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avait dévoilé la faiblesse chinoise; les grandes puissances, avec l'esprit d'immixtion qui les caractérise, n'hésitèrent pas, le voile sitôt déchiré, à essayer de tirer parti de l'impuissance du prodigieux Empire (1). Leur premier acte fut une intervention classique dans le conflit de 1895. Le Mikado ayant imposé par le traité de Simonoseki (17 avril 1895) de trop dures conditions à la Chine, les membres les plus intéressés du concert européen (France, Allemagne, Russie) (2) modifièrent le traité, comme l'Europe avait vingt ans plus tôt, à Berlin, modifié les stipulations russes de San-Stefano. C'est un facile et curieux rapprochement. De ce jour, la question chinoise s'est posée, c'està-dire qu'on s'est demandé quels moyens seraient plus propices pour ouvrir de plus en plus la Chine à l'influence et au commerce européens et prépareraient le mieux les voies à un partage régulièrement équilibré de son territoire. Les réponses n'étaient pas faciles. En Afrique, on ne trouvait que des terrains vagues ou presque, et aucune vie nationale ne pouvait s'opposer au bon plaisir des puis sances. En Chine, les éléments du problème sont tout différents. Cet empire ressemble à la Turquie, en ce sens qu'il est malade » comme elle, et qu'on ne sait pas s'il convient de lui donner le coup de grâce ou de lui apprendre de nouveau à vivre. C'est une question d'Extrême-Orient qui à première vue doit remplir l'histoire du xxe siècle, comme la question d'Orient a rempli celle

transforme et qui s'étend, lui seul existe véritablement et les autres n'ont de raison d'être que relativement à lui.

(1) P. Leroy-Beaulieu, La Rénovation de la Chine; René Pinon et Jean de Marcillac, La Chine qui s'ouvre.

(2) L'Angleterre protégeait le Japon; on sait qu'elle a recherché son alliance. V. Nagao-Ariga, La guerre sino-japonaise au point de vue du droit international; — R. G. D. I. P., t. I. p. 459 et t. II, p. 447 et s., p. 118 et s.

du XIX. Mais d'un autre côté, la question paraît plus compliquée d'abord on connaît relativement peu la vie intime de la Chine et tous les ressorts qui la font agir; les événements actuels sembleraient même prouver qu'elle a une vitalité qu'on était loin de lui supposer, une certaine volonté et de la persistance à vouloir; puis, deux États nouveaux prétendent participer au règlement de cette affaire, les États-Unis et surtout le Japon, qui a droit de cité dans le monde international depuis sa dernière guerre.

Jusqu'ici, après avoir hésité entre les systèmes des sphères d'influence et de la « Porte ouverte », les puissances ont créé pour s'ingérer en Chine une institution juridique, bizarre et nouvelle, dans la forme tout au moins. Elles ont imaginé de se faire céder à lail quelques points sur les côtes qui leur serviraient de ports de refuge et de dépôts de charbon. De là, elles sont à même d'exercer une influence à Pékin, de se surveiller mutuellement ellesmêmes et de marquer d'avance par un hinterland inévitable la part qu'elles se réservent dans les dépouilles du Céleste-Empire.

Par ce qu'on a appelé « le coup de force de Kiao-Tchéou », l'Allemagne (17 novembre 1897) créa un déplorable précédent et commença la spoliation (1).

Les puissances suivirent cet exemple, la Russie la première. Avec le Japon, elle est ici la puissance la plus intéressée. Elle se fit céder Port-Arthur, et sa diplomatie attache peut-être plus d'importance à ce territoire qu'à Constantinople (2). A Port-Arthur, la Russie atteint enfin une mer libre de glaces et depuis qu'elle a une politique,

mars 1898.

(1) Cession à bail de Kiao-tchéou pour 99 ans; tr. de Pékin, 6 V. Pinon et de Marcillac, op. cit., p. 154 à 158. (2) Les relations russes avec la Chine datent du traité de Nertschinsk en 1689.

c'est le but toujours poursuivi par elle, longtemps vainement grâce aux efforts de l'Europe. L'Angleterre et la France ont exigé, elles aussi, des cessions à bail (1); seuls les États-Unis et le Japon ne demandèrent rien; malgré cette modération, les deux États sont loin de se désintéresser du règlement de la question chinoise, et ne manquent pas de prendre part aux délibérations européennes qui s'y rapportent. Le problème chinois réserve peut-être de douloureuses surprises; c'est le domaine futur de l'Équilibre.

