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les plus ingénieuses combinaisons. D'autant plus que cet Etat en mue, ou plutôt ce mobile assemblage de royaumes et de pays, par ses conditions ethnographiques, non moins que par sa situation géographique est, au centre de l'Europe, dans une position telle que son axe politique se déplaçant, il ne serait pas impossible que l'axe politique de l'Europe en fût du même coup déplacé» (1). C'est qu'en Autriche, de multiples nationalités sont aux prises et de grands combats restent à livrer. Dans cette lutte, la monarchie entière peut périr, et la voix du sang appeler sur le champ de bataille d'autres peuples, qui viendraient soutenir leurs frères. Ne les a-t-on pas déjà entendus crier vers la grande », vers la plus grande Allemagne ». Et voudrait-on jurer que celle-ci ne prêtera pas l'oreille et n'écoutera pas au moins les plus proches? Elle rêve d'un nouvel Empire allemand allant d'Hambourg à Trieste, même jusqu'à l'Asie Mineure, qui ressusciterait le SaintEmpire des siècles passés (2); et toutes ces merveilleuses séductions du programme pangermaniste ne commenceraient-elles pas à se réaliser par l'annexion des Allemands d'Autriche. Si l'Allemagne ressent par là le contre-coup de la crise autrichienne, ce contre coup s'arrêtera-t-il à elle, et l'Europe n'en ressentira-t-elle rien? Or, il est fatal que toute rupture dans l'Equilibre artificiel de la monarchie austro-hongroise amène une rupture correspondante dans l'Equilibre général, parce que, comme le répétait souvent M. de Bismarck, l'État autrichien est une pièce de l'échiquier européen (3), parce que s'il n'y avait plus

(4) Revue des Deux Mondes, 15 oct. 1897. La monarchie austrohongroise et l' Equilibre européen, p. 770.

(2) Rev. de Paris, 1er février 1899, L'Avenir de l'Autriche, par le Dr Karel Krammarsch, p. 597. M. Krammarsch est un des chefs du parti tchèque.

(3) Pensées et Souvenirs..., trad. de M. E. Jaeglé, t. II, p. 46.

d'Autriche, il n'y aurait bientôt plus d'Europe (1). Et M. Benoist conclut : « Le noeud du problème européen n'est ni à Constantinople... ni à Berlin... ni à SaintPétersbourg; il est... dans un triangle dont les sommets. sont Vienne, Prague et Budapest » (2).

Il faut élargir ce cadre. La question autrichienne résolue, le sort de l'Europe n'en sera pas davantage définitivement fixé. Tout acte de politique internationale, en quelque endroit du globe qu'il se passe, a aujourd'hui une action réflexe sur la marche générale des affaires de toutes les puissances. L'Equilibre a suivi cette évolution, il est devenu mondial, son histoire se confond avec l'histoire du monde, et dans l'avenir il continuera à se modeler sur elle. Par conséquent, ce n'est pas seulement, au sujet de la succession d'Autriche, que l'Europe devra chercher dans une combinaison d'Équilibre les moyens d'éviter les grandes catastrophes; mais sa fortune sera liée au moindre des événements qu'une politique universelle pourra lui faire

rencontrer.

Quatre grandes puissances paraissent prêtes à jouer un rôle éminent sur la scène historique future. L'Angleterre l'Allemagne, les États-Unis, la Russie escomptent déjà de longs succès et de vastes conquêtes ; et ce n'est pas d'abord sans angoisse, qu'on essaye de prévoir les destinées réservées à la France.

Avec les tendances inhérentes à sa situation internationale, elle doit servir d'appoint dans les prochains assemblages formés par l'Equilibre; et son alliance, recherchée

(1) L'Autriche est l'idéal de l'Etat tampon. Trop faible à elle seule pour inquiéter, assez forte pour maintenir, elle est comme un gage et une condition de la paix européenne.» (Benoist.)

(2) Op. et loc. cit., p. 773. V. encore Revue des Deux-Mondes. décembre 1897, juillet 1898.

15 novembre 1899.

L'Europe sans Autriche, Revue du

par l'État le plus faible, sera pour lui d'un précieux secours (1).

