, qui étoit encore en croisière devant le port, mais qui ne gênoit point les communications entièrement rétablies par la convention. Nous n'étions qu'à deux lieues du port, quand le vent vint à sauter à l'Ouest, et fraîchir considérablement. Les djermes ne sont point des bâtimens pontés; il fallut virer de bord et mouiller à Aboukir. Nous y trouvâmes plusieurs barques, qui, comme nous, s'y étoient abritées. C'étoient celles du général Dugua. Nous descendîmes à terre.

A peine y étions-nous, que nous aperçûmes un bâtiment courant sous ses voiles basses, et n'osant trop s'approcher du fort. Après une manœuvre qui indiquoit son indécision, il mouilla loin de nous dans la rade. Nos pavillons flottoient à la poupe de nos djermes, et l'Osiris, rassuré, hissa le sien. Une

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