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d'Alexandre Ier; et nous en retrouverons plus tard les traces dans les moindres épisodes de la campagne, depuis l'entrée de notre grande armée dans l'ancienne capitale de la Lithuanie, jusqu'à l'évacuation de Moscow. Sans doute, les accidents ordinaires de la guerre viendront modifier le plan, et plus d'un champ de bataille sera offert à Napoléon; mais les défaites mêmes serviront la tactique des Russes, et les fautes de leurs généraux tourneront au but final qu'ils se sont proposé.

Les divisions russes se replient vers la Dvina; Wilna est évacué, et les Français y font leur entrée le 28.

Les mouvements du roi Jérôme s'exécutent avec une lenteur qui fait mal augurer de l'avenir de ses opérations. Ce n'est que le 30 qu'il passe sur la rive droite du fleuve avec cinquante mille baïonnettes et dix mille chevaux polonais, sous les ordres de Poniatowski, Reynier et Latour-Maubourg. Le même jour, à Piloni, soixante-dix mille homnes traversent le Niémen, savoir: le quatrième corps d'infanterie, commandé par le prince Eugène; le sixième, par le maréchal Gouvion-Saint-Cyr, et le troisième de cavalerie, par le général Grouchy. Plus de trois cent soixante mille hommes se trouvaient donc sur le territoire ennemi, le 30 juin. Les troupes d'Alexandre étaient en pleine retraite. L'armée de Bagration et les Cosaques de l'latow manœuvraient pour rétablir leurs communications avec Barclai de Tolly. Les hostilités étaient à peine commencées, le premier coup de canon s'était tiré six jours auparavant, et l'ennemi avait déjà perdu la capitale et presque toutes les provinces lithuaniennes, avec ses magasins de première, de seconde et de troisième. ligne, évalués à plus de vingt millions de roubles. Mais, répétons-le, à part la séparation des deux armées de l'Est et de l'Ouest, coupées et rejetées à cent lieues de distance l'une de l'autre, ce début rentrait dans le plan de cainpagne de l'empereur de Russie, et Napoléon savait à quoi s'en tenir sur ces premiers résultats, qui n'auront leur valeur réelle que lorsque

Bagration et Barclai de Tolly accepteront une bataille décisive. Napoléon séjourna deux semaines à Wilna. Il avait donné ordre à ses lieutenants de poursuivre les corps isolés des divisions russes. Sur la rive droite de la Wilia, petite rivière qui baigne les murs de la ville, on établit un camp retranché; les ponts de radeaux qui la traversaient furent reinplacés par des ponts sur pilotis. Uue citadelle fut construite sur la montagne qui domine les faubourgs et qui porte l'ancien palais des Jagellons. Un gouvernement provisoire fut donné à la Lithuanie. Le comte de Soltan, Charles Prosor, Joseph Sierakowski, le prince Alexandre Sapieha, le comte François Telski, Alexandre Potocki et Sniaduki furent désignés pour en faire partie. Le baron de Bignon suivit et surveilla ses actes, avec le titre de commissaire impérial. Le nouveau gouvernement publia plusieurs proclamations, dans le but de soulever en faveur des Français la population des campagnes et de pousser à la désertion les troupes polonaises qui servaient encore dans l'armée russe. « Polonais, dirent-ils, vous êtes sous les drapeaux russes. Ce >> service vous était permis lorsque vous n'aviez plus de patrie; >> mais tout est change aujourd'hui; la Pologne est ressuscitée; >> c'est pour son entier rétablissement qu'il s'agit de combattre » maintenant, c'est pour obliger les Russes à reconnaître des >> droits dont nous avons été dépouillés par l'injustice et l'u>> surpation. La Confédération générale de la Pologne et de la >> Lithuanie rappelle tous les Polonais au service de la Russie. » Généraux, officiers, soldats polonais, entendez la voix de la >> patrie; abandonnez les drapeaux de vos oppresseurs; accou»rez tous auprès de nous, afin de vous ranger sous l'aigle des Jagellons, des Casimir, des Sobieski! La patrie vous le de» mande; l'honneur et la religion vous l'ordonnent égale

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Ces proclamations insérées dans les gazettes lithuaniennes. ne produisirent pas l'effet que l'on en avait espéré. Les Lithua

niens ne crurent point un seul instant à une régénération politique, pas même après l'institution de leur gouvernement provisoire, qui, après tout, n'était guère autre chose qu'une commission administrative. Napoléon avait voulu que les provinces conquises sur les bords du Niémen fussent organisées à la française. On créa un département de Wilna, et le reste de la Lithuanie fut divisé en onze sous-préfectures. Des intendants choisis parmi les auditeurs au conseil d'État, qui arrivaient chaque semaine de Paris au quartier général, porteurs du travail des ministres, ayant été établis dans chaque chef-lieu d'arrondissement, des contributions extraordinaires furent perçues, des levées nombreuses furent ordonnées. La liberté apparut donc aux Lithuaniens avec le double cortége de la conscription et du fisc. Si nous considérons en outre que les Russes, en se retirant, avaient tout brûlé sur leur passage, que la plupart des villages étaient détruits, les champs ravagés; que millions de paysans, effrayés à la fois et par l'approche des Français et par les courses des soldats d'Alexandre, s'étaient réfugiés dans les bois, où ils ne vivaient plus que de maraude et de brigandage, nous aurons le tableau de la situation de cette province, sur l'appui de laquelle Napoléon comptait pour soutenir ses opérations ultérieures et maintenir ses communications.