Mais cette attitude, en somme très modeste, ne peut convenir à la France. Elle est une personnalité trop puissante et trop glorieuse pour ne pas essayer d'agir plus efficacement et plus directement sur les événements, afin de conduire l'histoire, comme autrefois.

Aussi, dans les conflits qui troubleront la société internationale, elle devra faire entendre sa voix. Et, puisque les nécessités de sa constitution et de sa politique ne lui laissent pas espérer un agrandissement considérable de son territoire, elle apportera dans les discussions diplomatiques à venir avec beaucoup de désintéressement un esprit de modération et de sagesse. Par là elle est appelée, semble-t-il, à exercer une haute influence morale, et c'est dans ses traditions les plus belles, les plus pures.

Son passé, son abnégation, son dévouement séculaire, sa force présente ne rendront pas son intervention inutile, et en cela elle pourra se montrer encore une initiatrice. C'est pour notre pays l'aube de temps nouveaux.

((

Il ne faut pas craindre de constater cet avenir, ni s'abandonner à la «< tristesse contemporaine », car cet avenir, c'est le destin, ou mieux, ce sont les lois naturelles de l'histoire qui l'ont préparé. On ne leur résiste pas. Le rôle d'ailleurs qu'elles nous destinent, est loin d'être sans grandeur. « L'influence d'une nation disait M. Fabian Ware, ne se mesure ni à sa richesse commerciale, ni à sa force militaire, ni même à son perfectionnement intellectuel, mais à sa force morale » (2).

(1) D'autant plus qu'il est probable que la France entraînera l'Espagne et peut-être l'Italie dans son orbite.

(2) Discours à la réouverture des cours de la Guild franco-anglaise (mars 1900). V. aussi l'Expansion de la France... par ́ ́, p. 294.

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M. Laurent critique l'Equilibre parce qu'il est un instinct. Danewski pense aussi que le système n'a rien d'une loi générale. Klüber et La Clavière en font une invention des diplomates. Bulmering et Kaltenborn ajoutent qu'étant un moyen politique, il n'a rien de commun avec le Droit international. Ganesco et Justi vont plus loin et remarquent que l'Equilibre n'a jamais été réalisé dans le cours des temps.

II. L'Equilibre considéré comme loi naturelle.

Ce dernier reproche est une erreur manifeste.

Quant à l'opinion

de Laurent et de Danewski, il faut répondre que si, à l'origine, l'Equilibre fut un instinct, il prend de plus en plus les allures d'un système régulier; en tout cas, il est inutile de critiquer une chose fatale comme l'instinct. L'Equilibre ne peut pas être une création diplomatique. Il n'est pas une science, mais il guide avec bonheur la politique. M. Pillet fait ressortir toute l'importance de ce role.

I

Le système dont nous avons essayé de montrer les manifestations dans l'histoire de l'Europe depuis le xvr siècle, a soulevé des critiques et de violentes protes

tations.

On se le rappelle, l'Équilibre politique est né de la force des choses; les nations ont usé de lui, dès qu'elles eurent conscience d'elles-mêmes; ce principe était en elles, comme l'esprit de conservation; et elles se défendirent par ce moyen, sans savoir le définir et sans connaître exacte ment sa valeur.

On lui a d'abord fait un crime de cette naissance natu relle et d'avoir été une nécessité politique.

C'est ainsi que M. Laurent critique Heeren énonçant que le système d'Equilibre est la loi naturelle qui régit les relations des Etats (1). «N'est-ce pas élever un pur fait, ou pour mieux dire un instinct à la hauteur d'une théorie et d'une loi éternelle. Dieu a mis dans les sociétés comme dans les individus le besoin de la conservation; ce qu'on décore du nom d'Equilibre n'est autre chose que le sentiment instinctif qui porte les faibles à chercher un appui contre le fort, quand celui-ci veut abuser de sa force pour les opprimer. Tel fut le système dans son origine, tel il

resta...

:

«En fait, ce n'est pas (lui) qui a arrêté l'ambition des monarchies universelles les coalitions qui se sont formées contre la maison d'Autriche et contre la France ne doivent pas leur origine à une doctrine, mais au besoin de conservation » (2).

(1) Heeren, Vereischt, historische Schriften. t. I, p. 72.

(2) Laurent, Etudes sur l'histoire de l'Humanité, X, 46, 48.

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