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sur cette armée autrichienne, vacillante sur elle-même et sans soutien de ses coalisés, que les armées républicaines, renfor cées par la grande levée de 1793, réorganisées par l'amalgame, aguerries par le succès, dirigées par une seule main, et une main très ferme, conduites par des chefs ardents, confiants et jeunes, vont se précipiter d'une seule masse et d'un seul élan. C'est la victoire assurée pour la République, la déroute nécessaire pour la coalition.

C'est davantage; c'est, à l'insu de tout le monde, la guerre qui va se perpétuer, se transformer, absorber la France et l'Europe, au moment où la France semblera avoir atteint son but, l'indépendance, et où la coalition touchera le sien, le lucre. « Comment, écrivait le vieux Mercy, la France ou les scélérats qui la gouvernent consentiraient-ils à poser les armes? Que feraient-ils de 800,000 soldats? Comment les contenir au dedans, sans les occuper au dehors? Quel aliment à leur agitation autre que la guerre? Quelle récompense autre que les pillages et les invasions?... Comment arrêter ce mouvement rapide, accéléré depuis quatre années, pour former au centre de l'Europe une République militaire et conquérante? » Et la grande Catherine : « Si la France sort de ceci, elle aura plus de vigueur que jamais; elle sera obéissante comme un agneau; mais il lui faut un homme supérieur, habile, courageux, audessus de ses contemporains et peut-être du siècle même; est-il né? ne l'est-il pas ?» Il était né, et les terroristes lui dressaient les avenues en nivelant l'État, en concentrant la République dans les armées, en faisant de la guerre l'idéal de la Révolution et de leur règne le monstre de la liberté, en s'exterminant eux-mêmes afin d'achever l'ouvrage et de simplifier l'avenir. Dans ce chaos des peuples et des gouvernements de l'Europe, la gravitation mystérieuse des atomes ordonnait sourdement les mouvements des masses, et la force des choses emportait tout les Polonais au partage, les coalisés aux dissensions, et les Français à la dictature militaire.

1 Mercy à l'empereur, 9 mars 1794. Zeissberg, t. IV, p. 129. à Grimm, février 1794, Corr., p. 592.

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Catherine

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Le territoire de la France était délivré; les insurrections royalistes étaient étouffées; l'armée vendéenne était anéantie; Louis XVI et Marie-Antoinette étaient tués; leurs enfants au Temple; les princes étaient reniés ou abandonnés de l'Europe; le clergé réfractaire déporté ou prisonnier; les nobles proscrits, dépouillés ou enfermés; les fédéralistes dispersés et vaincus; Roland s'était poignardé; Condorcet s'était empoisonné dans sa prison; la nation, obéissante, était tout entière en armes; la levée en masse avait produit tous ses effets; les ennemis, divisés et découragés, faisaient parvenir des insinuations de paix, et ils semblaient n'attendre pour les préciser que la constitution d'un gouvernement dans la République. Robespierre avait allégué le salut public et la nécessité de faire peur, afin de s'emparer du pouvoir : le Salut public voulait désormais que Robespierre abdiquàt pour rassurer. L'heure de Danton semblait revenue. Mais l'objet de Robespierre et des terroristes n'était point le salut de l'État, c'était leur propre salut, et ils ne le voyaient que dans la proscription des modérés, des pitoyables et des politiques. Robespierre décida la perte de Danton, justement parce que Danton lui paraissait capable de faire la paix, de mettre fin à la Terreur et d'organiser la République. Toutefois il avait à détruire auparavant d'autres adversaires plus dangereux qui le pressaient plus direc

tement c'était la faction méme qui l'aidait à assujettir la Convention et qui prétendait à son tour assujettir le Comité; le bas-fond de la Révolution, qui se soulevait sous l'effort de la marée et venait battre la côte; la lie de la pensée et la lie du peuple, la dernière couche qui voulait conclure et dire le dernier mot les hébertistes. Ils entendent pousser jusqu'à son terme la souveraineté du moi; ils se proposent d'accomplir la Révolution en la débauchant dans une grande orgie; ils sont les hiérophantes du culte crapuleux de la nature bestiale : athées furieux, zélateurs féroces d'une religion libidineuse et sanguinaire dont, à la méme heure, le marquis de Sade rédigeait le Coran et Carrier inaugurait le culte'.

Le puritain propret, en Robespierre, abhorrait Hébert, Chaumette et les mystères de leur Raison lascive; le rhéteur, rampant sur les mots vides, détestait et redoutait la sève, la force d'action, l'invention pratique, l'esprit d'État, l'extraordinaire puissance d'assimilation que manifestait Danton. Hébertistes et dantonistes menaçaient sa dictature; il résolut de les perdre les uns par les autres. Il y parvint par une conduite qui passerait pour un chef-d'œuvre d'artifice si elle n'était tout simplement l'ouvrage du plus subtil et du plus impérieux des instincts, celui de la conservation. Cet instinct, qui gouvernait tous ses actes et dictait tous ses discours, Robespierre ne le connaissait point. En y obéissant, il se figurait qu'il obéissait à son génie et qu'il remplissait une mission. Il s'enveloppait de grands motifs empruntés à la Révolution; il les déduisait dans des harangues laborieusement imitées des auteurs. Il invoquait la République, l'humanité, la vertu. Il poursuivait réellement sa propre sécurité, qu'il identifiait avec le salut de la République; la perte de ses ennemis qu'il confondait avec le bonheur du genre humain; la satisfaction de ses ambitions et de ses passions qu'il confondait avec le règne de la vertu. Il disait tout ce qui était nécessaire au succès de ces désirs qu'il ne s'avouait pas à lui-même, et il croyait tout ce qu'il

