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Etats des occasions de se réaliser, s'ensuivra-t-il que cette réalisation se produira inévitablement ? Oui, et voici pourquoi:

La communauté internationale, une fois constituée par la force des choses, il faut songer à la maintenir et à la protéger; il faut des lois pour régler les rapports qui vont naître de cette vie commune; il faut surtout que les Etats qui sont les personnes de cette société soient tenus d'obéir à ces lois et qu'une force publique les sanctionne.

« Dès que les peuples entrent en contact les uns avec les autres, dit Embser, des lois naissent pour eux» (1). Ces lois, le droit international tâche de les découvrir et les fait connaître; il en formule même d'autres, qui sont la conséquence d'actes passés entre les nations au cours de leur vie politique. Mais le moyen de les sanctionner et de garantir le droit international ne pouvait se trouver que dans un système qui obligerait la majorité des Etats à prêter leurs forces à celui d'entre eux qui aurait à se plaindre d'une lésion. Wheaton a bien exposé cette manière de voir « Dans la grande société des nations, chaque membre est indépendant des autres et vit par rapport à ces autres membres dans ce qu'on a appelé l'état de nature, ne reconnaissant point entre eux de souverain, d'arbitre, de juge. Il en résulte que le droit entre les nations n'a pas de sanction semblable à celle qui assure l'exécution du droit civil de chaque Etat par rapport aux membres qui le composent, et que par conséquent la seule sanction qui puisse être donnée au droit international, n'est basée que sur la crainte de la part des nations de provoquer une hostilité générale en violant ce droit. Voilà

(1) Abgötterei unsers philosophischen Jahrhunderts, Erster abgott. Ewiger Friede 1779. - R. D. I., XXV, p. 54.

pourquoi les Etats européens ont veillé à ce que l'équilibre des puissances ne fût jamais troublé » (1).

Il y a pourtant une lacune dans l'explication de Wheaton; car enfin l'Equilibre conseille bien aux Etats d'unir leurs forces contre celui qui transgresse la loi publique, mais ils peuvent ne pas suivre cet avis et ce qu'il fallait dire c'est que l'Equilibre les obligera même à agir, parce qu'il leur suggérera des motifs d'action, fondés sur le plus grand mobile des agissements humains, l'intérêt. — Une morale utilitaire était la seule que pouvaient reconnaître, pour y conformer leur conduite, des êtres que leur existence anonyme dégage de toute responsabilité (2).

Or, il est de toute évidence que l'intérêt essentiel des États leur fait une obligation d'empêcher coûte que coûte l'un d'eux d'acquérir une trop grande puissance, à cause des graves conséquences que celle-ci entraînerait. Voilà pourquoi ils se ligueront, au nom de l'Equilibre, contre une nation qui en opprimera une autre, pour s'enrichir de ses dépouilles, et l'arrèteront dans une série de conquêtes qui augmenterait sa grandeur, au point de lui donner assez de force pour briser toute résistance collective (3)

(1) El. Droit international, I, 78.

(2) V. Discours de M. de Bülow au Reichstag réclamant hautement l'individualisme national Le gouvernement allemand, dans les questions de politique internationale, ne reconnaitra jamais d'autre guide de conduite que « le salut public du peuple allemand » ; la prospérité du peuple allemand est et demeurera sa loi suprême... Nous sommes convaincus qu'un État indépendant est à lui-même son but, qu'il ne peut dans le domaine politique reconnaître de fins plus hautes, que celles de la protection de ses intérêts et du maintien de son indépendance pour l'accomplissement de ce qui est le but de son existence. Débats, 3 mars 1900.

(3) Dans les ligues qui se forment chacun ne suit que son intérêt propre et cet intérêt... engage souvent à contenir les forts. » (Sorel, l'Europe et la Révolution..., I, 34.)

Ainsi comprise, notre doctrine n'est que l'expression d'un instinet; elle est, à ce titre, fatale, et pour protéger leur existence, les États ne pouvaient en trouver d'autre. Elle se place à la base même de la société internationale, et devient la garantie du droit (1). Elle ne donne pas la loi à cette société, mais elle fait que cette loi ne reste pas lettre morte, et rend possible l'existence de la collectivité. Il ne s'agit pas de rechercher l'originalité facile de l'antithèse, mais il n'est pas inutile de remarquer que, si l'Equilibre ne peut naître qu'avec la société des États, celle-ci par contre cessera d'être le jour où l'Equilibre n'existera plus.

Sans confondre, comme Sismondi, l'idée d'équilibre avec celle de solidarité du genre humain (2), il faut bien reconnaître qu'elle a rapproché les hommes, qu'elle les a rendus, à leur insu, charitables, et que, pour s'aider euxmêmes, ils se sont entr'aidés les uns les autres (3). Notre théorie, d'abord conséquence de la coexistence des États en société, est devenue bientôt la cause essentielle du maintien de cette coexistence et «sa nécessité suprême » (4).

