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UN ENTERREMENT

AU

DOUZIÈME SIÈCLE.

L'an 1110 de l'Incarnation de Notre Seigneur Jésus-Christ, le 1er novembre, un paroissien de Notre-Dame de la Charité d'Angers (Le Ronceray), Bernier, surnommé Mantel ou Manteau, se rendait à cette église pour assister aux offices nocturnes de la Toussaint, lorsqu'il tomba dans un guet-apens. Il y fut blessé à mort par certains individus, dont il s'était fait des ennemis par ses procédés trop vexatoires. Transporté dans sa maison par ses parents et ses voisins, il mit ordre aux affaires de sa conscience et prescrivit les aumônes qui lui parurent convenables. Il ordonna aussi que son corps fut enterré dans le cimetière de Saint-Laurent, où il devait l'être, et où l'avait été celui de sa mère, dont le nom revenait alors fréquemment sur ses lèvres.

Déjà, à l'approche de la mort, son esprit, sa tête et sa langue

De disceptatione cujusdam humationis inter monachos S. Sergii et moniales.

Anno dominicæ Incarnationis MCXo, quidam parrochianus S. Mariæ Caritatis, Bernerius nomine, cognomento Mantellus, in kalendis Novembris, nocte festo Omnium Sanctorum, cum pergeret ad ecclesiam, obtentus ab inimicis quos acquisierat nocendo, vulneratus est ad mortem. Domum delatus a suis, fecit se confessum et dimisit elemosinam suam, jussitque ut sepeliretur in cimiterio S. Laurentii, ubi debebat et ubi mater ejus, quam tunc frequentius memorabat, sepulta jacebat. Post hoc, cum jam appropinquante morte mens ejus, cerebrum et lingua turbarentur, quod plane patuit

étaient affaiblis de la manière la plus évidente, lorsque l'abbé de Saint-Serge, dom Gautier, se rendit auprès de lui. Il le confessa, et, après beaucoup d'instances, lui fit dire qu'il voulait être inhumé à Saint-Serge non pas qu'il fût permis à un paroissien d'élire sa sépulture où bon lui semblait; mais Bernier, avide d'honneurs, était entré au service du comte d'Anjou. Il avait eu la surveillance de ses vignes, dans la garde desquelles il avait, du reste, tenu une conduite plus que rigoureuse; et cette charge semblait lui donner une sorte de prétexte pour se soustraire aux droits de la paroisse.

Après sa mort, il y eut entre les abbayes du Ronceray et de Saint-Serge de grands débats pour son enterrement : les religieuses réclamaient le corps, comme celui de leur paroissien; les moines de leur côté, prétendaient qu'on devait fidèlement exécuter ce que Bernier avait prescrit dans sa dernière confession. Accourus en toute hâte, ceux-ci déposèrent leur pallium sur le cadavre. Les parents et alliés du défunt s'étaient déclarés en faveur des moines: aussi, lorsque les religieuses se présentent pour enlever le corps, ils excitent une violente dispute. Maintes injures sont bien et dûment reçues et rendues de part et d'autre, on en arrive bientôt aux voies de fait force coups de poings et de bâtons sont distribués; les candélabres funéraires servent eux-mêmes à frapper les religieuses et leurs prêtres, et à les obliger à prendre la fuite. Cependant les serviteurs et les bourgeois du Ronceray, ayant appris et vu ce qui se passait, accourent au secours de leurs maîtresses. Ils administrent à leur tour bon nombre de horions, arrachent le corps de Bernier des mains de ceux qui l'enlevaient, et l'apportent aussitôt dans l'église de Notre-Dame.

:

Le seigneur évêque, Rainaud de Martigné-Briant, était pour lors

assistentibus, venit ad eum abbas S. Sergii qui tunc erat; et fecit eum confessum, persuasitque ei ut juberet tumulari se apud S. Sergium; non quia liceat parrochianis illis passim sepeliri ubi voluerint, sed erat quantulacumque causa: quia, ut erat curiosus, ingesserat se ministerio comitis circa vineas, et inde fuerat molestior multis.

