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CORRESPONDENCE.

1. LE THÉÂTRE PERSAN.

Le théâtre persan serait digne d'attirer l'attention d'un littérateur épris de l'Orient musulman et versé dans la connaissance de ses langues. Ses mérites sont tels, à notre avis, qu'une étude générale et approfondie devrait en être entreprise, et nous n'hésiterions pas à l'aborder nous-même, s'il ne nous manquait l'essentiel pour la mener à bien, nous voulons dire un séjour fait en Perse pour juger de visu et de auditu. Nous n'avons eu entre les mains jusqu'à présent, en effet, pour formuler notre appréciation, que les textes, traductions, et études publiés en Europe, et, tout récemment, l'important manuscrit conservé à Paris, dans le Bibliothèque nationale.1 Il n'est peut-être pas inutile, dans l'intérêt même de l'étude que nous préconisons, de dresser ici la bibliographie de notre sujet : nous n'avons pas la prétention d'être complet; il nous suffira de mentionner les principales publications, auxquelles on nous permettra d'adjoindre les articles que nous avons écrits nous-même.

A. Chodzko, Le théâtre en Perse (Revue indépendante, Paris, 1844).

De Gobineau, Les religions et les philosophies dans l'Asie centrale, Paris, 1865 (Chap. xiii à xvi: le théâtre en Perse; les tekyèhs ou théâtres; les noces de Kassem; autres compositions théâtrales).

A. Chodzko, Théâtre persan: choix de téaziés, Paris, 1878 (traduction).

1 Supplé. persan 993, volume de 326 pages, cédé en 1878 par M. A. Chodzko.

Sir Lewis Pelly, The Miracle Play of Hasan and Husain, London, 1879 (translation).

Haggard and Le Strange, The Vazir of Lankurán, a Per

sian Play, London, 1882 (text and translation).

A. Chodzko, L'aventure du vizir du Khân de Lenkeran (Bulletin de l'Athénée oriental, Paris, 1883).

Barbier de Meynard, L'alchimiste, comédie en dialecte turc

azeri (Journal asiatique, 1886; texte et traduction). Le Strange, The Alchemist, a Persian Play, translated (The Journal of the R.A.S., London, 1886).

Barbier de Meynard et S. Guyard, Trois comédies traduites

du dialecte turc azeri en persan par Mirza Dja'far et publiées d'après l'édition de Téhérân,1 Paris, 1886 (texte).

A. Cillière, Deux comédies turques de Mirza Feth-Ali Akhond-Zade, Paris, 1888 (traduction).

Barbier de Meynard, L'ours et le voleur, comédie en dialecte turc azèri (Recueil de textes et de traductions publié par les prof. de l'Ecole des langues orientales vivantes, à l'occasion du viii congrès international des orientalistes), Paris, 1889 (texte et traduction).

Les travaux où l'on trouve les renseignements les plus complets sur l'histoire et l'état actuel du théâtre persan, renseignements fort insuffisants d'ailleurs, sont ceux de MM. Chodzko et de Gobineau. On peut consulter aussi l'introduction de M. Cillière à sa traduction de deux comédies turques.2

Lors qu'on veut parler de théâtre persan, c'est-à-dire d'un théâtre vraiment national et original, il faut éliminer de prime abord toute une partie du répertoire que l'on rattache d'habitude à ce nom. Les représentations si populaires du Karagueuz doivent en être résolument retranchées : ce genre de spectacle, connu en Perse depuis fort longtemps, et dont

1 Le recueil, rédigé en dialecte azeri, des comédies de Mirza Fèth Ali de Derbend, a été imprimé à Tiflis en 1858, et la traduction persane de Mirza Dja'far a été lithographiée à Téhéran de 1871 à 1874.

2 Voy. aussi les articles que nous avons publiés: La Religion et le théâtre en Perse (Revue de l'histoire des religions, Paris, 1887). Le théâtre en Perse, Genève, 1888. La réforme de la société par le théâtre en Perse (Vie chrétienne, Nimes-Paris, 1889).

les origines sont si obscures, n'est point spécial à l'Iran. La farce improvisée ou est un divertissement qui ne mérite pas d'être classé dans l'art théâtral proprement dit; ce n'en est que l'enfance, que le balbutiement.

