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belliqueux sursaut. L'Anglais croit non seulement à sa valeur individuelle, mais encore, on l'a très bien dit « à son excellence humaine ». M. Chamberlain en faisait l'aveu avec allégresse: « Oui, je crois, disait-il, en cette race, la plus grande des races gouvernantes que le monde ait jamais connues, en cette race anglo-saxonne, fière, tenace, confiante en soi, résolue, que nul climat, nul changement ne peut abàtardir et qui, infailliblement, sera la force prédominante de la future histoire, et de la civilisation universelle... Et je crois en cet empire large comme le monde, worldwilde, dont un anglais ne peut parler sans un frisson d'enthousiasme » (1).

L'Angleterre se croyant digne du monde s'est mise en devoir de le conquérir; de là cette politique guerrière, ces projets de routes impériales anglaises, allant du Cap au Caire, en Afrique, des Indes à Changaï en Asie, cette attitude agressive, dont la première conséquence, la guerre transvaalienne, ne sera qu'un mince épisode. L'Europe ne pouvait rester indifférente devant l'état d'esprit britannique; l'Allemagne surtout s'émut (2), et toutes les nations du continent, après elle, ne ménagent à la Grande Bretagne ni les reproches, ni les menaces de coalition contre son hégémonie. Lord Salisbury commence même à craindre les effets de cette amertume singulière; il disait tout récemment : « un de ces étranges courants qui balayent l'Océan de la politique internationale pourrait

(1) Les dessous de Joé Chamberlain, v. Bérard, op. cit. (2) Il n'est guère douteux que de 1896 à 1898 l'Allemagne fit des ouvertures à la France pour l'inviter à coopérer avec elle contre l'Angleterre. Nous crumes de notre dignité de refuser; mais la presse allemande (Berliner neueste Nachrichten, Post de Berlin. Gazette de Cologne) nous accusa nettement (oct. 1898) d'avoir laissé par notre insouciance le champ libre à l'impérialisme britannique. (Darcy, Conquête de l'Afrique, p. 333, 334).

unir toutes les puissances offensives, qui s'accroissent chaque jour et les lancer comme une grande vague contre nos rivages » (1), et le premier ministre concluait « nous ne pouvons avoir aucune sécurité que dans l'efficacité de notre propre défense et la force de notre bras droit. >>

Avant de rester dans un isolement qui tous les jours perdait de sa splendeur, l'Angleterre chercha des alliances. Elle s'est tournée vers le peuple frère d'Amérique, l'a convié à unir ses forces aux siennes et à poursuivre sur le même chemin leurs communes destinées. Malheureusement les États-Unis montrèrent peu de docilité; les peuples jeunes ont de ces excès d'indépendance et redoutent tout ce qui peut entraver leur liberté. Puis, ils avaient, eux aussi, une doctrine impérialiste et ne voulaient pas d'alliés qui pourraient gêner leurs mouvements. Jusqu'à ces dernières années, la doctrine de Monroë avait tour à tour sollicité et excusé leur ambition; elle contient de quoi satisfaire bien des désirs et des espérances puisqu'elle doit amener l'Amérique du Sud sous la souveraineté des États du Nord; mais la victoire de ces derniers sur l'Espagne les a éblouis et élargi soudain le champ de leur action politique. Après avoir défendu à l'Europe de s'ingérer dans les affaires du continent américain, ce qui était déjà une intervention; ils sont intervenus d'une manière plus directe et on les a vus s'associer à diverses mesures prises par le concert européen: par exemple en Turquie et en Crète, surtout en Chine dont une colonie, les Philippines, les rend voisins; et ils manifestent de plus en plus leurs intentions de se mêler de toutes les affaires générales, ne cachent point leurs idées de conquêtes et prennent des allures de conquérants.

(1) Discours à la réunion de la Primrose League, 9 mai 1900. Débats du 11 mai.

Le Monroïsme s'est donc compliqué, malgré une évidente contradiction, d'un impérialisme qui peut devenir menaçant (1).

On pouvait croire qu'il aurait pour résultat d'affaiblir le Monroïsme et d'en faire voir les inconvénients; « on pouvait espérer que les États-Unis, pour concilier le Monroïsme et l'impérialisme, deviendraient citoyens du monde par leur droit, tout en restant citoyens du continent américain par leur politique. Mais prenant ces deux formules à contre-sens, ils n'en ont conservé que les défauts en faisant pénétrer l'impérialisme dans leur politique, tout en gardant le Monroïsme dans leur droit, tandis qu'il leur aurait fallu au contraire pratiquer le Monroïsme pour limiter leur politique et se servir de l'impérialisme pour élargir leur droit» (2).

On a dit que la théorie impériale poserait à l'Europe une question d'Occident: c'est très possible, même elle serait plus redoutable que le vieux problème oriental par les conséquences économiques qu'elle engendrerait.