III

Cette évolution future est actuellement en germe. La politique anglo-saxonne en dirigera en partie le cours. Il fut un temps, lorsque l'Europe se consumait en guerres continentales où le Royaume-Uni se trouvait seul sur le terrain de la colonisation et de la grande production. C'était pour lui l'époque de ce « splendide isolement » dont il s'est tant glorifié; mais peu à peu les peuples du continent suivirent les Anglais dans les voies magnifiques où ils avaient trouvé la richesse et le bonheur. Ils eurent des colonies, devinrent des commerçants et de terribles concurrents; le commerce allemand, surtout, prit des proportions effrayantes. En vingt ans, il augmentait de de 1.400 0/0, tandis que le commerce anglais ne progressait dans la même période que de 25 0/0 (2). La Grande

(1) La France obtint Kouang-Tchéou-Ouane ; l'Angleterre Wei-HaiWei.

(2) Il s'agit de la période comprise de 1878 à nos jours. V. Discours de Stanley, dans Sauvaire-Jourdan, La situation de la France au point de vue du commerce extérieur, p. 12. V. L'Essor industriel et commercial du peuple allemand, par Georges Blon

Bretagne s'émut Pour recouvrer sur ce terrain sa prépondérance, il lui fallait trouver de nouveaux débouchés commerciaux l'Impérialisme britannique est né de ces circonstances (1): « L'Empire, c'est le commerce », dira M. Chamberlain. L'idée impérialiste est extrêmement complexe et peut donner le jour à des conceptions différentes.

Pour sir Charles Dilke, l'Impérialisme se ramène à la donnée suivante: «La plus grave question posée à notre génération, dit l'auteur de Greater Britain, est celle de savoir si l'empire britannique deviendra une série d'Etats indépendants, quoique unis, ou formera réellement cette unité militaire qui est aujourd'hui plus sentimentale que réelle. Si le principe de l'unité de l'Empire et de l'unité de ses défenses est maintenu, chacune de nos possessions jouira de la plus grande sécurité qu'on puisse imaginer. L'Empire britannique pourra se tenir à l'écart de toute alliance et poursuivre une politique uniquement inspirée par l'intérêt immédiat de ses sujets » (2).

C'est là la conception juridique de l'Impérialisme; et en soi, l'union plus intime des colonies et de la Métropole n'a rien de particulièrement redoutable; pas plus du reste que les conséquences économiques que cette fusion entraînerait. Car, il ne faut pas l'oublier, l'impérialisme est autant et davantage un mouvement commercial que politique, et c'est pourquoi, à toute l'Angleterre du fer, de la houille, des tissus chassée des vieux pays par le protectionnisme, traquée ou tout au moins gênée dans les pays neufs par la concurrence des Allemands, des Belges,

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del (Paris 1898). - V. aussi Revue de Paris, août 1900, La puissance commerciale de l'Allemagne, par Paul de Rousiers, et Revue Blexe, 11 août 1900, Impressions d'Allemagne, par M. Masson-Forestier.

(4) V. Revue politique et parlementaire. XIII, 494; XIV, 451. (2) Greater Britain, Débats du 17 mars 1900.

des Américains, des Russes, des Japonais

l'impérialisme promet « un empire organisé en union douanière (1) où les seuls produits anglo-saxons pourront circuler et s'échanger librement, d'où les produits étrangers seront écartés... L'Empire ne sera qu'une immense Société coopérative de production et de consommation dont l'Angleterre ayant les parts de fondateurs aura aussi tous les bénéfices (2). »

Mais « le commerce, remarquait le grand théoricien de I'Impérialisme J. R. Seeley, conduit naturellement à la guerre et la guerre nourrit le commerce » (3), et il n'est pas besoin d'insister sur les allures belliqueuses de la Grande-Bretagne, sur sa politique envahissante qui est pour elle une nécessité économique. Là est le danger.

L'idée impériale prend tous les jours de plus amples développements, elle s'est doublée d'une foi ardente en la race saxonne; d'une doctrine politique, elle est passée au rang de principe populaire et surexcite aujourd'hui l'âme britannique d'un extraordinaire excès d'arrogance et d'un

(1) La comparaison avec le Zollverein est classique. C'est, en somme un retour vers la politique prohibitionniste de l'Acte de navigation, acte qui a fait la grandeur anglaise.

(2) Victor Bérard, L'Angleterre et l'Impérialisme.

(3) Correspondant, 25 avril 1899, p. 219; L'Angleterre et la paix du monde; V. aussi Vietinek, L'Impérialisme, dans Revue générale (Bruxelles), septembre 1899; Nécessité de l'Impérialisme dans the Nation, 10 août 1899; L'Impérialisme anglais et la paix de l'Europe, dans L'Historische politische Blaetter, 16 août 1899. Wallace, L'Avenir de l'Impérialisme, dans Contemporary Review, juin-août 1899. Napoléon ler disait déjà au baron de Comeau: « Je n'ai qu'un ennemi réel, la Grande-Bretagne. Ce sont des marchands qui font la guerre par eux et pour eux. » (Souvenirs des guerres d'Allemagne pendant la Révolution et l'Empire, par le baron de Comeau, Paris, 1900).

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