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de la sorte une eau noire et bourbeuse, où l'on délayait une farine plus ou moins grossière. Au défaut de celle-ci, on broyait du grain entre deux pierres, et on en retirait un gros son qui la remplaçait. Souvent aussi on faisait cuire dans l'eau des grains de blé ou de seigle, et on les mangeait comme du riz. On couvrait les charbons de chair de cheval, coupée en filets; et le tout était assaisonné avec de la poudre à canon, lorsque le sel manquait. Tout étant prêt, on s'asseyait autour de la marmite; et, en un clin-d'oeil, on avait dévoré des aliments qui, en toute autre position, auraient occasionné le plus grand dégoût.

Ce fut ainsi que l'armée arriva sur le Borysthène, qu'elle passa à Orscha. Là, on apprit vaguement que les corps qui avaient été laissés sur la Dwina, avaient été attaqués à Polosk par des forces supérieures, et qu'après plusieurs combats très opiniâtres, ils avaient aussi été contraints de faire retraite. Il en fut de même du corps qui faisait le siége de Riga. Quant à l'arrière-garde, après avoir quitté Smolensk, elle avait rencontré l'armée russe à Krasnoï. Le maréchal Ney avait déployé un si grand courage et manoeuvré avec tant d'habileté, qu'il était parvenu à se faire jour. Au moment où on s'y attendait le moins, il parut sur le

Borysthène, qu'il passa sur les glaçons; mais il avait perdu la plus grande partie de ses troupes, qui, ayant été dispersées, furent successivement forcées de se rendre. Cette retraite ajouta infiniment à la gloire du maréchal, que rien ne ternirait aujourd'hui, s'il y avait laissé la vie.

Après cette jonction inespérée, l'armée française se vit placée entre trois armées russes: celles de Wittgenstein, de Koutouzoff et de Tchitzchakoff, toutes trois composées de soldats robustes et du pays. De plus, elle était environnée aussi de partis de cavalerie qui la barcelaient sans cesse. On n'était pas plus préparé à la recevoir à Orscha (19 novembre), que dans les autres places. Dans la situation déplorable où elle était réduite, Napoléon voulut combiner encore de grandes manoeuvres. Plusieurs corps furent envoyés d'Orscha sur la route de Witepsk, pour se porter sur les derrières de l'armée de Wittgenstein. Ces corps, ayant marché quelque temps dans des chemins que la neige rendait très difficiles à reconnaître, finirent par s'égarer, et furent forcés de revenir sur leurs pas, après avoir laissé dans les ravins toute l'artillerie et les bagages qu'ils avaient emmenés.

Napoléon veillait avec le plus grand soin à ce que le désordre ne se glissât pas dans sa

garde, et à ce qu'elle se tînt toujours en colonne serrée. Il pourvoyait, autant que cela était possible, à ce qu'elle ne manquât de rien; et toutes les ressources qu'offrait chaque gîte lui étaient exclusivement réservées. Mais pour se former des gardes encore plus dévoués, s'il se pouvait, il rassembla tous les officiers de cavalerie qui avaient conservé un cheval, et il en fit quatre compagnies de cent cinquante hommes chacune, qui furent destinées à faire le service auprès de sa personne. Ce corps, auquel il donna le nom d'escadron sacré, était commandé par Murat, son beau-frère. Les officiers-généraux en étaient capitaines et lieutenants, et les colonels sous-officiers; mais les chevaux ne tardèrent pas à périr; et, au bout de quelques jours, l'escadron sacré n'existait plus.

La route d'Orscha à Tolokzin, point vers le quel on marcha ensuite, est une des plus belles de l'Europe. Elle a, de chaque côté, une double allée de bouleaux dont les branches, chargées de glaçons et de neige, retombaient jusqu'à terre. Mais ces promenades majestueuses n'étaient, pour les malheureux fugitifs, qu'un lieu de larmes et de désespoir. De tous côtés on n'entendait que plaintes et gémissements. On ne trouva pas plus de secours à Tolokzin, que

dans les autres lieux où l'on avait passé; et il en fut de même à Bobr.

On approchait alors de la Bérézina, rivière qui est peu large, mais rapide et profonde, et coule entre des marais. Comme il Ꭹ avait eu un petit dégel, elle charriait beaucoup de glaçons. C'était sur cette rivière que les diverses armées russes devaient se réunir pour couper la retraite à l'armée française. Nous ne pouvons entrer dans le détail des mouvements qui eurent lieu de part et d'autre, pour effectuer ou prévenir le passage; mais la vérité nous fait un devoir de dire que Napoléon, à force de manoeuvres et de stratagêmes, trompa si bien la vigilance de l'ennemi, qu'il parvint à s'établir au village de Studzianca, situé sur une éminence qui domine la rivière. Là, il fit construire en sa présence, et malgré l'opposition des Russes, deux ponts sur lesquels le passage de l'armée s'effectua les 25, 26 et 27 novembre. Ce fut la garde impériale qui passa la dernière. Tant qu'elle était restée à Studzianca, la masse, rassurée par sa présence, n'avait fait aucune tentative sérieuse pour franchir la rivière; mais aussitôt qu'on l'eût vue de l'autre côté, on se porta en foule vers les ponts. Tous voulaient passer en même temps, se froissaient, se pres

saient, se culbutaient; les cavaliers renversaient les fantassins; les voitures se faisaient place, en écrasant tout ce qui se trouvait sur leur passage: on n'entendait que des imprécations et des cris. Des gendarmes gardaient les ponts; mais bientôt, ne pouvant plus résister à la foule, ils quittèrent leurs postes pour ne pas être massacrés. Beaucoup de généraux tentèrent de rétablir l'ordre : ce fut inutilement; la voix de Napoléon lui-même, qui avait regagné la confiance du soldat, eût été méconnue. Quand on avait passé la rivière, il fallait traverser un marais d'un quart de lieue de largeur, et couvert de saules et de roseaux; les chevaux y enfonçaient jusqu'au ventre; et, à chaque instant, on était menacé d'être englouti. Beaucoup de voitures ne pouvaient être arrachées de ce cloaque, qui devint de plus en plus dangereux, à mesure qu'on le traversa.

Le 28, à la pointe du jour, l'armée de Turquie se présenta en ligne de bataille, et marcha contre le 2o. corps, en même temps que l'armée russe de la Dwina s'avançait contre le 9o. Le combat s'engagea avec fureur. Le 2o. corps, soutenu par la garde, tint l'ennemi en échec toute la journée, et lui fit même éprouver des pertes considérables. Mais il n'en était pas ainsi de l'autre corps: les Russes le repoussaient

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