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Ces idées sont dues à la fausse conception des droits fondamentaux des États. M. Pillet, dans un remarquable. opuscule en a fait justice. On peut à la rigueur proclamer l'indépendance de l'État dans la formation de son droit national; mais dans la sphère du droit international, il n'en est certainement pas de même. Ce droit est le résumé des intérêts communs aux États dans leurs mutuelles relations, il est la loi de la Société internationale, et dans cette société, l'État cesse d'ètre le maître pour devenir un simple membre de l'association, un sujet. « Sujet de qui, dira-t-on, puisque cette société est une réunion d'égaux et n'a pas de souverain. L'État est le sujet des intérêts communs de cette société. Ces intérêts ne sont point sans doute ici séparés, personnalisés, fixés sur la tête d'un souverain comme cela a lieu dans une république ou dans une monarchie, mais ils n'en existent pas moins par le fait du commerce international, ils n'ont pas moins le droit de commander, parce qu'ils répondent à des besoins sociaux, nombreux, réels, pressants, en tout semblables à ces besoins intérieurs qui constituent la justification rationnelle de l'autorité des lois nationales » (4).

Il nous reste à examiner la manière d'être de l'Équilibre, comment il s'exercera, en d'autres termes, qui sera chargé d'appliquer la sanction pour faire respecter la loi.

(1) Droits fondamentaux des États, tirage à part de la R. G. D. I. P., p. 21. Rappelons que nous n'exposons maintenant que les données fondamentales du système, et que notre raisonnement est purement spéculatif.--(V. Division de cette étude.) La critique spéciale de l'Intervention, arme de l'Equilibre, trouvera place ailleurs.

$ 3. L'organe de L'Équilibre. - Le Concert européen.

La Société des États et les grands congrès européens. Conception de Wolf. Le Congrès de Vienne. Rôle des grandes puissances. Inégalité sociale.

—Le

Longtemps le principe fut appliqué inconsciemment et de façon peu scientifique. Dans l'Association internationale primitive, la variété des mœurs des différents peuples, la difficulté des communications, surtout le manque d'esprit public ne permirent pas aux puissances d'agir avec ensemble dans toutes les questions pour appliquer d'une manière continue, une sanction suprême et générale. Chacun se fit justice à lui-même et notre théorie n'eut d'abord que des applications purement locales. C'est ainsi qu'en Italie, où sur un territoire restreint existaient plusieurs villes formant des États indépendants et souverains, l'équilibre trouvait un terrain si propice qu'il s'y développa rapidement. Et à mesure que les relations internationales s'étendent, il suit ce mouvement extensif et l'ère des grands congrès européens s'ouvre avec les traités de Westphalie. La société des États était pour ainsi dire concrétisée dans ces réunions et des mesures de sûreté publique y étaient prises.

En 1749, Wolf enseignait qu'il existe une communauté internationale (societas) dont les États sont les personnes... Il faisait de cette société, une sorte d'État organisé (civitas), l'Etat des nations qu'il opposait comme civitas gentium maxima aux États particuliers dont elle se compose, puis il l'investissait d'une autorité (imperium) sur chacun

de ses membres (1). Vattel, le vulgarisateur de la doctrine de Wolf, rejette la conception de la civitas maxima, parce qu'elle lui paraît en contradiction avec le principe de l'indépendance des États (2). A vrai dire, dans les premiers congrès, la souveraineté des nations était dans une certaine mesure respectée, et quand on élaborait des lois générales, il était bien entendu qu'elles n'étaient obligatoires que pour ceux qui avaient contribué à cette élaboration. Ce qui distingue encore ces réunions de nos assemblées diplomatiques modernes, c'est que seuls y prenaient part les États précédemment engagés dans la lutte qui les avaient préparées, et ce n'est pas sans quelque étonnement qu'on remarque l'absence d'une puissance comme l'Angleterre aux conférences de Munster et d'Osnabrüg.

La conception de Wolf reste exacte toutefois pour l'époque contemporaine. Aujourd'hui, alors même que deux États seulement sont intéressés dans un conflit, on voit certains autres États intervenir lors du règlement de ce conflit, quand celui-ci peut dans ses conséquences porter atteinte à l'ancienne organisation politique et à l'équilibre établi.