(1) Frédéric II de Prusse, disait : « Le droit des gens manquant de puissance coercitive pour le faire observer. n'est qu'un vain fantome.» (Instruction pour la direction de l'Académie des nobles. V. Nys, R. D. I., XXV, p. 54; et sa traduction de Westlake dans ses Etudes sur les principes du droit international, p. 106.) (2) Histoire des Français, III, 341.

(3) François Ier, Henri II, Henri IV, Richelieu. Mazarin, ont fait bonne politique, et ils ont eu cette fortune, qu'en travaillant à la grandeur de notre pays, ils ont sauvé l'indépendance de l'Europe. (E. Lavisse, Vue générale de l'histoire politique de l'Europe, p. 144.) (4) Pasquale Fiore, Dr. int. publ., I, § 463. G. F. de Martens : L'équilibre est plus nécessaire aux peuples européens parce qu'ils forment une sorte d'association. » (Précis du droit des gens..., 1,334.)

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« Cette attention à maintenir une sorte d'équilibre et d'égalité entre les nations voisines, dit Fénelon, est ce qui en assure le repos commun. A cet égard, toutes les nations voisines et liées par le commerce, font un grand corps et une espèce de communauté. Par exemple, la chrétienté fait une espèce de république générale qui a ses intérêts, ses craintes, ses précautions à observer. Tous les membres qui composent ce grand corps se doivent les uns aux autres pour le bien commun, et se doivent encore à eux-mêmes pour la sûreté de la patrie, de prévenir tout progrès de quelqu'un des membres qui renverserait l'Équilibre, et qui se tournerait à la ruine inévitable de tous les autres membres du même corps. Tout ce qui change ou altère ce système général de l'Europe est trop dangereux, et traîne après soi des maux infinis » (1).

Rousseau écrit dans le même sens : « Les nations de l'Europe forment entre elles une nation tacite... Le système actuel de l'Europe a précisément ce degré de solidité qui le maintient dans un état d'agitation perpétuelle sans le renverser. L'équilibre existant des forces entre les divers membres de la société européenne est plutôt

(1) Examen de conscience sur les devoirs de la royauté. Sur la non-solidité des alliances tant offensives que défensives contre une puissance étrangère qui aspire manifestement à la monarchie universelle. V. Wheaton, Histoire..., I, 441. - V. aussi Revue d'histoire moderne et contemporaine, de mars-avril 1900, num. VI. H. Sée, Les idées politiques de Fénelon.

Dans le même sens, lord Brougham « ... La durée de l'existence d'un État ne dépend plus tant de ses ressources propres que de la place qu'il occupe dans un vaste et régulier système, où les états les plus puissants doivent pour leur propre sécurité, constamment veiller au salut des plus faibles. » (Historical and political dissertations, cité par Piédelièvre. I, 443. Sic Novicow, la Politique internationale, p. 338-339.)

l'œuvre de la nature que de l'art. Il se maintient sans effort, de manière que s'il penche d'un côté, il se rétablit bientôt de l'autre... Ce système de l'Europe est maintenu par cette vigilance perpétuelle, qui observe chaque perturbation dans l'équilibre des forces... » (1).

La société internationale est donc le domaine de l'Équilibre, et celui-ci interviendra en principe pour sanctionner la loi générale de sûreté commune; d'une manière plus précise, il interviendra pour arrêter le développement, le perfectionnement de l'État, lorsque ce droit, légitime pourtant, entrera en conflit avec le droit de conservation des autres États. Mais alors il faut constater que du jour où les rapports sociaux s'établiront, et par le fait de l'application de notre théorie, la souveraineté, la personnalité de l'État va se trouver restreinte, et il faudra l'assimiler à la liberté des individus dans la vie nationale, qui voient leurs droits limités par ceux des autres.

Justi s'élève contre une pareille conséquence:

« Si l'Équilibre était réalisé, rien ne serait plus terrible que l'esclavage de chaque État vis-à-vis de tous ses voisins..... il faudrait reconnaître à chaque État le droit d'intervenir dans les affaires intérieures des autres ». Mieux vaut dès lors la monarchie universelle, car dépendre de plusieurs États à la fois serait bien plus lourd à supporter que de dépendre d'un seul (2).

(1) Extrait du projet de paix perpétuelle de M. l'abbé de SaintPierre, t. IX, des œuvres complètes, p. 469, Emile II. - Sic Vattel: « L'Europe... n'est plus comme autrefois, un amas confus de pièces isolées, dont chacune se croyait peu intéressée au sort des autres. » Édit. Pradier-Fodoré, II, 389.

(2) Die chimære des gleichgewichts von Europa, von Johann, Heinrich, gottlop von Justi Altona. 1758, cité par de Stieglitz, op. eit., I, p. 180, 181. V. aussi Nys, R. D. I En ce sens Granville Stapleton: Intervention and non intervention, cité par Bulmering.

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