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lement sorti de Londres. Le traité d'Amiens était rompu ; on allait commencer cette guerre qui ne devait se terminer qu'à la restauration. Mais on était loin, alors de prévoir un tel avenir. On croyait que l'on n'aurait à combattre que la seule Angleterre, et non l'Europe entière acharnée contre nous. L'Angleterre ne devait pas l'espérer non plus. Aussi est-on en droit de s'étonner de la voir s'engager seule contre une puissance telle que la République. Ce fut chez eux une affaire de lutte parlementaire et d'opinion publique, le résultat du triomphe obtenu dans les chambres par le parti aristocratique sur le parti populaire, des tories sur les wigs, plutôt que la suite de dissentimens diplomatiques insurmontables.

Quoi qu'il en soit nous allons donner sur cette guerre, qui eut une si grande influence sur les destinées de notre patrie, les documens qui en expliquent les causes ou les prétextes. Nous les trouvons réunis dans un discours qui fut prononcé au tribunat. Le voici :

Rapport sur les pièces relatives au traité d'Amiens et à sa rupture, fait au tribunat, par Daru, organe d'une commission spéciale. - Séance du 3 prairial an x1 (23 mai 1803).

Tribuns, lorsque vous avez entendu un cri de guerre retentir dans l'Europe, vous avez regardé autour de vous: vous avez vu l'Europe pacifiée, le Nord tranquille, l'empire d'accord sur son organisation, l'Autriche en possession de ses nouveaux états, la Suisse reprenant son ancien gouvernement et sa liberté, le SaintSiége relevé, le royaume de Naples évacué par nos troupes, la maison d'Espagne assise sur les trois trônes que les traités lui ont assurés, les républiques d'Italie organisées, l'Angleterre établie dans ses conquêtes; et, jetant ensuite les yeux sur vos alliés, vous avez dû croire qu'eux seuls avaient à se plaindre. La république Batave attendait encore la restitution du cap de BonneEspérance; l'empire Ottoman celle de l'Égypte; vous mêmes celle de Malte à l'ordre qui en est le souverain; et cependant ce n'était ni de la Hollande, ni de la Turquie, ni de la France que 2

T. XXXIX.

DU 16 THERM. AN X (4 AOUT 1802) s'élevait ce cri de guerre; c'était de chez ce peuple qui seul donnait un juste sujet de plainte en retenant encore ces importantes possessions.

› Vous avez su qu'il y avait une négociation ouverte, quoiqu'il ne parût pas qu'il y eût de nouveaux intérêts à discuter; et vous venez d'apprendre que le seul résultat de cette négociation est une provocation offensante de la part de la puissance qui a différé l'exécution des traités, et qui s'y refuse aujourd'hui formelle

ment.

» Vous avez sous les yeux les pièces originales d'une si importante négociation; et quoique le délai de quelques heures soit insuffisant à un orateur pour en développer toutes les conséquences, il ne l'est pas pour que vous ayez déjà médité les grands intérêts dont je viens vous entretenir.

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Je vais vous présenter l'analyse de la négociation, l'exposé des griefs de l'Angleterre et de la France, l'examen des conditions proposées, et les résultats probables de la guerre par rapport aux deux états.

› Lorsque la nation française, réunie pour la première fois en assemblée vraiment représentative, entreprit l'examen de son ancienne charte constitutionnelle, et ressaisit les droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les peuples civilisés, on commença à concevoir quelques craintes sur les dispositions du cabinet anglais. Son ambassadeur, témoin oculaire de ces grands événemens, s'empressa d'assurer l'assemblée nationale i du désir » ardent que le ministère anglais avait d'entretenir (1) l'amitié, › l'harmonie qui subsistaient entre les deux nations. ›

> Pour ôter aux étrangers tout prétexte de prendre part à nos discussions intérieures, les représentans du peuple proclamèrent l'amour de la nation pour la paix, sa renonciation à tout projet de conquête, son respect pour l'indépendance de tous les gou

vernemens.

> Quels projets d'agression aurait-on pu supposer à un peuple

(1) « Lettres de M. le duc de Dorset, ambassadeur d'Angleterre, des 26 juillet et 5 août 1789. »

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qui luttait avec effort contre son gouvernement, contre deux classes privilégiées, contre tant de préjugés ou d'habitudes ; à un peuple divisé en plusieurs partis, agité dans ses villes, dans ses campagnes mêmes, épuisé dans ses finances, et égaré jusqu'à abolir précipitamment des impôts déjà insuffisans, quoique odieux ; à un peuple enfin dont les armées n'avaient jamais été si faibles, et qui les voyait commandées par des chefs ennemis de sa révolution?

› Un politique ordinaire pouvait dès lors prédire au peuple français: vous allez avoir toute l'Europe à combattre; une guerre civile dévastera le tiers de la France; un grand nombre de vos citoyens ira se joindre à vos ennemis; vos flottes, vos places fortes, vos colonies seront livrées par la trahison; les factions vont vous déchirer; le sang coulera au dedans comme au dehors, et la famine atteindra ceux qu'épargnera la hache ou l'épée.