Aussi, l'ancien continent pense parfois, qu'il n'est plus seul à conduire l'histoire et tourne des regards anxieux vers l'Amérique. Mais le danger, quoique probable, lui parait si lointain, qu'il préfère s'examiner lui-même et essayer de prévoir son plus proche avenir.

Par dessus tout, il redoute la guerre, et pourtant l'attente d'un conflit « est un des phénomènes principaux du temps présent. » Pour le prévenir l'Europe a cherché dans

(1) Toutefois le parti démocrate repousse l'impérialisme «< qui menace la liberté d'autrui mais devient plus intransigeant sur la doctrine de Monroe. Seul le parti républicain désire de nouvelles conquêtes. (Programmes pour les élections présidentielles.)

(2) Geauffre de Lapradelle, Revue du droit public et de la science politique, janvier-février 1900; L'Imperialisme et l'américanisme aux Etats-Unis, p. 63.

les alliances le moyen de balancer le mieux possible les diverses forces qu'elle contient. Et nous voyons dans la triple alliance d'une part (1) et dans notre entente avec la Russie de l'autre une excellente combinaison d'Equilibre (2): L'Angleterre essaye de tenir la balance comme aux premiers jours. Il n'est pas niable que la tranquillité présente est née de l'incertitude où l'on se trouve sur le degré de puissance d'un État, et par suite sur l'issue finale du conflit à engager. Et cette rivalité insensée et sage à la fois dans les armements de l'Europe a engendré la paix en préparant la guerre.

L'Equilibre en est la cause, non le progrès dans l'épurement des mœurs; on en trouve la preuve dans ce fait que, lorsqu'il ne peut plus y avoir de doute sur l'issue d'une guerre, les premiers principes de la morale entre les peuples et de la civilisation contemporaine sont compromis et violés par les plus grandes nations.

Mais les meilleures combinaisons ne résistent pas à la force des choses et malgré toutes les précautions que l'on a prises des chocs inévitables se produiront. A n'envisager que l'Europe, deux causes de guerres se dessinent déjà et l'Equilibre général en sera tout ébranlé.

(1) Elle semble diminuer de popularité en Italie. Le silence des discours du tròne italien à cet égard (14 nov. 1899 et 15 juin 1900) a été particulièrement remarqué. V. Nuova Antologia, 1er oct. 1900.

(2) Ségur disait en 1801 en note aux Conjectures de Favier: « Si le cabinet de Pétersbourg... voulait s'entendre avec le gouvernement français, pour conserver la paix de l'Europe, personne n'oserait y remuer, et ces deux puissants contrepoids tiendraient la balance de la politique dans un Equilibre constant et parfait. » « L'alliance de la France et de la Russie, écrivait Gentz, est une des chances les moins invraisemblables et les plus offrantes de l'avenir.» (Considérations sur le système politique..., 1818. Depeches aux hospodars, II, 366, 378.

L'une se trouve dans la prodigieuse expansion de la Russie Arrêtée dans les Balkans, elle a depuis longtemps. affecté à leur égard plus d'indifférence; et son principal effort s'est porté sur l'Asie, sur toute l'Asie, où elle espère avec raison de grands succès; elle approche ainsi d'une des principales sources de la richesse britannique, l'Inde. Les progrès russes sur cette frontière inquiètent l'Angleterre, et amèneront certainement une rupture (1).

C'est en second lieu l'Autriche, qui, par sa constitution. intime et l'évolution de sa personnalité, amènera une grande crise européenne. C'est une étrange destinée que celle de la maison de Habsbourg qui, dès le premier jour, a menacé la paix publique et que nous retrouvons au terme de cette évolution. Aujourd'hui, seulement, si l'Autriche risque de troubler l'Equilibre, c'est un peu à la façon de la Turquie. Elle n'est pas encore toutefois ago nisante comme elle; mais il se prépare dans l'Empire une transformation, qui de conséquence en conséquence, pourrait finalement entrainer la chute de tout l'échafaudage et avec lui de toute la bâtisse. « Il y a, dit M. Ch. Benoist, entre des Etats, fixes et consolidés qui sont, un Etat qui mue et qui devient, et cela peut suffire à ruiner

(1) L'expansion moscovite a ses poètes, et depuis longtemps. F. J. Tutchef écrivait avant 1873, une poésie intitulée Géographie russe Moscou, la ville de Pierre, et la ville de Constantin, voilà les capitales de l'empire russe. Mais où sont ses limites et ses frontières, au nord, à l'ouest, au midi, au couchant? Dans les temps à venir, le destin les révèlera. Sept mers intérieures et sept grands fleuves, du Nil à la Néva, de l'Elbe à la Chine, du Volga à l'Euphrate, du Gange au Danube. Voilà l'empire russe, et il demeurera tout le long des siècles. L'Esprit l'a prédit et Daniel l'a prophétisé. › (Poèmes et articles politiques, 1886. E. M. de Vogüé, Regards historiques et littéraires, p. 299.

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