Illo mortuo, facta est contentio super corpore inter monachos S. Sergii et moniales dicentibus his suum esse parrochianum, illis e contra ratum esse debere quod jusserat in novissima confessione. Monachi posuerant pallium suum super corpus. Quidam pertinentium ad mortuum, per cognationem et affinitatem, malebant ut monachi haberent et auferrent eum. Hi moverunt seditionem et non tantum actum est et minis, sed etiam pugnis et fustibus; ipsis quoque candelabris aliquid indigne gestum est erga moniales et suos. Re comperta, famuli et burgenses S. Mariæ convenerunt auxilio mo

absent d'Angers. Sur les plaintes qui leur furent faites, par l'abbé et les moines de Saint-Serge, l'archidiacre et les autres officiers du prélat ordonnèrent aux religieuses de restituer immédiatement le corps.

L'abbesse, dame Tiburge, et plusieurs de ses filles, inclinaient à l'obéissance: elles craignaient d'attirer sur elles la colère de l'évêque, auquel l'occasion de se venger ne manquerait certainement pas. Un grand nombre d'autres sœurs ne partageaient pas cet avis. << En rendant le corps, disaient-elles, nous donnons lieu à un pré>> cédent déplorable pour l'abbaye. Lorsqu'il y a tant de dommage » dans le présent, tant de péril dans l'avenir, nous ne devons pas » aveuglément nous soumettre à ce que lesdits seigneurs prétendent » obtenir, au nom de l'évêque; notre condescendance ferait naître » des abus sans fin.

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L'opinion de ces dernières l'emporta. De son côté, l'archidiacre persista dans sa décision, et, pour en assurer le triomphe, il défendit aux prêtres de la ville et du diocèse de faire l'enterrement avec les religieuses.

Il passe fréquemment à Angers des prêtres pèlerins. L'abbesse le savait, et surtout elle n'ignorait pas que l'interdiction portée par l'archidiacre ne pouvait les atteindre. Envoyés par elle, ses gens ne tardent pas à rencontrer un de ces prêtres et à le lui amener. Dame Tiburge n'eut pas grand peine à obtenir de lui qu'il célébrât l'office des morts; après quoi, elle fait inhumer, en présence de ses religieuses, le cadavre de Bernier dans le cimetière de Saint-Laurent. A cette nouvelle, l'abbé, dom Gautier, se met en route pour voir l'évêque et lui adresser ses plaintes. Le seigneur Rainaud montra beaucoup d'irritation contre les filles du Ronceray : il promit, ditnialibus, et violenter ablatum corpus reportaverunt in ecclesiam S. Mariæ. Domnus præsul R. aberat. Archidiaconus et primates cleri mandaverunt monialibus, nomine domni præsulis, ut redderetur corpus monachis. Domna abbatissa et aliæ quædam suadebant ut redderetur, timentes ne domnus præsul irasceretur et vindicaret in eas. Cœtere dicebant non expedire eis, propter exemplum nociturum; sed nec oportere, cum suo damno et periculo, eas suscipere quidquid senioribus illis placeret nomine præsulis impetrare, quia nec finis esset futurus talium. Tunc præcepit archidiaconus omnibus presbiteris ecclesiæ ne facerent obsequium mortuo cum monialibus. Undique coartalæ quærentes, invenerunt peregrinum presbiterum, quod perfacile est Andegavis invenire, et sepelierunt eum.

Interea profectus est abbas S. Sergii ad domnum præsulem, fecitque suam proclamationem. Domnus præsul, iratus in moniales, promisit ei, ut

on, à l'abbé de lui faire rendre pleine satisfaction; et il ne se montra que trop fidèle à tenir sa parole.

De retour à Angers, le prélat mande devant lui l'abbesse et les religieuses. « Vous allez, leur dit-il, exhumer de suite le cadavre, » et vous le rendrez aux moines: autrement je saurai bien punir » votre désobéissance, et plus sévèrement que vous ne pouvez le » soupçonner. Les moyens ne me manqueront pas, soyez-en persua» dées. Je commencerai par fulminer l'interdit contre votre église; » je la condamnerai à un silence perpétuel; puis, en toute circons» tance, je vous ferai souffrir tout ce que vous pouvez attendre de » la part d'un pasteur offensé. »

Ces menaces étaient terribles, néanmoins elles n'abattent pas le courage des religieuses. Après des réflexions aussi sérieuses que leur esprit le permettait, et, après un examen approfondi tant du fait actuel que de ses conséquences, elles persistent à défendre leurs droits. «< Mieux vaut encore, se disaient-elles, encourir, pour le bien » du couvent, la colère du seigneur Rainaud que de souscrire à ses » ordres. Dieu, par sa grâce souveraine, finira bien par adoucir le » cœur de notre évêque. »

