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y prendre des cantonnements d'hiver, nous nous retrouverons au printemps prochain dans la même position qu'au moment actuel, et le colosse moscovite, à peine ébréché par nos assauts de géant, se dressera encore devant nous dans toute l'immobilité de sa puissante inertie.

Sur le point où se concentrent, d'après les ordres de Napoléon, les différents corps qui ont traversé le Niémen il y a un mois, s'étend un vaste plateau de vingt-cinq lieues de large; à droite et à gauche coulent parallèlement la Dvina et le Dnieper (l'ancien Borysthène). Sur ce dernier, en face de Witepsk, à vingt-cinq lieues, s'élève la ville de Smolensk. Par Witepsk, en traversant la Dvina, nous nous trouvons encore sur la route de Saint-Pétersbourg; par Smolensk, en traversant le Dnieper, nous pouvons marcher sur Moscow. Ainsi, l'une et l'autre capitale de l'empire des czars s'offrent à nous presque à la même distance.

La garde impériale occupe les environs de Witepsk. Le centre de l'armée tient le milieu du plateau baigné par les deux fleuves. Le prince Eugène, qui forme notre gauche, s'établit à Suraje, sur les bords de la Dvina; au-delà du fleuve, ses patrouilles poussent jusqu'à Velikie-Louki, sur la rivière de Loval qui va se jeter dans le lac Ilmen. Le corps du duc d'Elchingen, qui est le troisième, et la cavalerie de Murat, se placent en avant du centre, à Nicolino, Inkovo, Roudnia et Liosna. De Mohilow, où il a repoussé Bagration, le prince d'Eckmülh a rabattu sur la gauche, et, remontant le Dnieper, il s'établit à Orcha où se développe notre aile droite. Avec le premier corps, commandé par Davoust, se trouvent les contingents polonais, westphaliens, la cavalerie de Grouchy, les escadrons légers de Colbert et ceux de Latour-Maubourg.

Pendant que Napoléon prépare avec soin les opérations de la campagne et met à profit un repos de quinze jours pour s'occuper à la fois des affaires lointaines de son vaste empire

et des besoins sans cesse croissants de ses armées, des événements d'une importance relative se passent à notre extrême gauche et dans le grand-duché de Varsovie. Du côté du grandduché, nous avons dit que le général Thormasow était occupé à faire des levées. A la tête de quelques régiments, il a déjà commencé ses mouvements offensifs, lorsqu'il reçoit des renforts de l'armée du Danube. Grâce à ce secours, Thormasow opère une diversion imprévue; il surprend la brigade des contingents slavons, commandée par le général Kleingel, l'enveloppe et la fait tout entière prisonnière. Le général Reynier, qui tient le grand-duché avec le septième corps, marche contre Thormasow; mais il est forcé lui-même de se replier. Napoléon, instruit de cet échec, écrit au prince de Schwartzenberg, général en chef du contingent autrichien de trente mille hommes, de se jeter résolument sur les Russes, et de ne prendre aucun repos qu'il ne les ait écrasés, avec l'aide de Reynier. Quant au duc de Bellune, il quittera le grand-duché avec le neuvième corps, pour se rapprocher du Niémen, afin de former un des anneaux de la chaîne qui reliera la grande armée à ses réserves et aux places fortes des puissances alliées. Le duc de Castiglione, qui arrive de Berlin avec le onzième corps, se mettra à cheval sur l'Oder, et poussera une de ses divisions sur la Vistule.

Une diversion semblable à celle que les Russes ont tentée sur nos derrières, dans le grand-duché, s'opère à notre extrême gauche. Le corps d'armée de Wittgenstein, qui occupait Rosiana, entre Kowno et Tilsit, avant le passage du Niémen, a été rejeté par nos divisions sur la route de Saint-Pétersbourg, et séparé de Barclai de Tolly, comme celui-ci a été séparé de Bagration. Il manœuvre assez habilement entre le duc de Tarente, qui s'est emparé de Dunabourg, et le duc de Reggio avec le deuxième corps, qui a reçu l'ordre de le devancer à Sebèje et de le rejeter, en débordant sa gauche, sur le golfe de

Riga. Wittgenstein n'a que vingt-cinq mille hommes; le duc de Reggio à lui seul dispose de trente-trois mille hommes. Malheureusement, Oudinot demeure au-dessous de sa tâche et ne peut parvenir à déblayer la route de Saint-Pétersbourg. Il dissémine ses troupes, ne sort que le 28 juillet de Polotsk, où est son quartier général, et rencontre l'ennemi à Jacoubovo. Un Français, le général Dauvray, qui servait sous les ordres du général russe, fit comprendre à Wittgenstein que la route de Saint-Pétersbourg était perdue, si on ne tentait pas une bataille. L'action s'engage; elle dure deux jours, et Oudinot est forcé de se replier sur la Drissa. Le combat d'Oboïazina répare cette faute et disperse une colonne ennemie de douze mille hommes. Mais Oudinot, toujours indolent, n'appuie pas la division Verdier, qui s'est jetée tête baissée sur les nouvelles positions du général russe, à Kliastitza. Malgré les pertes cruelles éprouvées par Wittgenstein, quatre mille hommes et quatre colonels tués, dix généraux blessés et neuf pièces de canon tombées en notre pouvoir, ce dernier combat ne décide rien, et les deux armées se retirent chacune de son côté, les Français à Polotsk et les Russes à Oveïa. Napoléon est mécontent des opérations du deuxième corps; mais la prise de Dunabourg vient heureusement compenser cet échec. L'empereur ordonne au duc de Tarente, tout en poussant avec activité le siége de Riga, de tenter quelque diversion en faveur du duc de Reggio.