Ce système doit le jour à la situation que les conquêtes de Napoléon avaient faite à l'Europe. Il s'est trouvé que le continent tout entier, ayant pris part à la dernière coalition contre le conquérant, était en droit d'exiger son admission au congrès qui allait sanctionner un nouvel ordre de choses et rétablir un balancement équitable des forces. depuis trop longtemps disparu. Toute l'Europe, en effet, fut réunie à Vienne et Talleyrand aurait voulu que les débats qui allaient s'ouvrir prissent la forme des discussions parlementaires. Mais c'était, on le comprend sans

(1) Jus gentium: V. Paul Leseur, op. cit. 121. (2) Vattel, op. cit., III, 392.

peine, vouer le congrès à l'immobilité et à l'impuissance. La France eût beaucoup gagné à cette combinaison, et c'est une des raisons pour lesquelles notre ambassadeur insistait sur cette question de procédure, mais les grandes puissances européennes ne pouvaient en être satisfaites; et le plénipotentiaire prussien, Hardenberg, se faisait l'écho du sentiment de ses collègues, quand il réclamait pour les délibérations futures, « un expédient d'après lequel, les princes de la Leyen et de Lichtenstein n'eussent point à intervenir dans les arrangements généraux de l'Europe (1).

On pouvait deviner ce que serait cet expédient.

Au mois de février précédent, l'Angleterre, l'Autriche, la Prusse, la Russie, en ouvrant les conférences de Châtillon, déclarèrent à M. de Caulaincourt qu'elles se trouvaient chargées de traiter la paix avec la France, au nom de l'Europe. Il est bien certain, que pour la commodité générale, elles s'étaient donné à elles-mêmes ce mandat, et elles le conservèrent au Congrès de Vienne. Là tout se régla à quatre puis à cinq, lors de l'admission de la France aux conférences intimes. Le sort des autres puissances fut fixé par cette « Chambre des pairs de la diplomatie européenne » (2) et elles durent l'accepter (3), telle est l'origine de cette « juridiction étrange étrange » (4) et nouvelle, qui prit

(1) Correspondance de Talleyrand avec Louis XVIII; lettre du 4 octobre 1814. Mémoires, 11, 324. On peut, en un certain sens, définir le concert européen, un système par lequel quelques grandes puissances imposent à d'autres le respect de dispositions auxquelles ces puissances secondaires n'ont pas collaboré.

(2) Oppenheim, Système des Vælkerrechts.

(3) Le plénipotentiaire espagnol ne voulut pas signer l'acte final, parce que on avait pris certaines dispositions auxquelles il n'avait pas

concouru.

(4) Eugène Cauchy, Le droit maritime internat. II, 136. lord Brougham, op. cit.

- V.

le nom de Concert Européen, et ce souvenir de 1814, « n'a pas manqué d'exercer depuis lors une influence psychologique » (1).

Nous n'avons pas à examiner en détail le rôle remarquable joué par le concert européen; nous devions seulement signaler que l'équilibre, pour être exactement appliqué, avait exigé la création de cette sorte de gouvernement international et que, pour employer une formule moderne, le besoin avait créé l'organe.

La Société des Etats, en se perfectionnant, s'est rapprochée dans la conception de ses droits et de ses devoirs. de l'organisation de la société civile. Le concert européen est pour elle un semblant de pouvoir à la fois exécutif et législatif, <«< un tribunal, comme l'expliquait M. Hanotaux à la Chambre, et une autorité devant lesquels tout le monde peut et doit s'incliner (2) ».

Une première progression de la communauté internationale ayant amené le concert européen, il est naturel de se demander si le système actuel ne contient pas les éléments d'une évolution nouvelle, le germe d'une organisation future plus parfaite. Nous apprécierons plus loin cette manière de voir, nous bornant à retenir ici un reproche qu'on adresse à l'essence même du concert européen, à la situation prépondérante qu'ont acquise par là les grandes puissances. Car ce sont elles qui ont accaparé le gouvernement des grands intérêts communs ; elles, qui décident des progrès du droit international, qui règlent les affaires présentant un intérêt général, qui se chargent d'écarter les dangers les plus pressants (3); de là une évi

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(1) G. Streit, Situation des grandes puissances dans le droit int., p. 10. Aussi dans la R. D. I. de Bruxelles, 1900, 1er fascicule.

(2) Livre jaune, février-mai 1897, p. 181.

(3) A. Pillet, Recherches sur les droits fondamentaux des Etats dans l'ordre des rapports internationaux, p. 7.

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