Quant aux comédies de Mirza Fèth Ali, qui, dans le texte persan, portent improprement le qualificatif de L, elles n'appartiennent qu'indirectement au théâtre persan, d'autant plus qu'elles ne paraissent point avoir été jouées en Orient, où elles n'ont eu qu'un médiocre succès de lecture. L'auteur, Mirza Fèth Ali, était d'origine tartare, et il a écrit en turc azeri. Ses comédies, d'ailleurs, ne sont qu'une imitation, un pastiche, des comédies européennes, plus particulièrement du genre français ancien. Officier au service de la Russie, Mirza Fèth Ali s'était enthousiasmé du théâtre européen, à Tiflis, et, convaincu que la scène peut devenir un moyen de propagande morale, le théâtre un foyer de sainte contagion pour la réforme des mœurs et des idées, il prit la plume, et écrivit des comédies orientales modelées sur les productions théâtrales moralisatrices de l'Occident. Ces pièces, de fort médiocre valeur, mais qui ne sont pas sans intérêt, manquent presque entièrement d'originalité; peut-être faut-il en excepter l'Alchimiste " des comédies à tendance, démonstration d'une vérité morale, préconisation d'une réforme administrative, glorification du gouvernement russe: elles rappellent de loin le théâtre de Voltaire. Plusieurs mêmes se terminent par une moralité récitée par l'un des principaux personnages: c'est le cas

Ce sont مد ابراهیم خلیل کیمیاگر

خرس قولد ور باسان - وزير : pour les deux comédies intitulées خان لنکران

Le véritable théâtre persan est celui des drames religieux: le constitue le fond même de l'art théâtral iranien. Notre intention n'est point d'affirmer par là que ces œuvres dramatiques, si populaires, approchent de la perfection; elles en sont au contraire fort éloignées. L'action, le nerf même du drame, en est à peu près absent; la composition en est très lâche, et le style, malgré ce qu'il a de brillant et de poétique, rempli de répétitions. Comment pourrait-il en être VOL. XXII.-[NEW SERIES.]

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autrement, étant donné que ces ouvrages ne sont point écrits, mais simplement improvisés sur un thème connu et déterminé d'avance? Ce défaut capital est sensible jusque dans les rédactions de mises à la portée des Européens, ou faites sur leur demande; il est particulièrement sensible dans le "Miracle Play of Hasan and Husain, collected from oral tradition by Sir Lewis Pelly," improvisation hâtivement rédigée. Malgré ces graves déficits, le drame persan a des mérites de premier ordre, surtout une grandeur étonnante et un souffle puissant, qui éclatent aux yeux des auditeurs le plus ignorants du monde oriental, des idées musulmannes et des préjugés schiîtes. Nous nous sommes, à plusieurs reprises, rendu compte de cette impression, en déclamant devant le grand public tels fragments pathétiques, dignes des grands maîtres, surtout le fameux dialogue entre Abbas mourant au camp de Kerbéla et Hussein, dans le qui porte le numéro xvii dans le manuscrit de Paris, et qui roule sur le martyre du héros schiîte. Jamais la formule de la profession de foi islamique, le a ne nous a paru aussi grand qu'à la fin de cette tirade magistrale, où Abbas expirant la profère avant de rendre le dernier soupir; quelle n'a point été notre surprise de constater que notre impression, de nous enthousiaste du , était partagée par nos auditeurs, qui appartenaient aux diverses classes de la société ! C'est que le fragment que nous lisions était classique en son genre, nous voulons dire parfait, sinon dans la forme littéraire, du moins dans l'expression de l'idée et du sentiment moral, résultant de la situation matérielle et physique.

Les caractères essentiels du drame religieux, ceux qui lui assurent sa valeur actuelle et lui préparent un avenir, que nous nous plaisons à nous représenter brillant, sont faciles à discerner et à énumérer. Nous les formulerons succinctement comme autant de thèses, démontrées ou à démontrer dans l'étude d'ensemble dont nous souhaitons l'apparition:

1°. Le ou drame religieux persan est avant tout une œuvre nationale persane. C'est la Perse moderne, avec ses traditions modernes (nous entendons par là celles qui ne remontent pas au delà de sa conversion à l'Islamisme), qui y

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