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ΝΟΥ 1 1882

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INTRODUCTION.

L'HISTOIRE nationale doit former une partie essentielle de l'éducation primaire, s'il est vrai que la connaissance des devoirs de sujet et de citoyen appuie les lois, fasse la force et amène la sécurité d'un gouvernement sagement constitué, c'est-à-dire établi pour la nation elle-même.

Jadis, le professorat des colléges reconnaissait pour base de toute instruction, l'étude des langues mortes. On voyait des pédagogues en soutane ou sous le froc monacal, expliquer les annales de vingt peuples païens, et, s'enfonçant dans les obscures régions d'une merveilleuse antiquité, exalter l'imagination de nos jeunes élèves, en leur signalant les ombres fantastiques de Léonidas, de Scévola, de Décius, de Clélie; déployer à leurs yeux étonnés les hauts faits de Sésostris, de Cyrus, d'Alexandre, personnages à demi-fabuleux, guerriers d'un monde à-peu-près idéal; tandis que les noms les plus glorieux de la terre des Français étaient laissés dans l'oubli : on passait sous silence les exploits du vainqueur de Bouvines, les bienfaits de ce Charles qui sauva la France aussi, mais sans.combats, et par les seuls moyens de sa profonde sagesse ; le bonheur de cet autre Charles que la mollesse avait plongé dans l'abîme, et que relevèrent des sujets généreux. On dédaignait de montrer aux jeunes Français le dévouement sublime d'Eustache de Saint-Pierre, le mâle courage de ces femmes plébéiennes conduites par Jeanne Hachette, la valeur bien plus éclatante de Jeanne d'Arc, juridiquement assassinée à vingt ans par le fanatisme ultramontain, que conduisait la vengeance des Anglais. Une ignoble effigie, sur la place d'Orléans, était le seul indice de la reconnaissance des habitants qu'avait sauvés cette jeune

héroïne. Un poëme ridicule obscurcit sa mémoire; un poëme obscène la fit revivre pour la flétrir. Combien aurait-on compté de Français hors de Saint-Jean-de-Lône (Côte-d'Or) qui connussent les noms de Pierre Desgranges, de Pierre Lâpre, dignes citoyens qui, en 1636, s'étant mis à la tête des habitants de cette ville, la défendent contre une nombreuse armée d'Allemands et d'Espagnols, et préservent ainsi la France des horreurs d'une invasion? En 1594, Brissac reçoit une somme considérable pour admettre Henri IV dans la capitale. Le nom de ce seigneur, chargé d'éloges, paré des plus beaux titres, est transmis à la postérité ; tandis que l'échevin Langlois, dont les efforts ont décidé la reddition de Paris, qui n'est déterminé que par le sentiment du patriotisme, reste ce qu'il était, simple bourgeois; les historiens daigneront à peine faire mention de lui.

Nos écoles retentissaient des oraisons du consul romain à Catilina, contre Verrès, pour Milon; des harangues mensongères de Tite-Live, des fictions de Quinte-Curce; tandis que les discours du vertueux l'Hôpital, les combats, les vertus, les crimes de nos pères, leurs malheurs même, d'où procédèrent les nôtres, ne semblaient pas dignes de nous instruire. On eût rougi de jeter un regard sur nos annales; et les plus beaux modèles de l'héroïsme national restaient ensevelis dans les archives poudreuses des cités, dans les bibliothèques des monastères. Prétendait-on former des sujets à la monarchie, en ne leur parlant que d'Athènes et de Rome?

Vers le milieu du dix-huitième siècle, la nation, humiliée de ses revers, honteuse des égarements de ses chefs, inquiète sur l'avenir, se replie sur le passé : Henri IV d'abord, puis Lusignan, Tancrède, du Guesclin, Bayard, sortent de la tombe, comme pour nous demander compte de l'héritage qu'ils nous transmirent. A leur aspect, les savants interrogent avec un zèle plus judicieux les antiquités nationales; les jurisconsultes recherchent les origines de nos lois, les publicistes sondent les fondements de nos institutions; on recherche avec avidité les vestiges de nos anciennes libertés. Ce ne sont plus des faits stériles, ce sont d'utiles renseignements qu'on demande à

l'histoire. On veut savoir d'où l'on est parti, connaître le but

vers lequel on se dirige.