› Mais où est le génie qui eût osé ajoutér : Français, ne désespérez point de votre indépendance; que les citoyens restent fermes à leur poste; qu'un million de soldats se précipite vers les frontières : il est de grands hommes dans ces rangs obscurs ! La constance des gens de bien triomphera du désordre et des factions; ils resteront inébranlables à l'aspect des têtes sanglantes, comme vos soldats devant les bataillons ennemis ; les meilleures troupes, les plus fameux généraux de l'Europe fuiront devant vous; la gloire de la nation effacera, adoucira ses malheurs; vous vous élancérez au delà de toutes vos frontières; vous porterez vos armes en Afrique et en Asie; un homme paraîtra qui viendra terminer tout ce qui restait indécis, calmera les factions, éteindra jusqu'aux haines; l'Europe vous respectera; les rois deviendront vos amis, et les peuples se presseront autour du faisceau de la République...

» Si quelqu'un eût osé tenir ce langage, on l'aurait traité d'insensé; je n'ai fait cependant que vous raconter votre histoire : ce qu'il n'était pas permis au génie de prévoir, le peuple français l'a accompli; mais il ne pouvait pas le prévoit lui-même.

› Ses ennemis étaient si loin de croire à la probabilité de tels

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prodiges, qu'ils l'accusèrent de méditer une agression, parce qu'eux-mêmes la désiraient s'ils eussent pu le croire en état de faire la guerre, ils ne lui en auraient pas supposé l'intention. Mais ils furent trompés par leur haine ; ils le furent par les rapports de tous ces transfuges qui leur exagéraient les désordres intérieurs de la France et la puissance d'un parti tout prêt à favoriser les entreprises de l'étranger.

› L'étranger viola notre territoire, et son agression fut le signal de ce noble enthousiasme qu'on n'avait pu prévoir. Nos ennemis s'aperçurent que les calculs des passions sont toujours faux: les Français comprirent qu'il est toujours aussi imprudent que honteux d'appeler les étrangers dans les dissensions intérieures,

› Nous les vîmes se diviser tandis que nous nous réunissions; conquérir sans savoir ce qu'ils devaient faire de leurs conquêtes; protéger la famille royale, et ne pas lui permettre d'approcher de ces états que l'on envahissait en son nom; fomenter la révolte, et ne fournir aux révoltés que des armes pour nuire, et non pas des secours pour réussir; faciliter à des Français égarés une invasion dans leur patrie, et les abandonner dans leur défaite.

» Nous les vîmes tour à tour exiger que la France rappelât son ancienne dynastie, et reconnaître aux Français le droit de se choisir un gouvernement; refuser de traiter avec ce gouvernement sous le prétexte de son instabilité, et employer jusqu'au crime pour le détruire; réclamer le droit des gens, et outrager les ambassadeurs; enlever des représentans du peuple, des ministres, des généraux que la trahison leur avait livrés; ouvrir des négociations pour la paix, et faire ou laisser assassiner les négociateurs; nous commander la restitution de nos conquêtes, et nous en proposer le partage.

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› La République vit successivement diminuer le nombre de ses ennemis, et s'éteindre les passions qu'une lutte si violenţe, si imprévue, avait allumées. Les désastres d'une campagne malheureuse achevèrent de faire sentir aux Français le besoin de la réunion de tous les partis, et la nécessité de confier les rênes

du gouvernement à un homme digne de ces grandes circonstances: la gloire le nommait, et la voix du peuple français est toujours d'accord avec la gloire.

› Dès que le nouveau chef de la nation fut installé dans sa magistrature, sa première pensée fut de mettre un terme à sa gloire militaire, et d'en chercher une autre en rendant à sa patrie la paix, les lois, le commerce et les arts.

› Ici commence cette négociation de trois années dont toutes les pièces originales sont sous vos yeux, et dont je me contenterai de faire une analyse rapide pour rappeler seulement à votre mémoire ce que chacun de vous a déjà profondément médité.

Analyse de la négociation entre la République française et l'Angleterre depuis le 5 aivose an VIII.

» Le chef de la République pouvait à bon droit soupçonner les ministres du cabinet britannique de ne pas désirer la cessation d'une guerre que leurs prodigalités et leurs intrigues prolongeaient depuis huit ans ; il pensa qu'il diminuerait leur fatale influence en s'adressant au monarque, et il écrivit directement au roi d'Angleterre, le 5 nivose an ví, pour lui proposer l'ouverture d'une négociation, afin de ramener cette paix, le premier des besoins, la première des gloires (1).

› D'abord ce système de communications directes entre les chefs des deux états fut rejeté; le ministère anglais voulut s'en réserver la correspondance, et il répondit qu'on ne pouvait espérer la > cessation des causes qui avaient nécessité la guerre en négo› ciant avec ceux qu'une révolution nouvelle avait si récemment › investis du pouvoir en France; que c'était à une résistance dé> terminée qu'on devait la conservation de l'ordre social en Eu› rope ; qu'il fallait, pour espérer quelque avantage réel d'une › négociation, que les causes de la guerre eussent disparu, que › la résistance cessât d'être une nécessité, qu'on vit régner en

(1) Voyez dans le tome précédent la lettre du premier consul au roi d'Angleterre, et la réponse du lord Grenville. (Note des auteurs.)

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