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disait, première dupe de son utopie et de sa rhétorique. Ce fanatique inquiet et cauteleux était au fond un très médiocre machiavéliste; il n'y avait rien en lui du sang-froid, du conseil, de la volonté d'un Borgia qui raisonne et concerte tous ses actes, qui les juge avec la même fermeté qu'il les exécute, qui scrute son âme d'un regard aussi perçant qu'il scrute celle d'autrui, détermine son but, y marche directement et dirige tous ses moyens vers sa seule fin qui est luimême. Robespierre ne pensait que par sophismes et n'avançait que par détours, à la suite d'un fantôme. Il était sincère dans son personnage, mais ce personnage était artificiel. Il marchait dans la Révolution comme un Messie de seconde main, obsédé par les visions des prophètes, et qui croit accomplir les prophéties. Rousseau avait lancé l'anathème tout ensemble contre les encyclopédistes, contre Diderot, contre d'Holbach, contre Voltaire. Robespierre excommunia du même coup et voua aux mêmes supplices tout ce qui se réclamait contre lui de la raison et de la nature l'athéisme et le scepticisme, la politique et l'intrigue, la foi, l'humanité, la clémence, l'esprit, le talent, le vice, la débauche, et jusqu'à la frivolité.

Danton était revenu d'Arcis-sur-Aube rempli « de résolutions généreuses et magnanimes». Le spectacle de mensonge, de cruauté, d'hypocrisie, de sottise qu'il aperçut, révolta son bon sens et son patriotisme. La vertu lm parut hideuse sous le masque de Robespierre. « Qui hait les vices, hait les hommes", répétait-il après un ancien, louant ainsi, non la licence, mais la pitié. Que devenait dans cet effroyable carnaval spartiate, dans cette résurrection de la plus dure et de la plus étroite des tyrannies antiques, cette révolution de liberté dont il révait de « faire jouir » la France? Que devenait, au milieu des bourreaux et des échafauds, cette « splendeur » qu'il avait rêvée pour la République et que les armées républicaines con

1 Voir QUINET, La Révolution, liv. XIV : Les supplices, ch. Iv : Avènement de Robespierre

2 Mémoires de Garat, dans BUCHEZ et Roux, Histoire parlementaire, t. XIX.

quéraient à la France? Assez de sang avait coulé depuis septembre. Il était temps de s'arrêter. Danton le dit, le 26 novembre 1793; il réclama la fin des « mascarades irréligieuses» et dénonça les faux prêtres de l'incrédulité. « Le peuple, ajoutait-il, veut... que la Terreur soit reportée à son vrai but. Le peuple ne veut pas que celui qui sert sa patrie de tous ses moyens, quelque faibles qu'ils soient, le peuple ne veut pas qu'il tremble. » Camille Desmoulins suivit Danton en cette campagne; il fit dans son Vieux Cordelier, non la palinodie, mais la juste et courageuse contre-partie des Révolutions de France et de Brabant; il écrivit, le 20 décembre : « Je suis certain que la liberté serait consolidée et l'Europe vaincue si vous aviez un comité de clémence. » Tandis que les dantonistes attaquaient ainsi de front l'hébertisme et la Terreur, Hébert dénonçait Danton et Camille Desmoulins comme les fauteurs nouveaux de l'éternel complot de l'aristocratie.

Robespierre voulait que la guerre continuât, car la guerre seule, avec ses périls, ses crises, son accompagnement sourd de complots, pouvait légitimer le gouvernement révolutionnaire. C'est pourquoi, le 22 janvier 1794, Barère, annonçant la libération complète de la frontière de l'Est, ajouta : « Dans les guerres ordinaires, après de pareils succès, on eût obtenu la paix. Les guerres des rois n'étaient que des tournois ensanglantés. Mais dans la guerre de la liberté, il n'est qu'un moyen, c'est d'exterminer les despotes... Qui donc ose parler de paix? Les aristocrates, les modérantins, les riches, les conspirateurs, les prétendus patriotes... Il faut la paix aux monarchies; il faut l'énergie guerrière aux républiques.

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Quelques jours après, le 1 février, rapportant que des insinuations pacifiques avaient été recueillies par des agents de la République « Ombres funestes de Brissot et des fédéralistes justiciés, s'écria-t-il, vous avez donc remplacé leur génie conspirateur dans le conseil des tyrans de l'Europe? » C'était rejeter d'avance, dans les complots de Pitt et Cobourg, la diplomatie de Danton et de ses amis. Sans les nommer, Saint-Just les désigna, le 13 mars, dénonçant à la vengeance

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