A cette époque, paraît, en français, français, un Abrégé de l'Histoire de France, à l'usage de l'École - Militaire; abrégé qui, tout concis qu'il est, imparfait comme il est, donne une esquisse des faits principaux. Mais à quelles sources le jeune homme puisera-t-il des notions plus étendues, lorsqu'il n'existe encore que des chroniques apocryphes ou des recueils d'anecdotes?

De Thou, le premier historien digne de ce titre, vivait sous Louis XIII. Il se montra peu jaloux d'écrire pour les grands de son temps, gens fort illettrés, consumant leurs jours dans les intrigues d'une cour remplie d'Italiens pervers. Il ne jugea pas non plus que le gros de la nation, cette masse plébéienne si peu considérée, étrangère même dans l'état, excepté lorsqu'on était réduit à réclamer son aide pour sauver le trône, l'autel ou le château féodal, dût être informée des évènements passés, ou préparée aux coups de la fortune. De Thou, faisant de l'histoire une science occulte, accessible seulement aux gens de robe ou d'église, méprisa l'idiôme vulgaire; et, par un singulier contraste, tandis qu'Amyot venait de s'en servir pour faire connaître aux Français les héros et les sages qui vécurent, dans les siècles reculés, sur les bords du Tibre ou de la mer Égée, de Thou, transmettant dans une langue morte le récit des derniers troubles de la patrie, en dérobait les leçons salutaires à la foule de ses contemporains.

Mézeray vient ensuite. Trop véridique pour le temps, il ose rappeler les droits de la nation dans l'établissement des impôts: aussitôt les ministres, qui, par habitude ou par dépravation, maintiennent la clandestinité dans les affaires de finances, lui retirent sa modique pension, et brisent sa plume.

Après lui, vient le jésuite Daniel, chargé des graces d'un monarque qui rapporte à lui seul toute la monarchie. Excessivement diffus dans les récits des combats, dans les descriptions des fêtes, cet écrivain se tait quand il s'agit d'institutions, de ressorts d'évènements, des progrès de l'esprit humain. Il voudrait établir en principe ( ainsi que l'observe Saint-Simon )

que la plupart des Rois de la première race, plusieurs de la seconde, quelques-uns de la troisième, furent illégitimes, trèssouvent adultérins et doublement adultérins ; que ce défaut ne les avait pas exclus du trône, et n'avait jamais été considéré comme un motif qui pût ou dût les en éloigner. Ainsi la nation se trouve entretenue dans l'ignorance de son bienêtre, comme de ses devoirs; elle est imbue de doctrines pernicieuses et contraires à ce dogme antique de la légitimité dans la succession au trône; et, par une inconcevable erreur, c'est le souverain le plus jaloux des prérogatives de la royauté, qui sème de sa propre main ces germes d'innovation, qui provoque le mépris de la morale publique, et qui invite au renversement des lois fondamentales de la monarchie.

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Les derniers règnes montrent avec évidence que le secret fut le grand principe de nos Rois, en fait de gouvernement. Ils s'étaient tellement persuadés que la publicité mettait leur puissance en danger, qu'ils ne toléraient que des historiographes, c'est-à-dire des écrivains stipendiés. De temps à autre, la vanité, la loquacité de quelques personnages qui avaient figuré dans de hautes intrigues, venaient bien entretenir sur eux-mêmes la curiosité des lecteurs, par la révélation d'anecdotes malignes ou licencieuses; et, à travers ces recueils volumineusement fastidieux, paraissaient aussi quelques mémoires judicieux qui montraient, en passant, les causes d'un évènement considérable. Néanmoins la France, si riche en productions littéraires, attendait un corps d'histoire nationale.

A la faveur de cette impatience, Hénault obtint, un grand succès. Mais, outre que son ouvrage n'est qu'un abrégé excessivement resserré, le défaut de critique s'y découvre assez souvent, lorsqu'il ne s'agit pas des obscurités de l'ancienne jurisprudence, ou des incertitudes de la chronologie. Prosterné devant l'idole du pouvoir, il se demande, à l'occasion des turpitudes de Henri III (V. an 1576): « Pourquoi ne dirait-on pas quelquefois les défauts des princes? » Et il lui suffit d'observer: « que ce souverain aurait utilement travaillé pour la religion, en réformant la licence de sa cour.» Hénault fait un grand éloge de Louis XIII, de ce Roi qui ne sut que mettre

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