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communiquer. Quelques-uns parvinrent à se sauver. Les autres, à demi-ensevelis sous des solives ardentes, supplièrent leurs camarades d'abréger leur supplice. On crut devoir le faire par humanité. Plusieurs s'écriaient : « Tirez » à la tête! tirez à la tête! ne nous manquez » pas! »Et les cris ne cessèrent que lorsque toutes les victimes eurent été consumées.

Le 18, au point du jour, l'immense colonne se remit en mouvement. Napoléon, vêtu comme à l'ordinaire d'un habit de colonel de chasseurs et d'une redingotte grise, marchait à pied à la tête de ses gardes et entouré d'un nombreux état-major. Il paraissait extrêmement inquiet; il s'arrêtait à chaque instant, et, après une pause d'un quart-d'heure ou d'une demi-heure, il reprenait sa marche. Selon toute apparence il attendait l'arrière-garde dont on n'avait toujours point de nouvelles.

On allait péniblement au milieu des neiges, sur des chemins à peine tracés, à travers des déserts et d'immenses forêts de sapins. Toute fraternité d'armes, tout sentiment d'humanité et de commisération avaient cédé, dans le coeur de chacun, à l'instinct de sa propre conservation; ne voyant que soi, tout autre était un étranger. Les infortunés fugitifs se faisaient

même entre eux une guerre cruelle; et l'on peut dire, presque sans hyperbole, que le plus fort dévorait le plus faible. Partout où l'on portait ses regards, on ne voyait que des figures sinistres, effrayées et mutilées, que des scènes de carnage, que la famine et la mort.

Il semblait aussi qu'on fût remonté jusqu'au temps de la tour de Babel, tant on entendait de langues différentes. Chacune d'elles fut d'abord un motif particulier de liaison entre ceux à qui elle était commune. Ils formaient des associations qui ne se signalaient que par des témoignages d'éloignement et de haine envers les autres nations. Les Français, surtout, accoutumés à la domination, ne voulaient point renoncer à leur supériorité. Ils se croyaient en droit de s'emparer de tout ce qui leur convenait. Les étrangers ne cédaient qu'à la force, et il en résultait des luttes toujours plus ou moins fåcheuses.

A la pointe du jour, et sans aucun autre signal, la masse entière reprenait sa marche. Elle gardait un morne silence, qui n'était inter rompu que par les gémissements des mourants. Sur le point de rendre le dernier soupir, ils recue illaient le reste de leurs forces, pour exhaler la haine qu'ils portaient à Napoléon. Ils le déclaraient l'auteur de leurs

maux et l'accablaient des plus affreuses malédictions (1).

Dans la situation désespérée où l'on se trouvait, le motif le plus léger suffisait pour occasionner des contestations qui, le plus souvent, finissaient par des combats; la rage était dans tous les coeurs: on aurait voulu s'entredéchirer. Souvent, au milieu du désordre, les cosaques paraissaient on ne les avait pas plutôt aperçus, qu'il se faisait un large vide dans cette partie de la colonne qu'ils menaçaient; on se repliait, on courait en avant pour les éviter. On était d'autant plus effrayé de tomber entre leurs mains, qu'après avoir accablé de coups leurs malheureux prisonniers, ils les dépouillaient de tous leurs vêtements, et les exposaient entièrement nus à toute la rigueur de la saison.

On marchait à grands pas et sans prendre

(1) Un malheureux employé d'administration avait eu les deux jambes fracassées par les roues d'une voiture; il était gissant sur le chemin à l'instant où Napoléon passa à la tête de ses gardes; il se souleva à sa vue, et s'écria : « Le voilà ce mi» sérable pantin, qui, depuis dix ans, nous mène comme des >> automates! Camarades, il est fou, défiez-vous de lui. C'est un >> cannibale; le monstre vous dévorera tous. » Tableau de la campagne de Moscou, en 1812; par René Bourgeois, page 188.

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aucun repos tant que durait le jour, et l'on ne s'arrêtait qu'à nuit close. Excédé de fatigue, il fallait que chacun s'occupât à trouver sinon un logement, du moins un abri contre le vent. On se jetait en foule dans les maisons, les granges, les hangars et tous les bâtiments qu'on rencontrait. En peu de temps on y était entassé de façon que personne ne pouvait plus ni entrer ni sortir. Bientôt des feux étaient allumés dans ces demeures, et on les entretenait avec tout ce qu'on y trouvait de combustible.

Ceux qui ne pouvaient s'introduire dans les maisons s'établissaient à l'extérieur et contre les murs. Leur premier soin était de se procurer de la paille et du bois. Dans ce dessein, ils enlevaient les toits des édifices voisins; et, quand cela ne suffisait pas, ils arrachaient les solives, les cloisons, et finissaient par démolir le bâtiment, malgré l'opposition, les clameurs et les menaces de ceux qui s'y étaient réfugiés. Souvent on soutenait un véritable siége. On faisait des sorties contre les assaillants. On les chassait à coups de poing; mais bientôt ils revenaient à la charge; fallait céder et se déterminer à sortir, pour ne pas être enfoui sous les décombres. Si l'on n'était pas expulsé des chaumières où l'on avait cherché un asile, on courait lerisque d'y être dévoré par les flammes.

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Il était difficile que des bâtiments construits en bois de sapin, et dans lesquels on allumait de grands feux, ne fussent pas promptement réduits en cendres. Très souvent aussi, quand on ne pouvait entrer dans les maisons, on y mettait le feu pour en faire sortir ceux qui les occupaient, surtout lorsque c'étaient des officiers - généraux qui s'en étaient emparés de vive-force. En un instant toute la maison était embrasée. Les malheureux qu'elle renfermait, se portaient tous à la fois vers les issues, en poussant des cris affreux. Quelques-uns s'échappaient sains et saufs; d'autres, atteints par les flammes, sortaient, le visage, le corps et les mains brûlés; mais le plus grand nombre périssaient..

Ces scènes affreuses se renouvelaient souvent. Le meilleur parti à prendre était donc de se mettre au bivouac. Aussi, au lieu de se loger dans les maisons, on les démolissait, et on en prenait les matériaux pour se construire des abris au milieu des champs. Le feu allumé, on pré-. parait le repas : les uns pétrissaient des galettes; les autres faisaient une bouillie, qui était la nourriture la plus habituelle du soldat. Comme la glace couvrait toutes les sources et tous les marais, on faisait fondre dans une marmite une quantité suffisante de neige. On obtenait

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