Le séjour de Napoléon à Witepsk nous montre dans sa plus haute expression ce génie placide qui savait s'absorber au milieu des événements les plus compliqués, et donner à chaque chose, dans une stricte limite, la part qui lui revient, sans rien distraire d'une occupation pour le reporter sur une autre. Un des compagnons de gloire de l'empereur (*), qu'une cer

(*) Le général Gourgaud.

taine intimité mettait à même de conserver à l'histoire des documents précieux sur l'intérieur de Napoléon, nous a laissé quelques détails sur l'économie que mettait l'empereur dans la distribution de son temps. Lorsqu'on transportait le quartier général à une distance un peu éloignée, Napoléon calculait son départ de manière à n'arriver à la tête de l'armée qu'au moment précis où sa présence était nécessaire, et il s'y rendait alors rapidement en voiture. Pendant le trajet, il ne discontinuait pas ses travaux de correspondance et ses études sur la carte du pays ennemi. Dans la nuit, une lumière était disposée au fond de sa voiture, et il travaillait comme dans son cabinet. Ses aides de camp, ses officiers d'ordonnance et une brigade de chevaux de selle, marchaient pour ainsi dire à la portière, prêts à porter ses ordres à la minute dans toutes les directions.

Dans son cabinet, où il a fait déposer, comme de coutume, sa boîte aux livres, son nécessaire et son petit lit de fer, il s'enferme pendant des heures entières avec les secrétaires Fain, Méneval, Mounier et le géographe Bacler d'Albe. Les ordres les plus détaillés partent de là, pour être envoyés aux onze grands corps d'armée qui se déploient des bords de l'Oder aux bords de la Dvina. Le ministre Daru, chargé de l'administration militaire, lui transmet également et présente à sa signature les actes qu'il a reçus du cabinet de Paris. Le major général lui communique des centaines de rapports. De Wilna, le duc de Bassano lui fait parvenir une active correspondance. La construction des fours, les ambulances, le soin des équipages, rien n'échappe à l'examen, au contrôle, à la sollicitude et aux calculs de l'empereur. Les affaires russes l'occupent surtout. Un travail immense a été entrepris d'après ses ordres: c'est le Livret de l'armée ennemie, qui renferme un état complet et analytique des forces militaires d'Alexandre Ier et de positions diverses qu'elles occupent. Grâce à ce livret, toujours au

courant, Napoléon peut suivre les mouvements de l'ennemi avec autant de certitude qu'il suit les opérations de ses propres divisions. Chaque matin, à six heures précises, une brigade de la garde défile devant Napoléon, et ces petites revues lui donnent naturellement l'occasion de distribuer des récompenses à ceux de ses compagnons de gloire qu'ont illustrés de récentes actions d'éclat.

Deux mauvaises nouvelles viennent troubler l'empereur dans cette capitale militaire qu'il a improvisée à Witepsk (*). Le 14 juillet, Mamouth a ratifié le traité de paix de Bucharest entre Constantinople et Saint-Pétersbourg. L'Angleterre a grandement contribué à ce résultat. Le traité de Bucharest va permettre à la Russie de disposer contre les Français des cent cinquante. mille hommes qui tenaient le Danube, et de donner le commandement en chef de ses armées au vieux général Kutusow, dans lequel Alexandre Ier a une entière confiance. Napoléon avait deviné ce résultat de la politique anglaise, en apprenant que Thormasow tirait des renforts du Danube. Il reçoit en même temps une copie du traité signé à Abbo le 24 mars, entre Bernadotte et l'empereur de Russie, et tenu secret jusqu'alors. L'alliance avec la Suède et la paix avec la Turquie, c'est le salut de la Russie. Napoléon avait fait entrer en compte dans ses calculs les diversions du Danube et de la Finlande, et toutes ses combinaisons se trouvent déjouées.

En même temps les gazettes apprennent au quartier général que l'empereur Alexandre est à Moscow, où il rassure ses sujets sur la tournure des événements. Les paroles qu'il adresse à cette occasion aux nobles et au corps des marchands réunis au Kremlin, confirment ce que nous avons dit du plan de campagne adopté à Wilna. « Les désastres dont vous êtes

(*) « Witepsk a perdu ses habitants, mais jamais population ne pourra y offrir une affluence aussi nombreuse, aussi brillante. » (Manuscrit de 1812, 1er vol. page 308.)

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