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qu'une doctrine; il s'est en quelque sorte fait chair; il est devenu un instinct qui croît avec nous et ne nous quitte qu'avec la vie. Nous aimons la liberté; mais c'est, avant tout, celle de notre patrie; celle qui résulte d'une indépendance, d'une supériorité nationale incontestable, que rien ne peut gêner. Nous voulons l'égalité, mais c'est pour avoir droit aux mêmes devoirs sociaux. Nous voulons la fraternité, mais nous entendons par-là le libre dévouement du fort au faible, celui du peuple puissant au peuple malheureux. C'est parce que la noblesse et les derniers princes de la race des Bourbons avaient cessé de comprendre ces sentimens qu'ils furent considérés par la nation comme des oppresseurs et des étrangers. Ceux-là, en effet, tiraient vanité d'eux-mêmes ; ils n'aimaient pas la France par-dessus tout; mais eux-mêmes plus que la France. A leurs yeux, l'autorité était une propriété personnelle, et non une fonction sociale. Ces hommes étaient en opposition de croyances, de langage et d'habitudes avec la masse du peuple. Aussi, dès que le peuple fut interrogé, il répondit par une explosion de mépris et de haine, sous laquelle ils ne pouvaient que succomber. Cependant à une nation pareille à la nôtre, où chacun s'identifie avec tous, il faut un pouvoir qui représente cette grande unité, et sache donner carrière à l'activité qui en est le signe et l'effet. Aussi, dans cette crise de 1789 à 1795, où, selon les assertions du philosophisme, on se proposait surtout de conquérir la liberté individuelle, il n'y eut pour les individus de liberté nulle part, mais, au contraire, un dévouement aux pouvoirs, une obéissance volontaire à leurs ordres, qui donna à la révolution cette force qui la fit triompher partout. Après le 9 thermidor, il n'y eut plus de pouvoir; c'està-dire que parmi ceux qui en tenaient la place, personne ne sentait plus la pensée nationale, personne ne comprenait la France; il n'y avait parmi eux que des factions et des intérêts particuliers; personne donc à qui l'on pût croire et se fier. La nation attendit; il sembla, sous le directoire, qu'elle ne fût plus composée que de coteries, et qu'elle allât tomber en dissolution. Mais le premier qui se présenterait avec les mots du sentiment

national à la bouche, promettant et prouvant qu'il était capable de les comprendre, et de conduire la France là où elle aspirait, cet homme devait être adopté. Cet homme fut Bonaparte. La France le crut aussi franc, aussi loyal, aussi désintéressé qu'il aurait dû l'être; il promit, et elle se fia à sa parole.

Il n'y avait d'ailleurs personne pour disputer à Bonaparte ses grandes destinées. Le parti hébertiste n'existait plus; et avec lui s'était évanouie cette rage de méfiance, cette indiscipline, ces fureurs anti-religieuses, qui avaient tant embarrassé Robespierre, et couvert son époque de si sombres couleurs. Les dantonistes ne formaient plus un parti; ils avaient ce qu'ils avaient désiré, du pouvoir et des jouissances. L'opinion monarchique se jeta du côté où elle voyait des espérances de repos et d'ordre; les catholiques, rendus à la liberté, et avec eux la majorité du peuple, bénissaient l'autorité nouvelle. Les hommes de 89 seuls montraient de l'hésitation et de la crainte; mais le premier consul sut en rallier autour de lui le plus grand nombre et s'en faire des instrumens.

Aussi, dès l'instant où le sénat eut prononcé sur la nouvelle Constitution, tout le monde s'empressa autour du premier consul. Il n'y eut si petite autorité qui ne demandât à lui présenter ses félicitations. Bonaparte renvoya la cérémonie de ces réceptions, ainsi que la publication de l'acte constitutif du 16, au 27 thermidor (15 août), jour qui se trouvait en même temps celui de la fête de l'Assomption, l'anniversaire de la ratification du concordat, et l'anniversaire de sa naissance. Ce jour fut consacré par une fête magnifique, des illuminations, des feux d'artifice, des danses publiques, des distributions. Les Tuileries furent assiégées par les députations de toutes les autorités constituées. Parmi les réponses du premier consul, une phrase seule est remarquable, ainsi que le dit Thibaudeau ; c'est celle-ci : « Les destins du peuple français sont désormais à l'abri de l'influence de l'étranger, qui, jaloux de notre gloire et ne pouvant plus vaincre, aurait saisi toutes les occasions de nous diviser. Ainsi Bonaparte présentait l'autorité qu'on venait de lui donner

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comme le moyen de l'unité française. Les adresses furent d'ailleurs la plupart bassement adulatrices. Les ordonnateurs de l'illumination trouvèrent aussi le moyen de se distinguer au milieu de cette adulation générale. A quarante pieds au-dessus de la plate-forme de l'une des tours de Notre-Dame, ils firent élever une étoile de trente pieds de diamètre. Au centre était placé le signe du zodiaque sous lequel se levait le jour de la naissance du premier consul. Cette étoile brilla toute la nuit. Cependant, en même temps qu'on fêtait sur les places publiques le jour de la naissance de Bonaparte, l'église fêtait l'Assomption; et l'archevêque de Paris donnait à Notre-Dame l'ordination épiscopale à un parent du premier consul, à l'abbé Fesch, son oncle. C'était une sorte d'alliance que Bonaparte contractait avec l'église. Il semblait chercher toutes les occasions de lui donner des gages de réconciliation complète. Un arrêté des consuls du 2 fructidor apprit au public qu'un bref du pape Pie VII, donné à Rome le 29 juin précédent, rendait à la vie séculière et laïque le citoyen Charles-Maurice Talleyrand, ministre des relations extérieures. Cette mesure, en effaçant un scandale, rendait plus saillant celui que présentait encore Fouché, ex-prêtre, ex-oratorien, ministre de la police, et exerçant, comme Talleyrand, la vie laïque. Fouché au reste ne resta pas longtemps ministre.