des

Afin d'établir aussi solidement que possible le premier anneau de cette chaîne dont il allait transporter l'autre extrémité à Saint-Pétersbourg ou à Moscow, l'empereur prolongeait son séjour à Wilna, lorsqu'il apprend que la diète s'est réunie à Varsovie et vient de proclamer le rétablissement du royaume de Pologne. Le 28 juin, cette assemblée choisit pour président le prince Adam Czartoryski, le doyen de ses hommes politiques, et qui, un demi-siècle auparavant, a siégé sur ses bancs comme maréchal. Un comité est nommé, afin d'indiquer les moyens les plus propres à la régénération de la nationalité polonaise.

Le moment semblait opportun pour une pareille tentative. On disait à Varsovie que Napoléon, par des articles secrets, s'était réservé, dans son traité avec l'Autriche, le rétablissement du royaume des Jagellons, garantissant par avance au cabinet de Vienne certaines compensations pour les pertes de territoire qu'il éprouverait par ce fait (1). Le comité ayant désigné pour son organe M. le comte Matusewicz, celui-ci présenta à l'Assemblée un rapport chaleureux, où la question de justice, les droits imprescriptibles d'un peuple opprimé et la raison d'État se réunissaient pour réclamer hautement le rétablissement de la Pologne. Pourquoi avait-elle été effacée de la carte d'Europe? Quel avait été son crime? Qui l'avait jugée et condamnée? De quel droit l'avait-on attaquée, envahie et démembrée?

La Pologne, dit le rapporteur, dont nous ne faisons ici qu'analyser le discours, la Pologne, avant l'inique partage qui l'a rayée du monde politique, était, entre l'Europe civilisée et l'Europe barbare, entre la Russie et l'Allemagne, comme une sentinelle avancée, toujours prête à signaler l'approche de l'ennemi; comme une barrière vivante contre laquelle la lance du Cosaque venait se briser. Le comte Matusewicz rappelle ensuite tous les malheurs qui se sont appesantis tour à tour sur cette terre; les trois partages, le sac de Varsovie et l'incendie de Praga. L'Europe a dépecé la Pologne; elle a été poussée à une action inique par d'égoïstes et aveugles convenances; elle a foulé aux pieds le droit des gens et des nationalités. Cet attentat ne saurait être effacé par le temps; car il demeurerait toujours, dans la politique internationale de l'Europe, comme un précédent qui pourrait au besoin légitimer ou du moins couvrir la violation successive de toutes les autres nationalités. Mais l'intérêt présent du monde, tout autant que son intérêt à venir, son repos aussi bien que l'humanité, demandent le rétablissement du royaume de Pologne, la prompte réorganisa

tion d'un État qui soit comme une digue aux envahissements de la politique russe. L'Europe a besoin de se reposer de vingtcinq années de grandes agitations; son système demeurera incomplet, le prix de ses sucurs et de son sang ne sera pas assuré, tant que le Nord pourra en deux étapes jeter sur elle ses hordes à demi barbares.

Le rapporteur termine enfin par ces paroles, qui sont pour la Pologne ressuscitée comme les paroles du Christ sur le tombeau de Lazare:

« Enfants des Piast et des Jagellons, désormais vous pourrez vous parer du nom dont s'enorgueillirent vos ancêtres. Ah! n'en doutons pas, cette terre jadis si féconde en héros va reprendre toute sa gloire. Elle enfantera de nouveaux Sigismonds, de nouveaux Sobieskis; son lustre brillera d'un éclat plus pur; et les nations, ramenées au principe de justice, reconnaîtront que pour germer sur le sol de la Pologne, toutes les vertus n'avaient besoin que d'y être cultivées par des mains libres, par les mains désenchaînées de ses propres enfants! >>

Le rapport du comte Matusewicz fut suivi de la lecture et de l'adoption d'un acte de confédération dont les dispositions principales déliaient de leurs serments les Polonais au service de la Russie, faisaient disparaître de la carte le grand-duché de Varsovie, rétablissaient le royaume de Pologne, et émettaient le vœu de voir le roi de Saxe en accepter le sceptre populaire.

C'était pour la Pologne le jour des grandes illusions. Elles durèrent peu. Napoléon n'avait pas l'habitude de faire entrer la nationalité des peuples, l'intégrité de leur territoire, en première ligne dans les calculs de sa politique. Nous avons dit, dans un précédent chapitre, que, par des articles secrets, il avait prévu, en effet, la possibilité du rétablissement du royaume de Pologne; mais ce rétablissement, qui, d'ailleurs, ne devait dans aucun cas être complet, n'était pas un but pour lui; il était seulement un moyen, une éventualité subordonnée à mille

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