Les choses étaient en cet état, lorsque, pendant la nuit de la Saint-Martin, à leur insu, le cadavre de Bernier fut exhumé du cimetière Saint-Laurent, et transporté, par eau, à Saint-Serge. Dès le lendemain matin, les religieuses, en proie à une grande désolation, envoient porter leurs plaintes et leurs protestations chez ceux qui détenaient la dépouille mortelle de leur paroissien. Les témoins ne manquaient pas; mais il ne se trouva personne pour constater leurs démarches et leur faire obtenir un jugement. Des clercs et des laïques, connus par leur sagesse, dont plusieurs étaient aussi des

fama ferebat, satisfacere de hac re res vero vera fuit. Reversus ad urbem, mandavit præcipiendo abbatissæ et monialibus ut effoderent et redderent corpus; alioquin comminabatur eis se nociturum quantumcumque posset, et hoc multum esset primum quidem perpetuo silentio se damnaturum ccclesiam S. Mariæ; deinde quotquot in episcopio suo fieri solent ab offenso pastore. Ille autem, pro suo intellectu, consideratis rebus præsentibus et secuturis, elegerunt potius pati quidquid ei placeret, quousque Deus cum placabilem faceret, quam facere quod jubebat.

Nocte festo sancti Martini, minis adhuc pendentibus, nescientibus monialibus, effossum est corpus et delatum, per aquam, ad S. Sergium et traditum monachis. Mane facto, contristatæ vehementer, miserunt querimoniam suam et calumniam ubi corpus jacebat, audientibus qui aderant; sed non fuit qui respiceret vel judicium faceret. Cum enim sæpe diceretur eis a sapientibus

plus renommés par leur amour pour la justice, disaient souvent aux religieuses : « Votre cause est bonne et juste, mais il vous fau» drait un défenseur dévoué, prudent; et quoique vous ayez, par la » forme, péché en diverses circonstances, néanmoins, au fond, la >> raison n'en est pas moins toujours de votre côté. »

Cependant aucun de ceux qui leur portaient intérêt, leurs suzerains et leurs amis aussi bien que leurs parents, les hommes d'état, comme les gens d'église, n'ose prendre en main leur défense; l'affaire est entièrement abandonnée à la volonté et à la passion de leurs adversaires. Les moines de Saint-Serge ensevelissent donc le corps. Quant aux pauvres sœurs, confuses et animées d'une profonde tristesse, elles ne peuvent que se décider à faire une enquête, afin de savoir par qui il a été volé.

On le disait en effet presque partout: plusieurs des serviteurs du monastère avaient eu connaissance du fait, et en étaient même les complices.

L'abbesse, entourée de ses religieuses, les réunit donc tous. Elle leur parle avec énergie, et exige d'eux ou qu'ils avouent leur faute, ou qu'ils prouvent leur innocence par le jugement de Dieu. Aussitôt la nouvelle est portée à l'évêque, et le seigneur Rainaud interdit impérieusement toute épreuve judiciaire à ce sujet. Cette défense parut singulière et inouïe à tous ceux qui l'entendirent : elle donna lieu à de nombreuses et bien diverses interprétations; mais il ne nous appartient pas de les détailler ici, et tel n'est pas notre but.

Sur ces entrefaites, beaucoup de personnes expérimentées s'interposèrent auprès de l'abbesse et du couvent. « Des religieuses, clericis et laïcis, a quibusdam etiam dilectoribus justitiæ, se bonam et justam causam habere, si quis eam prudenter et recte defenderet, nec multum officere quidquid in ipsa re peccaverant ; nullus tamen de principibus vel amicis earum, reipublicæ sive de cognatis earum et affinibus, causam illam tuendam suscepit; sed arbitrio et desiderio adversariorum totum negotium permissum est.

Monachi sepelierunt corpus. Illæ vero, confusæ et justo dolore percussæ, verterunt se ad exquirendum a quibus furatum fuerit corpus. Dicebatur enim a multis quosdam famulos ecclesiæ conscios et cooperatores fuisse facti illius. Cum, omnibus ergo convocatis, cœpissent vehementer exigere ut, si fecissent, patenter edicerent aut se secundum judicium legis expurgarent, imperiose mandavit domnus præsul ne quis de hac re compelleretur. Inusitatum et valde mirabile visum est omnibus audientibus, et inde multæ et diversæ suspiciones ortæ sunt; sed non est nostrum eas explicare, quia nec hoc suscepimus.

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