Le 3 fructidor, le premier consul alla, pour la première fois, présider le sénat. Il s'y rendit avec une pompe royale. Il traversa Paris entre deux haies de troupes, avec une escorte nombreuse et brillante. Il fut reçu par les sénateurs avec un cérémonial tout monarchique. Les orateurs du conseil d'état présentèrent divers projets. L'un était un réglement du sénat. Le premier article mettait ce corps sous la dépendance du pouvoir; il portait que les consuls convoquaient le sénat et indiquaient les jours et heures de ses séances. Un autre projet était relatif à l'ordre dans lequel les cinq séries seraient appelées à présenter leurs députés au corps législatif, et à la désignation des membres du tribunat qui sortiraient les quatre années suivantes. Un troi

sième projet se rapportait au mode de dissolution du corps législatif et du tribunat. Un quatrième proposait la réunion de l'île d'Elbe au territoire de la République, etc., etc. Tous les projets réglementaires furent convertis en sénatus-consulte et proclamés par le premier consul le 12 fructidor suivant. La liste. des tribuns surtout fut arrêtée le 14, et le décret de réunion de l'île d'Elbe futrend u le 18.

Le 24 fructidor, un sénatus-consulte réunit au territoire de la République les départemens du Pô, de la Doire, de Marengo, de la Sezia, de la Stura et du Tanaro, c'est-à-dire tout le Piémont, et accorda à ces départemens dix-sept députés au corps législatif.

Le 28 fructidor, le premier consul nomma membres du sénat Abrial, ministre de la justice; Dubelloy, archevêque de Paris; le général Aboville; Fouché, ministre de la police générale, et Roederer, conseiller d'état. Comme la fonction de sénateur était incompatible avec le ministère ainsi qu'avec le conseil d'état, Abrial, Fouché et Roederer se trouvèrent en réalité destitués et fort mécontens. Cependant on sut calmer leur mauvaise humeur. On donna à Fouché 1,200,000 francs sur la caisse des jeux, et de plus on ménagea son amour-propre. Il ne fut pas remplacé à la police; ce ministère fut provisoirement supprimé. Nous ignorons quels furent exactement les motifs de ces destitutions. Quoi qu'il en soit, Bonaparte semblait prendre à tâche de reconnaître la faveur dont on venait de l'honorer par un redoublement d'activité.

Cependant, il se formait une opposition dans l'armée. Elle se groupait autour de deux hommes qui se tenaient en dehors de la cour consulaire, Moreau et Bernadotte. Moreau vivait retiré à la campagne, affectant dans ses manières et son costume une simplicité qui contrastait avec la dignité et le luxe de Bonaparte. Il ne dissimulait pas son mécontentement; il refusa d'assister au Te Deum chanté à l'occasion du concordat. Bernadotte alla plus loin. Nommé commandant en chef de l'armée de l'Ouest, il prépara à Rennes, son quartier-général, le plan d'une insurrection militaire. Il fut dénoncé. On arrêta Simon son chef d'étatmajor, et Marbot, son aide-de-camp. Quant à lui, on se borna à le

destituer; on respecta dans sa personne le beau-frère de Joseph Bonaparte. Cette espèce de pardon ne séduisit pas Bernadotte. De retour à Paris, il s'entoura de nouveau de mécontens, et accueillit tous ceux qui craignaient l'ambition de Bonaparte ou étaient jaloux de sa fortune. On le soupçonna, injustement sans doute, d'avoir eu connaissance d'un complot contre la vie du premier consul, pour lequel furent arrêtés le général Donadieu, le colonel Fournier et quelques autres. Le général Delmas s'échappa. On cacha avec soin toutes ces tentatives, qui pouvaient en exciter d'autres. On savait qu'en ces sortes d'affaires, l'insuccès n'est point toujours un motif de découragement, que les conspirations sont des maladies contagieuses; et d'ailleurs on craignait de faire soupçonner aux citoyens que l'armée était moins affectionnée qu'ils ne le pensaient. Toutes ces tentatives déjouées n'empêchaient pas Bernadotte de prêter l'oreille aux opposans. Il allait souvent chez madame de Staël qui avait cessé d'aimer Bonaparte dès qu'elle n'avait plus eu à le protéger. ‹ Il ́se formait autour de Bernadotte, dit madame de Staël (1), un parti de généraux et de sénateurs qui voulaient savoir de lui s'il n'y avait pas quelques résolutions à prendre contre l'usurpation. Il proposa divers plans qui se fondaient tous sur une mesure législative quelconque, regardant tout autre moyen comme contraire à ses principes. Mais, pour cette mesure, il fallait une délibération au moins de quelques membres du sénat, et pas un d'eux n'osait souscrire un tel acte. >

Le général Lannes faisait aussi de l'opposition, mais dans les salons des Tuileries. Il était commandant de la garde du premier consul. Celle-ci, successivement renforcée, se composait déjà de quatre bataillons d'infanterie et de deux régimens de cavalerie. Il était important qu'elle dépendît d'un homme sûr. On ne se défiait pas de Lannes; on le croyait trop loyal pour trahir la confiance qu'on avait en lui. Cependant, on profita d'un déficit qu'on trouva dans la caisse de la garde dont le soin lui appartenait

(1) Dix années d'exil.

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